
faites fur l ’efpèce; favoir que ridée de genre eft
encore plus Amplifiée , qu’on en a féparé les idées
différencielles de chaque e fp è c e , pour ne plus
envifager que les idées communes à toutes les eipè-
ces comprîtes fous le même genre. Continuez de
même aufïi loin que vous pourrez , en fefanr remarquer
avec foin toutes les abftraôtions qu’i l faut
faire fucceiîivement , pour s’élever par degrés aux
idées les plus générales. N ’en demeurez pas là ;
faites retourner vos élèves fur leurs pas ; qu à l ’idée
du genre fuprême ils ajoutent les idées difteren-
cielies conftitutives des elpèces qui lu i font immédiatement
fubordonnées ; qu’ ils recommencent la
même opération de degrés en degrés , pour def-
cendre infenfiblement julqu aux individus, les feuis
êtres qui exiftent réellement dans la nature.
En les excitant ainfi à ramener , par i ’Analyfe ,
la pluralité des individus à l ’unké de l ’efpèce &
la pluralité des elpèces à l ’unité du genre y & à
diftinguer , par la Synthèfe , dans l ’unité du genre
l a pluralité des efpeces & dans l ’unité de i ’elpèce
la pluralité des individus ; ces idées deviendront
infenfiblement précifes & diftinôtes, & les éléments
des connoiffances & du langage fe trouveront dilpofés
de la manière la plus méthodique. Q u el préjugé
pour la facilité de concevoir & de s’exprimer, pour
la netteté dudifoernement, la juftefle du jugement, &
la folidité duraifonnement !
Seroit-il impolfible, pour l ’exécution des vues que
nous propofons ic i , de conftruire un dictionnaire
où les mots feroient rangés par ordre de matières ?
L e s matières- y foroient divifées par genres, &
chaque genre feroit fuivi de fos elpèces : le genre
une fois défini, i l fuffiroit enfuice d’indiquer les
idées différencielles qui conftitpent les elpèces. I l
y a lieu de croire que ce dictionnaire philofophi-
que , en apprenant des m ots, apprendroit en même
temps des choies, & d’une manière d’autant plus utile,
qu’e lle foroit plus analogue aux procédés de l ’elprit
humain.
Qu oi qu’ i l en f o i t , i l réfiilte des principes que
nous venons de préfenter fur la compofition & la
décompofition des idées, que les noms qui les expriment
ont une lignification plus ou moins déterminé
e, félon qu’ils s’ éloignent plus ou moins du
genre fùprême ; parce que les idées abltraites que
l ’efprit fe forme ainfi deviennent plus fimples, &
par là plus générales , plus vagues, & applicables à
un plus grand nombre d’individus ; les noms plus
ou moins génériques , qui en font les expreflions,
portent donc auifi l ’empreinte de ces divers degrés
d’indétermination. L a plus grande indétermination
elt ce lle du nom le plus générique, du genre fii-
prême ; e lle diminue par 'degrés dans les noms des
elpèces inférieures , à mefure qu’elles s’approchent
de l ’individu , &difparoî: entièrement dans les noms
propres qui ont tous un fens déterminé.
O n tire cependant les noms appellatifs de leur
indétermination, pour en faire des applications
précifes. Le s moyens abrégés qu’on emploie à cette
fin dans le difoours, font quelquefois des équivalents
de noms propres qui n’exiftent pas ou qu’on
ign o re ; cette pierre, mon chapeau, cet homme.
D ’autres fois on fap p lé e , par cet artifice, à une énumération
ennuyeuiè & impolfible de noms propres ;
les philofophes de ta n tiq u ité , au lieu du lon g
étalage des noms de tous ceux qui , dans les
premiers fièc le s , ont fait profelfion de Philofo-
phie.
I l y a div e^fe s manières de r e f t r e in d r e la lignification
d’un nom générique. Ici c ’ e f t l ’appolieion
d’un autre nom , le prophète roi : là c’ eft un autre
nom lié au premier par une prépoficion, ou fous
une terminaifon choifie à d e f le in ; la crainte du
fu p p lic e , metus fu p p lic ii. Dans une occafion c’eft
un .adjeCtif mis en concordance avec le nom ,* un
homme J 'a van t, vir doclus : dans une autre , c’eft
une phrafe incidente ajoutée au nom; la loi qui
nous foumet a u x puijfances ; fouvent plufieurs de
ces moyens font combinés & employés tout à la
fois. C ’eft ainfi que l ’efpric humain a fu trouver
des richefles dans le foin même de l ’indigence , &
a l fu j e t t i r les termes les p lus vagues aux expreflions les
plus précifes. ( M M . Jü o u c h e t & B e a u z é E. )
G É N IE , f. m.Philofophie ^.Littérature. L ’étendue
de l ’efprit, la force de l ’ imagination, & l ’a&ivité
de l ’ame , v o ilà le Génie. D e la manière dont on
reçoit fes idées dépend ce lle dont on fe les rappelle.
L ’homme jeté dans l ’univers re ç o it , avec
des fenfàtions plus ou moinsvives, les idées de tous
les êtres. L a plupart des hommes n’ éprouvent de
fenlàtions yives que par l ’ impreflion des objets qui
ont un rapport immédiat à leurs befoins, à leur
g o û t , &c. T ou t ce qui eft étranger à leurs pa t-
lions , tout ce qui eft fans analogie à leur manière
d’exifter, ou n’eft point apperçu par eux, ou n’en
eft vu qu’un inftant fans être fen ti, & pour être à jamais
oublié.
L ’homme de Génie eft celui dont l ’ame plus étendue
, frapée par les fenfàtions de tous les êtres , in-
téreflee'a tout ce oui eft dans la nature, ne reçoit pas
une idée qu’elle n éveille un fentiment ; tout l ’anime,
tout s’y conferve.
Lorfque l ’ame a été affettée par l ’objet même ,
e lle l ’ eft encore par le fouvenir : mais dans l ’homme
de G én ie , l ’imagination v a plus loin ; i l fe rappelle
des idées avec un fentiment plus v if qu’i l ne les a reçues
, parce qu’à ces idées mille autres fe l ie n t , plus
propres à faire naître le fentiment.
L e Génie , entouré des objets dont i l s’occupe ,
ne fe fouvient pa s, i l voit ; i l ne fe borne pas à
v o i r , i l eft ému ; dans le filence & l ’obfcurité du
cabinet, i l jouît de cette campagne riante & féconde
; i l eft glacé par le fifflement des vents ; i l
eft brûlé par le foleil ; i l eft effrayé des tempêtes.
L ’ame fe plaît fouvent dans ces affections momentanées
; elles lu i donnent un plaifir qui lu i eft
précieux ; elle fe livre à tout ce qui peut l’ augmenter
; elle voudroit, par des couleurs vraies,
par des traits ineffaçables , donner un corps aux fan-
tornes qui font fon ouvrage, qui la tranfportent ou
qui l ’amufent.
^ Veu t-e lle peindre quelques-uns de ces objets qui
viennent l ’agiter ? tantôt le s . êtres fe dépouillent
de leurs imperfections ; i l ne fe place dans fes tableaux
que le fublime , l ’agréable ; alors le Génie
peint en beau: tantôt e lle ne voit dans les évènements
les plus tragiques que les circonftances les
plus terribles ; & le Génie répand dans ce moment
les couleurs les plus fombres, les expreflions énergiques
d e là plainte & de la douleur; i l anime la
matière , i l colore la penfée : dans la chaleur de
l ’enthoufiafme, i l ne difpofe ni de la nature ni de
la fuite de fes idées ; i l eft tranfporté dans la fitua-
tion des perfonnages qu’i l fait agir ; i l a pris leur
caraCtère : s’i l éprouve dans le plus haut degré les
paillons héroïques , telles que la confiance d’une
grande arae que le fentiment de fes forces élève
au deflus de tout danger , telles que l ’amoùr de
la patrie porté jiifqu’à l ’oubli de foi - même, i l
produit le fublime , le moi de Médée, le qu i l
mourut du v ie il Horace, le j e f u i s conful de
Rome de Brutus : tranfporté par d’autres partions,
i l fait dire à Heimione, qui te Va dit 1 à O rofmane,
f étais aimé j à Thiefte , j e reconnois mon frère.
Cette force de l ’emhoufiafme infpire le mot
prop re , quand i l a de l ’énergie ; - fouvent elle le
fait facrifier à des figures hardies ; elle infpire l ’harmonie
imitative , les images de toute efpèce , les
fignes les plus fenfibles, & le s fons imitateurs, comme
les mots qui caraétérifent.
L ’imagination prend des formes différentes ; elle
le s emprunte des différentes qualités qui forment
l e caraCtère de l ’ame. Quelques partions , la diver-
fité des circonftances , certaines qualités de l ’e fp rit,
donnent un tour particulier à l ’imagination; elle
ne fe rappelle pas avec fentiment toutes fes id ées,
parce qu’i l n y a pas toujours des rapports entre elle
& lés êtres.
L e Génie n’eft pas toujours Génie ,* quelquefois
i l eft plus aimable que fublime ; i l font & peint
moins dans les objets le beau que le gracieux; i l
éprouve & fait moins éprouver des transports qu’une
douce émotion.
Quelquefois dans l’homme de Génie l ’ imagination
elt gaie ; e lle s’occupe des -légères imperfections
des hommes, des fautes & des folies ordinaires
; l e contraire de l ’ordre n’eft pour elle que
rid icu le , mais d’une manière fi n ou ve lle , qu’i l
fëmble que ce foit le coup-d’oeil de l ’homme de
Génie qui ait mis dans l ’objet le ridicule qu’i l ne
fait qu’y découvrir. L ’imagination gaie d’un Génie
étendu , agrandit le champ du ridicule ; & tandis que
le vulgaire le voit & le fent dans ce qui choque
les ufâges établis', le Génie le découvre & le font
dans ce quiblefle l ’ordre univerfel.
L e goût eft fouvent féparé du Génie. L e Génie
eft un pur don de la nature ; ce qu’i l produit eft
l ’ouvrage d’un moment : le goût eft l ’ouvrage de
l ’ étude & du temps ; i l tient à la connoiflance d’une
multitude de régies ou établies ou fuppofées; i l
fait produire des beautés qui ne font que de convention.
Pour qu’une chofe foit b elle félon le s règles
du g o û t , i l faut q u e lle foit élégante , finie ,
travaillée fans le paroîcre : pour être de G é n ie , i l
faut quelquefois qu’elle foit négligée ; qu’e lle ait
l ’air irrégulier , efcarpé, fauvage. L e fublime &
le Génie brillent dans Shakefpear comme des
éclairs dans une longue nuit, & Racine eft toujours
beau ; Homère eft plein de Génie ; & V i r g i le , -
d’élégance.
Les règles & les lois du goût donneroient des
entraves au Génie ; i l les brife pour voler au fublime
, au pathétique, au grand. L ’amour de ce
beau éternel qui caraCtérife la nature ; la paflîon
de conformer fes tableaux à je ne fais quel modèle
qu’i l a créé , & d’après lequel i l a .les idées & les
ientimems du beau, font le goût de l’homme de
Génie. L e befoin d’exprimer les partions qui l ’agitent
, eft continuellement géné par la Grammaire
& par l ’ Ufage : fouvent l ’idiome dans lequel i l
écrit fe refufe à 1; expreflîon d’une image qui feroit
fublime" dans un autre idiome. Homère ne pouvoir
trouver dans un feul dialeCte les expreflions nécef-
faires à fon Génie ; Milton viole à chaque inftant
les règles de fa langue, & va chercher des expref-
fions énergiques dans trois ou quatre idiomes différents;
Enfin la force & l ’abondance , je ne fais
quelle rudefle , l ’irrégularité, le fublime, le pathétique,
voilà dans les Arts le caradère du Génie ,• i l
ne touche pas foiblement, i l ne plaît pas fans étonner,
i l étonne encore par fes famés.
Dans la Philofophie, où i l faut peut-être toujours
une attention fcrupuleufe„, une timidité, une
habitude de réflexion qui ne s’accordent guères avec
la chaleur de l ’ imagination , & moins encore avec
la confiance que donne le G é n ie , fa marche eft
diftinguée comme dans les Arts ; i l y répand fréquemment
de brillantes erreurs ,* i l y a quelquefois
de grands fuccës. Il, fa u t , dans la Philofophie ,
chercher le vrai avec ardeur & l ’efpérer avec patience.
I l faut des hommes qui puiffent dilpofer de
l ’ordre & de la fuite de leurs idées ; en fuivre la
chaîne pour conclure, ou l ’interrompre pour douter
: i l faut de la recherche, de la difcuflion, de
la lenteur l ’on n’a ces qua lité s, ni dans le tumulte
dés partions , ni avec les fougues de l ’imagination.
Elles font le partage de l ’efprit étendu ,
maître de lui-même ; qui ne reçoit point une perception
, fans la comparer avec une perception ;
qui cherche ce que divers objets ont de commun
, & ce qui les diftingue entre eux ; qui ,
pour rapprocher des idées éloignées , fait parcourir
pas à pas un lon g intervalle; qui, pour faifîr les
liaifons fingulières, délicates, fugitives , de quelques
idées voifines, ou leur oppofition 8c leur
j contrafte, fait tirer un objet particulier de la foule