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qui tourmente Iq , à la faire pafler d’un climat
oans un aulre ; ni s’i l eft poflible que les dragons.
d’Armide traverfent en un inftant les airs. Leur
vitefTe n’a d’autre règ le que la penfée qui les fuit.
Q u in a u lt , en formant le projet de réunir tous
les moyens d’enchanter les ieux 5c l ’o reille, fentit
donc bien qu’i l devoit prendre fes fujets dans le
fyftême de la F a b le , ou dans celui de la Magie.
P a r la i l rçndit fon théâtre fécond en prodiges ; il
fe facilita le paffagç de la terre aux deux , des deux
aux enfers ; le fournit la nature 8c la fiâion , ouvrit
à la Tragédie la carrière de l ’Épopée, 8c réunit les
avantages de l ’un 8c de l ’autre Poème en un
feul.
Je ne dis pas que le Poème lyrique ait toute
la liberté de l ’Épopée : il* eft géné par l ’unité
du temps. Mais tout ce q u i , dans’ le temps donné ,
fe pafferoit avec vraifemblance félon le fyftême
du merveilleux, fe paffe en action fur le théâtre.
D u re fte , pour juger du genre qu’a pris notre
poète , i l ne faut pas fe borner à ce qu’i l a fait:
aucun des arts qui dévoient le féconder , n’étoit au
même degré que le lien ; i l a été obligé de'remplir
fou v en t, avec de froids épifodes , un temps qu’i l
eut mieux employé s’i l avoit eu plus de fecours.
I l ne faut pas même le juger te l que nous le
voyons au théâtre ; 8c fans parler de l a Mufîqüe,
.il feroit ridicule de borner l ’idée <ju*on doit avoir
du fp e â a c le de P e r fée 8c de Phaeton , à ce qu’on
peut exécuter dans un efpace aufli étroit 8c avec
aufli peu de moyens. Mais qu’on fuppofe la Mufîque,
la D an fe, la décoration , les machines , le talent des
auteurs, foit pour le chant foit pour l ’action, au même
degré que la partie eflencielle des poeiribs d'A t y s ,
de The'fêe, 8c d’Armide ; ou aura l ’idée de ce fpec-
tacle tel que je le conçois , 5c te l qu’i l devoit être,
pour remplir l ’idée 8c l’ intention de Quinault.
Depuis ce poète , on a fuivi fes traces ; 8c le
poème de Tanerède , celui de Jephté, celui de D a r -
danns , celui même d*IJp£’> quoique pa ftora l, .peu»
vent être cités après'les fiens, mais à une grande dif-
tance : je ne vois que Çajlor & Pollua; qui fe fou*»
tienne par fa richeffe, à côté des poèmes de Qui-?
-haute.
O a a imaginé, depuis , un genre d’Opéra plus
fa c i le , 8c qui plaît furtout par fa variété : ce font
des aétes détachés 8c réunis fous un titre commun,
L a Motte en a été l ’inventeur. U Europe galante
en fut l ’efla i, 8c mérita d’en être l e rmodèIe. L ’a^
vantage de ces petits poèmes lyriques eft de n’exif
er qu’une aéfcion. très-fîmple, qui donne un ta-
leau , qui amène une fête , 8c q u i , par, le peu
d’efpace qu’e lle occupe , permet de raffemblen dans
un même fpeâracle trois Opéra de genres différents.
L ’a â e de Coronif , celui de Pigm a lion , celui
de Z é lin d o r , font remarquables dans, ce genre. O n
peut citer aufli comme modèles, l’a â e ’de la V û e
dans le ballet des Sens , 8c prefque tout le ballet
çbpix- des fujets., fous. ces petits
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Opéra , fe décide par les mêmes qualités que dans
les grands : des tableaux, des fentiments, des images.
C ’eft là que feroient infoutenables les déta ils, qui
ne font pas faits pour le chant. Les épifodes fur-
tout n’y doivent jamais avoir lieu. Mais le plus
petit tableau doit avoir un certain mélange d’ombre
8c de lumière ; l ’intrigue la plus fîmpie a fes
gradations} les détails, même ont des nuances qui
les font valoir l ’un' par l ’autre ; 8c en petit comme
en grand , i l faut concilier, pour plaire , l ’enfemblé
8c la variété.
L ’Opéra ne s’eft pas borné aux fa jets tragiques
8c merveilleux. L a galanterie n o b le, la paâorale#,
la bergerie, le comique , le bouffon même font
embellis par la Mufîque , 8c chacun de ces genres
a fes agréments. Mais l ’on fent bien qu’ils ne font
faits que pour occuper un inftant la fcène. Les,plus
, animés font les plus favorables : le comique fur-
' to u t , par fes mouvements , fes faillies , les traits
naïfs , fes peintures vivantes, donne à la Mufîque
un jeu 8c un effor que les Italiens nous ont fait
connoître , 8c dont, avant la Serva Padrona , l ’on
ne fe doutoit point en France. Mais les arts con-
noiffent-ils la différence des climats ? leur patrie eft
partout où- l ’on fait les goûter. Les beautés de
YOpéra italien feront celles du nôtre quand i l nous
plaira. D é jà , dans le comique , nous avons réuflî :
en élevant ce genre au- déffus du bouffon , nous en
avons étendu la fphère. I l dépend de nous , en donnant
à Quinault de légères formes ly r iq u e s , de
: faire de fes beaux poèmes l ’objet de l ’émulation des
plus célèbres compofîteurs. Laiffons , aux voix brillantes
8c légères que l ’Italie admire, les ariettes q u i,
dans fesOpéra, déparent les fcènes les plus touchautes;
mais tâchons d’imiter ces accents fi v ra is , fi fenfibles,
ces accords fî fîmples 8c fî expreflîfs , ces modulations
dont le deffin eft fî pur , fi facile , 8c fî beau , enfin
ce chant q u i , pour émouvoir, n’a prefque pas befoin
d’être chanté , 8c qui , avec un clavecin 8c une voix
foible , a le pouvoir d’arracher des larmes.
C e que je demandois quand je compofai cet article,
M* Grétri dans YOpéra comique, 8c M . P iccint
) dans YOpé ra, nous ont appris à l ’exécuter. )
Mais gardons-nous de renoncer à ce beau genre
de Quinault : encourageons les jeunes poètes â l ’accommoder
au goût d’une Mufîque qui lui fut inconnue
, 8c dont i l eft fi digne } 8c n’allons pas croire
q u e , dans ce nouveau genre , le réc ita tif, quelque
bien fait qu’i l foit 8c de quelque harmonie que
fon expreflîon foit foutenue , ait feul affez d’attraits
8c affez de charmes pour nous. L a période
muficale , le chant mélodieux , defïlné , arrondi,
décrivant fon cercle avec grâce , l ’air enfin une
fois connu , fera, partout 8c dans tous les temps ,
les délices de l ’oreille ; 8c jamais des phrafes tronquées
, des mouvements rompus , des deflîns avortés
, en un mot, un chant mutilé ne fatisfera pleinement.
Les italiens le difent , 8c l ’on doit les en
croire : l'excellence de la Mufîque çft dans le
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chant, & la mélodie en eft l ’âme. V oye\ A ir ,
Chant L yrique , Récitatif , &c. ( M . M o r m
o n t e l . )
U Opéra eft un fpeâracle dramatique 8c lyrique ,
où l ’on s ’efforce de réunir tous les charmes des
beaux-arts , dans la repfélentation d’une aâriô'n pafi
fionnée , pour exciter, à l ’aide des fenfations agréables
, l ’intérêt 8c l ’illufion. Les parties eonftitu-
tives d’un Opéra font le Poème , la Mufîque , 8c
la Décoration. P a r la Poéfie , on parlé â le fp r it ;
par la Mufîque, on parle à l ’oreille } par la Peinture
, aux ieüx : 8c le tout doit fe ' réunir pour
émouvoir le coeur 8c y porter à la fois la même
impreflïon par divers organes. D e ces trois parties,
nipnfujet ne me permet de confidérer la première 8c
la dernière que par le raport qu’elles peuvent
avoir avec la fécondé } ainfi , je paffe immédiatement
à celle-ci.
L ’art de combiner agréablement les fons peut
être-envifagé fous deux afpéâs très - différents. Con-
fidérée comme une inftitution de la nature, la Mufîque
borne fon effet à la fenfation 8c au plaifîr phy-
fîque qui refaite de la mélodie , de l ’harmonie , 8c
du rhythme : te lle êft ordinairement la Mufîque
d’é g life } tels font le's airs à danfer 8c ceux des chan-
fons. Mais comme partie eflencielle dé la fcène
lyrique , dont l ’objet principal eft l ’imita tion, la
Mufîque devient un des beaux-arts , capable de
peindre tous les tableaux , d’éxciter tous les fentiments
, de lutter avec la P o é fîe , de lui donner
une force n o u v e lle , de l ’embellir de nouveaux
charmes , 8c d’en triompher en la couronnant.
Les fons de la voix parlante n’étant ni foutenus,.
ni harmoniques, font inappréciables , 8c ne peuvent
par conféquent s’a llier agréablement avec ceux de
la voix- chantante 8c des inftrumenls-, au moins
dans nos langues , trop éloignées du caractère niafi-
c a l } car on ne fauroit entendre les paflages des
grecs fur leur manière de réciter , qu’en fuppofant
leur langue tellement accentuée , que les inflexions
du difeours, dans la déclamation foutenue , formaf-
fent entre elles des intervalles mufîcaux 8c appréciables
: ainfi , Io n peut dire que leurs pièces de
théâtre étaient des efpèces YOpéra , 8c c’eft pour
cela même qu’i l ne pouvoit y avoir YOpéra proprement
d it, parmi eux.
Par la difficulté d’unir le^chant au difeours dans
nos langues , i l eft aifé de fentir que l ’intervention
de la Mufîque , comme partie eflencielle , doit
donner au Poème lyrique un caractère différent de
qelui de la Tragédie 8c de la Comédie , 8c en faire
une troifième efpèce de drame qui a fes règles
particulières : mais ces différences ne peuvent fe
déterminer fans une parfaite connoiffance de la
partie ajoutée , des moyens de l ’unir ù la pa role,
8c de fes relations naturelles avec le coeur humain ;
détails qui appartiennent moins à l ’artifte qu’au
philofophe , 8c qu’i l faut laifler â une plume faite
pour éclairer tous, les arts, pour montrer à ceux qui
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les profeflent les principes de leurs règ le s , 8c aux
hommes de goût les fources de leurs plaifîrs.
En me bornant donc , fur ce fuje t, à quelques
obfervatioiis plus hiftoriques que raifonnées , je remarquerai
d abord que les grecs n’avoient pas au
théâtre un genre ly r iq u e , ainfi que nous , 8c que
ce qu’ils appeloient dé ce nom ne reflembloit
point au nôtre. Comrrié ils avoient beaucoup d’accents
dans leur langue 8c peu de fracas dans leurs
concerts, toute leur Poéfîe étoit muficale, 8c toute
leur Mufîque, déclamatoire: de forte que leur chant
n’étoit prefque qu’un difeours foutenu , & qu iis
chantoient rééllenvenr leurs vers , comme ils l ’annoncent
â la tête de leurs poèmes ; ce qui , par
i imitation, a donné aux latins , 'puis à nous , le
ridicule ufage dé dire j e ch an te , quand on ne
chanté point. Quant à ce qu'ils appeloient genre
lyrique en particulier , c’étoit une poéfie héroïque,
dont le ftyle étoit pompeux 8c figuré, laque lle s’ac-
compagnoit de la ly re ou cytliare, préférablement
à tout autre inftrument. I l eft certain que les tragédies
grèqüçs fe^ récitaient d’une manière tres-
femblableau chant, q u e lle s s’accompagnoient d’inf-
truments , 8ç qu’i l y entroit des choeurs. .
Mais fi l ’on veut pour cela que ce fuffent des
Opéra femblables aux nôtres, i l faut donc imaginer
des Opéra fans airs : car i l meparoît prouvé que
la Mufîque grèque , fans en excepter même l ’ inftru-
mentale, n étoit qu’un véritable récitatif. I l eft
i vrai que ce réc itatif, qui réunifloit le charme des
fons mufîcaux à toute l ’harrnonie de la Poéfîe 8c a
toute la force de la Déclamation, devoit avoir beaucoup
plus d’énergie que le récitatif moderne , qui
ne peut guèfes ménager un de ces avantagés qu’aux
dépens des autres. Dans nos langues vivantes, qui
fe reffentént pour la plupart de la rudefle du
climat dont elles font originaires, Fapplication
de la Mufiqùe à la parole eft beaucoup moins naturelle.
Une Profodie incertaine s’accorde avec la
régularité de la mefure ; des fyllabes muettes 8c
lourdes, des articulations dures, des fons plus éc latants
8c moins variés, fe prêtent difficilement à la,,
mélodie ; 8c une P o é fie , cadencée uniquement par le
nombre des fyllabes, prendune harmonie peu fenfible
dans l e rhythme mufîcal, 8c s’oppofe fans celle à
la diverfité des valeurs 8c des mouvements. V o ilà
des difficultés qu’i l fallut vaincre ou éluder dans
l ’invention du Poème lyrique. O n tâcha donc , par
un choix de mots , de tours, 8c de vers , de fe faire
une langue propre; 8c cette lan gu e , qu’ on appela
lyr iq ue, fut riche ou pauvre , à proportion de la
douceur ou de la rndeffe de ce lle dont elle étoit
tirée.
A y a n t , en quelque forte, préparé la parole pour
la Mufîqué , i l fut enfuite queftion d’appliquer la
, Mufîque à la parole , 8c de la lui rendre te lle ment
propre fur la fcène lyrique , que le tout pût
être pris pour un feul 8c même idiome : ce qui
produ-ifit la nèceJfité de chanter toujours, pour