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» aime le fafte & l'excès en toutes chofes ; la
» Langue italienne eft une coquette , toujours
$ » parée & toujours fardée, qui ne cherche qu’à
» plaire , & qui fe plaît beaucoup à la b agatelle ;
» la Langue francoife eft une prude , mais une
- » prude agréable , q u i , toute fage & toute modefte
»> q u e lle eft , n’a rien de rude ni de farouche ».
< Les, caractères diftinCtifs du génie de chacune de
ces trois Langue s font1 bien rendus, dans cette allégorie
; mais je crois qu’elle pèche en ce qu’elle
confidère ces trois Langues comme des foeurs, filles
; de la Langue latine. « Quand .on obferve , dit eir-
» core 1 abbe Girard ( ibid.pag. 27 le prodigieux
» eloignement qu’i l y a du génie de cés Langues
» à celui du latin ; quand on fait attention que
» l ’étymologie prouve feulement les emprunts
» & non l ’origine ; quand on fait que les peuples
» fubjugués avoient leurs L a n g u e s ; . . lorfqu’ enfin
» on voit aujourdhui de lès-propres ieux ces
» Langue s vivantes ornéés-d’un article >-qu'elles
» n ont pu prendre de* la latine où- i l n’y en eut
» jamais , & diamétralement opolees aux conftruc-
» tioils tranfpofîtives & aux inflexions dès cas or-
» dinaires à celle-ci : on. ne (aurait, à caiife de
» quelques mots empruntés, dire qu’elles en font
» les filles j ou i l faudrait leur donner plus d’une
» mère. L a grèque prétendrait à cet honneur ; &
» une infinité de- m ots, qui ne viennent ni du grec
» ni du latin , revçndiqueroient cette 'gloire pour
» une autre. J’avoue bien qu’elles en ont îiré .une
a» grande partie de leurs richeffes ; mais je nie
» qu’elles lui foient redevables de leur naiffance.
» Ce n’eft pas aux emprunts ni aux étymologies
» qu’i l faut s'arrêter pour connoïtre l ’origine &
» la parenté des .• Langue s ; c’èft à leur génie-'
s) en iuivant pas à pas leurs progrès & leurs chàn-
» gements. L a fortune des nouveaux mots , & l'a
» facilite avec laquelle ceux d’une Langue pafferft
® dans l ’autre, furtout quand le s peuples fe mêléhty
a) donneront toujours le change fur ce fujet ; au lieu
» que le génie indépendant des organes, parcorf-
» féquent moins fufceptibfe d’altération & de charr-
» gement , fe maintient au milieu de l ’ inConftahcé
» des mots , & conferve à la Langue le véritable
<*> titre de fon origine ».
L e même académicien , parlant encore un peu
plus b a s se s prétendues filles du la t in , ajoute-avec
•autant d’élégance que de vérité : « On ne peut
>> regarder comme un aCte de légitimation le p ib
» la g e que .des Langues étrangères y ont f a i t , ni
» fcs dépouillés^ comme un héritage maternel. S’i l
» fa ffit, pour 1 honneur de ce rang ( l e rang de
L a n g u e mere ) , de ne devoir point à d’autre fà
» naiffance , & de montrer Ion établiffement dès le
» berceau du monde; i l n’ y aura p lu s , dans notre
» fyftême de la création, qu’une feule Ldngtie
» mère : & qui fera affez téméraire pour ofer gra-
» tifier de cette antiquité une des Langues'' que :
» nousconnoiffons ? Si cet avantage dépend ùni-
m quement de remonter juifqu’à la confuüoà dé
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» Bab el, qui produira des titres authentiques Ss
» décififs pour conftater la préférence ou l’ exclu-
» - fion l Qu i eft capable de mettre dans une jufte
» balance toutes les Langues de l ’univers ? à peine
» les plus lavants en connoiffent cinq ou fix. O ù
» prendre enfin des témoignages non récufables ni
» îufpeCts , & des preuves bien folides que les
» premiers langages qui fuivirent immédiatement
» le déluge , Furent ceux qu’ont parlés dans la
» fuite les ju ifs , les grecs, les romains , ou quel-
» ques-uns de ceux que parlent encore les hommes
» de notre fiècle » î,
V o ilà , fi je ne me trompe , les vrais principes
qui doivent nous diriger dans l ’examen de la génération
des Langues ÿ ils font fondés daps la nature
du-langage & des voies que le Créateur ldi-
même nous a fuggérées pour la manifeftation extérieure
de nos penfées.
Nous avons vu plufieurs ordres de mots , amenés
néceffairement dans tous les idiomes par des eaufes
naturelles, dont l ’influence eft antérieure & fupé-
rieure à nos raifonnements, à nos conventions , à
nos caprices ; nous avons remarqué qu’i l peut y
avoir dans toutes les L a n g u e s , ou du moins dans
plufieurs, une certaine quantité de mots analogues
pu femblables , que des eaufes communes quoiqu’ac-
cidentelles, y auraient établis depuis la naiflançe
de ces idiomes différents : donc l ’analogie des mots
ne peut pas être une preuve fuffifante de la filiation«
des Langues , à moins qu’on ne veuille dire que
toutes les Langues modernes de l ’Europe fontref-
peCtivement filles & mères les unes des^autres ,
puifqu’elles font continuellement occupées à groffir
leur vocabulaire par des échanges fans fin , que
la communication des idées ou des vues nouvelles
rend indifpenfàbles. L ’analogie des mots entre deux
Langues ne prouve que cette communication ,
quand ils ne font pas de la claffe des mots naturels.
C ’eft donc à l a manière ,d’employer les mots
qu’i l faut recourir , pour reconnoître l ’identité ou
la différence du génie des-Langues , & pour ftatuer
fi elles ont quelque affinité ou fi elles n’en ont
point. Si elles en ont à cet égard, je çonfens alors
que l ’analogie des mots confirme la filiation de
ces idiomes, & que l ’un foit regardé comme L a n g u e .
mère à l ’égard de l ’autre , aînfi qu’on le remarque
dans la langue ruffienne , dans la polonoife , &
dans l ’illyrienne à l ’égard de l ’efclâvonne , dont i l
eft fenfible qu’elles tirent leur origine. Mais s’i l n’y
a entre deux Langues d’autre liaifon que celle qui
naît de l ’analogie dés mots , fans aucune reffemblance
de g én ie , elles font étrangères l ’une à l ’autre : telles
font la Langue efpagnole, l ’italienne, 8c la françoifë
à l’égard du latin .Si nous tenons du latin un grand-
nombre de mots; nous n’en tenons pas.notre fyntaxe ,
notre conftruCtion, notre Grammaire , notre article.
le , l a , le s , nos verbes auxiliaires , l ’ indéclinabiljté ■
dé nos noms , l ’ufage des pronoms perfonnels dans
la conjugaifon, une multitude de temps différencié*
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«tans nos conjugaifons 8c confondus dans les con»
jugaifons latines ; nos procédés fe font trouvés inalT
liables avec les gérondifs, avec les ufages que les
romains faifoient de l ’infinitif, avec leurs inverfions
arbitraires , avec leurs ellipfes accumulées , avec
leurs périodes interminables.
. Mais fi la filiation des Langue s fuppofe, dans
ce lle qui eft dérivée, la même fyntaxe., la meme
conftruCtion, en un m o t , le même génie que dans
la Langue matrice , & une analogie marquée entre
le s termes de l ’une & de l ’autre; comment peut
fe faire la génération des Langue s , 8c qu entend-pn
par une Langue nouvelle ? | H H 8 j i
« Quelques-uns ont penfé dit M. de Grandval
» dans fon D ifco u r s hijlorique déjà cite , quon
» pouveit l ’apeler ainfi quand e lle avoir éprouvé
» un changement/confidérable; de forte que , félon
». eu x, la Langue du temps de François 1 doit
» être regardée comme nouvelle par raport au
» temps de faint-Louis & c ; de même ce lle que nous
» parlons aujourdhui ■ par raport au temps de
.» François I , quoiqu’on reconnoiffe dans ces diver-
y» fes époques ‘un même fond de langage , foit pour
» les mots, foit pour la conftruCtion des phrafes.
» Dans ce fentiment , i l n’eft point d’idiome qui
» ne foit devenu fucceffivement nouveau , ^ étant
» comparé à lui ■? même dans fes âges differents,
» D ’autres qualifient feulement de Langue nou-
» v e l le , ce lle dont la forme ancienne n’eft plus
» intelligible : mais cela demandé encore une ex-
implication; car.les perfonnes peu familiarifées avec
» leur ancienne Langue ne l ’entendent point du
» to u t , tandis que ceux qui, en ont quelque ha-
» bitude l ’entendent très-bien, & y découvrent fa-
» cileipent tous les germes de leur langage mo-
» derne. Ce n’eft donc ici qu’une queftion de nom,
» mais qu’i l falloit remarquer pour, fixer les idées.
» Je dis à mon tour qu’une Langue eft la meme ,
>x malgré fes variations , tant qu’on peut fuivre
» fès traces, & qu’on trouve dans fon origine une
» grande partie de fes mots aéfuels, & les prin-
» cipaux points de fa Grammaire. Que je life les
» lois des douze tables , Enhius , ou Cicéron ;
» quelque différent que foit leur lan g a g e , neft-ce
» pas toujours le latin ? Autrement i l faudrait dire
» qu’un homme fait n’eft p^s la même .perfonne
» qu’i l étoit dans fon enfance. J’ajoute qu’une
» Langue eft véritablement la mère ou la iource
» d’une autre , quand c’eft elle qui lui. a donné
» l e premier être, que la dérivation s’en eft faite
» par la fuçceffion de temps , 8c que les ehan-
gements qui y font arrivés p’omt' pas effacé tous
» les anciens veftiges ».
.Ce s changements, lucceffifs, qui transforment in-
fenfiblement une Langue en une autre , tiennent
à une infinité de caiifes dont chacune n’a qu’un effet,
imperceplibl.e,; mais la fomme dé ces -effets ,.groffis
avec le temps & accumulés, à la lo n gu e , produit
■ enfin une différence qui cara&érife deux Langues
fur .un même fonds.. L’ançienne & la modernç font
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également analogues ou également tranfpofîtives ;
mais en cela même elles peuvent avoir quelque
différence. .
S i la conftru&ion analogue eft leur caractère
commun; la ' Langue moderne, par imitation du
langage tranfpofitif des peuples qui auront concouru
à fa formation par leurs liaifo,ns de voifi-
nage,, de .commerce , de relig ion , de politique ,
de conquête, &c , pourra avoir adopte quelques
libertés à cet égard ; elle fe permettra quelques
inverfions q u i, dans l’ancien id iome, auroient été
des barbarifmes. Si plufieurs Langues^ font dérivées
d’une même; elles peuvent être nuancées en quelque
forte par l ’altération plus ou moins^ grande du génie
primitif : ainfi , notre François , 1 anglois , 1 e f -
p a gn o l, & l ’italien , qui paroiffent defeendre du
celtique & en- avoir pris la marche analytique ,
s’en ecartent pourtant avec.des degres progreffifs
de liberté dans le même ordre que je viens de
nommer ces idiomes. L e françois eft le moins
, hardi & le plus rapproché du langage originel ;
les inverfions y font plus rares, moins compliquées,
moins hardies : l ’anglois fe permet plus d écarts
de cette forte : l ’efpagnol en a de plus hardis : 1 i-
talien ne fe refufe en quelque manière.que ce que
la conftriiétion de fes noms 8c de fes^ verbes, combinée
avec le befoin indifpenfable d etre entendu ,
ne lui a pas permis de recevoir. Ces différences
ont leurs, eaufes^ comme tout le refte ; & elles tiennent
à la diverfité des relations qu a, eues chaque
peuple avec ceux dpnt le langage a pu operer ces
•changements. # . . , ,
Si au contraire la Langue primitive & la dérivée
font conftituées • de manière a devoir fuivre
une marche tranfpofitive ; la Langue moderne ■
pourra a v o ir , contracté quelque choie de la contrainte
du langage analogue- des nations chez qui
e lle aura puifé les altérations fucceffives, auxquelles
elle doit fa naiffance & fa conftitution. C eft ainfi
fans doute , que la Langue allemande , originairement
libre dans fes difpofitions, s eft enfin fou-
rnife à .toute la contrainte des Langues de 1 Europe
, au milieu defquelles e lle eft établie ; puifque
toutes les inverfions font décidées dans cet idiome,
au point qu’une autre q u i, par elle-meme , ne ferait
pas plus obfcure ou le fer oit peut-être moins ,
y eft' proferite par l ’ufage , comme vicieufe 8c
barbare. ,, .
Dans l ’un 8c dans l ’autre Cas , la différence la
plus marquée entre l'idiome ancien & le moderne ,
conftfte toujours dans les mots : quelques-uns des
anciens mots font ab o lis , Verborum vêtus intenc
ce tas ( 4 rt. poét. 6 ï . ) ; parce que le hafard des
circonftances en montre d’autres , chez d autres
peuples , qui paroiffent plus énêrgiqtfes ; ou que.
l ’oreille nationale , en fe perfectionnant corrige-
l ’ancienne prononciation au point de défigurer le
mot pour lu i procurer plus d’harmonie : de nou-.
veaux mots font introduits , & juvenum ritu flo r en l
modo n a ta , vigthtque ( ibid. é ^ ) .j parce que d^