
en tant de manières différentes , & le mélangé des
langues eft une fuite fi néceffaire du mélange des
peu ples, epifil eft impoftible de limiter le champ
ouvert aux conjectures des f étymologiftes. Par
exemple , on voudra, du petit nombre de langues
dont une langue s’eft formée immédiatement te-
monter-à des langues plus anciennes ; fouvent même
quelques-unes de ces langues fe font totalement
perdues : le celtique , dont notre langue françoife
a 'p r is plu {leurs racines, eft dans ce cas j on en
raffémblera les veftiges épars dans l ’irlandois , le
g allois , le bas-breton , dans les anciens noms des
lieu x de la G a u le , &tf: le fa x o n , le gothique-,
g e lé s différents dialeâes anciens 8c modernes de la
langue germanique , nous rendront en partie la
langue des flancs. O n examinera foigneufement
ce qui s’eft confervé de la langue des premiers
maîtres du pays, dans quelques cantons particuliers ,
comme la baffe-Bretagne, la Bifcaie , l ’É p ir e ,
dont l ’àpreté du fo l & la bravoure des habitants
ont- écarté les conquérants poftérieurs. L ’Hilloire
indiquera les invafions faites dans les temps lés
plus1 reculés , les colonies établies fur les côtes par
les étrangers, les différentes nations que le commerce
ou la néçelfité de . rechercher un afyle a
conduites fiiccefftvément dans une contrée. O n fait
que le commerce des phéniciens s’eft étendu fur
toutes les côtes de la Méditerranée, dans un temps
où les antres peuples étoient encore barbares ;
qu’ils y ont établi un très - grand nombre de colonies
; que Ca r th a g e, une de ces colonies, a
dominé fur une partie de 1 Afrique Sç s eft fournis
préfque'foute l ’Efpagne méridionale. O n peut donc
chercher dajis' le phénicien ou l ’hébreu .un grand
nombre de mots grecs, la t in s , efpagnols, Sec. On
pourra, par la même taifon, fuppofer que les phocéens,
établis à M a t fe ille , ont porté dans la Gaule
méridionale plufieurs mots grecs. A u défaut même
. de l ’Hiftoire , on peut quelquefois fonder les fup-
politions fur les mélanges des peuples plus anciens
que l e s 1 hiftojres même. Les couries connues des
goths & des autres tjations feptentrionales d’un
bout de l ’Europe à l ’autre, celles des gaulois &
des cimmérietjs dans des ficelés plus éloignés, celles
des feythes en  f ie , donnent droit de foupçonner
des migrations femblables, dont les datés" trop
reculées feront reftées inconnues, parce qu i l ny
avoir point alors de parions p o licé es , pour en
conferver la mémoire Se par conféquent le mélan
g e de toute; les nations de l ’Europe 8f de leurs
lan gu e s, qui a dp en réfulter. C e foupçon, tout
yague qu’i l e f t , peut être confirmé par des E ty -
mologies , qui en fuppoferont la réa lité, fi d a illeurs
elles portent avec elles up caraftère marqué
de vraifemblance j 8c des lors on fera autorife a
recourir encore à des fuppofitions femblables pour
trouver d’autres Étymologies . K ^ h ym , traire le
l a i t , compofé de IV privatif 8c de la racine
fa it ; mulgeo St mulceo; en la tin , fe rapportent
4p.anifeftement à la racine vtiilk. ou viulK, qüîfignifie
la it dans foutes les langues du Nord ; cependant
cette racine n exifte feule ni en grec ni en latin.
L e mot f iy em , £\iiào\s,Jlar, an g lo is , àt/Wp, grec ,
j l e l l a , la t in , ne font-ils pas évidemment la même
racine, ainfi que le mot , la lu n e , d’où menjis
en latin ; & les mots moon , anglois, maan , danois
, mond, allemand ? Des Étymologies fi bien
vérifiées m’indiquent des rapports étonnants entre
les langues polies des grecs 8c des romains, & les
langues grofïières des peuples du Nord, jfo me prêterai
donc, quoiqu’avec referve, aux Étymologies,
d’ailleurs probables , qu’on fondera fur ces mélanges .
anciens des nations & de leurs langages;
i i °. L a connoiffance générale des langues dont
on peut tirer des fecours pour éclaircir les origines
d’une langue donnée, montre plus tôt aux étyirio-
logifles Tefpace où ils peuvent étendre leurs conjectures
, qu’elle , ne peut fervir à les diriger ; i l
faut que ceux-ci tirent , de l ’examen du mot même
dont ils cherchent l’origine , des circonftances ou
des analogies fur lefquelies -ils puiflènt s’appuyer.
L e fons eft le premier guide qui fe préfente : la
connoiffance détaillée de la chofe exprimée par
le m o t , & de fes circonftances principales , peut
ouvrir des vues'. Par exemple , fi c’èft un l i e u ,
fa fituatiom fur une montagne ou dans une vallée ;
fi c eft une rivière , fa rapidité, fk profondeur ; fi
c’eft un inftrument , fon ufàge ou fa formé ; fi
c eft une couleur , le nom des objets les plus communs,
les plus vifibles , auxquels elle appartient ;
fi c’eft une qualité,- mie notion abftraite, un être
en un mot qui ne tombé pas fous les fens , i l
faudra étudier la manière dont les hommes font
parvenus a s’en former l ’idée , & quels font les
objets fonfîbles dont ils ont pu fe fervir pour faire
i naître la même idée dans l ’efprit des autres hommes
par voie de comparaifon ou autrement. L a
théorie philofophique de l’origine du langage &
de fes progrès, des caufes.de l ’impofition primitive
des noms, eft la lumière la plus sure qu’on
puiffe confulter ; e lle montre autant de fources
aux étymolo g ifle s , qu’elle établit. de réfultats généraux
, & qu’elle décrit de pas de l ’efprit humain
dans l ’invention des langues. Si l ’on voilloit entrer
ici dans les détails , chaque objet fourniroit
des indications particulières qui dépendent de fa
nature , de celui de nos fens par leque l i l a été
.connu , de la manière dont i l a frappé les hommes
, & de fes rapports avec les autres objets ,
foit réels, foit imaginaires. I l eft donc inutile dp
s’appefantir fur une matière qu’on pourroit à peine
,effléuirer ; les détails & l ’application des principes les
plus généraux ne peuvent être le fruit que d’un exa-
mep attentif de chaque objet en particulier. L exemple
des Étymologies déjà connues, & l ’analogie
qui en réfu lte, font le fecours le plus général
dont on puiffe s'aider dans cette forte de conjectures,
comme dans toutes les autres j & nous en
avons déjà parlé. C e fera encore une çhofe très-
utile de fe fuppofer foi-même à la place de ceux
| qui
qui ont eu à donner des noms aux objets ; pourvu
qu’on fe mette bien à leur p la c e , & qu’on oublie
de bonne foi tout ce qu’ils ne dévoient pas favoir ;
on connoitra par foi-même , av.ee la difficulté ,
toutes les reffources & les adreffes du befoin : pour
la vaincre, l ’on formera des conjectures vraifom-
blables fur les idées qu’ont voulu exprimer les
premiers nomenclateurs -, 86 l ’on cherchera dans les
langues anciennes les mots qui /répondent à ces
idées.
i z ° . Je ne fais fi , en matière de conjectures
étymologiques, les analogies fondées fur la figni-
fication des mots font préférables a celles qui ne
font tirées que du fon même. L e fon paroît appartenir
directement à la fubftance même du mot ; mais
la vérité eft que l ’un fans l ’autre n’eft r ien , &
qu*ainfi, l ’un 8c l ’autre rapports doivent être perpétuellement
combinés dans toutes nos recherches.
Qu oi qu’i l en T o it , non feulement la reffemblance
des fons , mais encore des rapports plus ou moins
élo ign é s , fervent à guider les étymologifles du
dérivé a fon primitif. Dans ce g en re, nen peut-
être ne peut borner 'les induCtions, & tout peut
leur fervir ^ de fondement, depuis la reffemblance
totale , qui „ lorsqu’e lle concourt avec le fens ,
établit l ’identité des racines, jufqu’aux reffemblances
les plus légères ; on peut ajouter , jufqu’au caractère
particulier, de certaines différences. L e s fons
fe diftinguent en voyelles & en confonnes, & les
• voyelles font brèves & longues. L a reffemblance
dans les fons fuffit pour fuppofer des Étymologies,
fans aucun egard a la quantité , qui varie fouvent
dans la même langue d’une génération a l ’autre,
ou d’une v ille à une v ille voifine t i l feroit fuperflu
d’en citer des exemples. Lors même que les fons
ne font pas entièrement les mêmes, fi les conformes
fe reffemblent, on n’aura pas beaucoup
^égard i la différence des voyelles ; effectivement
lexperience nous prouve qu’elles font beaucoup
plus fujettes a varier que les confonnes : ainfi, les
anglois , en écrivant grâce comme nous , pronon-
çent grèce. Les grecs modernes prononcent ita 8c
ipjilon , ce que les anciens prononçoient èta 8c
■ upjilon : ce que les latins prononçoient o u , nous
le prononçons u. O n ne s arrête pas même lo rf-
q u i l y a quelque différence entre les conformes,
pourvu qu’i l refte entre elles quelque analogie , 8c
que les confonnes correfpondantes dans le dérivé
& dans le primitif, fe forment par des mouvements
femblables des organes; en forte que la prononciation,
en devenant plus forte ou p lu sfo ib le,
puiffe changer aifémpnt Tune & l ’autre. D après
les obfervations faites fur les changements habituels
de certaines confonnes en d’autres , les grammairiens
les ont rangées par claffes relatives aux differents
organes qui fervent à les former : ainfi, le p ,
i l-V& ll!& rang^s dans la claffedes lettres
labiales, parce qu’on les prononce avec les lèvres.
{ r a y * au. mat L et tr e s, quelques confidéra-
tions fur le rapport des lettres avec les organes).
G-ramm. et I ittéra t. Tome IL 5 1
Toutes les fois donc que le changement ne fe
■ f1? /lu<: ^ une conforme à une autre conforme,
1 alteration du dérivé n’eft point" encore affez
grande pour faire méconnoître le primitif. On
etend même ce principe plus lo in : car i l fuffit:
que le changement d’une conforme en une autre
foit prouve par un grand nombre d’exemples, pour
quon fe permette de le fuppofer ; & véritablement
on a toujours droit d’établir une fuppofition dont les
faits prouvent la poflibiiité.
13 En même temps que la facilité qu’ont les
lettres a le transformer les unes dans les autres,
donne aux étymologifles une liberté illimitée de
Conjecturer, fans égard à la quantité profodique
des fy llab e s, au fon des v o y e lle s , & prefque fans
egard aux confonnes même ; i l eft cependant vrai
que toutes ces choies , fans en excepter la"quantité ,
fervent quelquefois a indiquer des conjectures heu-
reufes. Une fyllabe longue ( je prens exprès pour
exemple la quantité, parce que qui prouve l e
plus prouve le moins ) ; une fyllabe longue autorife
fouvent a fuppofer la contraction de deux v o y e lle s ,
& même l é retranchement d’une confonne intermediaire.
Je cherche Y Étymologie de pin us ; 8c
comme la première fyllabe de pin us eft lonp-ue „
je fuis porté à penfer qu e lle eft formée des % u x
premières du mot p ic in u s , dérivé de p i x ; 8c qui
feroit effectivement le nom du P in , fi on avoir
voulu le définir par la principale de fes productions.
Je fais que 1 x , le c , le g , toutes les:
lettres gutturales, fe retranchent fouvent en latin
lorfqu elles font placées entre deux voyelles ; 8c
qu alors les deux fyllabes fe confondent en une foule,
qui refte longue : m a x illa , a x illa , vexillum ,
t e x e la , m a la , ala , vélum-, tela.
140. C e n eft pas que ces fyllabes contractées 8c
réduites à une foule fyllabe lon gu e , ne puiffent,
en paffant dans une autre langue ou même par
le ieul ^laps de temps, devenir brèves : aufîi c es
fortes ffinduCtions fur la quantité des fyllabes, fur
1 identité des voyelles y-for l ’analogie des confonnes,
ne peuvent guère être d’ufage que lorfqu’i l s’ag it
d’une dérivation immédiate. Lorlque les deo-rés de
filiation fe mu ltiplient, les degrés d’altération fo
multiplient auffi à un tel p o in t , que le mot n’eft
fouvent plus reconnoiffable. En vain prétendroit-
on exclure les transformations de lettres en d’autres
lettres tres-eloignees. I l n’y a qu’à fuppofor un plus
grand nombre d’altérations intermédiaires, & deux
lettres qui ne pouvoient fo fubftituer immédiatement
^ UI?^ sa ^ autre fe rapprocheront par le moyen d’uac:
troîfieme. Qu y a - t - il de plus, éloigné qu’un b 8c
une/*? cependant le b a fouvent pris la place de
IJ confonne ou du digamma éolique. L e digamma
e o liq u e , dans un très-grand nombre' de mots
adoptés p a rle s latins, a été fubftitué à Tefpric rude
des grecs, qui n’eft autre chofo que notre h , 8à
quelquefois même à l ’efprit doux; témoinêWpoî,
vefper, «p, ver, &ç. De fon côté T / a été fubf-
titu ée, dans beaucoup d'autres mots latins, à l ’cf