
L A N
particulière de relation ,• que les inventeurs de ces
expre fiions, e a conféquence de quelques comparai-
fons , fe proposèrent de féparer & de distinguer de
foute autre relation#. I l eft probable à la vérité
que cette variation dans la terminaifon y une fois-
inventée s’eft bientôt étendue à tous les autres
noms ; & quiconque aura eu l ’occafion d’exprimer une
relation fembiable entre d’autres objets , aura pu
aifément l ’exprimer en faifant un changement ou
une inflexion Semblable dans le nom de l ’objet corré-
.latif. Je dis que cela eft probable ou plus-tôt que
cela arriveroit certainement, mais que cela arriveroit
fans aucun deffein de la part de ceux qui-en ont
donné les premiers l ’exemple , lefquels ne fe pro-
pofoient aucunement d’établir une règle générale.
L a règle générale s’établiroit d’elle-même infen-
fiblement & par degrés , en confëqxience de ce
goût d’analogie & de reffemblancé dans les fons ,
fur leq u e l font fondées prefque toutes les règles de
la Grammaire*
Puifqu’i l ne faut donc ni abftra&ion,, n i géné-
ralifation, ni comparaifon. d’aucune fo r te , pour
exprimer une relation par le changement de l a
terminaifop dans le nom. de l ’objet corrélatif ; i l
s’enfuit que cette manière a du: être, dans les commencements
, beaucoup plus aifée & plus nature
lle que ce lle q ui exprime cette même relation
par ces termes généraux que nous appelons prépositions
: ce lle-ci exigeoit dans fes inventeurs toute
la fagacité néceffaire pour les opérations les plus
métaphyfiques de l ’ efprit.
L e nombre des cas n’eft pas le même dans
toutes les La n gue s ; l e grec en a cinq, le latin.
i î x , & l ’on dit qu’i l y en a. dix dans l ’arménien.
I l a. du naturellement arriver qu’i l y auroit un.
nombre de cas plus ou moins grand, fuîvant que-
le s premiers créateurs du langage auroient l ’oc-
'eafion d’établir plus- ou moins d’inflexions dàns-
les fubftantifs , pour défigner les relations différentes
qu’ils avoient lieu de remarquer;: on n’a.
pu diminuer le nombre d e s 'ca s , qu’après avoir
‘inventé les prépofitibns qui feules peuvent en tenir
lieu .
I l eft peut-être à propos d’obferver que ces pré—
pofïtiôns ou articles, qui dans les L a n gue s modernes
tiennent la place, des cas dés anciennes
Langues:, font, de toutes le s prépofitions, les plus
générales, les- plus abftraites, & les plus métaphysiques,
& celles pas conféquent qui ont probablement
été les dernières: inventées. Demandez à-un
homme d’une pénétration commune quelle relar
tion eft exprimée par la prépofition en haut ou
au dejjlis ; i l répondra promptement : Celle de
fupérioritéÿ & par la prépofition en Bas ou au
dejfous , i l répliquera également fur le champ :
Celle d*infériorité. Mais deraandez-lai quelle eft
la relation exprimée par la prépofition de ; s’i l n’a
pas auparavant médité allez long temps fur ce
fujet, vous pouvez: en toute sûreté lui accorder
huit jours pour délibérer fur fa réponfe. Les
L A N
prépofitibns en haut & en b a s ,. ne défignent air-
cune des relations exprimées par les cas des L a n gues
anciennes mais la prépofiiion de indique la-
même relation que ce lle qui eft exprimée par le
génitif des Langue s anciennes ; & i l eft aifé
d’obferver combien c e lle - là eft abftraite & méta«
phyfkjue.. L a prépofition de défigne une relation
en général , conlidérée dans un fens concret avec
l ’objet corrélatif. E lle marque que le nom fübf-
tantif qui la précède y a quelque relation avec ce lu i
dont elle eft fuivie : mais. le rapport lui-même-
neft pas énoncé comme dans la prépofition au*
dejfous. Nous appliquons donc fouvenc la prépo-'
fition de pour exprimer les- relations les plus
oppofées, parce que les- relations les plus oppo—
fées s’accordent li. bien enfemble, que chacune
renferme en elle-même l ’idée générale ou la nature
de la. relation. Lorfque nous- difons, le père'
du f i l s , & c , le f i ls du père r ou les fa p in s de’
la f o r ê t S c c , la fo r ê t de fapins. : la„ relation
que le père a avec le fils , eft évidemment une
relation entièrement oppofée à ce lle du fils: à l ’égard’
du père la relation, que les- parties ont avec le:
T o u t , eft abfolument contraire à. celle-que le T o u t
a avec les parties» L e mot de: fert fort bien cependant
à défigner toutes? ces relations, parce qu’i t
n’exprime par lui-même aucune relation particulière
,. mais feulement une relation en général v
& on conçoit cependant toujours avec netteté la-,
relation particulière qui : refaite de ces mots;.mais.
• c’eft l ’efprit feul qui la devine, par la nature &
l ’arrangement des fubftantifs entre lefquels ces;
mots- font, placés: la prépofition elle-même ne
nous, éclaire point cTu-tout fur.la nature de ce rapport
particulier.-
C e que j-’ài dit de la prépofition d e , peut égav
lement s’appliquer aux prépofitions -à , pour y
avec ^ p a r y &c , à quelque autre prépofition-que
Ce foit dont on-fe fert. dans les Langue s modernes
pour tenir lieu des. anciens cas- Chacune d’elles.
* exprime des relations fort abftraites & métaphy—
fiques; & tout homme q u i prendra la peine de-
le s examiner , trouvera, qu’i l eft très-difficile de
les rendre, parades noms iiibftantifs, ainfi que nous;
rendons par le mot fu p é r io r ité , la. relation que-
defigne la prépofition au dejffus- ou en. haut. C e pendant
elles- expriment toutes quelque- relation;
particulière; & nulle d’entre elles par conféquent.
n’eft aufli abftraite que la prépofition de y que:
l ’on peut regarder comme étant de beaucoup la.
plus métaphyfique de toutesles prépofitibns. Ainfi.,
les prépofitions qui- peuvent fuppléer aux cas des
Langue s anciennes étant plus abftraites- que les
autres prépofitions, doivent naturellement avoir
été d’une invention plus difficile. En même temps;
les relations- exprimées par ces prépofitions, fon t,
parmi, toutes les autres relations, Celles dont nous
avons plus fou vent occafion de nous ferviir. L e s
prépofitions', en haut y en b a s , près y dedans ,
dehorsy vis -à -v isy & c >. font beaucoup plus rarement
L A N
jfinfes en ufage dans les Langue s modernes , que
le s prépofitions de ., .à , p o u r , avec y par. Une
prépofition de la première efpéce ne fe rencontrera
pas deux fois dans une p a g e , tandis que nous
pouvons à peine faire une phrafe fans nous fervir
de l ’une ou de l ’autre de ces dernières prépofitions.
I l eft donc également v rai, & que les prépofitions
q ui ont remplacé les cas des Langue s anciennes
étoient tfès-difficiles à inventer, parce qu’elles
expriment des idées très - abftraites, & que leur
invention étoit de la néceffité la plus preffante,
parce que les rapports qu’elles énoncent reviennent
4 chaque inftânt dans le difeours. O r ,, i l n’y avoit
point d’expédient plus naturel que celui de
varier la terminaifon de l ’un des mots principaux
«de la phrafe.
I l eft peut-être inutile d’obferver qu’ i l y a des
cas dans les Langues anciennes, qui , pour des
xaifons particulières, ne peuvent être’ repréfentés
par aucune' prépofition : tels fon t, le nominatif,
l ’accufâtif, & le vocatif. Dans les Langue s modernes
, ou l ’on n’admet point ce changement dans
l a terminaifon des noms fubftantifs, le s relations
correfpondantes font défignées par la place ou fe-
trouvent les mots , de même que par l ’ordre & la
conftruéfcion de la phrafe.
Comme les hommes ont fouvent occafion de
défigner des multitudes, ainfi que des objets particuliers,
i l étoit néceffaire qu’ils trouvaffent des
noms collectifs. L e nombre peut s’exprimer, ou
pa r un, mot particulier qui exprime une co lleéiion ,
tels que les mots p lu fieu r s , beaucoup , & c , ou par
quelque changement dans les mots qui expriment
le s chofes nommées. C ’eft probablement à ce
dernier expédient que les hommes ont dû avoir
recours lorfque les Langues n’étoient encore que
dans l ’enfance. L e nombre , confidéré en général
£t fans relation a quelque fuite particulière d’objets
raffemblés, eft une des idées les plus métaphyfiques
& les plus abftraites que puiffe former
l ’efprit humain, & n’eft point par conféquent une
idée qui fe puiffe préfenter à des hommes groffiers,
tels qu’ils dévoient l ’être dans la première formation
des Langues. Ce n’eft pas par nos adjectifs
métaphyfiques , un y plufieurs , qu’ils durent
dift'inguer d? abord le nombre des objets dont
ils parloient : i l fut plus fimple &c plus naturel
d’avoir recours encore à quelques changements , à
quelques inflexions qu’on faifoit fubir aux mots
lubftantifs. De là l ’origine du fingulier & du pluriel
dans toutes les Langue s anciennes ; diftinélion que
Ton a également adoptée dans toutes les Langues
modernes, du moins pour la plas grande partie
des mots.
Toutes les Langue s non compofées & primitives
femblent avoir un duel , de même qu’un
pluriel. T e l le eft l a Langue grèqu e; & telles
font au fli, à ce que j’ai entendu dire , les Langues
hébraïque , goth ique, & plufieurs autres. Dans
ƒ enfance des fociétés & des Langue s , u n , d eux ,
L A N 4 * 7
plufieurs , étoient peut-être les feuls mots deftines
à défigner des nombres. L ’Arithmétique & la
Langue n’alloient peut-être pas plus loin , & 1 infini
commençoit au nombre tjrois. Ils dévoient
trouver plus naturel d’exprimer ces fortes de
nombres par un changement dans chaque nom
fubftantif, que par des termes abftraits & généraux
, tels que ces mots : u n , d e u x , tr o is , & c ;
car ces mots quoique l ’ufàge nous les ait rendus
familiers, expriment peut-être les abftra&ions lç s
plus fines & les plus recherchées que l ’efpût humain
foit capable de former. Que quelqu’un confidère
en lui-même ce qu’i l conçoit, par exemple, par
le mot t r o is , qui ne fignifie ni trois liv re s , ni
trois fous , ni trois hommes, ni trois chevaux,
mais trois en général ; & i l verra bientôt qu’un
mot qui annonce une abftraéfcion fi métaphyfique ,
ne pouvoit fe préfenter naturellement à T e lp r it ,
ni être fi promptement inventé. J’ai lu qu i l y ,a
des nations fauvages qui ne peuvent exprimer,,
dans leurs Langue s , que les trois premières dif-
tinftions de nombre ; mais je ne me reffouviens
pas d’avoir rien vu qui me porte à décider fi ces
diftinétions étoient exprimées par trois mots généraux,
ou par des changements dans les noms
fubftantifs , qui défignâffent les objets nombres.
Chacun de ces cas, le du el, le p lu r ie l, & le fingulier
, eut le même nombre de ca s , parce qufc
les mêmes rapports peuvent fe rencontrer entre
.un y deux , ou plufieurs objets. D e là la complication
& l ’embarras des déciinaifons dans toutes
les Langue s anciennes. Dans le grec , i l y a cinq
cas dans chacun de ces trois nombres , quinze en
tout par conféquent.
Les noms adjeftifs, dans les Langue s anciennes,
varioient leurs terminaifens fuivant le cas & le
nombre, comme fuivant le genre des noms fubf-
tantifs qu’ ils accompagnoient. Par conféquent chaque
adjeétif, dans la Langue g rèq u e , ayant trois
genres , trois nombres, & cinq cas , pouvoit recevoir
quarante-cinq changements ou terminaifon*
différentes. Le s premiers formateurs du langage
paroiffent avoir changé la terminaifon de l ’adjeétif
fuivant le cas & le nombre du fubftantif, par la
même raifon qui les porta à faire ce changement
fuivant le g en re , c’eft à dire, par amour de l ’analo
g ie & d’une certaine régularité dans les fons. I l n’y a
dans la lignification des adjectifs, ni nombre, ni
cas ; & le fons de ces mots refte toujours le même ,
quels que foient les changements qu’ils reçoivent
dans leurs formes. M a gn a s v ir , magni viri , mag-
norum virorum : dans toutes ces expreffions , les
mots magnus , m a g n i, magnorum, ont préci-
fément une feule & même lignification, quoique
les fubftanife auxquels iis font'appliqués en ayent
une autre : ce qui eft encore plus fenfible dans la
Langue an g lo ife , ou l ’adjeétif ne change jamais
de terminaifon , & où l ’on dit a great m a n , o f
a great man , o f great men. L a différence de la
terminaifon dans l ’adjeélif n’eft accompagnée
H h h a