
v o u s , me dira-t-on, l ’euphonie tend fans cefle à
approcher les hommes d’une même prononciation,
furtout lorfque les mouvements de l ’organe ont
été déterminés. Cependant les allemands, les anglois,
les italien s, les François prononcent tous diverfê-
nient les vers d’Homère & de V irg ile : les grecs
écrivent ae/JV, â’jà j & i l y a des anglois qui
lifent mi , nine , a , i , d é , ^ i , è ,• des Jfrançois
qui lifent m è , n in e, a , e i , y e , d é , t h é , a ( e i ,
comme dans la première de neige & y e , comme
dans la dernière de paye ,* cet jv eft un y en çon-
fonne qui manque dans notre alphabet, quoiqu’i l
foit dans notre prononciation. ) ( V oye \ Les notes
de M. Duclos Jur la Grammaire générale rai-
fonnée). Mais ce qu’i l y a de tingulier,-c’eft qu’ils font
tous également admirateurs de l ’harmonie de ce
début : c’ eft le même enthoufiafme, quoiqu’i l n’y
ait prefque pas un fon commun. Entre les françois,
la prononciation du grec varie tellement , qu’i l
n’eft pas rare de trouver deux favarits qui entendent
très-bien cette Langue , & qui ne s entendent
pas entre eux ; ils ne s’accordent que fur la quantité.
Mais la quantité n’étant que la lo i du mouvement
de la prononciation , la hâtant ou la fufpendant
feulement elle ne fait rien ni pour la douceur,
ni pour l ’afpérité des fons. O n pourra toujours
demander comment i l arrive que des lettres , des
fyllabes , des mots , ou folitaires ou combinés,
foient également agréables à plufieurs perfonnes
qui les prononcent diverfement. E f t - c e une fuite
du préjugé favorable a tout ce qui nous vient de
lo in , le preftige ordinaire de la diftance des temps
& des lie u x , l ’effet d’une longue tradition ? Comment
eft - i l arrivé que parmi tant de vers grecs
& latins , i l n’y ait pas une fyjlabe tellement contraire
à la prononciation des fuédois , des p o lo - *
n o is , que la le& u r e leur en foit abfolument im-
poflible ? Dirons-nous que les Langues mortes ont
été fi travaillées, font formées d’une combinaifon
de fons fi Amples , fi faciles, fi élémentaires, que
ces fons forment, dans toutes les Langue s vivantes
où ils font employés , la partie- la plus agréable
& la plus mélodieufe■ ? que ces La n gue s vivantes ,
en fe perfectionnant toujours , ne font que rectifier
fans cefTe leur harmonie, & l ’approcher de l ’harmonie
des Langue s mortes? en un m o t , que l ’harmonie
de ces dernières , faCtice 8ç corrompue par
l a prononciation particulière dç chaque nation ,
eft encore fupérieure à l ’harmonie propre & réelle
de leurs Langues ?
J e répondrai premièrement, que cette dernièrç
çonfjderation aura d’autant plus de force , qu’on
fera mieux inftruit des foins extraordinaires que les
grecs avoient pris pour rendre Jeur Langue hâr-
jnonieùfe : je n’entrerai point dans ce détail ; j’ob-
fervefai feulemént, en général, qu’i l n’y a prefque
pas une feule v o y e lle , une feule diphthongue
Une feule çopfonne , dont la valeur foit tellement
Confiante que l ’euphonie n’en puiffe difpofer, foit
f ü altérant Je f o n , foit en Je fupprimant : fecQndement,
que , quoique les anciens ayent pris quelques
précautions pour nous tranfmettre la valeur
de leurs caractères i l s’en faut beaucoup qu’ils
ayent été là-deflus auffi exaCts , aufli minutieux
qu ils auroient dû l ’être : troifièmement, que l e
favant qui pofTèdera bien ce qu’ils nous en ont
laiffé , pourra toutefois fe flatter de réduire à une
prononciation fort approchée de la fienne tout
homme raifonnable & conféquent : quatrièmement,
- qu on peut démontrer , fans réplique , à l ’anglois ,
qu’ en prononçant m i , n in e , a , i , d é , \ i , è , i l
fait fix fautes de prononciation fur fept fyllabes.
H rend la fyllabes /■<,« par mi ; mais un auteur
ancien nous apprend que les brebis rendoient en
béiant le fon de IV D i r a - 1 - o n que les brebis
grèques béloient autrement que. les nôtres v & di-
loient bi , bi , & non b è , bè. Nous liions d’a illeurs
dans Denis d’Halicarnafle : h in fra bajim
linguce a llid it fonumeonfequentem , non fu p ra ,
ore mode raté aperto , mouvements que n’exécute
en aucune manière celui qui rend « par i. I l rend
u , qui eft une diphthongue , par un i vo y e lle &
fon fimple. I l rend le par un ^ ou par un f
g rafleyée, tandis que çe n’eft qu’un t ordinaire afpiré :
Il rend â-« par , c’eft à dire qu’au lieu de déterminer
vivement l ’air vers le milieu dé la langue
pour former iV fermé b ref, a llid it fp ir itum
ci rca déniés , ore parum ailaperto , nec labris
fonitum illujtrantibus , ou qu’i l prononce le caractère
i. i l rend à par l ’e , c’eft à dire que
a llid it fonum infra kafim linguce , ore moderatè
aperto ; tandis qu’i l étoit prefçrjt pour la jufte
prononciation de ce caraClère à , fpiritiçm exten-
dere , ore aperto , & fp ir itu ad palatitm v e l
fu p ra elato.
Ce lu i au contraire qui prononce ces mots grecs
/wîb/v ttuét , à-«« , mè , nine , a , ei , y e , d é ,
thé y a 3 remplit toutes les lois enfreintes par la
prononciation anglojfe, O n peut s’çn afTûrer en
comparant les caractères grecs avec les fpns que
j’y. attache & les mouvements que Denis d’H a li-
carnafle preferit pour chacun de ces caractères ,
dans fon ouvrage admirable D e . collocatione ver■-
borum. Pour faire fentir l ’utilité de fes de'finitions,
je me contenterai de. rapporter ce lle de IV & ,
de IV. L ’p fe forme, dit-il , linguce eoçn'Çmq f p i ritum
reperçutiente, & ad pàlatum prope dentes
fub la to : & IV lïngua adductâ fu p ra ad p a la -
tum , fp ir itu per mediam longitudinem lobente ,
& cirça dentes cum tenui quodam & angujlo
fib ilo exeunte. Je demandé s’i l cil poffible de fa-
tisfaire à ces mouvements , 8ç de donner â IV &
à IV d’autres. valeurs que celles quç nous leur
attachons. I l n’cfl pas moins p é c is fur les autres
lettres.
Mais , infiflerâ-t-on , fi les peuples fubfiflants
qui lifent le grec , fe conformoient aux règles 4c
Denis d’Haiicarnaffe , ils prononceroient donc tous
çètte Langue de la même manière, & comme, les
anciens grecs la prononçoient $
Je réponds à cette queftion par une. fuppofition
qu’on ne peut rejeter , quelque extraordinaire
qu’elle foitd ans cep a y s -c i ; c’eft qu’un efpagnol
oiï un italien , prefle du défir de pofteder un portrait
de fa maitrefle, qu’i l ne pouvoit montrer â
aucun peintre , prit le parti qui lu i reftoit d’en
faire par écrit la defeription la plus étendue &
la plus exaéte j i l commença par déterminer la
jufte proportion de la tête entière ; i l pafla en-
fuite aux dimenfions du f ron t, des y e u x , du nez ,
de la bouche , du menton, du co u ; puis i l revint
fur chacune de ces' parties , & i l n’épargna- rien
pour que fon difeours gravât dans l ’efprit du peintre
la véritable image qu’i l avoit fous les yeux j
i l n’oublia ni les couleurs, ni les formes , ni rien
de ce qui appartient au caraélère : plus i l compara
fon difcoùrs avec le vifage de fa maitrefle ,
plus il. le trouva reflemblant 5 i l crut fu r -to u t
q u e , plus i l chàrgeroit fa defeription de petits détails
, moins i l laifleroit de liberté au peintre j i l
11’oublia rien de ce qu’i l penfa devoir captiver le
pinceau. Lorfque là defeription lui parut achevée ,
i l en fit cent co p ié s , qu’i l envoya à cent peintres
, leur enjoignant à chacun d’exécuter exactement
fur la toile ce qu’ils liroient fur fon papier.
Le s peintres travaillent , & au bout d’un certain
temps notre , amant reçoit cent portraits , qui tous
reflemblent rigoureiifement à fa defeription , &
dont aucun ne refîemble à un autre , ni à la
maitrefle. L ’application de cet apologue , au cas
dont i l s’a g i t , n’eft pas difficile j on me diipen-
fera de la faire en détail. Je dirai feulement q u e ,
quelque fcrupuleux qu’un auteur puifle être dans
la defeription des mpuvements de l ’organe , lorf-
qu’i l produit différents fons, i l y aura toujours une
latitude , légère en elle - même , infinie par ra-
port aux divifions réelles dont elle eft fufceptible,
& aux variétés fenfibles mais inappréciables qui*
réfulteront de ces divifions. On n’en peut pas toutefois
inférer, ni que ces deferiptions foient entièrement
inutiles , parce qu’elles ne donneront
jamais qu’une prononciation approchée , ni que
l ’euphonie , cette lo i à laque lle une Langue ancienne
a dû toute fon harmonie , nsait une
aélion confiante ,. dont l ’effet ne tende du moins
autant à nous en rapprocher , qu’à nous en
éloigner : deux propofitions q.ue j avois à établir.
Je ne dirai qu’un mot de la ponéluation. I l y
a peu de différence entre l ’art de bien' lire & celui
de bien ponéiuer. Les repos de la voix dans , le
difeoursV& l'es fignes de la ponéluation dans l’écriture.,
fe correfpondent toujours , indiquent également
la liaifon ou la disjonction des idées &
fuppleent à une infinité, d’expreffionsv II ne fera
donc pas inutile d’én déterminer le nombre félon
les réglés, de la Logiqu e , & d’en fixer la valeur
par des exemples. ' .
I l ne refte plus qu’à déterminer l ’accent & la
quantité. Ce que nous avons d’accent, plus oratoire
que fyllabique , eft inappréciable ; & l ’on
peut réduire notre quantité à des longues , à des
brèves, & à des moins brèves j en quoi e lle paroît
admettre moins de variété que c e lle des anciens ,
qui diftinguoient jufqu’à quatre fortes de brèves,
finon dans la verfifkation , au moins dans la p ro fe ,
qui l ’emporte évidemment fur la poéfie pour la
variété de fes nombres. Ainfi , ils difoient que
dans oéos, fo’c/V j rpoVos, s-pcoos , les premières, qui
font brèves, n’en avoient pas moins une quantité
fenfiblement inégale. Mais c’eft encore ici le cas
où l ’on peut s’en raporter , d l ’organe exercé
du foin de réparer les. négligences.
V o ic i donc les conditions praticables & nécef-
faires, pour que la Langue -, fans laque lle les con-
ndiflances ne fe tranfmettent p o in t , fe fixe autant
qu’i l eft poffible de la fixer par fa nature , 8c
qu’i l eft important de la fixer pour l ’objet principal
d’un diClionnairê univerfel & raifonné. I l faut
un alphabet raifonaé, accompagné de l ’expofition
rigoureufe des mouvements de l ’organe , & de la
modification de l ’air dans la production des fons
attachés à chaque caractère élémentaire & à chaque
combinaifon fyllabique de, ces caractères : écrire
d’abord le mot félon l ’alphabet ufuel , . l ’écrire
enfuite félon l ’alphabet raifonné , chaque fyllab e
féparée & chargée de fa quantité j ajouter l e
mot grec ou latin qui rend le mot.françois, quand
i l eft radical feulement, avec la citation de l ’endroit
où ce mot grec ou latin eft employé dans
l ’auteur ancien $ & s’i l a différents fens , & que
parmi ces fens i l devienne quelquefois radical, le
fixer autant de fois par le radical correfpondant
ffiins la Langue morte y en., un m o t , le définir
*tiand i l n eft pas radical , car cela eft toujours
poffible , & le fynonyme grec ou latin devient
alors fuperflu. O n ,v o it combien ce- travail eft
lo n g , difficile, épineux : quel ufage i l faut avoir de
deux ou itois'Langues, afin de comparer les idées fim-
ples repréfentées par des fignes différents qui ayent
entre eux un raport d’identité, o u , ce qui eft plus
délicat encore , les co lle Cirions d’idées repréfentées
par des fignes qui doivent avoir le même raport ;
& dans les cas frequents ou 1 on né peut obtenir
l’identité de raport , combien de finefle & de
goût pour diftinguer entré les fignes ceux dont les
acceptions font les plus voifînes entre les
idées âccefloires , celles qu’i l faut conferver ou fa-
crifier- Mais i l ne faut pas fe iaiffer décourager.
L ’académie de la Crufca a levé une partie de
ces difficultés dans fon célèbre vocabulaire. L ’Aca-
démie françoife, rafîemblant dans fon fein l ’uni-
verfalité des connoiffances, des poètes , des orateurs
, des mathématiciens , des phy/îciens i des naturalises
, des gens du monde , des philofophes
des militaires , & étant bien déterminée à n’écouter
dans ■ fes élections que le befoin qu’e lle aura d’un
talent plus tôt que d’un autre pour la perfection
de fon travail j i l feroit incroyable qu’elle ne