
Le pauvre en fa cabane, où-le chaume le couvre ,
EU fujec à fes lois ;
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre,
N ’en défend pas nos rois. :
Defpréaux, qui difoit en badinant qu’ iZ. n'étoit
qu'un g u eu x revêtu des d épouilles d Hô ra ce, s’eft
li fort enrichi de ces dépouilles , qu’i l s’en eft fait
un tréfor , qui lu i appartient juftemenc ; en imitan
t toujours, i l eft toujours original. I l n’a pas
traduit le poète latin , mais i l a jouté contre lui.
Si V ir g ile n’avoit pas ofé jouter contre Homère,
nous n’aurions point fa magnifique defcription de*
la defcente d’Énée aux enfers, ni .[’admirable peinture
du bouclier de fon héros. P qye^ le Mémoire
de M. l ’abbé Fraguier furies Imitations del’Énéide.
L ’approbation confiante que l ’ Iphigénie de Racine
a reçue fur le théâtre françois , juftifie fans, doute
l ’opinion de ceux qui mettent cette tragédie au
nombre des plus belles. En la comparant à la pièce
du même nom , qui a fait les délices du théâtre
d’Athènes , on verra de quelle façon on:doit imiter
les anciens. Euripide , .de l ’aveu d’Ariftote , ne
donne pas à fon Iphigénie un caraélère confiant &
foutenu : d’abord elle déclare qu’elle périt par -le
meurtre injufte d’un père barbare ; un moment après
e lle change de fentiment, elle excufe ce père , &
prie Glÿtemneftre de ne point haïr Agamemnon
pour l ’amour d’elle. L ’auteur de l ’Iphigénie moderne
, fentant là faute d’Euripide , a pris grand
foin de l ’éviter ; i l a peint cette fille toujours ref-
peétùeufe & toujours foumife aux volontés de fon
père. i s •- - : v-’ :- • - • • •/.. •
Ainfi , l ’ Imitation , née de la leélure continuelle
des bons originaux , ouvre l ’imagination, infpire le
g o û t , étend le génie , & perfeodonne les talents 5
c’eft ce qui fait dire à un de nos meilleurs poètes
Mon feu s’échauffe à leur lumière,
Ainfi qu’un jeune peintre, infirme
Sous Coypel & fous Largillière,
D e ces maîtres qui l’ont conduit
Se rend la touche familière ;
Il prend noblement leur manière ,
Et compofe avec leur efprit:.
i N e rougiffons donc pas de Confiilter des guides
habiles, toujours prêts à nous conduire. Quoiqu’ils
fbient nos maîtres , la grande difiance que nous .
voyons entre eux & nous ne doit point nous effrayer.
L a carrière dans laquelle ils ont couru fi glorieu-
fement, eft, encore ouverte; nous pouvons les atteindre
, en les prenant pour modèles & pour
rivaux dans nos Im ita tion s : fi nous ne les atteignons
pas , du moins nous pouvons en approcher;
& après les grands homme s, i l eft encore des
places honorables. L a réputation de Lucrèce n’empêcha
pas V irg ile de paroître , & la g loire d’Hor-
tènfius'ne ralentit point l ’ardeur de Cicéron pour
l ’Éloqueiice. ( L e ch e v a lie r deJA U court. )
( N . ) Im it a t io n . B e lles -L ettr é s . Cet article
regarde les modèles de l 'A r t . Imiter un écrivain ,
un orateur , un p o è te , ce n’eft pas le traduire,
le copier fervilement; c’ eft^dans le fens le plus
étroit, fe i pénétrer de la penfée, & la rendre avec
liberté : c eft , dans le fens le plus étendu , former
Ibn d p r it , fon langage , fes habitudes de concevoir
® d’ima g in er, de compofer, fur un modèle
avec lequel on fe fent quelque analogie; étudier
fes tours, fes images, fes mouvements, fon harmonie
; & après s’être frapé l ’imagination , enrichi
la mémoire,* rempli l ’ame de fes beautés,
s’eftayer dans le même genre ; prendre , non fes
défauts, fes négligences , s’i l en a , mais ce qu’i l
y a de beau , de grand, d’exquis dans le caractère
de fon génie & de fon ftyle ; tâcher , fi l ’on eft
orateur,, d’approcher de l ’heureufe abondance , de
la dignité, de l ’élégance, de l ’harmonie de C icéron,
de Ion adreffe infinuante ; s’exercer à jeter ,
comme l u i , lès filets de la perfiiafion fur l ’auditoire
ou fur les juges ; ou seflayer à remuer la
maffue de Démofthène ,
Ingentis quatiat Demojihehis arma ,*
Pétrôn.
à manier le raifonnement & la controverfe avec la
vigueur & le poids de fa dialectique entraînante;
à mouvoir les. refîorts d’un pathétique aullère &
grave;. 5c à lancer, comme lu i, le r-ocher d’Ajax,
dans les mouvements d’ indignation. S’i l eft p o è te ,
i l examinera comment V irg iie eft devenu l ’H o -
mère de fon fiècle , Racine le V irg ile & en
même temps l ’Euripide du fien. ( Je - dis le V ir -,
g i l ç , par le charme des vers , autant- que l ’a
permis fa langue ; & Y E u r ip id e , - en traitant les
füjets de ce tragique fi touchant, & en les traitant
mieux que lu i ) . I l examinera comment Molière.
& L a Fontaine ont paffé de fi‘ loin les auteurs
qu’ils ont imités , 8c par quelle fupériorité de
génie , s’élevant au . deuus de- tout ce qui les a
devancés , ils fe font rendus peut-être inimitables à
tout ce qui devoit les fuivre.
S’i l eft hiftorien, i l fe confiiltera pour imiter
ou la plénitude de Thucydide , ou l ’élégance de
Xénophon , ou lamajefté de T ite -L iv e , ou l ’énergie
& la profondeur de Tacite.
Les élèves, de Raphaël & des Caraçhe n’en
ont pas é:é les copiftes ; mais dans leurs tableaux,
on reconnoît le génie de leur é c o le , la touche , le
deflin, la couleur de leur maître, fa manière de
compofer.
C e qui fait des imitateurs un troupeau cfef-'
claves, fervum pecus- , ç’eft l ’inertie de leur efprit,
& cette baffe timidité qui ne fait qu’obéir & fuivre.
D e tous les caractères , le plus effenciel à celui
qui prend pour modèle un homme de génie, c’eft
la hardieffe du génie ; & comment reffembler à
celui qui ofe , fi on n’ofe pas comme lu i ?
» C e lu i-là feuleft digne lim ite r le s ■;grands mo-
» dèles, qu e l” efpriç d’autrui ravit hors de lui-même» ;
tomme T a fi bien dit L o n g in , en comparant Y imitateur
à la prêtreffe d’A po llon , « Ces grandes
» beautés que nous remarquons dans les ouvrages
» des anciens , fo n t , dit - i l , comme autant de
» fources facrées , d’où s’élèvent des vapeurs hëu-
» reufes qùi fe répandent dans i ’ame de leurs imi-
» tuteurs y fi bien q u e , dans ce moment , ils font
»> comme ravis & emportés de l ’enthoufiafme d au-
» trui». Mais, pour exëmpie , quel èft l ’imitateur
qu’i l donne à Homère ? Platon. Qu’aüroit - i l dit
s i l eut connu V irg ile ? L e même àùteur nous
trace une belle méthode èé Imitation , & la voici.
« Comment e f t- 'c e qu’Homère auroit dit cela?
» Qu’auroi'ent fait Platon , Démofthène , ou Thu-
» cydide même ( s’i l eft queftion d’Hiftoire ) pour
» écrire ceci en ftyle lùblime ? car ces grands
» hommes , pourfuit Longin , que nous nous pro-
» pofons tf'imitëi, fe préfentant de la forte à nôtre
» imagination , nous fervent tomme de flambeaux,
» & nous élèvent l ’ame prefque auffi haut que
» l ’idée que nous avons conçue de leur génie ,
» furtoüt fi nous nous imp rimons bien ceci en nous-
» mêmes. Que penferoient Homère ou D émof-
» thène de ce que j e dis , s ’i ls m'écoiftoient.?
» Q u e l jugement fcro ien t-ils de moi ? En effe t,
» nous ne croirons pas avoir un médiocre prix à
» difputer , fi nous pouvons nous figurer que nous
» allons férieufement rendre compte de nos écrits
» devant un fi célèbre tribunal , & fur un théâtre
» où nous avons de tels héros pour juges & pour
» témoins ». ~
V o ilà "certainement , en Littérature , la plus
b elle de toutes les leçons; e lle le,feroit gn Morale.
«Mais un motif encore plus piaffant pour nous
» exciter, c’eft de longer, ajoute-t-il , au jugement
p que toute la Poftéricé fera de-nos écrits ».
En ceci , je prends la liberté de n’être pas de
l ’avis de Longin.: car l ’idée que nous avons de la
Poftérité & de fes' jugements, eft une idée vague
& confufe ; au lieu ‘que celle de te l homme de
génie & de goût eft diftinéfce, claire , & frapante.
I l nous eft. donc mille fois plus facile de. répondre
en nous-mêmes, à cette queftion : Que dirait de
moi Homère ou Démofthène ? qu’à,celle-ci : Que
dira de mai la Poftér ité?
«E n fe propofant un modèle, dit Cicéron par
» la bouche d Antoine , le jeune orateur doit s’atta-
» cher à ce qu’i l y a.d’excellent', & s’exercer enfuite
» à l u i ‘ reffembler en cela le plus qu’i l lui fera
» pofîible ». Tum accedat exercitatio quâ ilium
quem ante delegerit imitandô effingat. « J’ai: vu
» fou vent , a jo u t e - t - i ld e s imitateurs copier ce
» qu’i l y avoit de plus fa c i le , & même ce qu’i l
» y avoit de défeftueux., de vicieux dans leur
»modèle. Ils commencent par cho.ifir mal ; &, fi
» leur modèle , quoique mauvais , a quelque bonne
qualité , ils la l a i f f e n t & ne prennent de lu i que
» fes defauts ». Q u i aütem ita f 'aciet ut op'ortet,
primum vigilet necejfte eft in deligendo i fte in d e ,
quem prohavit , in eo quoe maxime e x c e lle n t ,
ea diligentiffimè perfequatur. D e orat.
Nos anciens régents avoient tous ces préceptes
devant les yeux ; & ils appeloient Imiter, ap pliquer
à Judas cette apoftrophe de Cicéron à Marc-
Antoine : O audaciam immanem ! ou faire i ’exprde
d’un fermon de celui du même orateur : Quo u fque
tandem abutêre ? en. y fubftituant divinâ pa tien tiâ .
Rien de plus indécent & de plus puéril que de pareilles
tranflations. •
Imiter, cè n’ eft pas accommoder ainfi à un autre
fujet un morceau pris &_ copié avec des changements
de mots,; c’eft quelquefois , comme je i ’ai
dit , traduire librement d’une langue à une autre ;
c’eft s’emparer d’u-n ouvrage ancien , & le reproduire
. pu fous la même forme, avec de nouvelles
beautés , ’ou fous une forme nouvelle ; c’eft faire
paffer dans un. nouvel ouvrage des beautés étrangères
, anciennes ou modernes, & dont on enrichit
fa langüe ; : c’eft , dans fa langue même , recueillir
d’un ouvrage obfcur' & oublié des penfées heu-
reufes , mais indignement mi fes en oeuvre par
l ’ inventeur , & les placer , les affortir, les exprimer
comme elles dévoient l ’être ; c’eft même
exprimer en beaux vers cé qu’un hiftorien , un phi-
lofophe , un orateur a dit en profe.
' Corneille a imité Sénèque dans la fcène d’A u -
gufte avec Cinnâ. Racine , dans Britannicus &
dans A t h a l i e a fouvent imité Tac ite & les prophètes.
M. de V o lta ire , dans la . Mort de C é fa r , a fait
d’une ébauche groffière de Shakefpearé une ftatue
digne de Michel - Ange. Molière a fu tirer des
perles préçieufes du fumier des plus mauvais comiques.
"Ffêchier a fait d’uii mauvais exorde de
Lingendes le frontifpice incomparable de l ’oraifon
funèbre de Turenne. Corneille a rendu immor-
telles trois pièceà efpagnoles , ^qu’on auroit ignorées
, lorfqu’i l en a tire le C id , Héraclius, & le
Menteur,
L e . plus habile des imitateurs , c’eft V ir g ile . I l
a p ris, dans le Poème, des Argonautes*, d’Apollonius
de Rhodes,- l ’idée de l ’Épifode de Didon-, même
avec, affez, de détails. L e complot de Minerve &
de Junon, fbliicitanc le fecours de Vénus, & c e lle -
ci. obtenant de l ’amour qu’i l bleffe Médée & Jalo
n ; le - feù dont Médée brûle en fecret; fon entretien
avec Chalciope fa foeur; l ’agitation de fon
ame dans le filencè d e là nuit 5 le combat qu’elle
éprouvé entre la honte de trahir fon père & Je
défit de fauver Jafôn ; tout cela , dis-je, eft évidemment
l ’éfquifle d’après laquelle V irg ile a peint
le plus beau tableau qui nous refte de l ’Antiquité.
Mais on va voir par un exemple , combien, en
im ita n t , i l a furpane fon modèle. Voici la verfion
littérale'du texte^’Apollonius. « L a nuit couvroit
» là terre de fon ombre , •& en pleine mer les
» nochers étoient. occupés fur leur navire à ob-
» ferver les étoiles d’Flélice & d’Orion. Les voya