
Le s auteurs latins font remplis de ces parafes
im ita t iv e s , qui ont été admirées & citées avec
éloge par. les écrivains du bon temps : elles ont
été louées par les-romains du temps d’Augufte, qui
étoiene juges compétents de ces beautés. T e l eft le
vers de V irg ile qui dépeint Polyplîême 5
M.onJincmhorrendum, informe, ingens, eux lumen ademptum :
ce vers , prononcé en fuprimant les fyllabes qui
font élifion & en fêlant former 1*« comme les romains
le fefoient fourrer , * devient , pour ainlï
pa rler, un vers mon fou eux. T e l eft encore le vers
où Perfe parle d’un homme qui nazille , & qu’on
ne fauroit auffi prononcer qu’en nazillant 3
Rancidulum quiddam balbâ de nare loquutus.
L e changement arrivé dans la prononciation du
latin nous a v o ilé , fuivant les apparences , une
partie de ces beautés 3 mais i l ne nous les a point
cachées routes.
Nos poètes , qui ont voulu enrichir leurs vers
de ces phrafes im ita t iv e s , n’ont pas réulîi au goût
des françois, comme ces poètes latins réuliîffoient
au goût des romains. Nous rions du vers où. du
Barcas- d i t , en décrivant un courlier , L e ch am p
p la t b a t , a b b a t . Nous ne traitons pas plus- férieu-
fement les vers où Ronfard décrit en phrafes im ita t
iv e s le vo l de l ’Alouette :
Elle guindée du Zéphyre ,
Sublime en l’air, vire 8c revire,
Et y déclique un joli cri,
Qui rit , guérit, & tire l’ire
Des efprits mieux que je n’ écri.
Pafquier raporte plufieurs autres phrafes im ita t
iv e s des poètes françois, dans le chapitre de fes
R e c h e r c h e s , où i l veut prouver q u ê no tr e la n g u e
f r a n ç o i f e n e j l p a s m o ïn s f'ca p a b le q u e la la t in e
d e b e a u x t r a i t s p o é t iq u e s ( iiv . v i r i , ch. 10) 3
xnais les exemples que Pafquier raporte réfutent fa
proportion.
En e ffe t, parce qu’on aura introduit quelques
phrafes im ita t iv e s dans des vers , i l ne s’enfuit pas
qüe ces vers foient bons. I l faut que ces parafes
im ita t iv e s y a) ent été introduites , fans préjudicier
au fens & à la confouction grammaticale. O r i l
ne me fouvient que d’un feul morceau de Poéfie
françoife qui foie de cette efpèce , & qu’on puiffe
oppofer, en quelque façon, à tant d’autres vers que les
la-ins de tous les temps ont loués dans les ouvrages
des poètes qui avoient écrit en langue vulgaire . C e f t
là defeription d’un affaut, qui fe trouve dâns l ’ode
de Defpréaux fur la prife de Namur. L e poète y
dépeint, en phrafes im ita t iv e s & en vers élégants ,
le.fbidat qui gravit contre une brèche & qui v eu t ,
Sur les monceaux de piques,
De cotps morts, de rocs, de briques,
S’ouyrir un large chemin.) ;M . Beauzée.)
(N.) IM IT A T IO N , f. f. Grammaire. Je ne
défigne point ici , fous le nom l im i ta t io n , ce
talent heureux dont la nature a mis en nous lé
germe , & qui Confifte à nous remplir fi bien des
penfées , des images, des fentiments des excellents
écrivains, q u e , pénétrés en quelque forte de leur
e fp r it , nous penfions , nous peignions * nous l'entions
, nous nous exprimions d’après eux & comme
eu x , fans nous'avilir toutefois par le plagiat. Je
parle d’une prétendue figure de Syntaxe, par la quelle
, félon M. du Mariais, on imite quelque façon
de parler d’une langue étrangère , ou même de la
langue qu’on parle. Noye^ F igure.
Mais fi la locution imitée eft conforme aux principes
généraux du langage , on ne doit pas la
regarder comme une figure, & l 'Imitation eft
inutile à y remarquer : h elle s’écarte en quelque
point des principes primitifs, c’eft une figure fans
doute ; mais c’eft à caufe de cet écart des principes
primitifs , & non à caufe de la relfemblance qu’e lle
peut avoir avec quelque autre expreflion. Voye^
Idiotisme.
Communément l ’E llip fe fait tout le myftère de
ces idiotifmes figurés 3 & i l fuffit au grammairien
analogifte de la reconnoître & d’en afïigner le
fuppiemenr , pour en rendre raifon & l ’expliquer.
Que les hébreux , les grecs , les latins , les ce ltes ,
les arabes, ou d’autres, en ayeric fait ou eh fof-
fent ufage ; qu’importe à qui ne veut qu’entendre ou
être entendu ? '
D ’ailleurs tout eft Imitation dans le langage j
fans Imitation nous ne parlerions pas : i l ne faut
donc pas reftreindpc ce mot à un ufiige particulier.
Quelquefois même on l ’applique à faux dans ce
fens reftreint : quand on d i t , N ou s avons f a i t
un g r a n d , grand repas ; c’eût, dit-on , la figure
A3Im ita tion , parce que c’eft un Hébraïfme , ou la
manière dont les hébreux formoient leur fupeiTatift
Erreur : les enfants & le peuple parlent tous de
cette manière , parce que la nature fuggère a
tous que grand , g ra n d , eft plus que grand*
(M . B e a u z é e . )
Im it a t io n . Philofophie. C ’eft la repréfenta-
tion artificielle d’un objet. L a nature aveugle
n’imite point ; c’ eft l ’art qui imite. Si l ’art imite
par des voix articulées, Y Imitation s’appelle JDif-
cours , & le difeours eft oratoire ou poétique.
Voye\ É loquence & P o é s ie . S’i l imite par des
fon s, Y Imitation s’appelle Mufeque. S’i l imite
par des couleurs , Y Imitation s’appelle Pein tur e .
S’ i l imite avec le bols , la pierre , le marbre , ou
quelque autre matière femblabie 3 Y Imitation s appelle
Sculpture. L a nature eft toujours vraie 3 l ’art
ne rifqueradonc d’être faux dans fon Imitation , que
quand i l s’écartera de la nature, ou par caprice
où par l ’impoffibilité d’en approcher d’affez près.
L ’art de Y Im ita tio n , en quelque genre que ce
fo i t , a fon enfance , fon état de perfection, & fon
moment de décadence. Ceux qui ont créé l ’art ,
n’ont eu de modèle que la nature 3 ceux qui l ’ont
perfectionné , 11’ont été,- à les juger à la rigueur,
que les im ita teu r s d©^premiers : ce qui ne leur a
point ôté le titre -d’hommes de génie 3 parce que
bous apprécions moins le méri.e des ouvrages par
la première invention & la difficulté des obfoicles
furmontés ,' que par le degré de perfeÇtion & lw e : .
I l y a , dans la nature , des objets qui nous aftèCtent
plus que d’autres 3 ainfi, quoique Y Im i ta t io n des
premiers foie peut-être plus facile que Y Im ita t io n
des féconds , elle nous intéreffera davantage. L e
jugement de l ’homme de goût & celui de farci lie
font bien différents. C ’eft la difficulté de rendre,
certains effets de la nature , qui tiendra l ’artifte
fufpendu en admiration. L ’homme de goifo ne
cormoît guères ce mérite , de l ’ Im ita t io n ; i l tient
trop au technique qu’i l ignore : ce font des qualités
doiiv la connoilfance eft plus générale & plus commune
, qui fixeront fes regards. \ J Im i ta t io n eft.
rigoureufe bu libre , celui qui im ite rigoureufer';
nient la nature , en eft l ’hiftorien. V q y e \ Histo
ire. C e lu i qui la çompofe, l ’exagère, l ’afroiblit,
l ’embe llit, en diïpofe à îôn gré , en eft le poète.
J^qye-^ Poésie. O h eft hiftorien ou copifte dans
tous les genres l im i t a t i o n . O n eft poète , dé
quelque manière qu’on peigne ou qu’on im ité .
Quand Horace difojt aux im ita teu r s , O im ita -
to r e s fervuin- p e c u s , i l rie s’adrefïoit ni à ceux
qui fe proposaient la nature pour modèle , ni à
ceux q u i, marchant fur les traces des hommes de
génie qui les- avoient précédés , chef choient à
etendre la carrière. C e lu i qui invente un genre
<YImitation , eft un homme de génie’. Celui, q ui
perfectionne un genre l im i t a t i o n inventé , ou qui
y e x c e lle , eft auffi un homme de génie. V o y e^
l e s deux a r t ic le s f u i v a n t s . ( M . D id e r o t . )
Imitation , P o é f i e , R h é to r iq u e .
Rien n’eft plus permis que d’ufer des ouvrages
qui font entre les mains de tout le monde : ce n^eft
point un crime de les copier 3 c’eft au contraire
dans cés écrits , félon Quintilien -, qu’i l fout
prendre l ’abondance & l a richefîe des termes, la
varié, é des figures, & la manière dé compo fer &
enfuite, ajoii.e cet orateur 3 on s’attachera forcement
à im ite r les perfections que l ’on voit en eux 3
car on ne doit pas douter qu’une bonne partie de
Part ne confifte dans Y Im ita t io n adroitement dé-
guifée.
s Laiffons dire à certaines gens que Y Im ita t io n
n eft. qu une efpèce de fervitude qui.tend à étouffer
la vigueur de la nature 3 . loin d’affoiblir cette
nature p les avantages qu’on en tire ne fervent qu’à
la fortifier. C ’eft ce que M. Racine a prouvé- folide-(
ment dans un mémoire agré able, dont le précis dé-,
corera cet article.
r Stefychore , Archiloque , Hérodote, Pla ton , ont
été des im ita teu r s d’Homère, lequel vvaifembla-
blement n a pu lui-meme , fans Y Im i ta t io n de ceux
qui l ’ont précédé , porter tout d’un coup la Poéfie
a fon plus haut point de perfeÇtion. V irg ile n’écrit
prefque rien qu’i l n imite; tantôt i l fiiic Homère ,
tantôt Théocrite tantôt Héfiode , & tantôt les
poètes de fon temps : & c’ çft pour avoir eu tant de
modèles, qu’i l eft devenu un modèle admirable à fon
tour. •
L e plus heureux génie a befoin- de fecours
pour croître : & fe foutenir 3 i l ne trouve pas
tout, dans ion fonds. L ’ame; ne fauroit concevoir
n i enfanter une production célèbre , fi elle n’a été
comme fécondée par une four ce abondante de con-
#noiffances. N os efforts foin inutiles , fans les-dons
de la nafurej & nos eftor.s font imparfaits, fi Y Imitation
vie. pèrfeéfiorine ces dons.
■ Mais i i ne fufS'c pas de connoître l ’ utilkë dé
Y Im ita tion.5 i l fout lavoir encore quelles règles on
doit fuivre pour>en tirer les avantages q u e lle eft
eap?ble de procurer.
L a première chofe qu’i l fout foire, eft de fe
choifir un bon modèle. 11 eft plus facile qu’on ne
penfe dé fe laiffer furprendre par des guides dangereux
- ; on a: befoin de fagacité pour difeerner
Ceux auxquels, .on doit fe livrer. Combien Sénèque
a - t - i l contribué ài corrompre le goût des jeunes
gens de fon temps & du nôtre ! Lucain a égaré
plufieurs efprits qui ont voulu Y im ite r , & qui ne
pofledoient pas le feu de fon éloquence. Son traducteur
, entraîné comme les autres , a eu la fo lle
ambition. Mde lu i dérober la' gloire du ftyle ampoulé.
• I l rie fout pas même s’attacher tellement à un
excellent m o d è le , qu’i l , nous conduife feul & nous
foffe oublier tous les autres écrivains. I l fout ,
comme une abeille diligente , voler de tous e ô .é s,
& s’enrichir du fuc de toutes les fleurs. V ir g ile
trouve de l ’or'dans, le.fum ie r d’Ennius 3 & celui
qui peint Phèdre d’après Euripide, y ajoute encore
de nouveaux traits que Sénèque lu i p ré-
fente.
L e difeernement n’eft pas moins néceffaire pour
prendre dans les modèles qu’on a choifis les chofes
qu’on doit imiter..Tout n’e lî pas également bon dans
les meilleurs auteurs3 & toucce qui eft bon ne co n vient
pas également dans tous les temps & dans tous
les 'lieux.
D e plus , ce n’eft pas affez que de bien choifir 3
Y Imitation doit être faite cfune manière noble ,
généreufe , & pleine.de liberté. L a bonne Imitation
eft une continuelle invention. I l fou t, pour
ainfi dire, fe transformer en fon modèle , embellir
fes penfées , & par le . tour qu’on leur donne , fe
les approprier, ‘ enrichir ce qu’on lui prend , & lu i
laiffer ce qu’on ne peut enrichir.
Malherbe montre, comment on peut enrichir la
penfée d’un autre ,: par l ’imagé fous laque lle i i re-
préfente le vers fi connu d’Hora ce ,
Pallida mors oequo pulfat pede paiiperum tabemas'.
Kegum^ue iurres.