
la diverfité des Genres attribués à un même nom
dans les divers âges de la même langue , & fouvent
dans le même âge. A lv u s en latin avoit été maf-
•** culin dans l ’o r ig in e , & devint enfuite féminin ;
en françois navire, qui étoit autrefois féminin, eft
au jourdhui mafculin \ duché eft encore mafculin ou
féminin.
Ç g feroit donc une peine inutile , dans quelque
langue que ce fût , que de vouloir chercher ou
établir' des règles propres â faire connoître les
Genres des noms : i l n’y a que l ’ufage qui
puiffe en donner la connoiflance ; & quand quelques
uns de nos grammairiens ont fuggéré comme
un moyen de reconnoitre J.es G en r e s , l ’application
de l ’article le ou la au nom dont i l eft question
, ils n’on: pas pris garde qu’i l falloit déjà
connoître le Genre de ces noms, pour y appliquer
avec jafteffe l ’un ou l ’autre de ces deux articles.
_ Mais ce qu’i l y a d’utile à remarquer fur les
Genres , c’eft leur véritable deftination dans l ’ art
de la P a ro le , leur vraie fonétion grammaticale ,
leur Service réel : car voilà ce qui doit en confti-
tuer la nature & en fixer la défini:ion. Orunfimple
coup d’oe il lur les parties du difcours aflujetties
à l ’influence des Genres, va nous en apprendre
l ’ufage, Seen même temps, le vrai motif de leur infti-
tution.
Le s noms- préfentent à l ’efpri: les idées des objets
confidérés comme étant ou pouvant être les Sujets de
diverfes modifications, mais fans aucune attention
déterminée à_ces modifications. Le s modifications
elles-mêmes peuvent être les Sujets d’autres modifications
; & envifàgées fous ce point du vue , elles ont
aufli leurs noms comme les fubftances.
Les adjectifs préfentent à l ’efprit la combinaifon
des modifications avec leurs fujets ; mais en déterminant
précisément. la modification‘ renfermée dans
leur v a leu r, ils n’indiquent le fujet que d’une- manière
vague , qui leur la ifle la liberté de s’adapter
aux noms de tous les objets fufceptibles de la même
modification : U n gra n d chapeau, une grande d if f
ic u l t é , &c.
Pour rendre fenfible par une application décidée
le raport vague des adjeétifs aux noms, on leur
a .donné dans prefque toutes les langues les mêmes
formes accidentelles qu’aux noms mêmes, afin de
déterminer par la concordance des terminaifons la
corrélation des uns & des autres. A in f i, les adjectifs
ont des nombres & des cas comme les noms ,
8c font comme eux affujettis à des déclinaifons, dans
le s langues qui admettent cette manière d’exprimer
les raports des mots. C ’eft pour rendre la corrélation
des noms & des adjeétifs plus palpable encore,
u’on a introduit dans ces langues la concordance
es Gen r es , dont les adjeétifs prennent les différentes
livrées felon l ’exigence des conjonctures &
l ’état des noms au fervice defquels ils font aflu-
jeuis . '
L e s verbes fervent aufli, à leur fa ç o n , pour p ré-
Tenter à l ’efprit la combinaifon des modifications
avec leurs fujets j ils en expriment avec précifîon
te lle ou telle modifica ion j iis n’indiquent pareillement
le fujet que d’ une manière vague qui leur
laifle aufli la liberté de s’adapter aux noms de tous
les objets fufcep.ibles de la même modification :
D ie u v eu t, les rois veulent, nous voulons , vous
v oule z, &c.
En introduifant donc dans les langues l’ ufage des
Genres , on a pu revêtir les verbes de rerminai-
fons relatives à cette diftinétion , afin d’ôter à leur
lignification l ’équivoque d’une application dou-
teufe au fije-r auquel e lle a raport : c’eft une
conféquence que les orientaux ont fentie & appliquée
dans leurs langues, & donc les grecs , les la t in s ,.
& nous-mêmes n’avons fait ufage qu’à l ’égard des participes
, apparemment parce qu’ils rentrent dans 1 ordre
des adjeétifs.
C ’ eft donc d’après ces ufages conftatés & d’après
les obfervations précédentes, que nous croyons que ,
par raport aux noms ,, les Genres ne font que
les différentes clafles dans lefquelles on les a rangés
aflez arbitrairement, pour fervir à déterminer
le choix des terminaifons des mots qui ont avec
eux un raport d’identité ; & dans les mots qui ont
avec eux ce raport .d’identité , les Genres font
les diverfes terminaifons qu’ ils prennent dans le
difcours relativement a la clafle des noms leurs
corrélatifs. A in fi, parce qu’i l a plu à l ’ufage de
la langue latine que le nom yir fut dû Genre
mafculin , que le nom mulier fut du Genre féminin
, & que le nom carmen fût du Genre neutre
j i l faut que l ’adje.étif prenne avec le premier
la terminaifon mafeuline, vir p lu s ; avec le fécond ,
la terminaifon féminine, mulier p ia ; & avec le troi-
fième, la terminaifon neutre, carmen pfum : p iu s ,
p ia , pium, c’eft le même mot fous trois terminaifons
différentes , parce que c’eft la même idée raportée à
des objets dont les noms font de trois Genresèàhéxtnts.
I l nous femble que^cette diftinétion des noms
& des adjeétifs eft abfolumen: néceflaire pour bien
établir là nature 8c l ’ufàge des Genres : mais cette
néceflité ne prouve-t-elle pas que les noms~ & les
adjeétifs font deux efpèces de mots , deux'parties
d’oraifon réellement différentes,.? M. l ’abbé F ro -
mant, dans fon fupplément aux chapitres i l , m &
i v de la IIe partie de la Grammaire gén é rale,
décide nettement contre M. l ’abbé Girard, eçie fa ir e
du fu b f la n t i f & de V a d je c li f deux parties d’ oraifo
n d i f f é r e n t e s c e n efl p a s là pofer de vrais
principes. Ce n’ eft pas ici le lieu de juftifier ce
fyftême;* mais nous ferons obferver à M. Fromant,
que M. du Marfais lui-même, dont i l paroît admettre
la doétrine fur les Genres , a été contraint,
comme nous , de diftinguer entre fubftantif & adje
é tif , pour pofer de vrais p r in c ip e s , au moins
à cet égard. On ne manquera pas de répliquer
ue les fubftantifs & les adjeétifs étant deux efpèces
ifférentes de noms, i l n’eft pas furprenant qu’on
diftingueles uns des autres j mais que cette diftinétion
ne
fie prouve point que ce foient deux parties d’orai-
fons différentes. « C a r , dit M. Fromant, comme
» tout adjeétif uniquement employé pour qualifier,
eft néceflairement uni à fon fubftantif, pour ne
» faire avec lui qu’tm feul & même fujet du verbe ,
» ou qu’un feul & même régime, foit du verbe foit
» de la prépofition) comme on ne conçoit pas qu’une
» fubftance puifle exifter dans la nature fans être re-
59 vêtue d’un mode -ou d’une propriété ; comme la
»propriété eft ce qui eft conçu dans la fubftance ,
» ce qui ne peut fu.bfîfter fans e l l e , ce qui la dé-
» termine à être d’une certaine façon , ce qui la fait
» nommer telle : un grammairien vraiment logicien
» voit que l ’adjeétif n’eft qu’une même chofe avec
» le fubftantif j que par conféquent ils ne doivent
» faire qu’une même partie d’oràifon $ que le nom
» eft un mot générique qui a fous lui deux fortes de
» noms , favoir, le fubftantif & l ’adjeétif ».
U n logicien attentif doit voir 8c avouer’ toutes
les conféquences de fes principes} mettons donc à
l ’épreuve la fécondité de celui qu’on avance ici.
Tout verbe e fl' néceffairement uni à fo n f u j e t ,
pour ne faire avec lu i q u u n f e u l & même Tout ;
i l exprimé ' une propriété que Von conçoit dans
le f u j e t , qui ne p eu t fu b jifte r fa n s le f u j e t , qui
détermine le fu je t à être d’ une certaine fa ç o n ,
& qui le f a i t nommer te l : un grammairien vraiment
logicien doit d o n c v o ir que le verbe n’ efl
qu’ une même chofe avec le fu je t. On l ’a vu en
effet , puifque l ’un eft toujours en concordance'
avec l ’autre , 8c fur . le même principe qui fonde
la concordance de l ’adjeétif avec le fubftantif, le
principe même d’identité approuvé par M. Fromant
: le verbe & le fu b f la n t i f ne doivent donc
fa ir e aujfi qu’ iine même partie d ’oraifon. Con-
féquenee abfiirde , qui dévoile ou la fauffeté ou
l ’abus du principe d’où elle eft déduite ; mais elle
en eft déduite par les. mêmes voies que ce lle à la quelle
nous l ’oppofbns , pour détruire ou du moins
pour contre-balancer l ’une par l ’autre : ce qui fuffit
aéfcuellement pour la juftification du parti que nous
avons pris fur les Genres. Nous renverrons, à Vartic
le N om, les éclairciflements néceffaires à la diftinétion
des noms & aes adjeétifs. Reprenons notre
matière.
C ’eft à la Grammaire particulière de chaque
langue, à faire connoître les terminaifons que le bon
ufage donne aux adjeétifs relativement aux Genres
des noms leurs corrélatifs} & c’ eft de l ’habitude
confiante^ de parler une langue , qu’ i l faut attendre
la connoiflance fdre des Genres auxquels e lle rapporte
les noms mêmes. L e plan qui nous eft prefi-
erit ne nous permet aucun détail fur ces deux objets.
Cependant M. du Marfais a donné de bonnes obfervations
fur les Genres des adjeétifs. Voye-{ A dj
e c t i f . Nous allons feulement faire quelques remarques
générales fur les Genres des noms & des
pronoms.
Parmi les différents noms qui expriment des animaux
ou des êtres inanimés , i l y en a un très-
G r a m m . e t L i t t é r a t . Tome I L
grand nombre qui font d’un Genre déterminé : entre
les noms dfes animaux , i l s’en trouve quelques-uns
qui font du Genre comjnun, d’autres qui fon: du
Genre épicène; & parmi les noms des êtres inanimés
, quelques - uns font d o u te u x , 8c quelques
autres hétérogènes. V o ilà autant de . termes qu’i l
convient d’expliquer ici pour faciliter l ’intelligence
des Grammaires particulières où ils font ern-*
ployés.
I. Les noms d’un Genre déterminé font ceux qui
font fixés déterminément & immuablement , ou au
Genre mafculin , comme pa te r 8c oculus ; ou au
Genre féminin, comme fo ror 8c m enfa ; ou au Genre
neutre , comme mare8c templum. ,
II. A l ’égard des noms d’hommes & d’animauxr,
la jufteffe & l ’analogie e x i g e a i e n t que le raport
réel aufexe fût toujours caraétérifé, ou par des mots
différents , comme en latin aries 8c ovis , 8c en
françois bélier & brebis ; ou par les différentes ter-
minaifons d’un même mot, comme en latin lupus
8c lupa , 8c en françois loup 8c louve. Cependant
on trouve dans toutes les langues des noms q u i,
- fous la même terminaifon , expriment tantôt l e
mâle 8c tantôt la femelle , & font en conféquence
tantôt du Genre mafculin & tantôt du Genre féminin
: ce font ceux-là que l ’on dit être du Genre
commun, parce que ce font des expreflions communes
aux deux fexes & aux deux Genres. T e l s
font en latin bos , fu s , &c. O n trouve b os mac-*
tatus 8c bos nata , fu s immundus 8c fu s p i -
g fa : tel eft en françois le nom enfant , puif-
qu’on d it, en parlant d’un garçon, le bel en fan t; 8c
en parlant d’une f i l l e , la belle enfant, ma chère en*
fa n t .
On voit donc que, quand on emploie ces noms pour
défigner le mâle , l ’ adjeétif corrélatif prend la ter-'
minaifon mafeuline ; & q u e , quand on indique la
femelle , l ’adjeétif prend la terminaifon féminine :
mais la précifîon qu’i l femble qu’on ait envifagée
dans l ’ inftitution des Genres n auroit-elle pas été
plus orande encore, fi on avoit donné aux adjeétifs
une terminaifon relative au Genre commun pour
les occafîons où l ’on auroit indiqué l ’efpèce fans
attention au fexe -, comme quand on dit, L ’homme
efl mortel ? I l ne s’agit ic i ni du mâle ni de la
femelle éxclufîvement, les deux fexes y font compris.
III. I l y a des noms qui font invariablement da
même Genre 8c qui gardent conftamment la même
terminaifon, quoiqu’on les employé pour exprimer
les individus des deux fexes. C ’eft une au re efpèce
d’irrégularité , oppofée encore à la précifîon qui a
donné naiffance à la diftinétion des Genres ; 8c
cette irrégularité vient apparemment de ce que , les
caraéïères du fexe n étant pas ou étant peu fenfibles
dans plufieurs animaux, on a décidé le Genre de
leurs noms , ou par un pur caprice , ou par quel-
que raifon de convenance. T e ls font en françois les