
» latins n*avoient égard qu’à ces terminaifons, &
» ils plaçoient les mots félon qu’ils étoient pré-
» fentes à l ’imagination, ou félon que cet arran-'
» gement leur paroifloit produire une cadence, &
» u n e harmonie plus agréables. Voye\ C onstruct
io n .
A~,a Méthode latine de P o r t -R o y a l^ zA t de VH y -
perbate dans le même fens. « C’eft, dit-elle ( des
» figur e s de conjlruclion , ehàp. vj. ) , le mélange
» & la confufion qui le trouve dans’ l ’ordre des mots
» qui devroit être commun à toutes les langu es,
» félon l ’idée naturelle que nous avons d e la co n f-
» trudion. Mais les romains ont tellement affedé
» le difeours figuré, qu’ils ne parlent prefque jamais
» autrement ».
C’eft encore le même langage chez l ’auteur du.
M an u e l des grammairiens. « AJHyperbate fe
» fait , dit-il , lorfque l ’ordre naturel n’eft pas » gardé dans l ’arrangement des mots ; ce qui eft
s> fi ordinaire aux latins , qu’ils ne parlent prëfque
» jamais autrement ; comme Catonis confiantiam
» admirati fu n t omnes. Voilà une Hyperbate §
» parce que l’ordre naturel demanderoit qu’on dît,
» Omnes fu n t admirati confiantiam Catonis.
» Cela eft fi ordinaire , qu’il ne paffe pas pour
» figure , mais pour une propriété de la langue
» latine. Mais il y a plufieurs efpèces dHyperbates,
»qui font de—véritables figures de Grammaire».
P a r t I , ch. x iv, n°. 8.
Tous ces auteurs confondent-deux chofes , que
j’ai lieu de croire très-différentes & très-diftindes
l ’une de l ’autre , Y Inverfeon & Y Hyperbate. Voyez
I n v e r s i o n .
I l y a en effet, dans l ’une comme dans l ’autre ,
»n véritable renverfement d’ordre 3 & à partir de
ce point de vue général , on a pu aifément
s’y- méprendre : mais i l falioit prendre garde fi
les deux cas avoient raport au même ordre , ou
s’ils préfentoient la même efpèce de renverfement.
Quintilien ( In fi. lib. V I I I , cap. v j , de Tropis )
nous fournit un motif légitime d’en douter 3 i l
c ite , comme un exemple d’Hyperbate , cette
phrafe de Cicéron ( pro Cluent. n°. i ) ,* A n i-
madverti, ju d îc e s , omnem accitfatoris orationem
in duas divifam ejfe partes ; & i l indique auffi-
tôt le tour qui auroit été fans figure & conforme
a l ’ordre requis j nam in duas partes divifam effe
reclum e ra t , f e d durum & incompmm.
Perfobne aparemment ne difputera à Quintilien
d’avoir été plus à portée qu’aucun des modernes
de diftinguer les locutions figurées d’a,vec les Amples
dans fa langue naturelle : & quand le jugement
qu’ i l en porte n auroit eu pour fondement
que le fentiment exquis que donne l ’habitude à
un efprit éclairé & ju fte, fans aucune réflexion
immédiate fur la nature même de la figure ; fon
autorité feroit ici une raifon , & peut-être la
meilleure efpèce de raifon fur l ’ufage d’une langue
que nous ne devons plus connoître que par le témoignage
de ceux qui la parloient. Q r le tour
que Quintilien appelle ici reclum, par oppofuion
à celui qu’ i l avoit nommé auparavant vVqêalov ,
eft encore un renverfement de l ’ordre naturel ou
analytique 5 en .un mot i l y a encore inverfion
dans in duas partes divifam e jfe , & le rhéteur
romain nous allure qu’ i l n’y a plus J Hyperbate.
C ’eft donc une nécefhté de conclure que l ’Inverfion
eft le renverfement d’un autre ordre, ou un autre
renverfement d’un certain ordre , & Y Hyperbate
le renverfement du même ordre. L ’auteur du M a nuel
des grammairiens n’étoit pas éloigné de
cette conclufion , puîfqu’i l tro-uvoit des Hyper-
baies qui ne paffent pas pour figures, & d’autres ,
d i t - il, qui fo n t de véritables figur es de Gramt
maire.
I l s’agit donc de déterminer ici la vraie nature
de Y Hyperbate , & d’afllgner les caractères qui
le différencient de l ’Inverfîon 3 & pour y parvenir,
je crois qu’ i l n’y a pas de moyen plus alluré que
de parcourir les diftèrentes efpèces à’ Hyperbate s ,
qui font reconnues pour de véritables figures de
Grammaire.
i ° . L a première efpèce eft appelée A n d firq
p h e , c’eft a dire, proprement Inverfion , du grec
ava<r8po(pH : racines , àva , i n , & c-0j>o<p»î, verfio. Mais
l ’Inverfion dont i l s’agit ici n’eft point celle de
toute la phrafe 3 elle ne regarde que l ’ordre naturel,
qui doit être entre deux mots corrélatifs ,
comme entre une prépofition & fon Complément,
entre un adverbe comparatif & la conjonction fub-
féquente : ce font les feuls cas indiqués par les
exemples que les grammairiens ont coutume de
donner-de i ’Anaftrophe. Cette figure a donc lieu ,
lorfque le complément précède la prépofition ,
mecum , tecum, vobifeum,, quocum , au lieu de
cum te , cum me , cum vobis , cum quo ; maria
omnia circum , au lieu de circum omnia marias
Italiam contrà pour contra Italiam ,* quâ de re
pour de quâ re ; c’ eft la même chofe lorfque la
conjonétion comparative précède l ’adverbe , comme
quand Properce a dit :
Quant priùs abjunctos fedula lavit equos.
L ’Anaftrophe eft donc une véritable Inverfion 5
mais qui avoit droit en latin d’ être réputée figure,
parce qu’elle étoit contraire à l ’ufage commun
de cette la n g u e , où l ’on avoit coutume de mettre
la pfépofition avant fon complément, . conformément
à cê qui eft indiqué par le nom même de cette
partie d’oraifon.
Ainfi , la différence de l ’ïnvcrfion & de l ’Anafi-
trophe e ft, en ce que l ’Inverfion eft un renversement
de l ’ordre naturel ou analytique , autorifé
par l ’ufage commun de la langue latine , & que
l ’Anaffrophe eft un renverfement du même ordre,
contraire à l ’ufage commun, & autorifé feulement
dans certains cas particuliers.
20. L a fécondé efpèce dHyperbate eft nommee
Tmefis ou Tmèfe , du grec r/Ams, fe c lio , Coupure»
Cette figure a lieu lorfque, par une licence que
Fuff.ge approuve dans quelques occafions, l ’on
çoiipe en deux parties un mot compofé de deux
racines élémentaires, réunies par l ’ufage commun,
comme f a t i s m ih i f e c ï t , pour m ih i fa t i s f e e l t ; reique
p u b licæ cu ram dcpoj'uit, pour & reipublicoe cu ram
d ep o fu it fep tem fu b j e c la tr ion i ( G éorg . I I I , 381)
au lieu de fu b j e c la fe p tem tr io n i. On trouve affez
d’exemples de la Tmèfe 'dans Horace , & dans les
meilleurs écrivains du bon fiècle.
Les droits de l ’Inverfion n’alloient pas jufqu’à
autorifer cette infertion d’un mot entre les racines
élémentaires d’un mot compofé. C e n’eft pas même
ici proprement un renverfement d’ordre 3 & fi c’eft
en cela que doit confifterTa nature générale de
Y H yp erba te , les grammairiens n’ont pas du regarder
la Tmèfe comme en étant une efpèce, L a
Tmèfe n’eft qu’une figure de d id io n , puifqu’elle
ne tombe que fur le matériel d’un mot qui eft
coupé en deux j & l e nom même de Tmèfe, ou Coupure
, avertiffoit affez qu’i l étoit queftion du matériel
d’un feul mot, pour empêcher qu’on ne, ra-
portàt cette figure à la conftrudion de la phrafe.
30. L a troifième efpèce Y Hyp e r b a te prend le
nom de P a r e n th è f e , du mot grec t r a ^ id s , in te r -
p o j i t io .’ racines, t a pà. , in t e r , !v , i n , & 9sW , p o -
f i t i o , dérivé de r/8 -*y,i, p o n o . Les deux prépofi-
tions , élémentaires fervent à indiquer avec -plus
d’énergie la nature de la chofe nommée. I l y a
en effet Parenthèfe, lorfqu’un fens complet eft
ifo lé & inféré dans un autre’ dont i l interrompt la
fuite 3 a in fi, i l y a Parenthèfe dans ce vers dc 'Vir-
g ile { E c l . i v , 23 ) :
Paire . dura redeo ( brevis ejl via ), pafee capellas.
Les bons écrivains évitent , autant qu’ils peuvent,
l ’üfage de cette figure , parce qu’elle peut répandre
quelque obfcurité fur le fens qu’elle interrompt 3
& Quintilien n’approuvoit pas 1 ufage fréquent que
les orateurs & les hiftoriens en refoient de ion
temps & avant l u i , à moins que le fens détaché,
mis en Parenthèfe, ne fut très-court. E t ia m in t
e r jé c îio n e , q u â orato res & h if io r ic i fr é q u e n t e r
u tu n tu r u t medio fe rm o n e a liq u em in fé ra n t fe n fum ,
im ped ir i f o l e t in t e lle B u s , n if i q u o d in te rp o n itu r
hrfive e ft . ( lib. v i n , cap. ij. )
'4°. L a quatrième efpèce J H y p e r b a te s’appelle
S y n c h y fe , mot purement grec ,a-vyxw ii ■> c o n fu j io n 3
rvyxvu , c o n fu n d o j racines «wv, cum , a v e c , &
X.vw , fu n d o , je répands. Il y a Synchyfe quand
les mots d’une phrafe font mélés .enfemble fans
aucun égard , ni à l ’ordre de la conftruftion analytique
, ni à la corrélation mutuelle de ces mots 3
ainfi , i l y a Synchyfe dans ce vers de V irg ile
( E c l . V I I I . 57 ) :
Aret ager : vitio moriens Jitit a’ëris herba y
car les deux mots v itio , par e x emple, & d e ri s ,
qui font corrélatifs j font féparés par deux autres
mots qui n’ont aucun trai: X cette corrélation,
moriens J itit i le mot aéris , à fon tour , n’en a
pas davantage à la corrélation des mots j i t i t &
herba, entre lefquels il eft placé : l ’ordre étoit
herba moriens ( pree ) vitio aéris fu i t .
<°. Enfin il y a une cinquième efpèce Y H y perbate,
que l ’on nomme Anacoluthe , & qui fe fait,
félon la Méthode latine de P o r t -R o y a l, iorfquà
les chofes n’ont prefque nulle faite & nulle conf*
tru&ion. I l faut avouer que cette définition n’eft:
rien moins que lumineufe 5 &. d’ailleurs elle fem-
ble infinuer qu’il n’eft pas poffible de ramener
FAnacoluche à la conftrudion analytique. IvL du
Marfais a plus aprofondi & mieux défini la nature
de cette prétendue Hyperbate : « C ’eft , dit-il, une
>» figure de mots qui eft une efpèce d’Ellipfe . . «
» par laquêlie on fous-entend le corrélatif d’un
» mot exprimé 3 ce qui ne doit avoir lieu que
» lorfque FEllipfe peut être aifément fuppiéée , 8c
» qu’elle nebieffe point , F ufage ». H. A n a c o l
u t h e . I l juftifie enfuite cette définition par Féty-
mologie du mot eweeAyôof , cornes, compagnon j
enfuite on ajoute F» privatif, & un» euphonique,
pour éviter le bâillement entre les deux a ; par
conféquent l ’adjedif Anacoluthe fignifie , qui l i e ß
p a s compagnon , ou qui ne fe trouve pas danfl
la compagnie de celui avec lequel l ’analogie demanderoit
qu’i l fe trouvât. Il donne enfin pour exem-»
pie ces vers de Virgile (Æ n . II , 330 )
Fortis al iis bipatentibus adfunt ,
Màllia quoi magnis nunquanï vendre Mycetiis;
où i l faut fuppléer tot avant quot.
Il y a pareille Ellipfe dans l’exemple de T é -
rence, cite par Port-Royal : Nam omnes nos
quibus e fi.alicun d è ali qui s objecius labor, omne
quod eft intereà tempus , p riufquam id refeitum.
efi , lucro eft. Si l ’on a jugé qu’il n’y avoit nulle
conftrudion , c’eft qu’on a cru que nos omnes
étoient au nominatif, fans être le fujet d’aucun
verbe 3 çe qui feroit en effet violer une loi fondamentale
de la Syntaxe latine : mais ces mots
font à Facçufatif comme complément de la prépofî-
tion foüs-entendùe ergà : nam ergà omnes nos , • • •
omne » . . . t e m p u s . . lucro e fi . . .
L ’Anacoluthe peut donc être ramenée à la conftrudion
analytique , comme toute autre Ellipfe 3
& conféquemmeiit ce n’ eft point une Hyperbate :
c’eft une Ellipfe, à laquelle il faut en eonferver
le nom , fans charger vainement la mémoire de
grands mots, moins propres àéclairerl’efpritquà
l ’embarraffer, ou même à le feduite par les fauffes
apparences d’un favoir pédantefcjue. Si 1 on trouve
quelques phrafes que l ’on ne puiffe par aucun
moyen ramener aux procédés fimples de la conf-
trudiou analytique , difons nettement quelles font
.vicieufes 3 & ne nous obftinons pas a retenir un-
terme fp é c ie u x , pour exeufer dans les auteurs