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vfque adeà-ne mon miferum ? ètoit exprimé fans
F igur e de cette forte , non e jl ufque adeo mon
miferum , i l auroit fans doute beaucoup moins de
force. L a raifon eft que la première conftruétion
lignifie beaucoup plus que la fécondé ; car elle
exprime non feulement cette penfée, que la mort
n eji p a s un f i grand mal que Von s ’ imagine ,
mais e lie repréfonte de plus /idée d’une perfonne
qui fe roidit contre la mort & qui l ’envifage fans
effroi ; image beaucoup plus vive que n eft la pen-
fée même à laquelle elle eft jointe : i l n’eft: donc
pas étrange qu’elle frape davantage , parce que
ram e s’ inftruit par les images des vérités , mais elle
ne s’émeut guères que par l ’image des mouvements*
A u refte , les F ig u r e s , après avoir tiré leur
première origine de la nature , des bornes d’un Lang
a g e lîmple , & de la groffièreté des conceptions ,
ont contribué dans la fuite à l ’ornement du dif-
cours ; de même que les habits , qu’on a cherchés
d’abord par la neceflité de fe couvrir , ont avec
le temps fervi de parure. L a conduite de l ’homme
a toujours été de changer fes befoins & fes néceffi-
tés en parade & en lu x e , toutes les fois qu’i l a
pu le faire. Les Figures devinrent l ’ornement du
difoours , quand les hommes eurent aquis des
connoiffances affez étendues des arts & des fciences ,
pour en tirer des images qui , fans nuire à la
c la r té , étoient auffi riantes, auffi nobles, aufli
fublimes que la matière le demandoit. Enfin ,
comme on abufe de tout \ ôn crut trouver de grandes
beautés à fur-charger le ftyle d’ornements ; pour
lors le fonds ne devint plus que l ’acceffoire , & l ’art
tomba dans la décadence.
I l eft certain néanmoins que l ’emploi des F i gures
bién ménagé décore le difcours, l ’anime ,
l e foutient, lu i donne de l ’élévation, touche le
coeur , réveille l ’efprit, l ’ébranle & le frape vivement.
L a Poéfîe fortout eft en pOffeffion de s’en
fervir; e lle a droit d’en étendre l ’ufage plus loin
que la Profo; elle peut enfin perfonnifier noblement
les chofôs inanimées. Ariftote., Cicéron ,
•Quintilien, L o n g in , & pour nommer encore de
•plus grands m a î t r e s l e goût & le génie , vous
apprendront l ’art de placer les F ig u r e s , de les di-
verfîner , de les multiplier à propos, de les cacher
y de les n é g lig e r , de les omettre, &ç. Tout
cela n eft point de mon fujet ; je me contenterai
feulement de remarquer que , comme les Figures
lignifient ordinairement, avec les chofes, les mouvements
que nous reffentons en les recevant & en
■ parlant, on peut juger afFez bien, par cette règle
générale , de l ’ufage qu’on doit en faire & des fojets
auxquels elles font propres. I l eft vifible qu’i l eft
•ridicule de s en forvir dans les matières' que l ’on
'regarde d’un oe il tranquile , & qui ne produifent
-aucun mouvement dans l ’efprit ; car puifque les
Figures expriment les mouvements de notre ame,
ce lles que l ’on met dans les fujëts où l ’ame ne s emeut point, font des mouvements contre nature
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& des efpèces de convulfions. [L e chevalier DE J.AU*
C O U R T . )
F ig u r e , terme de Rhétorique, de Logique, &
de Grammaire. C e mot vient de fin g e r e , dans le
fens d’ efformare, componere , former, difpofer ,
arranger. C ’eft dans ce fens que Scaliger dit que
la Figur e n’eft autre chofe qu une difpofition particulière
d’un ou de plufieurs mots : N ih il aiiu d
e jl Figura quam termini aut tenjiinorum difpo-
f itio . Scalig. exercit. Ixj. c. i . A quoi on peut
ajouter, que cette difpofition particulière" eft
relative à l ’ état primitif & pour ainfi dire fondamental
des mots ou des phrafes. Les différents
écarts que l ’on fait dans cet état primitif & les
différences ' altérations qu’on y apporte , font les
différentes Figures de mots & de penfées. C ’eft
ainfi qu’en Grammaire les divers modes & les
différents temps des verbes fuppofent toujours le
thème du verbe, c’eft à dire , la première perfonne
de l ’indicatif j tuttt© eft le thème de ce verbe. Ainfi,
les mots & les phrafes font pris dans leur état
fimple , lorfqu’on les prend félon leur première
deftination, & qu on ne leur donne aucun de ces
tours ou caractères finguliers qui s’éloignent de
cette première deftination & qu’on ap pelle F i gures.
Je vais faire entendre ma penfée par des exem«
pies. Selon la conftruftion fimple & néceffaire,
pour dire en latin i ls ont aim é , on dit amave-
runt ,* fi au lieu d3amaverunt vous dites 'amârunt,
vous changez l ’état originel du m o t , vous vous en
écartez par une Figure qu’on appelle Syncope ;
c’eft ainfi qu’Horace a dit evdjlï pour evafijli•
(/. I l , fa ty r e v ij. v. 68. ) A u contraire, fi vous
ajoutez une fyllabe que le mot n’a point dans fon
état p rimitif, & qu’au lieu de dire am ar i, être aimé,
vous difiez amarier., vous faites une Figur e qu’on
appelle Paragogé.
Autre exemple : ces deux mots Cérès & B a c -
chus font les noms propres & primitifs de deux
divinités du paganifme; ils font pris dans le fens
p ropre, c^eft à d ire , félon leur première deftina—
tio n , lorfqu’ils fignifient Amplement l ’une ou l ’autre
de ces divinités : mais comme Cérès étoit la déeffe
du blé & Bacchus le dieu du v in , . on a fouvenr
pris Cérès pour le pain & Bacchus pour le vin ;
& alors les adjoints ou les circonftances font con-
noître que l’ efprit confidère ces mots fous une nouv
e lle forme, fous une autre F ig u r e , & l’ on dit
qu’ils font pris dans un fens figur é. I l y a un grand
nombre d’exemples de cette acception, fous le s quels
les noms de Cérès & de Bacchus font pris ,
furtout en latin ; ce que quelques-uns de nos poètes
ont imité. Madame des Houlières a pris pour refrain
d’une ballade :
L'amour languit fans Eacchus & Cérès 5
c’eft à dire, quon nefonge guères à faire l ’amour
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manJ on n’a pas de quoivirae : cette Vig uH s’appelle
M é to n ym ie .
Les Figures font diftinguées ' l ’une de l ’autre
par une conformation particulière ou caractère
propre qui fait leur différence ; c’ eft la corifidération
5e cette différence qui leur a fait donner a chacune un
nom particulier.
Nous fommes accoutumés à donner des noms tant
aux êtres réels- qu’aux êtres métaphynques ; c eft
une fuite de la réflexion que nous fefons fur les
différentes vues de notre efprit : ces noms nous
fervent à rendre pour ainfi dire fenfiblès les objets
métaphyfiques qu’ ils fignifient , & nous aident a
mettre de l ’ordre & de la pxéçifion dans nos pen-
fées. : . r
L e mot de F igur e eft pris ici dans un fens
métàphyfique & par imitation : car commue tous
les corps, outre leur étendue, ont chacun leur
Figur e ou conformation particulière & q u e , lorf-
qu ils viennent a en changer, on_ dit qu’ils ont
changé de Figure ; de même tous les mocsconf-
truits ont d’abord la propriété générale , qui con-
fifte à lignifier un fens en vertu de là conftruétion
grammaticale , ce qui convient a toutes lès phrafes
& a tous les affemblages de mots çonftruits-, mais
de p lu s , les 'éxpreffiôns figurées ont encore .chacune
une modification fingulière , qui four eft propre
Sc qui les diftingue l ’une de l ’autre. O n ne
fauroit croire jufqu’à quel point les grammairiens
& les rhéteurs ont multiplié leurs obfervations •, &
par conféqfient les noms de ces Figures. I l e f t ,
ce me. femb le, affez inutile dé charger la mémoire
du détail de ces différents noms ; . mais on doit
connoître les différentes fortes ou efpèces de Figur es,
& favoir les nom? de celles de chaque efpèce qui font
le plus en ufage.
I l y a d’abord deux efpèces générales de Figures
a °0 Figures de mots , z ° . Figur es de penlees; la
différence qui fe trouve entre ces deux fortes de. F ig u res
eft bienfenfible.
« Si vous changez le m o t , dit Cicéron , vous
» ôtez la Figure du mot ; au lieu que la Figure de
» penfée fubfifte toujours, quels que foient les mots
» dont vous vous ferviez pour l’ énoncer ». Confor-
matio verborum tollitur, f i verbamutatis;.fenten-
tiarum p ermanet, quibufeumque verbis uti v élis.
D e Orat. lib. l l l , c. l ij . Par exemple * fi- en parlant
d’une! flotte., vous dites qu’elle eft compofée
de cent voiles ,; vous, faites une Figure de mots j
fubftiruez vaijjéau x à v o ile s , i l n’y a plus de Fir
gure. ' ' • ^ "■ -- '•••'
Les Figures de mots tiennent donc êffencielle-
ment au matériel des mots ; au lieu que les F i gures
de penfées n’oht befoin des mots que pour
être énoncées : e lles font effenciellement dans l’ame,
Sc confiftent dans la forme’ de la penfée & dans l ’ef-
pèce du fehtiment.
§. I. A l ’égard des Figur es de mots , i l y en a de
quatre efpèces. ‘
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i 0.. Par .rapport au matériel du mot , c’eft à
dire, par rapport aux changements qui arrivent aux
lettres ou fons dont les- mots font eompofés j on les
appelle Figures de diction.
i° .O u par rapport à la conftruérion grammaticale ; •
on les appelle Figures de confiruclion.
3°. L a troifième claffe de F igur es de mots ,
ce font celles qu on ap pelle Tropes , par rapport
au changement qui arrive' alors à la fignification
du mot y é’eft lorfqu’on donne à un mot un fens différent
de celui pour leque l i l a été premièrement établi ;
TpoTr« , couverfiio ,• r j- r a , verto.
40. L a quatrième forte de F igur es de mots,
ce font celles qu’on ne fauroit ranger dans la claffe
des tropes , puifque les mots y confervent leur
première fignification,; on ne peut pas dire non
plus que ce font des Figur.es de penfées , puifque
ce n’ eft que par les mots <3ç les. ffyllabes., & non
par la penfée;, qu’elles font Figur es , c’eft à dire ,
qu’elles ont cette conformation particulière qui les
diftingue des autres façons de parler.
Donnons des exemples de chacune de ces F ig u res
de mots , ou du moins des principales de chaque
efpèce. .. ;
D e s Figures de diction qui regardent le matériel
du mot. Les altérations qui arrivent au mat
é r ie l'd ’un mot fe font en cinq manières différentes
: i ° . ou par augmentation; z ° . ou par diminution
de quelque lettre, ou du fon ; 3®. par rranfi*
pofition de lettres ou de fyllabes ; 40. par la réparation
d’une fyllabe en deux ; f ° . par la réunion de
deux fyllabes en une.
I. Par augmentation ou pléonâfme ; ce qui fe fait
ou au commencement du mot , ou au. m ilieu , ou
à la fin.
i ° . L ’augmentation qui fe. fait au commencement
du mot eft appelée P ro flhè fe y vpoerSrtc-is ; comme
gna tu s pour natus . vefper du grec tW«pof.
z ° . C e lle du milieu eft appelée Èp en thè fe ,
ETÉvS’ttr« ; relligio pour religio , Mavors au lieu
de M a r s , ihduperdtor pour imperator.
3 0. Celle-de la: fin , P a rà g o g e , oretfuyoyri j comme
amarier au lieu d3amari.
II. L e retranchement-fe fait de même.
i ° . A u commencement, & on l ’appelle Aphérèfe,
comme dans V irg ile temnere pour contemiiere
;
Difcite jujlitiam moniti, &\non temnere Divos.
ALn. 'VI, 620. - • ;
; i ° . A u milieu, & on le nomme Syncope ,5-v>xoôrjS ;
amârit pour amaverit, feuta yirûm pour vira-
rum.
30. A la fin du mot ., on le nomme Apocope
dsToxo^n' ; negotî pour n eg o tii, cura p e cu lî pour
pe cu lii:
Necfpes Ubertatis erat, ntc cura peculî.
Virg. EcLi» 34,