
4°. J’ajodte qu* un M o t eft ligne pour ceux qui
l ’entendent. C e l l que l ’on ne parle en effet que
pour être entendu ; que ce qui fe paffe dans l ’efprit
d’un homme n’a aucun befoin d’être repréfenté par
sles lignes extérieurs, qu’autant qu’on veut le communiquer
au dehors ; & que les lignes font pour
ceux à qui ils manifeftent les objets lignifiés. Ce
n* eft d’ailleurs que pour ceux qui entendent que les
interjetions font des lignes d’idées totales , puif-
qu’elles n’ indiquent, dans celui qui les prononce
naturellement, que des fentiments.
$°. Enfin, je dis qu’un M o t devient par ufage
l e ligne d’une idée totale ; afin d’alïigner le vrai
& unique fondement de la lignification des M o t s .
et Les M o t s y dit le P. Lami ( K h é t . l i v . I , c h . iv .) ,
» ne lignifient rien par eux-mêmes , 8c n’ont aucun
t» raport naturel avec les idées dont ils font les
» lignes j 8c c’eft ce qui caufe cette diverlité pro-
» digieufe des langues : s’i l y avoit un autre lan-
» gage naturel » i l feroit connu de toute la terre
» & en ufage pa rtout». C’eft une vérité que j’ai
expofée en détail & que je crois avoir bien établie
à ï a r t i c l e L angue. Mais fi les M o t s ne lignifient
pas par nature, ils lignifient donc par infti-
tutionj quel en eft l ’auteur? Tous les hommes ,
ou du moins tous les fages d’une nation fe
font-ils affemblés pour ré g le r , dans une délibération
commune, la lignification de chaque M o t ,
pour en choilir le matériel, pour en fixer les dé-
rivations & les déclinaifons ? Perfonne n’ ignore que
J.es langues ne fe font pas formées ainu. L a première
a été- infpirée, en tout ou en partie , aux
premiers auteurs du genre humain : & c’eft probablement
la même langue que nous parlons tous j
& que l ’on parlera toujours 5c partout; mais altérée
par les changements qui y furvinrent d’abord
à Babel en vertu de l ’opération miraculeufe du
Tout-pu iffant, puis par tous les autres qui naif-
fent infenfiblement de la diverlité des temps , des
climats , des lumières, 8c de mille autres circonftances
diverfement combinées. « I l dépend de nous ,
» dit encore le P . Lamy ( i b id . e f à vij. ) , de
» comparer les chofes comme nous voulons » [ ce
choix des comparaifons n’eft peut-être pas toujours
fi arbitraire qu’i l l’afTnre, & i l tient fouvent à
des caufes dont l ’influence eft irréfiftible pour les
nations , quoiqu’elle put être nulle pour quelques
individus ; mais du moins eft- jl certain que nous
comparons trps - différemment, & cela fuffit ici ;
car c’e f t] .«ce qui fait , a jou te-t-il, cette grande
» différence qui eft entre les langues. Ce que les
» latins appellent f e n e f l r a , les espagnols 1 appel-
» lent v e n t a n a , les portugais j a n e l l a ; nous nous
»> fervons aufli de ce nom ç r o i f é e pour marquer
9 la même chofe. F e r \ e ftr a , v e n t u s , j a n u a ,
» c r u x , font des M o t s latins » [ c ’eft à dire que
ces trois idiomes ont emprunté beaucoup de M o t s
flans la langue latine , & c’eft tout ] ; » mais les
» efpagnols , confidérant que les fenêtres donnent
» paffage aux vents} appellent ventana , de
to v e n t u s : les. portugais ayant regardé les fenêtres
» comme de petites portes, ils les ont appelées j a n e l l a ,
» de j a n u a : nos fenêtres. étoient autrefois parta-*
» gées en quatre parties avec des croix de pierre ;
» on le s appeloit pour cela des c r o i f é e s , de c r u x .*
» les latins ont confîdéré que l ’ufage des fenêtres
» eft de .recevoir la lumière ; le nom f e n e f t r a
» vient du grec <pa lm v , qui fîgnifie r e lu i r e . C ’eft
» ainfî que les différentes manières de voir les
» chofes portent à leur donner différents noms ».
Et c’ eft ain fî, peux-je ajouter, que la diverfïté des
vues introduit en divers lieux des M o t s très-différents
pour exprimer les mêmes idées totales ; ce
qui ' diverfifie les idiomes, quoiqu’ils viennent
tous originairement d’une même fource. Mais ces
différents M o t s , rifqués d’abord par un particulier
qui n’en connoît point d’autre pour exprimer fes
idées telles q u e lle s font dans fon éfprit , n’en deviennent
les ngnes univerfels pour toute la nation,
qu’après qu’ils ont paffé de bouche en bouche dans
le même fens ; 8c ce n’eft qu’alors qu’ils appartiennent
à l ’idiome national. Ain fî, c’ eft l ’ufage qui
autorife les M o t s , qui en détermine le fens & l’emp
lo i , qui en eft l ’inftituteur véritable & l ’unique
approbateur.
Mais d’od nous vient le terme de M o t ? On
trouve dans Lucilius , n o n a u d e t d i c e r e müttum
( i l n’ôfe dire un M o t ) ; 8c Cornutus , qui enfeigna
la Philofophie à Perfe & qui fut depuis fon
commentateur , remarque fur l a première fatire
de fon difciple, que les romains difoient proverbialement
m u tu m n u l lu m e m i f e r i s .'•(*. ne dites pas
un feul M o t ). Feftus témoigne que m u t i r e , qu’i l
rend par l o q u i , fe trouve daris Ennius ; ainfi , m u -
t u m 8c m u t i r e , qui paroiffent venir de la même
racine., ont un fondement ancien dans la langue
latine.
Les grecs ont fait ufage de la même racine , & ils
ont («vôosy d i f c o u r s ; //.î79>iT«f,p a r l e u r , & p a r l e r .
D ’après ces obfervations , Ménage dérive ce M o t
du latin mutum i 8c croit que Périon s’eft trompé
d’un degré, en le dérivant immédiatement du grec
11 fe peut que nous l ’ayons emprunté des latins ,
& les latins des grecs; mais i l n’ eft pas moins pof-
fible que nous le tenions dire&ement des grecs ,
de q u i, après to u t , nous en avons reçu bien d’au-
très : 8c la décifion tranchante de Ménage me paroît
trop hafardée, n’ayant d’autre-fondemant que la
priorité de la langue grèque fur la latine,
J’ajoute qu’i l pourroit bien fe faire que les grecs,
les la t jn s , & les celtes de qui nous descendons ,
euffent également trouvé ce radical dans leur propre
fonds , 8ç que l ’Onomatopée l’eut confacré chez
tous au même ufage , par un* tour d’imagination
qui eft univerfel parce qu’i l eft naturel. M a , m e ,
me' , m i , m e u , m o , m u , m o u , fon t, dans toutes
les langues, les premières fyllabes articulées ,
parce que m eft la plus facile de toutes les arti-
" <4 ation»
culafions ( voye% L a n g u e ) ; ces fyllabes doivent
donc fc prendre affez naturellement pour lignifier
les premières idées qui fe préfentent ; & l ’on
peut dire que l ’idée de la parole eft l ’une des
plus frapantes pour des êtres qui parlent. On trouve
encore dans le poète Lucilius , N o n la u d a r e h o -
m in em q u em q u a m , n e c mu f a e ç r e u n q u a m ; ou
l ’on voit ce m u indéclinable montré comme l ’un
des premiers éléments de la parole. 11 eft vrai-
femblable que les premiers inftituteurs de la langue
allemande l ’envifagèrent à peu p rès . de même ,
puifqu’ils appelèrent m u t la penfée , par une
métonymie fans doute du ligne pour la chofe lignifiée
; & ils donnèrent en fui te le même nom à la
fubftance de l ’âme , par ùne autre métonymie de
T effet pour la caufe. V o j e \ M é t o n y m i e .
( M . B e a u z é e . ) .
Mot ( Bon ). O p é r a t io n d e V e f p r i t . U n b o n
M o t eft un fentiment vivement & finement exprimé
: i l faut que le b o n M o t naiffe naturellement
& fur le champ ; qu’i l foit ingénieux , p la ifen t,
agréable; enfin, qu’i l ne renferme point de raillerie
grofliè're , inj’urieufe piquante.
L a plupart des b o n s M o t s confiftent dans des
tours d’exprellîons, q u i , fans gêner , offrent à i’ efprit
deux fens également vrais : mais dont le premier,
qui faute d’abord aux yeu x, n’a rien que d’innocent ;
au lieu que l ’autre , qui eft le plus caché , renferme
fouvent une malice ingénieufe.
Cette duplicité de fens e ft, dans un homme.def-
titué de génie , un manque de précifion & dè^eon-
»oiffance de la langue : mais, dans un homme
d’e lp r it , cette même duplicité de fens eft une adreffe,
par laquelle il. fait, naître deux idées différentes;
la plus cachée dévoile à ceux qui ont un peu de faga-
cité une fatire délicate, qu’elle recèle à une pénétration
moins vive.
Quelquefois le b o n M o i n’eft autre chofe que
l ’heureule hardieffe d’une expreflîon appliquée à
un ufage peu ordinaire. Quelquefois auflî la force
d’un b o n M o t ne confifte point dans ce qu’on dit ,
mais dans ce qu’on ne dit pas , & qu’on Fait fentir
comme une conféquence naturelle de nos pa ro les,
fur laquelle o n a l’adreffe de porter l ’attention de ceux
qui nous écoutent.
L e b o n M o t eft plus tôt imaginé, que penfé ,
i l prévient la méditation & le raifonnement ; &
c’eft en partie pourquoi tous les b o n s M o t s ne
font pas capables de foutenir la preffe : la plupart
perdent leur grâce , dès qu’on les raporte détachés
des circonftances qui les ont fait naître ; circonftances
qu’ il n’eft pas aifé de faire fentir à ceux qui n’en ont
pas été les témoins.
Mais quoique le b o n M o t ne foit pas l ’effet
de la méditation , i l eft sur pourtant que les faillies
de ceux qui font habitués à une exa&e méthode
de raifonner,. fe fentent de la jufteffe de l ’efprit.
C e s perfonn.es ont enfeig-né à leur imagination »
& H AM M . E T X ilT T Ê fLA T p f çm ç H
quelque vive qu’elle f o i t , à obéir à la. févérité du
. raifonnement. C ’eft peut-être faute de cette exactitude
de raifonnement que plufieurs anciens fe font
.fouvent trompés fur la nature des b o n s M o t s 8c de
la fine piaifanterie.
Ceux qui: ont beaucoup de feu 8c dont l ’imagii
nation eft propre aux faillies & aux bons M o t s ,
doivérit avoir foin .de fe procurer 'lin fonds dé jufteffe
& dé diieernement, qui ne les abandonné pas même
dans leür grande vivacité. I l leur importe encore
d’avoir un Fonds de Vertu qui les empêche de laiffér
rien échaper qui foit" contraire à la bienféance 8c
aux ménagements qu’ ils doivent avoir pour ceux
que leurs bons M o t s regardent. ( L e c h e v a l ie r DE!
J A U COURT. )
Mot consacré. G r c tm m . On appelle M o t s c o n -
f a c r e s , certains M o t s particuliers qui ne font bons
qu’en certains endroits ou en certaines occafîons ; & on
leur a peut-être donné ce nom , parce que ces M o t s
ont commencé par la- R e lig io n , dont les myftères
n’ont pu être, exprimés que par des mots faits exprès.
T r in ité , Incarnation , Nati ité , Transfiguration,
Ânnon. iation , Vifî-dtion, Affomptioo F ils de per*
dition, Portes de l ’enfer , Vafe d élection , Homme
de péché , & c -, font des M o t s c o n f a c r e s , • aufli
bien que Cène , C én ac le , FraCtion'du p a in , ACtes
des apôtres, & c .
D e la Re ligion on a" étendu ce M o t de c o n r
facré aux Sciences & aux Arcs ; de forte que les
M o t s propres:^ de.s_ Sciences & des Art$ -s’appellent
des M o t s confacrés., comme ^Gr rvitation, Raréfaction
, Condenfation , & ..mille autres en matière de
Phyfique ; A lle g ro , Adagio Aria , Aip eg g io ty en
Mufique , & c . '
I l faut fe fervir fans, difficulté des M o t s c o n f a -
c r é s dans les matières de R e lig io n , d-e Sciences &
d’Arts ; & qui voudroit dire , par exemple , la fête
de la Naiffanpe dé notre Seigneur , la fête de là
Vifite de la Vierge;,, ne diroit rien qui v a i l le ;
l ’ufage veut qu’on dife la Nativité & la Viflta-'ion ,
en parlant de ces deux myftères , 6 c . C e n’eft pas
qu’on ne puifle dire la Naiffance de notre Seigneur,
& la Vifite de la V ie rg e ; par exemple, la Naif-*
faneé de notre Seigneur eft bien differente de ce lle
des princes ; la Vifite que rendit la V ierg e à fa
couune n’avoit rien des vifités profanes du mondei
L ’ufage veut aufli qu’on dife la Cène & le Cénacle ;
& ceux qui diroienf une chambre haute pour le
Cén a c le, 8c le fouper pour la C èn e , s’exprimeroient
fort mal. ( L e c h e v a l i e r D E J A U C O U R T . )
( N. ) M O T , T E RM E . S y n o n y m e s .
On peut employer également l ’un ou l ’autre 9
pour marquer une totalité de fons devenue par
ufage , pour ceux qui l ’entendent , le figue d’une
idée totale. Mais s’i l s’agiffoit de s’énoncer avec
un certain degré de précifion, i l faudroit obferver
les différences qui tiennent à diverfes idées accef»
foires,
E € e a