
approfondi, même avec les plus grands efforts de
l ’attention dont ils font capables*
20. Les premiers voyant fans ceffe la raifon de
tous les procédés des deux langues , la Méthode
analytique eft pour eux une Lo g iqu e utile qui les
accoutume à voir jufte , à voir profondément,
à ne rien laiffer au hafard. Ceux au contraire qui
font conduits par la Méthode ordinaire, font dans
une voie ténébreufe, où ils n’ont pour guide que
des éclairs paflagers , que des lueurs obfcur.es ou
jllufoires. où ils marchent perpétuellement à
tâ ton s , 8c où ., pour tout dire, leur intelligence
s abâtardit au lieu de fe perfectionner, parce qu’on
les accoutume ou à ne pas voir ou à voir mal &
fuperficiellement.
3°. C ’eft pour ceux-ci une allure uniforme &
toujours la même ; & par confisquent c’eft dans
tous les temps la même mefure de p r o g r è s ; aux
différences près qui peuvent naître, ou des dève-
lopements naturels & fpontanés de l e f p r i t o u de 1 habitude d’aller. Mais i l n’ en eft pas ainfi de la Méthode analytique. Outre qu’elle doit aider &
accélérer les dèvelopements de l ’intelligence ,
& qu’un habitude contractée â la lumière eft bien
plus fûre & plus forte que ce lle qui naît dans les
ténèbres $ e lle difpofe les jeunes gens par degrés
à voir tout d’un coup l ’ordre analytique , fans
entrer perpétuellement dans le détail de l ’aoalyfe
de chaque mot ; & enfin à fe contenter;de l ’apercevoir
mentalement , fans déranger l ’ordre ufuel
de la .phrafe latine pour en connoître le fens.
C e c i demande, fur l ’ufage de cette Méthode, quelques
©bfèrvations qui en feront connoître la pratique
d’une manière plus nette & plus explicite ,
& qui répandront plus de lumière fur ce qui vient
d’ être dit â l ’avantage de la Méthode même.
C ’eft le maître q u i, dans les commencements, fait
3ux élèves l ’analyfe de la phrafe, de la manière
dont j’ai préfenté ci-devant un modèle fur un petit
palfage ae Cicéron : i l la fait répéter enfuite â
les auditeurs , dont i l doit relever les fautes , en
leur en expliquant bien clairement l ’inconvénient,
& la néeeflitë de la règle qui doit les redrefler.
Cette première befogne va lentement les premiers
jours , & la chofe n’eft pas furprenante : mais la
patience du maître n’eft pas expofée à une longue
épreuve j il verra bientôt croître la facilité â retenir
& à répéter avec intelligence ; i l fentira
enfuite qu’i l peut augmenter un peu la tâche, mais
i l g le féra avec difcrétion pour ne pas rebuter fes
difciples 5 i l fe contentera de peu tant qu’i l fera
néceflaire,, fe fouvenant toujours que ce peu eft
beaucoup , puifqu’i l eft folide & qu’i l peut devenir
fécond ; & i l ne renoncera â parler le premier
qu’au bout de plufieurs femaines,- quand il
verra que les répétitions d’après lui ne coûtent plus
rien ou prefque plus rien, ou quand i l retrouvera
quelques .phrafes de la fimplicité des premières par
où i l aura débuté , & fur lefquelles i l pourra
^fa y e r les élèves en leur en faffant faire i ’analyfe
les premiers , après leur en avoir préparé les
m o y e n s par la conftruérion.
C eft ici comme le fécond degré par où il doit
les conduire , quand ils ont acquis une certaine
force. Il doit leur faire la conftruétion analytique,
1 explication littérale , & la verfion exaéte du texte j
puis, quand ils ont répété le tout, exiger qu’ils
rendent deux-mêmes les raifons analytiques de
chaque mot : ils héfiteront quelquefois ,; mais
bien tôt ils trouveront peu de difficulté , à moins
quils ne rencontrent quelques cas extraordinaires;
& je réponds hardiment que le nombre de ceux
que l ’analyfe ne peut expliquer eft très-petit.
Les e lev es , fortifiés par ce fécond degré, pourront
paffer- au troifième , qui confifte à préparer
eux-memes le to u t ., pour faire feuls , ce que le
maître faifoit au commencement , l ’analyîe , la
conftruétion , l ’explication litté ra le , & la verfion
exaéte. Mais ici ils auroient befoin , pour marcher
plus sûrement, d’un Dictionnaire latin-fran-
ç o is , qui leur préfentât uniquement le fens propre
de chaque mot , ou qui ne leur afïignât aucun
fens figuré'fans en avertir & fans en expliquer
l ’origine & le fondement. Ce t ouvrage n’exifte
pas , & i l feroit néceflaire à l ’exécution entière
des vues que 1 on propofe ici ; l ’ e-ntreprife en
eft d autant plus digne de l ’attention «des bons
citoyens, qu’i l ne peut qu’ être très-utile à toutes
les Méthodes : i l feroit bon qu’on y aflïgnâc les
radicaux latins des dérivés & des compofës ; le fèns
propre en eft plus fenfible.
Exercés quelque temps de cette manière , les
jeunes gens arriveront aù point de -ne plus faire
que la conftruétion pour expliquer littéralement
& traduire enfuite avec correction, fans analyfer
préalablement les phrafes. A lors ils feront au niveau
de la marche ordinaire : mais quelle différence
entre eu x , & les enfants qui fuivent la M e-
thode vulgaire i Sans entrer dans aucun détail
analytique , ils verront pourtant la raifon de tou t,
par l ’habitude qu’ils auront contractée de ne rien
entendre que par raifon : certains tours, qui font
effenciellement pour les autres des difficultés très-
grandes & quelquefois infolubles, ou ne les arrêteront
point du to u t , ou ne les arrêteront que i ’inf-
tant qu’i l leur faudra pour les analyfer : tout ce
qu’ils expliqueront, ils le fauront bien , & c’eft
ici le grand avantage qu’ils auront fur les autres|
pour qui i l refte toujours mille obfcuritës dans
les textes qu’ils ont expliqués le plus foigneufe-
ment ; & des obfcurités d’autant plus invincibles
& plus nuifibles, qu’on n’en a pas même le foup-
Çon : a jou te z -y , que déformais ils iront plus vite
que l ’on ne peut aller par l t route ordinaire ,
& que par çonféquent ils regagneront en célérité
ce qu’ ils paroiflent perdre dans les commencements
; ce qui affûre à la Méthode analytique la
fupérïorité la plus décidée, puifqu’elle donne aux
progrès des élèves une folidité qui ne peut fe
trouver dans la Méthode vu lg a ire , fans rien perdre
W
eu effet des avantages que l ’on peut fuppofer à
ce lle-ci. •
Je ne voudrois pourtant pas q u e , pour le prétendu
avantage de faire voir bien des chofes aux
jeunes g en s , on abandonnât tout â coup 1 ana-
ly fe pour ne plus y revenir : i l convient, je crois,
de les y exercer encore pendant quelque temps
de fois â autre,, en réduifant, par e x em p le , cet
exercice à une fois par femaine dans les commencements,
puis infenfiblement à une feule ^fois par
quinzaine , par mois, & c , jufqu’à ce que 1 on fente
que l ’on peut eflayer de faire traduire correctement
du premier coup £i%r la fimple leôture du
texte. C ’eft le dernier point où 1 on amènera fes
difciples , & où i l ne s’agira plus que de les arrêter
un p e u , pour leur procurer la facilité te -
q u ife , & les difpofer â faifir enfuite les obfer-
vations qui peuvent être d’un autre _ reffort que
de celui de l a Grammaire , & dont je dois, par
cette raifon, m’abftenir de parler ici.
Je ne dois pas davantage examiner quels font les
auteurs que l ’on doit lire par préférence, ni dans
quel ordre i l convient de les voir : c’eft un point
déjà examiné & décidé par plufieurs bons littérateurs
, après lefquels mon avis feroit fuperflu; &
d’ailleurs ceci n’appartient pas à la Méthode mé-
chanique d’étudier ou d’enfeigner les langues, qui
eft le feul objet de cet article. U n’en eft pas de
même des vues propofées par M. du Marfais & par
M. P lu ch e , lefquelles ont directement trait à ce
méchanifmë.
• L a Méthode de M. du Marfais a deux parties ,
qu’ i l appelle la Routin e & la Ra ifon . Par la routine
i l aprend à fon difciple la lignification des
mots tout Amplement ; i l leur met fous les ieux
la conftruétion analytique toute faite avec les fup-
pléments des ellipfes$ i l met au dêflous la traduction
littérale de chaque m o t , qu’i l appelle Traduction.
interlinéaire : tout cela eft fur la page à
d r o i t e & fur ce lle qui eft â g auche, on voit en
haut le texte tel qu’ i l eft. forti des mains de l ’auteur
, & au deflous la traduction exaéte de ce texte.
I l ne rend dans tout ceci aucune raifom grammaticale
à fon difciple , i l ne l ’a pas même
préparé à s’en douter : s’i l rencontre cpnfilio -, i l
apprend, qu’i l fignifie co n fe il, mais i l ne s’attend
m ne peut s’attendre qu’i l trouvera quelque jour
la même idée rendue par confilium , ponfilii^ con-
Jzlia , confilionim , co n filiis : c’ eft la même chofe.
a 1 égard des autres mots déclinables. L ’auteur veut
que ro n mène ainfi fon élève , jufqu’à ce que , frapé
lui-même de la diverfité des terminaifons des mêmes
mots-' qu’i l aura rencontrés & des diverfes fîgnifixations
qui gu auront été les fuites , i l force le
maître,.par fes queftions", à lui révéler le my itère des
deçlinaifons , des conjugaifons , de la Syntaxe , qu’i l
ne lui a^encore fait connoître que par inftinét. C ’eft
aj.prs qu a lieu la féconde partie de la Méthode qu’il
nomme la raifon , & qui rentre à peu près dans
J. eü xit de celle que j’ai expofée, A in fi, nous ne dif-
f &RAMM. ET LlTTÉRAT. Tome I lK
férons M. du Mariais & moi , que par la routine,
dont i l regarde l ’exercice comme indifpenfablement
préliminaire aux procédés raifonnés par lefquels
je débute.
Cette différence vient premièrement de ce que
M. du Marfais penfe q u e , dans les enfants, l ’o rgane,
pour ainfi dire , de la raifon , n’eft pas plus proportionné
pour fuivre les raifonnements de la Méthode
analytique , que ne le font leurs bras pour
élever certains fardeaux : ce font à peu près fes termes
( Méth. p. n ) q u an d .il parle de la M éthode
ordinaire, mais qui ne peuvent plus être appliqués
à la Méthode analytique préparée félon
les vues & par les moyens que j’ai détaillés. Je ne
préfente aux enfants aucun principe qui tienne à
des idées qu’ils n’ont pas encore acquifes ; mais
je leur expofe en ordre toutes celles dont je prévois
pour eux le befoin , fans attendre qu’elles
naiffent fortuitement dans leur efprit à l ’occafion
des fecoufles, fi je peux le dire, d’un inftinét aveug
le : ce qu’ils connoiflent par l’ufage non raifonne
de leur langue maternelle me fuffit pour fonder
tout l ’édifice de leur inftruétion ; & en partant
de là , le premier pas que je leur fais fa ire , en les
menant comme par la main, tend déjà au point le
plus é le v é , mais par une rampe douce & infen-
fib le, te lle qu’e lle eft néceffaire à la foiblefle
de leur âge. M- du Marfais veut encore qu’ils
aquièrent un certain ufage non raifonne de la
langue latin e , & i l veut qu’on les retienne dans
cet exercice aveugle , ju fq u ’à ce qu’i ls reconnoif-
fe n t le f e n s d ’un mot à f a terminaifon ( pag. 32 ),
I l me femble que c’eft les faire marcher lon g
temps autour de la montagne dont on veut leur
faire atteindre le fommet , avant de leur faire faire
un pas qui les y conduite ; & , pour parler fans-
allégorie , c’eft accoutumer leur efprit à procéder
fans raifon*
A u refte , je ne défapprouverois pas que l ’on
cherchât à mettre dans la tête des enfants bon nombre
de mots la tin s, 8c par çonféquent les idées qui y
font attachées ; mais ce ne doit être que par une
fimple nomenclature , te lle à peu près qu’eft lT;z-
■ diculus unïverfalis du pçre Pomey , ou te lle
autre dont on s’av iferoit, pourvu que la propriété
des termes y fût bien obfervée. Mais, je le
répète , je ne, crois les explications non rai-
fonnées des phrafes , bonnes qu’à abâtardir l ’efprit ;
8c ceux qui croient les enfants incapables de rai-
fonneir , doivent pour cela meme.fes faire raifonner
beaucoup , parce qu’i l ne manque en effet que dé
l ’exçrcice | la faculté de raifonner qu’ils ont eflen-
cieilêment & qu’011 ne peut leur coutelier. Le s
fuccès de ceux qui réufliflent dans lacompofition des
thèmes , en font une preuve prefque prqdjgieufe.
C ’eft p rincipalement pour les forcer à faire ulàge
de leur raifon , que je ne voudrois pas qu’on leur
mît fous les ieux , n i la conftniétion an aly tiqu e,
ni la îraduâion littérale ; ils doivent trouver tout
cela ea raifonnaat : mais s’i l eft dans leurs mains y
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