
mère contre fes enfants, un redevable contre (on
bienfaiteur', un homme obfcur & foible contre un
homme iiluftre & puiflant, ont befoin que leur
défenfeur écarte de leur caufe ce qu’e lle a de
défavorable. Mais comme i l n’y a plus rien d’arbitraire
dans les arrêts, que les tribunaux ne font
plus ou ne doivent plus être que la lo i vivante,
& que c’eft faire aux juges une infulte publique
que de chercher à les féduire ou à émotiyoir leurs
pallions ; l ’art de les gagner doit avoir plus de
réferve & plus d’adreffe; & dans le commun des
procès , YExorde n’ eft guères que l ’expofé de la
nature de la caufe ou de l a fituation de celui qu’on
défend.
Dans les Etats ou. l ’Éloquence politique & républicaine
fe fait encore entendre, la difcuffiondes
affaires lui permet rarement de fe dèveloper :
Y E x o rd e y tiendroit trop d’efpace j & quant aux
formes, fes modèles font plus tôt dans Thucydide
& T ite -L iv e , que dans Demofthène & Cicéron.
L e grand appareil de YExorde paroît réfervé
aujourdhui à l ’Éloquence de la Chaire ; c’ eft en
effet là qu’i l fè montre avec l ’éclat qu’i l eut dans
la Tribun e, mais par des moyens différents: le
perfonnel en eft exclu ; fes relations font du c iel
à la terre , de l ’homme à D ie u , de la Morale à
la R e lig io n , & du fujet à l ’auditoire, avec une
auftérite" fainte & fans aucun mélange d’artifice &
d’adulation. L ’orateur s’y attache furtout au dève-
lopement du texte & à fon application, foit au
fujet qu’i l veut approfondir, foit à la perfonne qu’i l
doit louer & qu’i l préfente pour modèle. Deux
des plus beaux E xo rd es connus dans ces deux
genres, font celui du fermon de Bourdaloue pour
le jour de Pâques : S u r r e x it, non eft hîc ,* &
celui de Fléchier dans l ’Oraifon funèbre de T u -
renne j E xord e qu’on a dit être pris de Lingende,
& qui reflemble à celui de l ’Oraifon funèbre d’Emmanuel
de Savoie, comme la Phèdre de Racine ref-
fèmble à ce lle de Pradon. ( M . M a r m o n t e l . )
‘ E X P É R IE N C E , E S S A I , É P R E U V E . Syn.
Termes relatifs à la manière dont nous acquérons
la connoiffance des objets. ( M . D i d e r o t . )
( ^ U Expérience regarde proprement la vérité
des‘chofes; elle décide de ce qui eft ou de ce qui
n’eft p a s, éclaircit le doute, & diffipe l ’ignorance.
JJ E J f ai concerne particulièrement l ’ufage des
chofes ; i l juge de ce qui convient ou ne convient
p a s , en fixe l ’em p lo i, Sc détermine la volonté.
L ’Épreuve a plus de rapport à la qualité des
chofes ; e lle inftruit de ce qui eft bon ou mauvais ,
diftfngue le m eilleu r , & guérit de la crainte
d’ être trompé. ) [ L ’ abbé G i r a r d . }
A in f i, Y Expérience eft relative à l ’exiftence ;
Y E J f ai, à l ’ufage ; Y Épreuve,aux attributs. [M . D id
erot. )
( ^ O n fait des Expériences pour favoir, des E f a i s
pour chcjîlr , & des Epreuves pour connoître. )
[L'abbé G ir a r d . )
Nous nous affdrons par Y Expér ience, fila ch o fe
eft,' par YEJfai , quelles font fes qualités ; par Y Epreuve , fi e lle a la qualité que nous lu i croyons.
( M . D i d e r o t '. )
~ ( L ’Expérience confirme nos opinions ; elle eft
la mère de la Science. U E J f ai conduit notre goût ;
i l eft la voie de la fatisfatlion. U Épreuve raffiire
notre confiance ; elle eft le remède contre l ’erreur &
contre la fourberie. ) ( L ’ abbé G i r a r d . )
E X P L É T IF , IV E , ad je t . terme de Grammaire.
O n dit mot e x p lé t i f ( Méthode grè-
que. 1. v in . cap. x v . art. 4 ) ; & l ’on dit particule
explétive. Servius ( Æ n e id . i v . 4 14 ) dit e x p
ie tiv a conjunclio; & l ’on trouve dans Ifidore (/. 1.
ch. x j . ) conjuncliones expie tiv æ. A u lieu d’E x p
l é t i f & d’E x p ié t iv e , on ait auffi fu p e r flu , o i f i f ,
furabondant.
C e mot E x p l é t i f vient du latin Exp le r e , remp
lir. En e ffe t, les mots E x p lé t if s ne fervent,
comme les in terje tion s , qu’à remplir le difeours ,
& n’entrent pour rien dans la conftru&ion de la
phrafe, dont on entend également le fens , foie
que le mot E x p l é t i f foit énoncé ou qu’i l ne le foit
pas.N
otre moi & notre vous font quelquefois e x p
lé t if s dans le ftyle familier : on fe fert de moi
quand on parle à l ’impératif & au préfent ; on fe
fert de vous dans les narrations., Tartuffe , dans
Molière, acl. I I I . f c . 2. voyant Dorin e, dont la
gorge ne lui paroifïoit pas affez couverte , tire
un mouchoir de fa p o ch e, & lui dit :
. Ah I mon Dieu , je vous prie,
Avant que de parler , prenez-moi ce mouchoir !
Et Marot a dit :
Faites-les-moi les plus laidsque l’on puiffe ;
Pochez cet oeil, feflez-moi cette cuifTe.
En forte que, lorfque je lis dans Térence ( Heaut.
acf. I . f c . 4. v. 32. ) f a c me ut fe iam , je fuis fort
tenté de croire que ce me eft E x p l é t i f en la tin ,
comme notre moi en françois.
On a auffi plufieurs exemples du vous E x p l é t i f
dans les façons de parler familières : i l vous la
p r en d , & l ’ emporte, &c. Notre même eft fouvent
E x p l é t i f : le roi y eft venu lui - même ; f irai
moi-même ce même n’ajoute rien à la valeur du
mot r o i, ni à ce lle de j e .
A u troifième livre de l ’Énéide de. V irg ile , vers
632. Achéménide dit qu’i l a vu lui-même le C y -
clope fe faifir de deux autres compagnons d’ Ulyffe ,
& les dévorer.
Vidi t e go -met, duo de numéro , &c.
O ù vous voyez qu’après vidi & après ego, la
particule met n’ajoûte rien au fens ainfi, mer eft
une particule exp lé tiv e , dont i l y a plufieurs
exemples : ego-met narrabo ( Térence , Adelphes,
acl. i v . fc . 3. verf 1 3 . ) , & dans Cicéron ,au
l. v.epift. ix . Vaticius prie Cicéron de le recevoir
tout entier fous fa protection, fufeipe memet to-
tum; c’ eft ainfi qu’on lit dans les manuferits.
L a fyllabe e r, ajoutée à l ’infinitif paffif d’un
verbe latin , eft explétive , puifqu’e lle n indique ni
temps, ni perfonne , ni aucun autre accident particulier
du verbe : i l eft vrai qu’en vers e lle fert
à abrévier Yi de l ’infinitif, & a fournir un d a ty le
au poète ; c’eft la raifon qu’en donne Servius fur ce
vers de V irg ile :
Dulce canut} ma fie as irivitam accingier artes.
III. Æn. 4p 3.
Accingiery id e jl, proeparari, dit Servius ,*
Accingier autem ut ad infinitum modum èr ad-
daturyratio ejficit.metri ; nam cumin^eo accingi ultima fit longa, additâ er fyllabâr, brevis fit.
( Servius, ibid. ) Mais ce qui eft remarquable &
ce qui nous autorife à regarder cette fyllabe comme explétive , c’eft qu’on en trouve auffi des exemples
en profe : Vatinius cliens , pro fe caufam dicier
vult. Apud. Cic. 1. v . ad Jamiliares, epifi. ix.
Quand on ajoute ainfi quelque fyllabe à la fin d’un
mo t , les grammairiens difent que c’eft une figure
qu’ils appellent Paragoge.
Parmi nous, dit labbé Regnier dans fa Grammaire
, p. f6 5:. i n - i l y a auffi des particules ex-
plétives ; par e x emple, les pronoms me , te , fe,
joints à la particule eh -, comme quand on dit : Je m’en retourne , il s ’en va ; les pronoms moi ,
toi y lui y font employés par répétition : S ’ilne veut
pas vous le dire, je vous le dirai, m o i, il ne.
m’appartient pas , à m o i, de me mêler de vos
affaires ; il lui appartient bien comme ilf a it y y. à lu i }Kde parler &c.
Ces mots enfin, feulement y à tout hafard, après tou t, & quelques autres, ne doivent fouvent
être regardés que comme des mots explétifs &
lùrabondants, c’eft à d ire , des mots qui ne contribuent
en rien à la conftruftion ni au fens de
la propofition ; mais ils ont deux fervices.
i ° . Nous avons remarqué ailleurs que les langues
fe font formées par ufage & comme par une efpèce
d’inftintt, & non après une délibération raifonnée
de tout un peuple ; ain fi, quand certaines façons
de parler ont été autorifées par une langue pratique
, & qu’elles font reçues parmi lés honnêtes
gens de la nation , nous devons les admettre, quoiqu’elles
nous paroiffent compofée-s de mots_redondants
& combinés d’une maniéré qui ne nous paroît'
pas régulière.
Avons-nous à traduire ces deux mots d’Horace , fa n t quos, &c J^au lieu de d ire , quelques - uns
font qui y & c , nous devons dire , il y en a qui y
& c , ou prendre quelque autre tour qui foit en u faoe
parmi nous. ~ ’ 0
L Académie françoife a remarqué- que , dans
cette phrafe : C’efi une affaire où il y va du falut
de V E ta t, la particule y paroît inutile, puifque où fuffit pour le fens 5 m a is, dit l ’Académie, ce fon t la des formules dont on ne peut rien
ôter ( Remarques & décidons de l ’Académie françoife
, chez Çoignard, 169%). L a particule ne eft
auffi fort fouvent explétive, & ne doit pas pour
cela être retranchée : J ’ai affaire & je ne veux
pas qu’on vienne m’interrompre ,• je crains pourtant
que vous ne venie\ : que fait là ce ne ? c’ejl
votre venue que je crains ; je devrois donc dire
Amplement , j e crains que vous veniez. N on,
dit l ’Académie j il eft certain , ajoute-t-elle , auffi
bien que V au g e la s , Bouhours, &c , qu’avec craindre,
empêcher, & quelques autres verbes p a re ils, il
faut néceffairement ajouter la négative ne : j ’empêcherai
bien que vous ne foye-{ du nombre, &c. ( Re-
mary. & décif. de l’Acad. p. 30.)
C eft la penfée habituelle de celui qui parle, qui
attire cette négation : Je ne veux pas que vous
venie^ÿ je crains , en fouhaitant que vous ne veniez pas : mon efprit tourné vers la négation,
la met dans le difeours. Voye\ ce que nous avons
dit de la S yllepfe & de l ’Attrattion au mot C onstruction.
A in f i, le premier fèrvice des particules explé-
tives , c’eft d’entrer dans certaines façons de parler
confàcrées par l ’ufage.
L e fécond fervice & l e plus raifonnable, c’eft
de répondre au fentiment intérieur dont on eft
affe&é , & de donner ainfi plus de force & d’énergie
à l ’expreffion. L ’intelligence eft prompte , elle n’a
qu’un inftant, fpiritus quidem promptus ejl ; mais
le fentiment eft plus durable, i l nous affette : &
c eft dans le temps que dure cette affeétion , que
nous laifîons éçhaper les interjetions & que nous
prononçons les mots explétif s y qui font une forte
d’interjection, puifqu’ils font un effet du fentiment.
Ceft à vous à fortir, vous qui parlez.
Molilre.
V dus qui parlez^, eft une phrafe explétive , qui
donne plus de force au difeours.
Je l’ai vu , dis-je, vu de mes propres ieux , vu ,
Ce qu’on appelle vu.
Mol. Tartuffe, aft. v. fe .3.
Et je né puis du tout mç mettre dans l’efprit,
Qu’il ait ofé tenter lès chofes que l’on dit.
Id. ibid.
Ces mots vu de mes ieux, du tout, font explétifs
& ne fervent qu’à mieux affùrer ce que l ’on
dit : Je ne parle pas fu r le témoignage d’un
autre ,• je l’ai vu moi-même ; je l’ai entendu de
mes propres oreilles : & dans V ir g ile , au i x livre
de l ’Énéide , v. 457 :
Me, me, adfum qui fecij in me cçnyertite ferrunt.