
rémonies. » I l ne fau t pas , dit Q u in t ï l ie n , que
» Y O r a t e u r épou fe jamais ces fortes de q u e re lle s
» ph ilo fop liiq u e s ; l e rang où i l afpire l e met au
» deffus de ces tracafïeries de l ’É c o le . » A u ro it-o n .
admiré une aufll grande abondance & une auffi
grande étendue de g én ie dans C ic é io n , s’i l fe fût
renfermé dans le s chicanes du B a r re au , & qu’ i l ne
fe fut pas donné l e même effor q ue l a nature
même ?
T e l l e fu t l ’É l oquence a t t iq u e ; amie de la l i berté
, e l l e fe form a fous la répu b lique dans le s
é c o le s des p h ilo fo p h e s , & ce fià de ré gn e r dés
q u ’e l l e c e flà d’ être lib r e . L a P h ilo fo p h ie lu i inf-
p ira ces fentiments g én é reu x , c e tte majefté qu i fait
im p o fe r à la raifon fans la contraindre ; & l ’É ta t
répu b lica in lu i donna ces manières fières , ,ce tte
confiance , c e tte ha rdieffe q u i l a fit triompher des
S o u ve ra ins. E l l e régna tant q ue le s hommes eurent
l a lib e r té de penfer ; dès que l a fervitude changea
le s „fentiments & le s moe u rs , e l l e difparut & s’ ë c lip fa
fans retour. Dans le s beaux f iè c le s , e l l e p a r la en
re in e , pa rc e qu ’e l l e a v o it des rois* à combattre ;
dans ce d é c lin , e l l e p r it l e ton j affété & doucereu
x d’une courtifane , pa rc e qu’ e l l e a v o it à p la ir e
à des tyrans. L e s célébrés O r a t e u r s d’Athène s
é ta ien t des p h ilo fo p h e s nourtis dans l a lib e r té ; le s
fop h ifte s n’ étoient que des e fclav es prêts à adorer
quiconqu e le s a c h e to it. D ém o fth èn e & le s favants
m a g iftrats q u i p a rtagè rent le s mêmes travaux 8c
coururent l a même c a r r iè r e , pou vo ien t être app
e lé s à ju fte t itre l e s e n f a n t s d e s h é r o s : les
O r a t e u r s des derniers temps éto ien t moins que des
homme s.
D an s Ath èn e s un O r a t e u r é t o i t , p ou r ainfî dire ,
un miniftre d’É t a t , ch argé de repréfenter à l ’a f -
fem b lé e le s intérêts de fa tribu , & de foutenir
l a majefté de l a répu b lique devant le s étran-
g ers .
L e s lo is av o ien t féparé le s O r a t e u r s du V u l g a k e ,
& on le s reg a rd o it comme une com p a gn ie refpec-
t a b l e , confacrée p ou r v e i l le r à la g arde de la
lib e r té & au bon ordre de l a rép u b liqu e ; toutes
le s affaires importantes leu r p a fïo ien t pa r le s m a in s ,
o u le u r é to ient ren v o yé es . D an s le s délibérations
intéreffantes on r e c u e illo it leu r s a v is , & on les
a p p e lo it par un héraut au nom de la pa tr ie pour
e x p liq u e r leu r fentiment & répondre aux miniftres
étrangers. P refqu e tou jou rs on leu r confioit a eux*-
mêmes l e p la n d’une affaire qu ’i ls v en o ien t de
tra ce r , a v e c un am p le p o u vo ir de tra iter fuivant
leu r s lumières & le s circonftances : c’ é to ient des
e fpèc es deSouverains, qu i m a itr ifo ien ta v e cu n empire
ab fo lu mais fondé fur le u r vafte capac ité & fur leu r
droiture.
T e l fut l e fameux P é r i c lé s pendant un go u v e r nement
de quarante années ; i l fu t fe main ten ir ,
pa r le s feu les forces de fon É lo q u e n c e , contre tous
le s efforts d’une fo u le de r iv a u x , l a plu p a r t d’un
mérite & d’un ran g diftingué ; i l fut captive r Fin»
confiance de la multitude , & rendre fon nom ref-
pe&able au p eu p le - & ter r ib le aux étrangers. I l
Fut r o i , fans en a v o it l e titre . F in a n c e s , p la c é s ,
a l l i é s , île s , troupes ,. f lo t t e , tou t ob é iffo it à fes
ordres : ce p o iïvo ir immenfe é to it l e fruit de c e tte
É l oquence lupé rieu rè q u i lu i fit donner l e furnom
d’Olympien. C om m e un autre Ju p ite r , au feu!
fon de fa v o ix , i l éb ranloit la G r è c e & fo u -
d ro y o it toutes le s P u iffanc es conjurées contre fa ré p
u b liq u e . *
L e s Orateurs qu i lu i fu cédè ren t, qu o iqu ’ avec
moins d’habile.té & de vertu , fe conferverent néanmoins
l a même au to rité > 8c une grande pa rtie de
ce crédit étonnant jufques dans le s co lo n ie s .& ch e z
le s p eu p le s tributaires & a llié s . A n t ip h o n , g u é -
riflan t l e s malades dans Co r in th e p a r fà feu le É lo quence
, fut regardé comme l e dieu' de co n fb la -
tio n . Ifocrate , ré fu g ié dans l ’î l e d e C h io p o u r
fe fouftraire aux pourfuites de fes e n v ie u x , devint
l e lég ifla teur de tou te F i l e ; fa p lum e , au déraut
dè fa v o i x , diéfcoit au x r o i s , aux G én éraux , leurs
d e v o i r s , p refcrivo it le s r è g le s de leurs d ig n ité s ,
& fixoit leu r bonheur. T im o th é e , fils de C on on ,
D io d è s , ro i de C h y p r e , 8c P h ilip p e de M a c é doine
s’ap plaud irent de fes fag es co n fe ils . H y .-
péride fut ch a rg é de p la id e r la caufe des athéniens
con tre le s habitants de D é lo s qu i prétendoient
a v o ir l ’intendance du tem p le d’A p o l lo n dans le u r
î l e , & c e lle de l ’a th lè te C a l l ip e contre le s p eu p le s
de l ’É lid e . En un m o t , q u e l crédit n’ eurent pa s
le s Orateurs au temps, de P h ilip p e ! U n e fe u le
p a ro le de ce prince en fa it fo i . « J e friffonne ,
» d i t - il à fes eourtifans , quand je penfb au p é r i l
» au q u e l Dém o fth èn e nous a expofés par la l ig u e
>» de C hé ron ée : ce tte feu le journée metto it à deux
» do ig ts de fà p erte notre Em p ire & notre c o u -
» ronne. N o u s n ed e v o n s notre fa lu t qu’ aux faveurs
» de la fortune » .
C e t Orateur a v o it en effet tou te s le s q u a lité s
le s plus, b e lle s pour p e r fu a d e r , indépendamment
de fon É lo quence. A un fonds admirable de P h i lo fo
p h ie & de vertus , i l jo ig n o i t un z è le in fa t ig a b le
p ou r le s intérêts de fa p a t r ie , une haîne irré vo ca
b le contre la tyrannie & le s t y r a n s , un amour
de l a lib e r té à tou te épreuve , une fa g a c ité mer-
v c ille u fe pour percer dans l ’avenir & d é v o ile r le s
myftères de la P o lit iq u e , une v afte é ru d itio n , une
connoiffanee ex aé te Je l ’H ifto ir e & des droits de
l a nation , le s vues le s p lu s étendues & le s p lu s
n ob les ; une retenue , une fob riété qui b r illo i t
jufques dans fes p a ro le s ; une d ro itu r e , une ju fteffe
de raifon que rien n’é to it c ap ab le d’altérer ; une
dignité- admirable quand i l t ra ito it le s affaires.
D ém o fth èn e é to it ferme p ou r réfifter aux attraits
de la cupidité , in tè g re pour maintenir l ’au torité
des C o n fe ils & la lib e r té de l ’É t a t , éc la iré p ou r
diffiper le s préjugés d’une p o p u la c e a v eu g le , hardi
p ou r écarter le s fa é f ie u x , & p le in de cou rage pour
affronter le s p é r ils . I l n’eft donc pas étonnant qu ’avec
de t e ls talents i l a i t enchaîné le a. v o lo n té s des
. c i to y e n s ,
Moyens, fixé leurs irréfolutions, & gagné la confiance
de tout le Corps.
Rien ne prouve mieux la dignité des Orateurs
grecs en g én é ra l, que la manière dont leur élection
le fefoit a Athènes. Chaque année on. en choifïf-
foit dix , un dans'chaque tribu , ou l ’on coiîtinuoit
lés anciens. D ’abord.'on commençoit par tirer au
fort ceux qui fe préfeatbient ,- & on les menoit devant
des juges prëpofés pour informer juridiquement
de • leurs ' moeurs & de leur mérité , fuivant
les règlements établis par Solon. I l fallôit
avoir "environ trente ans pour traiter lés affaires
d’État. I l falloic de plus avoir fervi avec diftihe-
tion, s’être élevé , aux grades' ■ de' la milice par fa
valeur,. & n’avoir jamais jeté fon bouclier.’ -Efchine
emploie1 fort adroitement ce motif dans fa harangue
contre Çtéfîphon , en reprochant à Démofthène fà
fuite de Chéronée; I l devoit époufer une athénienne,
& avoir fes pofleffions dans l ’Attique 8c non ailleurs.
Démofthène accufe Efchine de poiTéder dés
terres en Béotie. Enfin, on exàminoit rigidement
le récipiendaire fur fa capacité y fur fes études , 8c
fur fa fcience. I l avoit encore' befoin du témoignage
des tribus affembléès. pour être-élevé à la dignité,
S Orateur, & i l confirmoit leur aveu, public en jurant
fur les autels.
Je finirai par dire un mot de leurs récompenfes.
Les Orateurs tiroient leurs honoraires, du tréfor
public; chaque fois qu’ils parloient pour l ’Etat ou
pour lès particuliers', ils recevoient une drachme ,
fournie modique par rapqrt à notre terirps , mais
fort confîdérable pour lors. En les gageant fur l’É ta t ,
on vouloit mettre des bornes à l’avarice dés particuliers^
& leur aprendre a traiter la parole avec une
vraie grandeur d’âme.
Cet emploi ne devoit cependant pas être ftérile ,
fi l ’on en croit Plutarque. I l raporte que deux
athéniens s’exhortoient à devenir Orateurs , en fe
difant mutuellement : « A m i , efforçons - nous de
» parvenir à la moiffon d’or qui nous attend au
» Barreau ». L e befoin qu’on avoit de leurs lu mières
& de leurs talents , piquoit la reconnoiffancè
des particuliers. Ifocrate prenoit mille drachmes ,
c’eft à dire, 3 1 livres, fter lin g , pour quelques leçons
de Rhétorique. L ’Éloquence étoit hors de
prix. Gorgias de Léontium avoit fixé fon cours de
leçons à 100 mines 'pour chaque e co lie r , c’eft à
dire , à environ 3 1 1 .livres fterling. Protagore
d’Abd ère a in Æ dans cette profeftipn plus d’argent
que n’auroient jamais pu faire dix Phidias réunis.
Lucien appelle plaifamment ces Orateurs marchands,,
des argonautes qui cherchoient la toifon
d’or. Mais j’aime la générofité d’Ifée , q u i, charmé
du génie de Démofthène 8c curieux de. laiffer un
digne fucceffeur, lui donna toutes fes leçons .gratuites.
■ , , , !
Les 'honnetirs qu’ on leur prodiguoit pendant leur
vie &. alprès le u f mort chatouilloient encore plus
l ’ambition , que le Pilaire ne fhi.ttoi.t la cupidité.
Gr am m . e t L i t t ê r a t . Totne IL
A u far tir de l ’ a ffemblé e 8c du Barreau , ’ on lé s
' reconduifoit en cé rémonie jufqu’ en le u r lo g i s ., 8c
l e p eu p le le s fu iv o it au bruit des ac clama tion s :
le s parties a ffem b lo ien t leurs, amis pour fa ir e un
nombreux c o r tè g e & montrer à tou te la v i l le
leu r p ro fe& eu r : on leu r p e rm e ttô it de porter la
couronne , dont ; ils é to ien t ornés lo r fq u ’ils avoient
prononcé des o rac le s falutaire s à le u r p a trie ; on
les, cou ron n o it pu b liqu em en t en p le in Sén at , ou
dans FafFemblée du p e u p l e , ou fur l e th éâtre.
L ’ a g o n o th è te , revêtu d’un h a b it de p o u rpre 8c
tenant en main un feeptre d’or , annonçoit à haute
v o ix fur le -b o rd du théâtre l e m o t if pour le q u e l
i l décernoit la couronne , & pré fen to it en même
temps l e cito y e n qu i d e vo it l a re c e v o ir : tou t l e
p a rterre ' réporidoit à c e tte p ro c lam a tio n par 'd e s
applaudiffements redoublés , 8c le s p lu s diflingues
des c ito y en s je t o ien t aux pieds de YOrateur le s
plus; riches préfents. D ém o fth èn e , q u i fut couronné
p lu s d’une f o i s , nous ap re n d , dans fa harangue pôur
C t é f ip h o n , qu e c e t honneur ne s’aco rdo it qu ’aux
Souverains & aux R é p u b liq u e s .
Sous M a r c - A u r è le , P o lém o n , qu e tou te la
G r è c e , a ffemb lé e à O lym p i e , a p p e la un autre
Dèmqjlhène , r e ç u t , dès fa je u n e ffe , le s couronnes
que la v i l le de Smirne v in t , .comme â l ’ envi ,
mettre fur fa tê te . O n v i t , d’après l e même u fa g e ,
des empereurs romains monter fur l e théâtre pour
y p ro clam er le s Savants dans le s fp e& a c le s de la
G r è c e . E n un m o t , Ath èn e s ne c ro y o it rien f a i i c
de trop , en é g a la n t le s Orateurs au x Souverains 8c en prêtant à l ’É lo q u e n c e l ’ é c la t du diadème ;
tandis qu’e l l e refufoit. â M iltià d e une couronne
d’o l iv i e r , e l l e p ro d ig u o it des couronnes d’or à des
cito yens p u iffan tsen pa ro les .
N o n content de ce tte p om p e ex té rieu re , l e
p e u p le d’Athène s n o u n iffo it fes Orateurs dans l e
P r y ta n é e , leu r a ccord oit des p r iv i lè g e s , des rev en
u s , & des fonds : lé s portes de leu r lo g i s é to ient
ornées de lau rie r ; .p r iv ilè g e fin gu lie r , qu i , ch e z
l e s rom a in s , n’ ap p a rten o it qu ’ aux flamines , aux
C é fa r s , & aux hommes le s p lu s célèbres., com m e l e
droit déporter- la couronne fur la tête.
A p r è s - le u r t r é p a s , l e P u b lic ou des p a rticu lie
r s confacroient dans le s t em p le s , à leu r honneur
, le s couronnes qu ’ ils a v o jen t p o r t é e s , ou
é r ig e o ien t q u e lq u e monument ' fameu x dans le s
p la c e s ou fur leurs tombeaux. T im o th é e fit p la c e r
à Eleu fin e , à l ’entrée du p o r t iq u e , la ftatue d’I fo -
e r a t e , fcu lp té e de l a main de L é o eh a rè s : on y
li fo i t ce tte in feription fimple & n ob le ; « T im o th é e
» a confacré c e tte ftatue d’ Ifocrate aux déefîes ,
» p ou r marque de fa reconnoiflance & de fon
» am itié » . Q u e lq u e temps avant P lu ta rq u e , on
v o y o i t fur l e tombeau de c e t Orateur une c o lo n n e
de trente co u d é e s , furmontée d’une fyrène de fept
coudées , pour défigner la douceur & le s charmes
de fon É lo q uence. T o u t auprès étoient fes maîtres :
G o r g ia s , entjre autres , tenant à fes côtés Ifocrate ,
ex àm in o it une fp h è re & l ’e x p liq u o it â ce jeune
Z z z z