( N . ) Vous les méprifez, les Livres ; vous
dont toute la vie eft plongée dans les vanités de
l ’ambition ôc dans la recherche des plaifirs, ou
dans l ’oifiveté : mais fongez que tout l ’univers
connu n’eft gouverné que par des L iv r e s , excepté les
nations fauvag.es- Toute l’Afrique, jufqu’àll’Étliiopie
ôc la Nigritie v .obéit au Livre de l ’ Alcoran après
avoir fléchi fous le livre de l ’Évangile. L a Chine
eft régie par le -Livre moral. de Confucius ; une
grande partie de l ’Iode , par le Livre du Veidam.
L a Perle fut gouvernée pendant des fiècles par
les Livres d’un des Zoroafires. -
Si vous avez un procès ;. votre bien, votre honneur
, votre vie même dépend de l ’interprétation
d’un Livre que vous ne life z jamais.
Robert le D ia b le , les Quatre f i l s A im on , les
Imaginations de M . Oufle , font des Livres aufli :
mais i l en eft des Livres comme des hommes, le
très-petit nombre joue un grand rôle , le refte
eft confondu dans la foule.
Q u i mène le genre humain dans les pays policés
? ceux qui favent lire & écrire. Vous ne con-
noiflez ni Hippocrate , ni Boerhaave , ni S i -
.denham ; mais vous mettez votre corps entre les
mains de ceux qui les ont lus. Vous abandonnez
votre âme à ceux qui font payés pour lire la
Bible , quoiqu’ i l n’y en ait pas cinquante d’entre
eux qui ray ent lue tout entière avec attention.
Les Livres, gouvernent tellement le monde ,
que ceux qui commandent aujourdhui dans la
v ille des Scipions & des Catons , ont voulu que
les Livres de leur lo i ne fuffent que pour eux :
c’eft leur foeptre ; ils ont fait un crime de ièze-
majefté à leurs fujets d’y toucher fans une per-
miflio'n exprefle. Dans d’autres pays , on a défendu
de penfer par écrit fans lettres patentes.
I l eft des nations chez qui l ’on regarde les
penfées purement comme un objet de commerce.
Les opérations de l ’entendement humain n’y font
confédérées qu’a deux fous la feuille. Si par ha-
fard le libraire veut un privilège pour fa marchan-
dife , foit qu’i l vende R a b e la is , foit qu’i l vende
le s Pèr e s de V E g life , le magiftrat donne le priv
ilèg e fans répondre de ce que le Livre contient.
Dans un autre pays , la liberté de s’expliquer
par des Livres eft une des prérogatives des plus
inviolables. Imprimez tout ce qu’i l vous plaira ,
fous peine d’ennuyer, ou d’être puni fi vous avez
trop abufé de votre droit naturel.
Avant l ’admirable invention de l ’Imprimerie ,
les Livres étoient plus rares & plus chers que les
pierres précieufes. Prefque point de Livres chez
nos nations barbares jufqu’â Charlemagne , & depuis
lui jufqu’au roi de France Charles V dit le
fa g e ; Ôc depuis ce Charles jufqu’â François I ,
c’eft une difette extrême'.
Les arabes feuls en eurent depuis le huitième
ü è c le de notre ère jufqu’au treizième.
L a Chine en étoit pleine quand nous ne favions
a i lire ni écrire.
■ Le s copiftes furent très - employés dans l ’Em*
pire romain depuis le temps des Scipions juf-
q u â l ’inondalion des barbares.
Le s grecs s’occupèrent beaucoup â tranforire
vers le temps d'A mintas , de P h ilip p e , 8c S A l e xandre
; ils continuèrent furtout ce métier dans
Alexandrie.
Ce métier eft affez ingrat. Le s marchands de
Livres payèrent toujours fort mal les auteurs &
les copiftes. I l falloit deux ans d’un travail affidu
â un copifte pour bien tranforire la Bible fur du
velin. Que de temps & de peine pour copier çor-
r eélément en grec ôc en latin les ouvrages d’Or i-
gène , de Clément d’Alexandrie , * ôc de tous ces
autres écrivains nommés P è r e s !
S . Jérôme dit dans une de fes lettres fatiri-
ques contre R u fin , qu’il s’eft ruiné en achetant
les oeuvres d’Origine, contre lequel i l écrivit avec
tant d’amertume & d’emportement. O u i , dit - i l ,
j ' a i ' l u Origine j f i c ’ efl un crime , f i avoue
que j e fu i s coupable, & que f a i épuifè toute ma
bourfe à acheter f e s ouvrages dans A lexand rie,
Les poèmes S Homère furent long temps fi peu
connus , que P ififlra te fut le premier qui les mit
en ordre , 8c qui les fit tranforire dans Athènes ,
environ cinq-cents ans avant l ’ère dont nous nous
fervons..
I l n’y a peut être pas aujourdhui une dôu-*>
zaine de copies du Y eîdam Ôc du Zenda-Vefta dans
tout l ’Orient.
Vous n'auriez pas trouvé pn feul Livre dans
toute la Ruffie en 1700 , excepté des Miffels ôc
quelques Bibles , chez des papas ivres d’eau - der-
vie.
Aujourdhui on fe plaint du t r o p m a is ce n’eft;
pas aux leéleurs à fie plaindre.;-le remède eft a i fé ,
rien ne les force â llrè. Ce n’eft -pas non plus
aux auteurs ; ceux qui font la foule ne doivent
pas crier qu’on les preffe. Malgré la quantit-é
énorme de Livres , combien peu de gens iifent I
ôc fi on lifo it avec fruit -, verroit - on les déplo-*
râbles fottifos auxquelles lé vulgaire fe livre encore
tous les jours en proie ?
C e qui multiplie les Livres , malgré la lo i de
ne point multiplier les êtres fans néceflfté , c’eft
qu’avec des Livres on en fait d’autres ; c’eft avec
plufîeurs volumes déjà imprimés qu’on fabrique
une nouvelle Hiftoire de France ou d’Efpagne fans
rien ajouter de nouveau. Tous les Diétionnaires font
faits avec des Dictionnaires ; prefque tous les L i vres
nouveaux de Géographie font des répétitions
de Livres de Géographie. L a Somme de S. T h o mas
a produit deux-mille gros volumes de Théolo
g ie ; Ôc les mêmes races de petits vers qui ont
rongé la mère , rongent aufli les enfants.
Écrive qui voudra, chacun à ce métier
Peut perdre impunément de l’encrç 8c du papier.
( V q l tm rm »)
L O G O G R A P H 1E , f. f. Cfamfnam. C ’eft
la partie de l ’Ortographe qui preferit. les règles
convenables pour repréfentér la relation des mots
à l ’enfemble de chaque propofuion , 8c la relation
de chaque ptopohtion à J/enfemble du difeours.
On peut voir au mot G rammaire , l ’origine,
de ce mot, l ’objet & la divifton de cette partie ;
& au % mots O rthographe & Ponctuation, les
principales règles qui emfont l ’eflence. ( M . B e a cj -
ZÉE. )
L O G O G R IP H E , f. m. L e mot Logogrîphe
eft compofé des deux mots grec s, Aspiî, verbum ,
8c-ytlms ou ppôp», m e ; comme pour dire in verbo
rete , in verbo ambages , p ièg e tendu1fur- un mot,
différents feras dans un mot. • ,
On a parlé , dans l ’article E n igm e , avec un
peu de févérité de cette efpèce de jeu d’efprit ; ôc
i l faut convenir que ce n’eft pas le meilleur ufage
qu’on puiffe faire de fon intelligence. Mais i l en eft
des exercices de l ’âme, comme de ceux du corps:
quoiqu’ils ne foient pas tous des travaux direétement
u tiles , i l n’en eft aucun qui. ne puiffe contribuer à
augmenter la fou pleffe, la vivacité , la force naturelle
de l ’organe de la penfée. L ’efprit par excellence,
eft l a faculté d’appercevoir de loin avec promptitude
ôc juftefle - les divers raports des idées : or le jeu
de l ’Énigme confifte à propofer, dans une certaine
obfcurité, un nombre de raports d’idées à déméier
ôc à faiïir; ôc foit qu’i l s’agiffe de découvrir quelle
eft la chofe ou quel eft le mot qu’enveloppe l ’É nigme,
par cela feul qu’e lle met en aCtion la fa-
gacité de l ’efprit, elle en exerce l ’activité ôc en
aiguife là finefle. L ’Énigme, proprement dite , e'ft
une définition de chofes en termes vagues & obfcurs,
mais q u i, tous réunis, défignent exclufivement leur
objet commun, ôc laiflent â l ’efprit le piaifir de
le deviner.
L a comparaifon, la métaphore, l ’a llé g o r ie , l ?a-
pologue , l ’emblème, la dèvifë, le fymbole exercent
l ’efprit, en lui donnant à faifir un raport de
la figure à l ’objet figuré; mais cet exercice eft facile
. Ce lu i que l ’Énigme propofo à la curiofité ,
eft plus laborieux : Ôc i l faut bien qu’i l en foit
plus piquant; puifque, fans autre fruit quelefuccès
frivole d’ une recherche affez pén ib le, i l a eu de
l ’attrait pour les hommes les plus fenfés.
L ’Énigme ,.ainfi que la définition philofophique
ou oratoire, doit avoir un objet diftindt, ôc ne
convenir qu’à lui feul. Mais dans la définition, chacun
des traits doit avoir fa juftefle, fa précifion ,
fa clarté ; au lieu que dans l ’Énigme aucun des traits
n’a ou ne femble avoir cette relation directe. Ils
prefentent même à l ’èfprit des raports différents ,
quelquefois oppofés ,- ôc- des idées incompatibles.
L adrefle de ce jeu confifte à employer'-, dans la définition
, des mots figurés ou équivoques, qui ne conviennent
a une idee commune qu.e par un de leurs
fens , ôc par le plus imperceptible. C e font des
pièces à pluûeurs fa ce s , qui peuvent s’ajufter 5c
former un enfemble ; mais î l ‘ s’agit d’apercevoir
dans leurs furfaces bifarrement taillées le point qui
doit les réunir. C ’eft cette ambiguïté de raports
qui diftinguel’Énigme de la définition ôc de la défi-
cription. O r le moyen de lever l ’équivoque , .c’eft
d’examinér dans quels fens tous les mots de l ’Énigme
fe raportent les uns aux autres, &• conviennent air
même objet. Mais cette coïncidence une fois ap~
perçue, là définition ou la defeription doit fe trouver
exacte 8c fuffifante; fans quoi' le leéïeur aura
lieu de fe plaindre qu’on lui a donné de' faux indices
, ou qu’on ne lui en a pas affez donné', ôc'
qu’on lui a fait chercher péniblement ce qu’i l ne
devoit pas trouver:. I l eft- bon d’avertir les faifeurs
d’Énigmes que leur obligation de définir ou de décrire
avec juftefle eft plus- férieufe qu’ils ne pen-
fent. Nous avons vu tout Paris indigné de-ce qu’une
Énigme du Mercure fe trouvoit n’avoir point de
mot.
Afin , donc que les règles d’un jeu ou la chofo
du,monde la plus importante, la vanité, eft çom-
promife, foient bien connues, comparons une.Énigme
avec une définition.
Cicéron a défini quelque chofo, L e témoin des
tem p s , la lumière de la v érité, la vie de la mémoire
, le guide de la v ie , la meffagère de Vantiquité.
T e flis temporum, lu x v e r ita tis , vita mémorisé
, magifïra vitee, nuntia ve tufiatis . Eft-ce-
là une Enigme? N o n ; parce que tous les traits de
l ’image font analogues , ôc que , fans- équivoque Ôc
. fans ambiguïté, ils s’accordent tous à exprimer la
: même chofe. Qu el eft le témoin des temps 1 C ’eft
l ’Hiftoire. Q u elle eft la lumière de la vérité dans
le même fens? C ’eft l ’Hiftoire. Q u el eft; Le guide
de la vie 1 C ’eft l ’expérience , ôc i’Hiftoire qui la
tranfmet. Qu elle eft la meffagère de V an tiq uité î
C ’eft bien évidemment PHiftoire.
Examinons à préfent l ’Énigme , qu’on dit être
ce lle du Sphinx. Qu e l e fl Vanimal qui le matin
marche fu r quatre pieds ? I l y en a mille : à midi,
fu r deux p ieds ? C’eft l ’homme : fu r trois , le f o ir l
On n’en connoît aucun. I l s’agit pourtant de- trouver
celui qui le matin eft quadrupède , à midi
bipède, ôc tripède le fo ir : cela paroît fort difficile.
Mais qu’on penfo à la métaphore du m a tin ,
du m id i, ôc du fo ir de T a v ie ; qu’on fe' fouvienne
que le p ied d’uue table eft un bâton : l ’Énigme eft
devinée. OEdipe ne fut pas forcier ; ôc l ’embarras
des béotiens confirme leur réputation.
Un tour ingénieux pour l ’Énigme, eft de donner
une définition une defeription , qui clairement convienne
à une chofe ôc femble ne convenir qu?à
e lle ; 8c d’ajouter qu’ i l s’agit d’autre chofo que de
ce lle qui fe préfente à l ’e fp r it , comme dans cette
jo lie énigme de la Motte.
J’ai vu , j’en fuis témoin croyable,
Un jeune enfant, armé d’un fer vainqueur.
Le bandeau fur les ieux, tenter l’aflaut d’ un coeur
Aufli peu, fenfible qu’aimable.