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pendant qu’i l c h a n t o i t c e l a contre Ton gré ou'
même à Ion. infu : mais i l les. a jrejetés ou. défa-
voués, & peut être a-t-il eu en cela autant de fageffe
que de modeftie. En effet des idées conçues &
exprimées au même inftant & prefque au, hafard ,
peuvent avoir pour un a u d i te u r . , a qui i l échape
néceflairement bien des chofes ,!le mérite d’ une com-
pofuion réfléchie. Mai? qu’i l y a loin d e là à ce degré
d’excellence qui ne peut être que le fruit d’une longue
m é d i ta t io n 1
Une autre confidération empéchoit encore P e r -
f e t t i de prendre la plume : content fans doute de
la gloire qu’i l s’étoit aquife dans l ’art de la P a ro le ,
i l croyoit que fa réputation ne feroir que croître ,
s’i l laiffoit les critiques dans l ’impôlfibilicé de
l ’apprécier. C ’eft qu’i l s’appfécïoit très-bien lu i-
même ; en effet i l lui arrivoit ce qu’éprouvent
fuivant Cicéron , des gens de beaucoup de génie :
qui n’ont pas l'habitude d’écrire. V o u lo it- il com-
pofer à tête repofée ? auflitôt (on efprit perdoit
toute la force de fon reffort, fa vivacité s’amortiffoit,
& fon feu fe diffipoit comme une vapeur..
A la plus grande modeftie i l joighoit un certain liant
& des moeurs douces. Aucun de fies amis /aucun de lès
concitoyens ne compta vainement. far fiés foins ,
fes confèils, fa fidélité. Tarit :de qualités aimabl.es &
folides le fefoient univer&llement chérir & adorer :
s’i l em quelques envieux ou quelques détracteurs ,
fa modeftie adoucit le fiel de’s un s , fa modération
émouffa les traits des autres. I l eut une femme& des
enfants. Avec un tel caraétère pouvoit-il ne pas être
bon époux & bon père ?
I l parloit fouvent de la mort avec cette tran-^-
quilité , ou plus tôt cette indifférence , que pouvoit
lu i inlpirer une vie innocente. I l avoir prévu qu’une
attaqué d’apoplexie mettroit fin à fes jours ; i l en
fut frapé vers la fin de Juillet 1747 , i l y fuççomba
au bout de quelques jours.
Tous les ordres de la v ille aififtèrent à fes
obsèques & à fon oraifon .funèbre. Son.. corps fut
dépoté a côté de fes pères , dans l ’églife de faint
François , fi ruée hors de la v ille . Sa femme , fes
enfants , fon frère, lui élevèrent conjointement un
monument en marbre dans l ’églife de fàintë Marie,
aux Martyrs, o ù , conformément à fes dernières volontés
y on fufpendit fa couronne de laurier.
M é ta jla fe , dès fa première jeuneffe, avoit montré
un talent rare pour improvifer ; mais l ’exercice de
c e talent étoit en lui un effort violent de la nature.
Lorfqu’i l avoit improyifé pendant quelque temps , .
H tomboit dans un aftaiffement ■,■ un. épuifement
de forces extraordinaire ; on étoit obligé de le
mettre au lit , de le ranimer, par des cordiaux $ &
j l ne recouvroit fes forces qu après au. moins vingt--
quatre heures. Le s médecins lui dirent q u e , s’i l
vouloit eonfervçr fa v i e , i l falloit renoncer, à un
talent fi dangereux. I l y renonça avec peine ; . &
g’eft à çeîî.e. rçfojuijçn que. nous devons peut-être
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tant d’ouvrages de Poéfîe charmants , qu’i l n’auroit
pas vraifembiablement coinpofés , s’i l fe fut livré
a i ’inftiaét naturel qui fembioit ne le deftiner qu’a
être Improvifateur : ce talent fingulier ne permet
guères, à ceux que la nature en a doués, de fuivre
le lon g & pénible fentier . de l ’application & de *
l ’ étude ; ce font de. vrais cygnes j iis n’ont que la
voix , & leur mémoire périt avec' leur chant»
L ’élégance la jufteffe , la véritable éloquence , &
toutes les; qualités qui font triompher, les vers des
affauts, du temps & des, pmbres . de ï ’o.ubli- > fe
rencontrent rarement dans cette claffe de poètes»
I l feroit même impolfible, d’écrire , les vers qu’ils
débitent dans i ’enchoufiàfme tant le, cours en eft
impétueux & rapide ; l ’habitude de les produire
avec facilité leur fait: - déteft-erla lime & la cor-
reftion : au ffi, comme on l ’a déjà remarqué, ne
laiffen t- ils que lé fouvenir dé leur talent; ou fi
quelques-unes de leurs productions leur furvivent,
à.peine font-elles fjpportables fans la v o ix , l ’harmonie
, & l ’appareil qui les embeiliffo fient.
Parmi le nombre des Improvifateurs , i l s’eft
trouvé .auffi dès femmes qui ont porté ce talent à
un grand degré de perfection. Quadrio cite avec
éloge trois Improvifatrices ; Ceçilia MicheLi de
Venife, Giovanna ai S a n t i, & une religieufe nom *
mée Barbara de Corregio. Mais aucune d’elles n’a
eu la réputation de la célèbre Corïlla , qui v it .
encore en Tofcane , & que tous les étrangers qui
ont voyagé en Italie on t'‘entendue avec étonnement.
E lle eft née à Piftoye. Son talent s’ eft dè-
velopé de très-bonne heure ; elle l ’a cultivé paiu
des études fuivies, non feulement fur la Littérature
, mais encore far toutes les cbnnoiffances
humaines. Les fuccès qu’elle obtint dans les différentes
villes d’Italie , engagèrent l ’empereur Fran-'
cois I à l ’appeler d Vienne 5 elle y fut reçue avec
beaucoup de diftinCtion , & revint en Italie comblée
des bienfaits de l ’empereur. L ’impératrice de Ruffie,
Catherine 11 , qui aime & encourage tous les
genres de talents & qui femble ambitionner tous
les. genres de gloire , avoit fait propofer auffi à
Corilla d’aller a Péterfbourg; mais fes goûts & fes-
affeftions particulières, & la crainte d’un climat
trop rigoureux, ne lui permirent pas d’accepter les
offres auffi flatteufes que magnifiques de cette grande-
fouveraine.
En 1 7 7 6 elle alla a Rome , où elle obtint la
plus grande gloire où pût. afpirer l ’ambition poé—.
tique. E lle avoit été reçue à l ’Académie des A rcades
, fous le nom d’Olym p ica ; après avoir ira-?
provifé fur un certain nombre de fu jets ,' devant
douze examinateurs nommés par l ’Académie , e lle
fut jugée digne du laurier. Avant fon couronnement
, le Sénat romain la déclara nobile Cittadina*-
L ’éloge de Rome & fon remercîment au Sénat
fut le premier fujet qu’on lui propofa ; le fécond
fut la réfutation de ceux qui accufent l ’humilité
chrétienne de détruire le courage & l ’enthoufîafme
de$. beaux Arts. O n lu i donna enfuite pour fujet
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la fapériorité de la Philofophie moderne fur l ’ancienne
: elle improvifa fur ces différents objets
avec un- facilité , une clarté , une abondance
d’ idées, Serine chaleur d’imagination, qui excitèrent
le plus v if emhoufiafme parmi les auditeurs. Mais
f e s , f u c c è s c om m e tous les grands fuccès , furent
un p.eu troublés par les efforts de là malignité &
de la jaloufîe. C o r illa , dès le lendemain de fon^
couronnement, fut accablée d’épigrammes & “/ n-
fultes. L e cavalier P e r fe tti avoit éprouve la meme
injuftice ; Pétrarque lui-même fe p lain t, dans te5
Lettres , de l ’envie & des perfécutions que lui fufcica
l e laurier romain. , . . /
Corilla a fait imprimer quelques petites pièces
de vers , q u i , comme celles qui nous font reftees
des autres Iniprovifateurs , ne foutiennent pas la
réputation qu’elle a obtenue en improvifant.
O n v o i t , par l’hiftoire des Improvifateurs ,
qu’ils font nés prefque tous dans la Tofcane ou
dans l ’état de Venife , furtout à Sienne & à V é rone
, où ce talent s’eft perpétué fans interruption.
I l eft mort à V é ro n e , en 1 7 6 4 , un Improvifateur
de beaucoup de réputation, le P . Z u c c o ,
qui a eu pour élève & pour fuccëffeur l ’abbé
Laurenfi. On a vu à Paris que lqu es-uns de ces
Improvifateurs italiens } mais ce genre de talent
y a fait peu de fenfation : i l faut , pour en fentir
tout le mérite , une habitude de la langue italienne
& un leritiment de fon harmonie poétique , infiniment
rare dans les pays où elle n’eft pas parlée.
I l eft extraordinaire que ce foit dans l ’Italie feule
que l ’Europe ait produit des Improvifateurs. On
a déjà o b fe rv é c e phénomène , & on a cherché à
l ’expliquer par des caufes qui paroiffent infuÆ-
fantes > on a cru, en trouver le principe dans la
beauté & la chaleur du .climat ; mais pourquoi
n’y a - t - i l point d’ Improvifateurs en'Efpagne ,
où la Poéfie eft fort cultivée ? pourquoi y en a-t-il
eu toujours’ en Tofcane , & fi peu dans le royaume',
de Naples , dont le climat eft encore plus chaud,
& qui a produit, par un autre phénomène r em a r quable
, prefque tous les grands compofiteurs que
l ’Italie ait eus ? I l s’en préfente une autre eaufe
plus frapante & plus probable -dans la foupîeffé &
l ’abondance de la langue italienne. Mais n’avons-
nous pas vu , dans T e quinzième & le feizième
fiècle , la plupart des grands Improvifateurs ne
compofer qu’en vers la t in s ,jt ’eft à dire, dans une
langue morte , .dont les formes , le rhythme, & le
mètre poétique ont de beaucoup plus grandes difficultés
que n en offre la verfification italienne ? Nous ne
chercherons point ici à réfoudre ce problème-, dont
les éléments nous paroiffent trop compliqués. Nous
ajoûterons feulement qu’ i l eft affez fingulier que ,
tandis que la France entière n’a pas produit un
feitl Improvifateur, l ’Allemagne feule ait offert
à l ’Europe , dans une femme , un exemple rare
de ce talent extraordinaire. Nous voulons parler
êi Anne-Louife K arc h , née en 173 z , dans un
hameau de la baffe Siléfie. Son père étoit braffeur
Gr am m . e t L i t t é r a t . Tome I L
I N G .521
Zc cabaretier dans ce hameau; fon éducation , les
occupations de fon enfance & de la première
jeuneffe furent conformes à la baffeffe de fa naif-
fance. E lle avoir appris d lire &t d écrire : mais
l ’indigence la réduifit à la néceffité de garder les
vaches de fes parents. A dix fept ans , on lui fit
époufer un ouvrier en laine , dont e lle partageoie
les travaux ; e lle le perdit après neuf ans de maria
g e, & fut encore obligée de contracter de nouveaux
lien s , qui furent pour elle une fource de
misère & de malheur.
Ce fut en gardant le troupeau de fon père ,
qu’elle laiffa echaper les premiers lignes de foa
talent naturel pour la; Poéfie. Elle- aimoit a chanter
; elle fe mit d compofer des cantiques fur les
airs de ceux qu’e lle favoit par coeur. L a lecture
de quelques romans qui lui tombèrent par hafard
dans les mains , dèvelopa un peu fon efprit .3
mais les foins continuels de la vie miférabie d
laquelle elle fut condamnée , lui laiffoient à peine
le loifir de fe livrer au mouvement de fon inftiriCt
poétique. E lle ne récitoic pas , comme, les Im p r o v
i f a t e u r s italiens , de longues fuites de vers fiir
des fujets inattendus ; niais elle a eu fur eux l ’avantage
de laiffer des pièces imprimées pleines d®
corredion comme d’enthoufiafme, & que l ’A l le magne
admire encore. O n peut en voir des fragments
dans la G a l e t t e l i t t é r a i r e , tom . I I , p . 3 6 p .
Nous terminerons cet article par quelques réflexions
des auteurs de ce journal fur A n n e - L o u i f c
,K .à r c h .
« L a nature n’agit en e lle que par infpiration ;
» les feules pièces où elle réulfit font celles qu’e lle
» produit dans la chaleur de l ’imagination : la
» comraiütc & l ’éloignement de la mufe fe fone
» prefque toujours remarquer dans les morceaux
» q u e lle compofe â deffein & avec réflexion. Quand
» un objet l ’affeCte vivement, foit au milieu de
» la foc iété, foit dans la folitude , fon efprit s’é -
» chauffe tout d coup ; elle n’eft plus maitreffe
» d’elle-même : tous les refforts de fon ame font
» mis en mouvement ; elle ne peut réfifter au pen-
» chant qui la porte à faire des vers. Semblable a
» une pendule , q u i , dès que fes refforts font
» montés, fuit fa marche fans aucun fecours, L o u i f e
» K a r c h , dès que l ’enthoufiafme pénètre & remue
» fon ame, chante fans favoir comment lui vien-
» nent les penfées : elle n’a (comme elle le die
» elle-même ) qu’d prendre le ton & faifir le mètre;
» à l ’inftant tout le Poème coule fans peine, fans
» effort / & les penfées , àinfi que les expref-
» fions les plus heurèufes, naiffent (ous fa plume
» comme fi elle écrivoit fous la diCtée de la » mufe »..( l’É diteur. )
( N .) IN C E R T IT U D E , D O U T E , IR R É SO L
U T IO N . S y n o n y m e s .
Dans le fens où ces mots font fynonymes , ils
marquent tous les trois une indécifion : mais
1*Incertitude vient de ce que l ’évènement des chofes