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China. Auflî les bons poètes n’ont-ils pas- manqué
de prendre la couleur des lieux & des temps ,
loit de propos délibéré , foit par fèntiment1 &
par goût j -[’imagination remplie de leur fujet,
i ’efpnt imbu de la lefture des auteurs qui dévoient
leur donner le ton. O n reconnoît les prophètes
dans A th a lt t y Tac ite dans B r ita n n icu s , Sénèque
dans» C h in a , 8c dans Polyeu cle tout ce que le dogme
& l a Morale de l ’Evangile ont de fublime &-dë touchant.
G’eft un heureux choix à3Images inuficees parmi
nous , mais rendues naturelles par ces convenances,
qui fa k la magie du ftyle de Mahomet 8c d 'A l-
\ ir e , & qui manque peut-être à celui de Baçaj'et.
Croiroit-on que les harangues .des fauvages- .du
Canada l'ont du même ftyle que le rôle de Zamore ?
En voici un exemple frapant. O n propofe a l ’une
de ces nations de changer de demeure 3 le chef des
fauvages répond : « Cette terre nous a nourris ,
» l ’on veut que nous l ’abandonnions ! ’. Qu’on la
» faffe creufer , on trouvera dans fon fein les offe-
» ments de nos pères. F a u t - i l donc que les offe-
».ments de nos pères fe lèvent pour nous ftiivre dans
» une terré étrangère » ? V irg ile a dit de ceux qui fe
donnent là mort :
• -• • . - Lucemqué pemfi
JProjecére animas.
Ils ont fui la lumière & rejeté leur *ame.
L e s fauvages d ife n t en fe dévouant à la guerre , Je
je t t e mon corps loin de moi.
O n a lon g temps attribué lés figures- du ftyle-
oriental au climat 3 mais on a t r o u v é des Images
s u f f i hardies dans les Poéfies des iflandois,-dans
celles des anciens é c o f f o i s , & dans les harangues
des fauvages.du Canada , que-dans les écrits des
p e r fa n s & dés arabes. Moins les peuples fo n t
civilifés , plus leur langage eft figuré, f e n f ib le .
C ’eft a mefiire qu’ils s’éloignent de la nature , &
non pas a mefiire qu’ils s’éloignent du fd ié il,
que leurs idées fe .d é p o u i l le n t de cette é c o r c e ,, dont
elles étoient revêtues comme pour tomber fous les
fens. • ,
I l y a des phénomènes dans la nature , des
opérations dans les Arcs, qur, quoique préfents à
tous les hommes, ne frapent vivement que les
yeux des p h i lo f o p h e s ou des arciftes. Ces idées ,
-d’abord réfervéès au langage des Arts & des Sciences
, ne doivent palier dans le ftyle oratoire ou
poétique qu’à mefure que la lumière des Sciences
& des A n s fe répand dans la fociécé. L e reffort
de la mpntre , * la bouffole , le télefcope , le
p r i fm e , * &c , foumiffent aujourdhui au langage
familier des Images auffi naturelles, aufii peu
recherchées que celles du miroir & de là balance.
Mais i l ne faut halarder cés tranfîations nouvelles,
qu’avec la c e r t i tu d e que les deux .termes font
bien connus & que le raport en eft jufte & fenfible.
. . . .
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L e poète lui f e u l , comme poète , peut employer
les Im a g e s de cous les temps, de tous les l ie u x ,
de toutes les fituations de la vie. D e là vient que
les morceaux épiques ou lyriques daûs lefquels
le poete parle lui-même en qualité d’homme inf*
p ire , font les plu» abondants, les plus variés en-
• î n} ag e~s• I l a cependant lui-même des ménagements
à garder.
i°#. Les objets d’où i l emprunte fes Métaphores,
doivent être préfénts aux elprits cultivés.
i ° . S’i l adopte un fyftême, cflrame i l y eft
fouvent o b lig é , celui , par exemple , de la Théo-1
lo g ie ou celui de la Mythologie , celui d’Épicure-.
Ou celu i de Newton 3 i l fe borne lui-même dans
le choix des Im a g e s , & s’interdit tout ce qui n’eft
pas analogue au fyftême qu’i l a fuivi.
Quoi que le Dance ait voulu figurer par i ’Hé-.
licori , par Uranie , & par le choeur des Mufes, ce-
n eft pas dans un fujet comme celui du Purgatoire qu’i l
efr décent deies invoquer.
30. Les- Im a g e s que l ’on emploie doivent être,
du ton général de la choie, élevées dans le noble ,
fimples dans le fam ilie r , fublimes dans l ’enthou-
fiafnae , & toujours plus vives , plu$' frapant es que
la peinture de l ’objet même : fans quoi l ’imagi—’
nation écarteroit ce v o ile mutile 3- 8c c’ eft ce qui
arrive fouvent à la. leéture des Poèmes dont le ftyle
eft trop figuré.
4°. Si le poète adopte un performage, un caractère
, fon langage eft affujetti aux mêmes con- '
venances que le ftyle dramatique 3. il-n e doit- fe'
fervir-alars, pour peindre- fesfenciments 8ç fes idées,
que des Im a g e s qui font* préfentes au perfonnage*
qu’i l a pris.
5°.. Les Im a g e s font d’autant plus fràpantes,
que les objets en font plus -familiers j & comme'
on- écrit fiirtout pour fon pays-, le ftyle poétique
doit avoir naturellement une couleur natale. Ce tte
réflexion a fak dire à un homme de goût-, qu’i l
lèroit à fbuhàiter pour la Poéfie francoife que Parisr
fût un port de mer. Cependant i l y a des Im a g e s
tran(plantées que l ’habitude rend naturelles pa^
exemple y on a remarqué que chez les peuples,
proteftants qui lifent les livres faims en langue
vulg a ire, la Poéfie a pris le ftyle oriental. C ’eft
de tontes ces relations obfervées avec foin, que r é - .
fuite l ’art d’employer les Im a g e s , 8c de les placer
à propos.
Mais une règle plus délicate & plus difficile à.
prcfcrire, c’eft l ’économie & l a fobriété. dans la
aiftribution des Im a g e s .-S i l’ objet de l ’idée eft de
ceux que l ’im agination faifit & retrace aifément &
fans confufiony i l n’a befoin pour la -fiaper 'que
de fon expreffion naturelle, & le .coloris étranger
de l ’ Im a g e n’eft plus que* de décoration : mais fi
l ’o b je t , quoique fenfible par rlui-même , ne fe
préfente à l ’imagination que foiblement, confu-
fément, fucceifivement, ou _avec peine 5 V Im a g e
qui le peint avec fo r c e , avec éclat , & ramaffé
comme en un feul p o in t, cette Image- .vive 8c
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lumineufe éclaire & fou lag e. l ’efprit autant qu’elle
embellit le ftyle. O n conçoit fans peine les inquiétudes
8c les fôuçis donc l ’ambitieux eft agité 3
mais combien l ’idée en eft plus fenfible, quand on
les voit voltiger fous des lambris dorés 8c dans les
plis des rideaux de pourpre !
Nonenim ga\ce, neque confiularis
Summovet liSor miferos■ tumultus
Mentis, & curas laqueata circum
TeSa Volentes. ■
Horace.
L a Fontaine d it , en parlant du veuvage :
Oa fait un peu de bruit, 8c puis on fe- confole j
mais i l ajoute ;
Sur les ailes du Temps la trifteUe s’envole j •
Le Temps ramène les plaifirs.
E t je n’ai pas befoin de faire fentir ici quel agrément
l ’idée reçoit de l ’Image. L e choc de~deux
maffes d’air qui fe repouflent dans i ’atmofphère eft
fenfible par les effets 3 mais cet objet vague &
cofifus n’affe&è pas l ’imagination comme la lutte
des aquilons & du vent du midi, præcipitem A f r i -
cunt dècertantem aquilonibus. Cette Image eft
frapante au premier coup d’oeil : l ’efpric la faifit
8c iembraffe. ( ^ Sénèque a critiqué le Lticlantes
ventos de V irg ile j « C e qui eft enfermé, d it- il,
» n eft pas .du vent 3 ce qui eft du vent n’eft pas
enfermé » : ’comme fi on ne concevoit pas bien
nettement l ’eflort que fait l ’air comprimé pour s’é-
chaper Sc pour s’étendre 3 & cet effort pouvoit-il
être plus fenfiblement exprimé ? ) Qu elle collection
d’idées réunies & rendues fenfibles dans ce demi-
vers de L u ca in , qui peint la douleur errante &
muette !
Erravit fine yoCt dolôr *
& dans cette Image de Rome accablée foiis fk
grandeur,
Uec fie Roma fikrens ;
& dans ce tableau de' Sénèque, N on miror f i .
quando impetum càpit ( JD eus ) fpeciandi magnos
viros' colluciantes cum. a liquâ calamitate / «Dieu
» fe plaît à éprouver les grands hommes par des
» calamités ». Cette idée feroit belle encore , exprimée
tout Amplement 5 mais quelle force, né lui
donne pas Y Image dont elle eft revêtue l Les grands
hommes & les calamités font aux prifes 3 & le
fpe&ateur du combat, c’eft Dieu. * -
■ Quand 1 Image donne à l ’objet le earaétère de
beauté qu’ il doit a vo ir , qu’elle le pare fans le
cacher-, avec goût & avec.décence , elle convient
a tous les ftyles 8c s’accorde avec tous les ton-s.--
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Mais pour peu que le langage figuré s’éloigne de
ces' r è g le s , i l refroidit le pathétique , i l énervé
l ’Éloquence , i l ôte au fentiment fa fimplicité touchante
, aux grâces leur ingénuité. Le s Images
font des fleurs, q u i , pour être femées avec g o û t ,
demandent une main délicate & légère. ( ^ Cicéron a
dit que le ftyle oratoire en dévoit être comme
étoilé : Tranjlatum, quod m aximè tanquam f t e ll i s
quibufdam notât £■ illuminât orationem. D e
p r a t . ) *.
L a Poéfie .elle-même perd fouvent. à-préférer l e
cçloris de YImage au coloris de l ’objet. L a ceinture
deVénus , cette A llé g or ie fi ingénieufe, eft en-'
Core bien inférieure a la peinture naïve & (impie
de la beauté dont elle eft le fymbole. Vénus ,
ayant des charmes à communiquer à Junon , ne
pouvoit lui donner qu’un v o i le , & rien au monde
n’éft mieux peint 3 mais des traits répandus jTur ce
voile , fe fait-on Y Image de la beauté,' comme (T
le même pinceau l ’eût exprimée au naturel & fans
aucune A llégorie ?
En général, toutes les fois que la nature eft
b e lle & touchante *en elle-même, c’eft dommage
de la voiler. . ... .
Mais ce n’eft pas affez que l ’idée ait befoin d’être
em b e llie , i l faut qu’elle mérite de l ’être*. Une.
penfée triviale revetue d’une Image pompeufe ou
brillante, eft Ce qu’on appelle du JP hé b us : on croit
voir-une phyfipnomie. baffe & commune ornée de
fleurs & de diamants.- C e la revient à ce premier
principe, que Y Image n’eft faite que pour rendre,
l ’idée fenfible. Si l ’idée ne mérite pas d’être fenrie,
ce n’eft pas la peine de la , colorer.
En obfervant ces'deux règ le s , favoir, de ne jamais-
revêtir l ’idée que pour l ’em b e llir , & de ne jamais,
embellir que ce qui en mérite le foin , on évitera
la profufion des Im a g e s , on ne les emploiera qu’à
propos : c’eft là ce qui fait le charme & la beauté
du ftyle de Racine & de la Fontaine. I l eft riche.
& n’eft point chargé 3 c’eft l ’abondance du génie
que le goût ménage & répand.
L a continuation de la même Image eft une a£-
fe&ation que' l ’on doit éviter , furtout dans le dra-
'matique, où les perfonnages font trop émus pour'
penfer à fuivre une A llé g or ie . C ’étoic le goût du
fié c l e de Corneille , & lui-même i l s’en eft ref-
fentî.
En changeant d’id é e , on peut immédiatement
paffer d’une Image à une autre : mais le retour'
du figuré au (impie eft kidifpenfable fi l ’on s’étend
fur la même idée 3 fans quoi 1 on feroit obligé de
foutenir la première Image , ce qui dégénère en
affeétation 3 ou de préfenter le même objet fous
deux Images différentes , efpèce d’inconfcquence
qui choque le bon fefis & le goût.
I l y a dés idées qui veulent être relevées 3 i l y
en a qui veulent que Y Image les abaifle au ton
du ftyle familier. C e grand art n’a point de règles >
& ne fauroit fe raifbnner. Entendez Lucrèce par