
auront envifàgé toutes ces chofès ; fouvent le befoin
le s obligera Remployer des termes appellatifs 5c
généraux, même pour exprimer des individus, 5c
çonféquemment ils ne pourront fe paner de mots
déterminatifs pour reftreindre la lignification trop
vague des premiers. Dans toutes les langues on trouvera
des propofitions, qui auront leurs iiijets 8c leurs
attributs j des termes dont le fens incomplet exigera
un complément, un régime. En un mot toutes
les langues auujettiront indilpenfablemenc leur marche
aux lois de l ’Analyfe logique dè la Penfée;
8c ces lois font invariablement les mêmes partout
& dans tous les temps, parce que la nature & la
manière de procéder de Tefprit humain font effen-
ciellement immuables. Sans cette uniformité 8c cette
immutabilité abfolue , i l ne pourroit y avoir aucune
communication entre les hommes de différents
fiècles ou de différents lieu x, pas même entre deux
individus quelconques, parce qu’i l n’y auroit pas une
règ le commune pour comparer leurs procédés ref-
peétifs.
I l doit donc y avoir des principes fondamentaux
communs à toutes les langues, dont la vérité in-
deftruftible eft antérieure à toutes les conventions
arbitraires ou fortuites qui ont donné naifîance aux
différents idiomes .qui divifenc le genre humain.
Mais on fent bien qu.’ aucun mot ne peut être le
type effenciel d’adfcune idée ; i l n’en devient le figne
que par une convention tacite, mais lib re 5 on auroit
pu lu i donner un fens tout contraire. I l y a
une égale liberté fur le choix des moyens que Ton
peut employer pour exprimer la corrélation des
mots dans Tordre de l ’énonciation , 8c ce lle de leurs
idées dans l ’ordre analytique de la Penfée. Mais les
conventions une fois adoptées, c?eft-une obligation
indifpenfable de les fuivre dans tous le s cas pareils ;
& i l n’eft plus permis de s’en départir, que pour
fe conformer à quelque autre convention également
authentique, qui déroge aux premières dans quelque
point particulier, ou qui les abroge entièrement.
De la la polfibilité 8c l ’origine des differentes '
langues qui ont été, qui font, & qui feront parlées fur
la terre.
L a Grammaire admet donc deux fortes de principes.
Le s uns font d’une vérité immuable 8c
d’un ufage univerfel ; ils tiennent a la nature de la
penfée même ; ils en foivent Tanalyfe ; ils n’en font
que le résultat : les autres n’ont qu’une vérité hypothétique
& dépendante des conventions libres &
xnuables, & ne font d’ufàge que chez les peuples
qui les ont adoptés librement , fans perdre le droit
de les changer ou de les abandonner quand i l plaira
à l ’Ufàge de les modifier ou de, les proforire. Les
premiers conftitnent la Grammaire générale ; lés
autres font l ’objet des diverfes Grammaires particulières.
L a Grammaire générale eft donc la fcience rai-
fonnée des principes immuables & généraux de la
Parole prononcée ou écrite dans toutes les langues.
UflÇ Grammaire particulière eft l ’art d’applû,
tjfaéf, aux principes immuables & généraux de la
Parole prononcée ou écrite, les inftitutions arbitraires
& ufueiles d’une langue particulière.
L a Grammaire générale eft une Science , parce
qu e lle n a pour objet que la fpécuîation raifonnée
des principes immuables 8c généraux de la Parole 5
une Grammaire particulière eft un A r t , parce
qu elle envifàge Inapplication pratique des inftitutions
arbitraires & ufueiles d’une langue particulière
aux principes généraux de la Parole.
L a Science grammaticale eft antérieure à toutes
les langues , parce que fes principes font d’une
vérité - éternelle , 8c qu’ils ne luppofent que
la pofiibilité des langues : l ’Art grammatical au
contraire eft poftérieur aux langues, parce que les
ufages des langues doivent exifter avant qu’on les
raporce artificiellement aux principes généraux.
Malgré cette diftin&ion de la Science grammaticale
& de l ’Art grammatical, nous ne prétendons
pasinfinuer que Ton doive ,ou que Ton puiffe même
en féparer l ’étude. L ’Art ne peut donner aucune
certitude à la pratique, s’i l n’èft éclairé & dirige
par les lumières de ia fpécTilation ÿ la Science ne
peut donner aucune- confiftance à la théorie, fi e lle
n’obferve les ufages combinés 8c les pratiques.d if férentes
, pour s’ élever par degrés jufqmà l a géné-
ralifation des principes. Mais i l n’en eft pas moins
raifonnable de ' diftinguer l ’un de l ’autre , d’aflîg.ner
à l ’un & à l ’autre fon objet p ropre, de preferire leurs
bornes refpéôrives , & de déterminer leurs, différences.
C ’eft pour les avoir confondues, que. l ç P . Buffiet
(Çrammairèfrançoife , n°. 9 & fu iv a n t s ) regarde
comme un abus introduit par divers grammairiens,
de dire : 1 / ufage. eft çn ce p o in t oppofé 4 la
Grammaire. « ruifque la Grammaire , dit-il à ee
» fujet, n’eft que pour foûrnir des règles ou des
» réflexions qui apprennent à. parler comme on
» parle ; fi quelqu’une de ces règles ou • de ces
» réflexions ne s’accorde pas à la manière de parler
» comme on parle , i l eft évident qu’elles font
,» fauffes & doivent être changées ». 11 eft .très-
clair que notre grammairien ne penfe ici qu’à la
Grammaire particulière d’une langue ., à ce lle qui
apprend à parler comme on- p a r le , à ce lle enfin
que l ’ondéfigne p a rle nom à3 Ufage dans l ’expreflîoâ
cenfurée. Mais cet ufage a toujours un raport né-
ceffaire aux lois immuables de la Grammaire générale
, 5c le P. Buffier en convient lui-même dâns
un autre endroit. « U fe trouve effencieliement dans
» toutes les langues , d i t - i l , ce que la Philofophie
» y confidère en les regardant comme les expref-
» fions naturelle^ de nos penfées : car comme la
» nature a mis un ordre neceflaire dans nos pen-
» fées, e lle a rais, par uneçonféquenceinfaillible ,
» un ordre néceffaire dans les langues ». C ’eft en effet
pour cela que dans toutes on trouve les mêmes
efpèces de mots ; que ces mots y font affujettis à
peu près aux mêmes efpèces d’accidents ; que le
djfcours y eft fournis à la triple fyntaxe, de confeordance,
de régime , 8c de conftruérion, &c. Ne
doit-il pas réfulcer de tout ceci un corps de doéhrine
indépendant desdécifions arbitraires de tous les ufages,
& dont les principes font des lois également univer-
felles 5c immuables?
O r c’ eft à ces lois de la Grammaire générale ,
que les ufages particuliers des langues peuvent fe
conformer ou ne pas fe conformer quant à la lettre ,
quoiqu’effectivement iis en fuivent toujours ôc nécef-
fairement Tefprit. Si Ton trouve donc que Tufage
d’une langue autorife quelque pratique contraire à
quelqu’un de ces principes fondamentaux , on peut le
dire fans abus, ou plus tôt i l y auroit abus à ne pas
le dire nettement ; 5c rien n’eft moins abufif que
le mot de Cicéron ( orat. n°. 47 ) ; Impetratumefl
à confuetudme ut peccare fiia v.katis causa li-
ceret : c’ eft à Tufage qu’ i l attribue, les fautes dont
i l p a rle , impetratum eft à confite iuditie ; 5c con-
féquemment i l reconnoît une regie indépendante
de'Tufage 5c fupérieuîè à Tufage ; d eft la nature
' même , dont les décifions, relatives à l ’art de la
P a ro le , forment le corps de la fcience grammaticale.
Confultons de bonne foi ces décifions, 5c
comparons-y fans préjugé les pratiques . ufueiles ;
nous ferons bientôt en état d’apprécier l ’opinion du
P . Buffier. Les idiotiftnes fuffiroient pour la faper
jufqu’aux fondements, fi nous voulions nous permettre
une digreffion que. nous avons condannée
ailleurs ( voye^ G a l l i c i s m e Sc I d i o t i s m e ) : mais
i l ne nous faut qu’un exemple pour parvenir à notre
b u t , 5c nous le prendrons' dans l ’Écriture. Que
__lignifient les plaintes que nous entendons faire tous
les jours fur les irrégularités de notre A lp h ab e t ,
fur les emplois multipliés de la même lettre pour
repréfenter divers éléments de la P a ro le ., fur l ’abus
contraire de donner à un même élément plufieurs
caractères d iffé r en t s fu r celui de réunir plufieurs
caractères pour repréfenter un élément fimple, 5cc ?
C ’eft la comparaifon fecrette des inftitutions ufiielles
avec les principes naturels, qui fait naître ces
plaintes; on v o it , quoi qu’on en puiffe dire, que
l ’ufage autorife de véritables fautes contre les p rinci-
- pes immuables diètes par la nature.
Eh! comment pourroit - i l fe faire'que Tufàçre
des langues s’accordât. toujours avec les vues
générales 5c fimples -de la nature ? C e t , ufage eft
l e produit du concours fortuit de tant de circonf-
tances , quelquefois très - difoordantes ! L a diverfité
des climats ; la conftitution politique des États ; les
révolutions qui en changent la face ; l ’état des
Sciences, des A r ts , du Commerce; la Re ligion,
& lé. plus 0.U le moins d’attachement qu’on y a;
les prétentions oppofées des nations, des provinces,
des - villes , des ramilles même : tout cela contribue
à faire envifager les chofes, ici fous un point de
vue , là fous un autre , aujourdhui d’une façon, demain
d’une manière toute différente ; 5c' c’eft l ’origine
de la diverfité. des’ génies des langues.- Les
différents réfultats des combinaifons infinies de ces
ckconftances , produifent la différence prodigieufe
que Io n trouve entre les mots des.diverfes langues
qui expriment la même idée , entre les moyens
qu elles adoptent pour défigner les raports éuon-
cîatifs de ces mots, entre les tours de phrafe qu’elles
autorifent, entre les licences qu’elles fe permettent.
Cette ■ influence du concours des circonftances eft
frapante, fi Ton prend des termes de comparaifon
très-éloignés , ou par le s lieux , ou par les temps ,
comme de l ’orient à l ’occident, ou du. règne de
Charlemagne à celui de Louis X V I : elle le fera
moins , fi les points font plus voifins , comme
d’Ita lie -en France , ou du fiècle de François I
à celui de Louis X IV : en un mot , plus le$ termes
comparés fe rapprocheront , plus les différences
paroitront diminuer ; mais elles ne feront
jamais totalement anéanties : elles demeureront en-
bore fenfibles entre deux nations contiguës, entre
deux provinces limitrophes, entre deux villes voi-
fines, entre deux quartiers d’urie même v i l le , entre
deux familles d’un même, quartier : i l y a plus , le
même homme varie fes façons de parler d’âp-e en
â g e , de jour en jour. De là la diverfité des dia-
le&es d! une même lan gu e, fuite naturelle de l ’égale
liberté 5c de la différente pofition des peuples &
des États qui compofent une même nation : de là
cette mob ilité, cette fucceflîon de nuances, qui
modifie perpétuellement les lan gu es, 5c les méta-i
morphole infenfibicment en d’autres toutes différentes
: c’ eft encore une des principales caufes des difficultés
qui peuvent fe trouver dans l ’ étude des Grammaires
particulières.
Rien n’eft plus aifé que de fe méprendre fur le
véritable ufage d’une langue. Si elle eft morte, on
ne peut que conjecturer on eft réduit à une portion
bornée de témoignages confignés dans les l i vres
du meilleur/ fiè c le .. Si elle eft vivante , la
mobilité perpétuelle de Tufage empêche qu’on ne
puiffe Taffigner d’une manière fixe ; fes oracles
n’ont qu’une vérité momentanée. Dans l ’un Sc dans
l ’autre cas , i l ne faut négliger aucune, des reffources
que le hafàrd peut offrir ,011 que l ’art d’enfeigner peut
fournir.
L e moyen le plus utile ôc le plus avoué par la
raifon ôc par l ’expérience , c’ eft de divifer Tobjec
. donc on traite en différents points capitaux,. auxquels
on puiffe raporter le s différents principes ôc
les diverfes obforvations qui concernent cet objet.
Chacun de ces points capitaux peut être foudivifé
en des parties fubordonnées , qui ferviront à mettre
de Tordre dans les matières relatives aux premiers
chefs de diftribution. Mais les membres de ces di-
vifions doivent effeftivement préfenter des parties
différentes de l ’objet to ta l, ou les différents points
de vue fous lefquels on fe propofe de l ’envifager ; ■
i l doit y en avoir affez pour faire connoître tout
l ’ob je t, 5c affez peu pour ne pas furcharger
la mémoire 5c ne pas dfftraire l ’attention. V o ic i
donc comment nous croyons devoir diftribuer la
Grammaire, foit générale foit particulière.
L a Grammaire confidère la Parole dans deux états