
lières du Ton même , & par les degrés de grave
& d’aigu : or ces modifications dévoient être très-
fenfîbles, pour être aifément reconnues 3 les Tons
dévoient donc être lents & prolongés, avec des
intonations très - marquées. Ces cara&ères durent
Ce conferver dans le langage , lorfque le progrès
naturel des chofes y introduifit des fons articulés 5
•& l ’on fent par là comment les premières Langues
ont dû être muficales.
Les premiers mots ne furent compofës que de
voyelles ; & les fons les plus naturels , comme les
plus fenfibles,. durent y dominer. Ainfi, dans les
L a n g u e s encore fauvages, les A & les O font
plus nombreux que les autres voyelles. Cela fe
remarque, d’une manière frapante , dans les dia-
leétes des Iles nombreufes , nouvellement découvertes
dans la mer du fud. Cela eft frapant encore
dans la Langue bafque, l ’un des monuments
les plus curieux de l ’antiquité. Voyez plus bas
l ’article L angue des Cantàbres*
III. C ’eft un des plus beaux ouvrages de l ’Induftrie
humaine, que la parole. I l s’en faut beaucoup que
.l'homme forme naturellement des fons .articulés,
comme on l ’a cru. On peut en juger par les efforts
que font obligés de faire les fourds & muets de
n ai {Tance ,. lorfqu’on leur apprend à parler.
L ’art de la parole s’étendant & fe perfectionnant
par degrés , on eut bientôt épuifé la çom-
binaifon des fons fimples ; & il fallut, pour former
de nouveaux lignes vocaux, trouver quelques
moyens de varier ces combinaifons.
Les accents & les articulations offrirent deux
iources fécondes de combinaifons. I l feroit alTez
naturel de croire que les accents ont précédé les
articulations 3 car il paroît plus vraifemblable
•que l ’on chercha à varier les intonations par
les accents divers, avant de trouver les articulations
, qui font un effort des organes de la
parole.
On fait que dans la Langue chinoi-fe, qui eft in-
conteftablement très - ancienne , un même monosyllabe
exprime différences chofes fuivant l’accent
dont i l eft affrété 3 & ces monofyllabes font en
grand nombre. Dans les diale&es fauvages de l’Amérique
, les mêmes mots prennent au fil différentes
acceptions par la variété des accents.
IV. Les premières articulations qui fervirent à varier
les fons pour en multiplier les combinaifons „ furent
celles de la gorge. Ce font les plus naturelles ,
& vraifemblablement les plus faciles à exécuter *
car les cris que produifent les violentes affrétions
de douleur ou d’effroi, font accompagnés dé fortes
inflexions gutturales 3 & en examinant le méca-
nifme de l’organe de la voix , on verra que ces
inflexions , s’opérant par une modification de l’ extrémité
de la flûte vocale , ont du fe produire
les premières : fi l’on obferve les faits, on verra
que les Langues fauvages font pleines de fortes
aspirations > o’autaat plus variées, que la Langue
eft plus fimple. C e lle dès Hottentots , la pluô
groflière & la plus imparfaite- que l ’on connoi'ffe s„
n’a , dit-on , que très-peu d’articulations fenfibles
& n offre d’abord à l ’oreille que des fons modifiés
par des inflexions gutturales. L a La n g u e des
Hurons, qui paffe pour la plus fimple de toutes
celles de 1 Amérique feptentrionale, eft remarquable
aufiî pour la variété des afpirations. Les Langues?
orientales , qui femblent avoir plus confèrvé d e
leurs anciens caraétères que nos Langues d’Europe r
en ont beaucoup anffi. L a Langue' des Bafques v
comme on le verra plus bas en a de très-marquées.
Le s plus favants hèlléniftes ont obfervé que
la Langue grèque, dans fon origine , étoit com-
pofée d’une multitude de voyelles , féparées &r
variées- par différentes inflexions gutturales, q u i, à.
mefuje que la Langue s’adoucit, furent remplacées
par des confonnes. L e digamma g rec ', dont on a>
tant parlé & fur leque l i l refte tant de chofes à
favoir , n’a fervi d’abord qu’à fuppléer à ces afpirations.
I l en eft refté encore beaucoup de marquées
par les-accents ou e fp r ïts , lefquels, en paflant dans
la L a n g u e latine, ont été fupplées p a r, des confonnes.
V . Les progrès de la fociabilïté amenant chaque
jour de nouvelles idées & de nouveaux objets è
exprimer , on aprit à varier les combinaifons de
la voix par le moyen des articulations formées
par différents mouvements des dents , de la langue ,
des lèvres- : mais quelles font les articulations-
lés plus naturelles , c’eft à dire , les plus facile s
à exécuter ? c’eft ce qui paroît plus frivole qu’i i
ne l ’eft réellement ; mais ce qui eft plus difficile^
à expliquer qu’i l ne l ’a paru à quelques Savants ^
qui ont prétendu trouver dans l ’organjfation hu--
maine les principes q ui ont préfidé à- la formations
du langage-.
I l ne refte aucun fait qui: puifTe nous conduire?
dans cette recherche ; & c’ eft quand on a moins
de faits, qu’on eft plus difpofé à faire des h yp o-
thèfes : auffi em a-t-on fait un grand nombre fur
l ’origine du langage. Ces. théories doivent être fu~
jettes à de grandes erreurs ; mais ce font du moins
des erreurs bien innocentes.
L ’auteur ingénieux de la Mécanique du L a n *
ga ge a eu raifon d’obferver , comme une chofe remarquable
q u e , dans la plupart / des Langues?
connues , 1er premières fyllabes que prononcent le s
enfants, font a b , p a p , am , ma ; de là les mots
p a p a y b a b a , marna, & d’autres mots approchants
qu’on trouve partout : i l en a conclu que
les premières confonnes que doivent articuler le s
enfants dans tous les p a y s , étoient les labiales B y
F , M , P , comme étant les plus faciles à articuler.
Malheureufement pour cette hypothèfe , i l y
a des peuples qui manquent de pTuiïeurs de ces
confonnes. Lahontan dit qu’i l employa quatre jours
entiers à d ïa y e r de faire prononcer à un hiUrOXü
5« confonnes labiales, & qu'il. ne put en venir
1 - bout ; le fauvage trouvoit qui), etoit abfurde de
fermer les lèvres pour parler.
I l y a un vocabulaire chinois , dans leque l on
trouve que f o u . , prononcé d’une certaine maniéré ,
U n ifie père , & que les enfants ne pouvant prononcer
la lettre ƒ , difent ou. I l y a loin à’ ou & de fo u
à papa. L e mot n a to u i, qui exprime la meme
chofe dans la Langue canadienne , n’y reffemble pas
davantage. . . ,
V I . O n a dit & répété que les premiers mots des
L a n g u e s ont dû être de fimples monofyllabes 3 &
scette conjecture eft fondée fur des raifons fpe-
•ciçufes. Cependant M. de la Condamine nous a
apris qu’ i l y avoit fur ies bords de l ’Amazone un
peuple qui , pour exprimer le nombre trois ,
n ’avoit que le mot poeta-ftarorincouroac. Suivant
un vocabulaire anglois de la Langue des efquimaux,
l e mot wonna'wencktuckluit fignifie beaucoup ,
.& mikkenaukmok fignifie p eu . Peut-être que cette
fin<mlarité pourroit s’expliquer de même par des
raiions métaphyfiques 3 peut-être auffi que cela n’eft
pas vrai.
V I I . On a regardé généralement les inflexions que
le s grecs & les latins ont données aux noms & aux
verbes pour exprimer différents raports, comme
-des propriétés particulières mx Langue s grèque &
latine , qui les rendoient plus parfaites , & paroif-
foient l ’ouvrage même de la plus fubtile Méta-
phyfîque. M. Smith, dans l ’excellent morceau dont
on a donné plus haut la traduction, a prétendu au
.contraire que la multiplicité des temps , dans les
.conjugaifons, .& des cas dans les déclinai fons , indi-
.quoit une Langue naiffante & formée par un
peuple ignorant & groffier 3 i l croit que ces indexions
diverfes n’ont eu pour principe que la
difficulté de former des idées générales & abftraites.
Ce tte idée peut paroître bien paradoxale : mais
avant de la rejeter , i l faut y réfléchir long
temps.
L ’artifice des déclinaifons tient peut - être à des
abftraCtions encore plus déliées que celui des* conjugal
fons; mais pourquoi trouve - t - on cet artifice
dans des Langues orientales, qui font fi anciennes ,
dans le langage des albenaquis d’Amérique , qui
eft fi pauvre, dans celui des bafques , qui eft fi ün-
gu lie r & fi ancien?
O n a cru découvrir auffi l ’origîne des conjugaifons
dans quelques inflexions des verbes grecs.
O n a dit que les grecs n’avoient fait qu’ajouter
à la fin du monofyllabe, qui exprime une aCtion
o u un fentiment , les temps du verbe eô , qui
fignifie être. Ainfi , les mots phileô , philee is 8c
p h ile e i, qui lignifient en g re c , j ’ aim e , tu aimes ,
i l aime, ne font que le mot p h i l , qui exprime
l ’amour , joint aux mots eô , eis ou e i , qui figni-
iie n t , Je fu i s , tu e s , i l e jl. On a donc voulu
-fimple nient dire: Je f u i s a im a n t, tu es a im an t}
i iç .
Au premier coup d’o e il, cette explication eft
fatisfaifantc 3 mais elle auroit de la peine a foutenxr
l ’éxamen. V o ic i quelques-unes des objections qu ou
peut y faire,
i ° . I l faudroit que les inflexions du verbe grec
e ô , qu’ on remarque au préfent de l ’indicatif de
certains verbes, Le retrouvaient auffi dans les autres
temps 3 ain fi, par exemple, les grecs difanfc
en pour exprimer j ’ étais , i l faudroit qu ils euflen«
dit phileen, & non pas éphileon, pour exprimer
j ’aimois.
z ° . Pour fuppofer que ce font les temps du
verbe eô qui ont fervi à former les conjugaifons
grèqu es, i l faut commencer par admettre que les
grecs avoient déjà conjugué ce même verbe e ô ,
c’eft à dire , qu’ils avoient déjà conçu 1 idee dé
donner différentes inflexions au mot radical du
verbe , pour lui faire exprimer les différents raports
du temps : or c’eft cette première conception qui
fait tout le merveilleux. Dès qu’on a fu conjuguer
un verbe, i l a été aifé d’ en conjuguer cent 3 &
quand les inflexions du verbe eô auroient été
enfuite appliquées à tous les temps des autres
verbes, ce qui eft bien éloigné d’être v r a i, cela
prouveroit feulement qu’on auroit fuivi la meme
forme pour la conjugaison de tous les verbes.
30. Si l ’on fait réflexion que le verbe être , exprimant
une idée très - abftraite qui fuppofe déjà
d’autres, idées abftraites & une Langue tres-avancee,
a dû être un des derniers inventés 3 on trouvera peu
vraifemblable que fes modifications ayent pu forvir
à former celles des autres verbes. O n peut auiîrer
que la plupart des peuples fauvages nont point
de mots pour exprimer cette idée abftraite : nous
avons une Grammaire & un Dictionnaire de la Langue
des galibis , & nous y trouvons que , pour exprimer
j e fu i s malade , ils difent Amplement mot
malade. C e ne feroit que par une connoiflance
exafte des Langue s fauvages qu’on pourroit efpérer
d’arriver aux véritables principes de la formation
des Langues : mais cette connoiffance eft difficile à
aquérir 3 les raports des voyageurs font trop vagues 8c
trop fufpe&s. ,
VIH. C ’eft une vue très-heureufe 8c tres-protonde
de l ’abbé de Condillac , que d’avoir confidéré les
Langue s comme des méthodes analytiques , comme
des efpèces d’Algêbre & d Arithmétique. ^
On peut en effet juger, par l ’ufage de 1 Arithmétique
pour fixer dans l ’efprit l ’idée des nombres,
de la nëceffité des Langue s pour donner de 1 éten -
d u e , de la précifion , de la clarté a fes propres
Ë f f l J . . ✓ pi t
Sans les Langue s i l feroit peut-etre impoüible
d’avoir une feule idée abftraite bien claire ; & fans
les abftra&ions, lfrfprit feroit bien borné dans les
conceptions. C ’eft par abftraaion que 1 Arithmétique
opère ; c’eft par des abftraétions plus hardies
encore que fe font les opérations de 1 Algèbre.
L ’Aftronomie nous aprend que le to i le fixe la
plus voifiae de la terre en eft au moins 5009