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■ Merveilleux ancien ne peut être fêrieufement emp
lo yé j & c’ eft une perte immcnfe pour la Poéfîe
épique.
Ce n’eli pas que le Merveilleux pour nous foit
réduit, comme on Ta prétendu , à l ’allégorie des
pallions humaines per fonni fiées. Avec de 1 a rt, du
g o û t , & du g én ie , nos prophètes, nos anges , nos
démons , & nos faints peuvent agir décemment &
dignement dans un Poèm'e $ & à la mal-adreffe
du Camouens , de Sannazar, de S. Didier , de
Ch apela in , &c 3 on peut oppofer les exemples du
T a i le , de M ilton , de l ’auteur d’A th a lie , & de celui
de la JJenriu.de.
Mais ce qui manque au Merveilleux moderne,
c eft d’être paflïonné. L a divinité eft inaltérable
par elfence , & tout le génie des poètes ne- fau-
roit faire de Dieu qu’un homme \ ce qui eft une
ineptie ou une impiété. Nos anges & nos faints,
exempts de. pallions , feront des perfonnages froids ,
fi on les peint dans leur état de calme & de béatitude
j ou indécemment dénaturés , fi on leur
donne les mouvements tumultueux du coeur humain.
Nos démons, plus favorables à la P o éfîe, font
fufceptibles de pallions, mais fans aucun mélange
ni de bonté , ni de vertu 5 une fureur plus ou
moins atroce , une malice plus- ou moins artifi-
cieufe & profonde, en deux mots, le vice & le
crime font les feules couleurs dont on puilfe les
peindre.
V o ilà les véritables raifons pour lefquelles on
feroit inlènfé de croire pouvoir fubftituer, fans un
extrême défavantage, le Merveilleux de la R e ligion
à celui de la Mythologie.
Le s dieux d’Homère font des hommes plus grands
& plus forts que nature, foit au phyfique, foit au
moral. L a méchanceté , la bonté , les pallions,
le s v ic e s , les vertus , le pouvoir & l ’intelligence
au plus haut degré concevable , tout le lyftême
enfin du bien & du mal mis en aétion par le moyen
de ces agents furnaturels ; voilà le M e r v e ille u x
favorable à la Poéfîe. Mais quel effet produire fur
l ’âme des hommes avec de pures intelligences,
fans palGons, ni vices , ni vertus, qui n’ont plus
rien à elpérer, à délirer, ni à craindre, & dont
une tranquilité éternelle eft l ’immobile élément ?
V o y e z aufli combien eft abfurde & puéril dans-
l e Poème de M ilton , le péril où i l met les anges
& leur combat contre les démons !
Le s deux Magies rapprochent un peu plus le
M e rv e illeu x de la Religion de celui de la F a b le ,
en donnant aux deux puiflances, infernale & cé lefte,
des miniftres palfionnés, & dont i l femblè qu’on
peut animer & varier les caractères : mais les magiciens
eux-mêmes font décidés bons ou méchants,
par cela feul que le C ie l ou que l ’Enfer les fécondé
• & i l n’eft guères poftible de les peindre
oue de l ’une de ces deux couleurs, J-es premiers
M E R
poètes q u i , a v e c fuccès, ont employé cette machine
, en doivent donc avoir ufé tous les ref-
forts.
Q u e lle comparaifon avec un fyftême relig ieu x,
où non feulement les Raflions , les vertus , les
talents, les arts, le g én ie , toute la nature intellectuelle
& morale, mais les éléments, les faifons,
tous les grands phénomènes de la nature phyfîque ,
toutes fes grandes productions avoient leurs dieux,
plus ou moins dépendants, mais affez libres pour
agir chacun félon leur caraCtère !
Ce t avantage des anciens fur les modernes eft
élégamment exprimé dans le Poème de l ’Anti-
Lucrèce.
Outinam, dum te regionibus infero facris,
Arentem in campum liceat deducere fontes
Cajlalios, verjis lata in viridaria dumis ,
A c totam in nojîros Aganippida fundere verfus !
Uonmihiy quoe vejlro quondam facundia vati,
JVec tant dulce mélos, nec par eft gratia cantûs.
Reddidit illc fuâ graïorum fomnia linguâ ;
Pojlra peregrinoe mandamus facra loquela.
I l le voluptatem Sr veneres , charitumque choreas
Carminé concélébrât ; nos vert dogma feverum :
Trifte fonant pulfcz nojlrâ tejludine chordoe,
O lli fupped.itat dives natura leporis
Quidquid habet, latos fummitens prodiga flores . , ,
Æneadûm genitrix félicibus imper at arvis ,
Aëriafque plagas récréât, pelagufque profundum.
Quant aux perfonnages allégoriques, i l faut renoncer
à en faire jamais la machine d’un Poème
férieux. On pourra bien les y introduire en épi—
fodes paffagers, lorfqu’on aura quelque idée abftraite,
quelque circonftance morale a préfenter fous des
traits plus fenfibles 09. plus intéreffants que la
vérité nue ; ou que ce lle-ci aura befoin d’un voile
pour fe montrer avec décence, ou paffer avec
modeftie : c’eft ainfî que , dans la Henria.de , la
Politique perfonnifiée eft un ingénieux moyen de
nous peindre la Cour de Rome ; c’ eft ainfî q u e ,
dans le même P o èm e , la peinture allégorique des
V ice s raffemblés aux portes de l ’enfer eft l ’exemp
le le plus parfait de la vérité philofophique, animée
, em b e llie , & rendue fenfible aux yeux par la
fiCtion : -
Là gît vla fombre Envie , à l’oeil. timide & louche,
Verfanc fur des lauriers les poifons de fa bouche :
Le jour blefle fes yeux dans l’ ombre étincelants;
Trifte Amants des morts, elle hait les vivants.
Elle aperçoit Henri, fe détourne , & foupire.
Auprès d’elle eft l’Orgueil, qui. fè plaît & s’admire ;
La Foibleffe au teint pâle , aux regards abattus,
Tyran qui cède au Crime & détruit les Vertus;
L’Ambition fanglante, inquiète, égarée,.
De trônes, de tombeaux, d’çfclavesentourée ; '
La
M E R
£ a tendre Hypocrifie , aux ieux-pleins de douceur ;
(L e Ciel eft dans fes ieux, l’Enfer eft dans fon coeur: )
Le faux Zèle étalant fes barbares maximes ;
Et l'Intérêt enfin , père de tous les Crimes.
Les anciens ont eux-mêmes allégorifé quelques-
uns de leurs épifodes , comme la ceinture de Vénus
dans Y I lia d e ., & la jaloufîe de Tunnus dans Y Enéide.
.Mais qu’on fe garde bien de compter fur les per-
-fonnages allégoriques , pour -être conftamment ,
comme les dieux d’Homère , les mobiles de l ’action.
Ces perfonnages ont deux défauts, l ’un d’avoir
•en eux - mêmes trop de fîmplicité de caraCtère ,
l ’autre de n’avoir pas allez de confîftance dans l ’opinion.
J’ôferois comparer un caraCtère poétique à un
diamant, qui n’ a du jeu qu autant qu’ i l a plufîeurs
faces y ou plus tôt à un compofé chimique, dont
l a fermentation & la chaleur a pour caufe la contrariété
de fes éléments. Un caraCtère fimple ne
fermente jamais : i l peut avoir de l ’énergie & de
l ’impétuofîté j mais i l n’a qu’une impulfion , fans
aucune révolution en fens contraire & fur lu i-
même : l ’envie fera tou jours l ’envie 5 & la vengeance
, la vengeance : au lieu que le caraftère
moral de l ’homme eft compofé , divers , & changeant
j .& des combats qu'il éprouve en lui-même ,
réfulte la variété & rimpétuofîté de fon aCtion.
Q u el perfonnage allégorique peut-on imaginer jamais
qui occupe la Scène, comme le caraCtère
d’Hermione ou celui d’Orofmane 2
L e s dieux cPHomère , comme nous l’ avons d i t ,
font des hommes pafiîonnés : au lieu que les perfonnages
allégoriques font des définitions perfoani-
fiées & immuables par effence.
D ’un autre côté , l’opinion n’y attache pas affez
de réalité , pour donner lieu à l ’illufîon poétique.
Cette ill-ufîon n’eft jamais complète : mais lorfque
le M e r v e i l l e u x a été réellement, parmi les hommes
, un objet de créance , nous voulons bien, pour
un moment , nous mettre à la place des peuples
qui croyoîent à ces fables 5 & dès lors elles ont
pour nous une elpèce de'" réalité. Mais les fictions
allégoriques n’ont formé le fyftême religieux d’aucun
peuple du monde : on les v o it naître ça &
là de 1’ imagination des poètes, & on ne les regarde
•jamais que comme un jeu de leur e ip r it , ou comme
une façon de s’exprimer fymbolique & ingénieufe.
L allégorie ne peut donc jamais être la bafe du
M e r v e i l l e u x de l ’Épopée , par la raifon qu’en un
fimple récit elle ne fait jamais affez d’illufîon.
C e n eft que dans la dramatique, où l ’objet préfent
en imp ofe, qu’elle peut aquérir, par l ’ erreur des
ieux , affez d afeendant fur l ’elpritj & de là vient
que, dans 1 Opéra d9A r m i d e , l ’épifode de la Haîne
fait toute fon illufîon.
I l n y a donc plus-pour nous que deux moyens
d introduire le M e r v e i l l e u x dans l ’É p o p é e : ou de
Ç ram m .. et L i t t ê r a t . Tome IL
M E S yai
le rendre épifodique , accidentel , 8c paffager , fi
c’eft le Merveilleux moderne 5 8c d’employer alors
les v ice s , les vertus , les pallions humaines , non
pas allégoriquement, mais en réalité , à produire,
animer, & foutenir l ’aCtionj o u , fi l ’on veut faire
ufage du Merveilleux de la Mythologie ou de
celu i de la Magie , de prendre fon fujet dans les
temps & les lieux où l ’on croyoit à ces prodiges.
C ’eft ce qu’ont fait les deux hommes de génie à
Qui la France doit la gloire d’ avoir deux Poèmes
épiques dignes d’être placés à côté des ancienss,
Fénelon & Voltaire. Hoye^ V r a is e m b l a n c e .
.( M . M a r m o n t e l . ) .
(N.) M É S O Z E U G M E , f. m. Efpècede Zeugme,
o ù l ’on n’exprime que dans un membre du milieu ,
le mot foufentendu mais également néceffaire dans
les autres. Notre lan gu e, qui ne pourroit fe permettre
de pareilles conftru&ions fans nuire à la
clarté de la phrafe , ne peut fournir aucun exemple
du Méfo^eugme ,* on n’en trouve que dans les
langues tranfpofîtives, comme le grec & le latin.
Pudorem libido, timorem v i c i T audacia, ratio-
nem amenda. Vojye\ Z e u g m e . ( M. B EA Z7~
Z É E . )
MESURE , f. f. P o é f i e l a t i n e & g r è q u e . Une
M e f u r e eft'un efpace qui contient un ou plufieurs
temps. L ’étendue du temps eft d’une fixation arbitraire.
Si un temps eft l ’efpace dans lequel on
prononce une fyllabe longue , un demi - temps
fera pour la fyllabe brève. De ces temps 8c de
ces demi-temps font compofées les M e f u r e s ; dç
ces .M e f u r e s font compofés les vers ; & enfin de
ceux-ci font compofés les Poèmes. Pied 8c M e f u r e
font ordinairement la même choie.
Les principales M e f u r e s qui compofont les vers
grecs & les latins , font de deux ou de trois fyl-
labes : de deux fyllabes qui font ou longues,
comme le Ipondée —- — ; ou brèves , comme le
pyrrhique u u ; ou l ’une brève & l ’autre longue ,
comme Flambe u — 5 ou l ’une longue & l’autre
brève, comme le trochée — u : celles de trois
fyllabes font le daéfyle — u u j l’anapefte v u— ;
le tribraque u u u ; le moloffe-------—- j l’amphibraque
u — u ; l ’amphimacre — v — .
• Des différentes combinaifons de ces pieds 8c de
leur nombre, fe font formées différentes elpèces de
vers chez les anciens.
Toutes ces fortes de vers ont, non feulement
le nombre de leurs pieds fixé , mais encore le genre
de pieds déterminé. ( U abbé B a t t e u x . Princip.
de Littér. tom . I. )
(N.) MÉTABOLE , f. f. Ce nom eft purement
grec : MsraC«A»î, que les latins ont traduit par Mutado ( Changement ) , eft compofé de la pré*
y i §
I
if
n