
influent fur le S tyle , parce qu’i l fait prendre aux
penfées même des tours différents, félon la différence
des impre fiions qu’elles font fur l ’ame de
l ’orateur, & qui fe tranfmettent dans celle de l ’auditeur
par un effet naturel de ce tour même.
1. L e tour de Dèvelopement eft une des plus,
riches fources où l ’Éloquence pu ife , tantôt pour
em b e llir , tantôt pour inftruire. E lle fait ufage ,
pour ce la , de l*jExp o lition , de la Métabole ou
Synonymie y de la Conglobation ou Enumérat
io n , de la P é riphra fe , de ! Antonomafe , de la
Sujpenfeon , & de la Defcription : ce lle - c i , à
railon de la différence des objets , . fe foudivife en
Çhronographie, Topographie , Profopographie,
Étkopé e, Portrait , Hypotypofe , D é fin itio n ,
Im a g e , & Para llèle .
2. L e défïr de faire mieux comprendre ou d’inculquer
plus profondément ce que l ’on veut per-
foader, fait prendre aux penfées un tour de R a i sonne
ment , qui donne naiffance à d’autres Figures
toutes propres à affurer l’effet qu’on fe propofe.
T e lle s font l ’Exa géra tion , Y E x tén u a tio n , la
Communication , la ConceJJion, la Prolepfe , la
S u b je c lïon , & YEpiphonéme.
3. Par un tour de Combinaifon , on rapproche ,
tantôt fous un afpecf tantôt fous un autre , des
objets différents qui reflètent en quelque manière
le s uns for les autres , & qui en s’éclairant ajoutent
fouvent la chaleur a la lumière. D e là viennent la
Çomparaifon , la Similitu d e, l ’A llég o r ie , la D i f -
fim ilitu de , Y A n tith è fe , YHyjlérologie , Y A n ti-
métalepfe, le P ara doxifm e , Y A llu fio n , la Gradation
, & la P aradiaftole.
4. I l y a un tour de F ic t io n , au moyen duquel la
penfée ne doit pas être entendue littéralement comme
e lle eft énoncée , mais qui laiffe apercevoir le
véritable point de vue en l e rendant feulement plus
fenfible & plus intéreffant par la Fi&ion même.
D e là naiffent Y Hyperbole , la L ito te , Y Interroga
tion , la D u b ita tio n , la P r é té r ition , la R é ticence,
Y Interruption, le D ia lo g ifm e , YÉpanor-
th o fe , YÊpitrope , & Y Ironie : ce lle-ci fe fondi-
v i f e , à raifon des points de vue ou des ton s , en
fix efpèces j favoir, la M im è fe, le Chleuajme ou
P erjifilage, YAJléifme, le Charientifme, le D lcl-
firm e , & le Sarcafme.
5. Par un tour de Mouvement, l ’ame femble
s’élancer au dehors, traiter avec les objets abfents ,
& donner la vie & le fentiment a ceux mêmes qui
en font le moins fufceptibles. E lle emploie alors
la Commination, la Déprécation, Y Ex c lam a tion ,
l ’ Optation , Y Imprécation, le Serment, YApoftro-
v h e , la Profopopée.
Parcourez toutes ces Figures , & élevez - vous
enfoite au dçffus des détails , minutieux en apparence,
mais néceffaires à connoître • vous jugerez
alors de l ’importanee & de l ’utilité des Figures
dans le difeours. Une ftatue toute unie & toute
4’une pièce depuis le haut jufou’en bas, la tête
droite fur les épaules , les bras pendants, les pieds
joints, n’auroit aucune grâce & paroitroit immobile
& comme morte : ce font les différentes attitudes
des pieds, des mains, du vifa g e, de la tête , q u i,
variées en une infinité de manières félon la diverfité
des fojets , communiquent aux ouvrages de l ’arc
une efpece d’aétion & de mouvement, & leur donnent
^ comme une ame & une vie. T e l eft aulli dans
un difeours l ’eftet des Figures difpenfées à propos
& puifees dans la nature même du fujet que l ’on
traite : fans e lle s , le difeours lan gu it , tombe dans
une efpèce de monotonie , & eft prefque comme
un corps fans ame ; les Figures qui fe préfentent
d’elles-mêmes, ménagées avec fageffe, difpenfées
avec g o û t , afforties avec intelligence, contraftées
avec entente, deviennent l ’ame du difeours & y
font de véritables principes de mouvement & de vie.
C ’eft la penfée de Quintilien : ( Inft. orat. IX . i j . )
M otu s eft in his orationis atque aclus ; quibus
detractis, ja c e t & velut agitante corpus Jpiritu
caret.
Mais où trouver les règles du bon ufage des
Figur es ? Dans la nature & dans l ’exemple des
grands écrivains, que l ’unanimité des foffrages a
déclarés nos maîtres. Confolter la nature, la bien
étudier , la prendre pour guide , c’eft la grande
règle qu’ont foiyie les écrivains devenus enfoite nos
modèles j & nous pourrons efpérer le même fuccès,
quand pénétrés des vérités que nous expoferons, des
fenciments que nous voudrons exciter , nous parierons
en effet de l ’abondance du coeur : c’eft le coeur,
dit Quintilien , qui rend les -hommes diferts ; & c’eft
avec raifon que Boileau dit, { A r t p o é t. III. 142. )
d’après Horace ( A r t . 102.) :
Pour me tirer des pleurs, i l faut que vous pleuriez.
S i , avec l ’attention de ne foivre que les mouvements
naturels, nous avons eu foin de cultiver notre
propre fonds, de nous remplir des beautés des meibv
leurs modèles ; i l nous fera aifé de fentir ce qui
eft décent & ce qui ne l ’eft pas , ce que le bon
fens adopte & ce qu’i l rejette : car c’eft du bon
fens que les ouvrages d’eforit doivent tirer leur mérite
, mais d’un bon fens éclairé par l ’ étude 8c par la
réflexion. C ’eft encore une maxime d’Horace ( Art*
3 0 p .) :
Scribendi rectl, fapere ejl & principium & fons.
( M . B e a u z é e . )
(N.) F IG U R É , É E , adj. O n le dit des mots, des
phrafes, & du ftyle.
I. Par rapport aux mots, ils peuvent être employés
dans le fens propre ou dans le fens fig u r é ,
L e fens propre d’un mot eft celui pour leque l i l
a d’abord été établi 3 comme quand on dit que le
feu b r û le , que le fole il éclaire. L e fens figuré
eft un autre fens que l ’on donne à un m o t, a caufe
de la relation qui fe trouve entre l ’idée du fens
propre & Celle qu’on lu i fait lignifier dans le fens
fig u r é ; comme quand on dit qu’un homme brûle
d amour, que de fages confeiis éclairent la Jeu-
n elfe, le j e u de l'imagination, la lumière de l ’ef-
prit , la clarté d’un difeours, &c. C e font donc les
Tropes qui font prendre les mots dans un Cens figur é.
V oy e \ T rope.
I l n’y a peut-être point de mots qui ne fe prenne
en quelque fens figuré. Les mots les plus communs
& qui reviennent fouvent dans le difeours,
font ceux' qui font pris le plus fréquemment dans des
fens figur és : tels font Corps, Am e , Tête, Couleur,
A v o ir , Faire , &c.
U n mot ne conferve pas toujours dans une langue
tous les fens figur és que fon correfpondant a dans
une autre : chaque langue a des vues qui lui font
propres , foie à caufe de quelques ufages établis
dans un pays & inconnus dans un autre, foit par
quelque autre raifon purement arbitraire.-Par exemple
, le mot françois v o i x , dans un fens f ig u r é ,
lignifie avis , opinion , fu ffra g e ; mais le mot
latin v o x , qui y répond , ne peut jamais prendre
«ce fens figur é. Dans ce cas , un traducteur doit
avoir recours à quelque autre fens figur é’, qui foit
autorifé dans fa propre langue, & qui réponde ,
s’i l eft poflible ,à celui qu’ i l a à rendre dans fa langue
originale.
■ II. Une expreffion ou une phrafe eft fig u r é e ,
où quand .e lle exprime littéralement une chofe
pour en lignifier une autre, comme dans la M é taphore
, Y A llé'gorie , Y Ir o n ie , &c. voye% ces
mots j ou quand un terme s’y trouve aflocié avec
d’autres qui le détournent néceffairement de
fon fens propre à un fens figuré. Prendre le mors
a u x d e n t s pour dire , Prendre fubitement le parti
de faire mieux, eft une expreffion figur ée par la
Métaphore. Q u i court deux lièvres n ’ en prend
p o in t , pour dire , Quand on foit deux affaires à la
fois , on rifque de manquer “ l ’une & l ’autre , eft
■ une expreffion figurée par l’A llé gor ie : Porter
envie eft une expreffion figurée de la fécondé efpèce,
ou le fens propre de Porte r eft néceffairement altéré
_par le nom Envie qui l ’accompagne.
Ces expreffions_/z^z//‘t'é,r méritent auffi l ’attention
des traducteurs , f i , - rendues littéralement , elles
ne font pas un bon effet dans la nouvelle langue.
L a traduction littérale eft bonne alors pour faire
comprendre le tour de la langue originale 5 mais
l a traduction, qui doit faire entendre la penfée de
1 auteur , doit s’attacher au tour qu’auroit pris l ’auteur
lui-même , s’i l avoit parlé la- langue dans la-
«quelle on le traduit : i l faut a lo r s, autant qu’i l
«ft poffible , remplacer l ’expreffion figurée par une
autre. Les latins difoient proverbialement & familièrement
Laterem crudum lavare ( Laver une bri- .
ue crue ) , pour dire , Perdre fon temps & fa peiné,
aire une chofe inutile ; parce que qui laveroit
une brique avant qu’elle fut cu ite , ne feroit en
effet que de la boue ; nous avons en françois .cfautres
expreffions proverbiales & familières qui répondent
à celles des anciens ; Perdre fo n la tin , Débarbouiller
■ un more.
I lI .O n appelle ftyle f ig u r é , non pas celui où l ’on
emploie des figures (car y a-t-il moyen de parler
fans, figures ? ) mais celui où l ’on affeCte d’emplo
y e r beaucoup de mots en des fens f ig u r é s , c eft:
à dire , où l ’on fait un ufage exceffif des Tropes.
« L ’ufage des fig u r e s demande beaucoup de difeer-
» nement & de prudence , dit M. Roliin ( É tu d .
» liv . n i . ch. i ij . art. 1 . §. y. ) Elles fervent comme
» de fe l & d’anaifonnement au difeours , pour re-
» lev er le ftyle , pour éviter une façon de .parler
» vu lg a ire & commune, pour prévenir le dégoût
» que cauferoit une ennuyeufe uniformité j & dès
» lors elles doivent être employées avec mefore &
» diferétion. Car fi l ’ulage en devient trop fré-
» quent, elles perdent cette grâce même de la
» v arié té , qui fait leur principal mérite : & plus
» elles- font brillantes, plus elles choquent & laf-
» font par une affeClation v icieufe, qui marque
» qu’elles ne font point naturelles , mais qu’elles
» font recherchées ‘ avec trop de foin & comme
» amenées par force ». C ’eft précifément la doctrine
de Quintilien ( In ft. orat. i x . i i j . ) Quo f i q uis
p a r c è , & quum res p o fc e t , utetur, velut afperfo
quodam condimento , ju cu nd ior erit : at qui ni-
rnium affe c la v e r it, ipfam illam gratiam varie-
ta tis amittet . . . . . Nam & fecretce & extra
vulgarem ufum p o lîte s , ideoque magis nobiles ,
ut novitate aurem. e x c itan t , ita copia fa t ia n t :
n e e fe obvias fu if t e d ic en ti, f e d conquijîtas , &
e x omnibus latebris e x tra d a s congeftafque déclarant.
Une fimplicité élégante & majeftueufe caraélérife
les bons ouvrages des Anciens; les fig u r e s n’y font
point amenées de force 3, elles fortent naturellement
du fujet : i l en eft de même des ouvrages
modernes qui ont obtenu la fceau de l ’approbation
publique , & i l n’y a pas d’autre moyen de la mériter.
C ’eft donc avec raifon que Molière fait dire à fon
Mifànthrope ( I . z. ) ;
Ce ftyle figuré, donc on fait vanité ,
Sort du bon caraétère & de la vérité;
Ce n’eftque jeu de mots, qu’affeâation pure,
Et ce n’eft point ainfî que parle la nature.
{ M . B e a u z é e . )
L ’imagination ardente , la pàffion, le défir fou -
vent trompé de plaire par des images fin-prenantes ,
produifent le ftyle figur é . Nous ne l ’admettons
point dans l ’Hiftoire, car trop de Métaphores nui-
fent à la clarté 3 elles nuifent même a la v é r ité ,
en difant plus ou "moins que la chofe même.,
Les ouvrages didactiques réprouvent ce ftyle.- I l
eft bien moins à fa place dans un fermon que dans
une oraifôn funèbre : parce que le fermon eft une
iüftruélion dans laque lle o n . annonce la vérité j