
e lle fe retroumoit vis à vis de l ’original ; i l
feroit plus fiât conçu , la correfpondance en feroit
plus tôt fentie, & les différences des deux langues
en feroient faifics & juftifiées plus aifément. Mais
dans ce ca s , le texte devroit auffi être imprimé
a p a r t , afin d’éviter une multiplication fuper-
flue.
J’ôfe croire qu’au moyen de cette M éth od e,
& en n’adoptant que des principes de Grammaire
lumineux, & véritablement généraux & raifonnés,
on mènera les enfants au but par une voie fûre , &
debarraflee-, non feulement des épines & des peines
infeparables de la Méthode ordinaire , mais encore
de quantité de difficultés qui n’on t, dans les livres,
d’autre réalité que ce lle qu’ils tirent de l ’inexactitude
de nos principes & de notre pareffe a
les difcuter. Qu’i l me foit permis , pour juftifîer
cette dernière réflexion , de rappeler ici un texte de
.Virgile que j’ai cité a 1* article I n v e r s io n ,
& dont j’ai donné la conftrudion te lle que nous
l ’a laiflee Servius, & d’après lu i faint Ifidore de
Séville ( Æ tie id . i l. 348 ). V o ic i d’abord ce paffage
nvec la ponduation ordinaire :
Juvenes , fortiffima, f r i f l r a ,
P éclora , f i vobis, audentem extrema , cupido ejl
Certa fequi ( quoe f i t rebus fortuna videtis :
ExceJJere omnes, adytis arifque relictis ,
D l quibus Imperium hoc fteterat : fuccurritis urbi
In cenfoe : moriamur, & in media arma, ruamus.
O n prétend que l ’adverbe fru firà , mis entre
deux virgules dans le premier vers, tombe fur le
verbe fuc cu rritis du cinquième vers j & la conf-
trudion d’Ifidore & de Servius nous donne à entendre
que le fécond vers avec les deux premiers
mots ^ du troifîème, font liés avec ce qu’on l i t dans
le fixieme, moriamur, & in media, arma ruamus.
Mais j’ôfe le dire hardiment : fi V irg ile l'avoit
entendu ainfi, il fe feroit mépris groffièrement :
ni la confirudion analytique , ni la conftrudion
ufiielle du latin ou de quelque langue que ce
lô i t , n autorifent ni ne peuvent autorifer de pareilles
entrelacements, fous prétexte même de l’agitation
la plus violente ou de l ’enthoufiafme le plus ir-
refiftible ; ce ne feroit jamais qu’un verbiage ré-
préhenfible , & , pour me fervir des termes de Quin-
tilien, [Infil. v i l . z . ) , p e jor e jl mijlura verhorum.
Mais rendons plus de juftiçe à ce grand poète :
i l fa voit tres-bien ce qui convenoit dans la bouche
d’Eneèv au moment ad u e l ; que des difcours
fuivis , raifonnés, & froids par conféquent, ne pouvaient
pas être le langage d’un prince courageux
qui voyoit fa patrie fubjugée, la v ille livrée aux
flammes , au p i l la g e , à la fureur de l ’ennemi victorieux
, fa famille expoféc à des infultes. de toute
efpèce : mais i l favoit auffi que les partions les
plus vives n’amènent point le phébus & le verbiage
dans l ’clocution ; qu’elles interrompent fou-
K&tf i e s propos çqjj^pipçés, parce qu’eilç$ préfententrapidement
à l ’efprit des torrents, pour ak fî
. e > d’k ées . détachées qui fe fuccèdent fans -cont
in u i té& qui s’afTocient fans liaifon; mais qu’elles
ne laiflent jamais affez de phlegme pour renouer
■ , propos interrompus. Cherchons donc à interpréter
V irg ile , fans tordre , en quelque manière,
ion texte ; & fuivons fans réfiftance le cours des
idees qu i l préfente naturellement. J’en ferois ainfi
la conftrudion analytique d’après mes principes
( je mets en parenthèfe & en caractères différents
les mots qui fuppléent les ellipfes ) : -
Juvenes, peHora fortiffima f r u f i r à , . ( dicite )
Ji cupido certa feq u i ( me ) audentem ( tentare
pericula ) extrema e ft v o bis? V id e t is quoe fo r tu n a
f i t rebus : omnes d î ( à ) quibus hoc Imperium
fteterat exceffiére ( ex) a d y tis que ( ex ) aris relie-
u s . ( Dic ite igitur finein inquem finem) fuc cu r itis
urbi meenfoe l ( Hoc negotium unum , ut ) moria-
niur & (proinde u t) ruamus in arma media .
( decet nos. )
Je conviens que cette conftiudion fait difpa-
roitre toutes les beautés & toute l ’énergie de l ’original.
Mais quand i l s agit de reconnoître le fens
grammatical d’un texte, i l n’eft pas queftion d’en
obferver les beautés oratoires ou poétiques : j’ajoute
que l ’on manquera le fécond p o in t , fi l ’bn n’eft
cfabord affdré du premier ; parce qu’i l arrive fou-
vent que ^l’énergie , la fo r c e , les im a g e s ,. & les
beautés d’un difcours tiennent uniquement à la violation
des lois minutieufes de la Grammaire &
qu’ elles deviennent ainfi le motif & l ’excufe* de
cette tranfgreffion. Comment donc parviendra-t-on
a fentir^ ces beautés , fi 1 on ne commence par
reconnoître le procédé fimple dont -elles doivent
s’écarter ? Je n’irai pas me défier des ledeurs juf-
qu’à faire fur le texte de V irg ile l ’application du
principe que je pofe ic i ; i l n’y en a point qui
ne puiffe la faire aifément : mais je ferai trois re-*
mârques qui me femblent néceffaires.
La première concerne trois fuppléments que j’ai
introduits dans le texte pour le conftruire. i°. [Di-
c ite ) fi cu pid o, &c. Je ne puis fuppléer dicite
qu’en fuppofant que fi peut quelquefois , & fpé-
cialement ici , avoir le même fens que an ( voyez
I n t e r r o g a t i f ) : or cela n’eft pas douteux, 8c
en voici la preuve. A n marque proprement l ’incertitude
, & fi défîgne la fuppofition ; mais il eft
certain que, quand on çpnnoît tout avec certitude,
il n’y a point de fuppofition a faire , & que la
fuppofition tient néceffairement à l ’incertitude :
c eft pourquoi l ’un de ces deux mots peut entrer«
comme 1 autre dans une phrafe interrogative ;
& nous trouvons effedivement dans l ’Évangile
( Matth, x i j . 10. ) cette queftion, S i licet fa b Vatis
curare ? e f t - i l permis de guérir les jours de
fabbat ? Et encore ( L u c , x x i j , 4? ) , Domine , f i
percutimus in g la d io l Seigneur , frappons-nous
de l ’épée ? Et dans faint Marc [ x , z . ) , S i licet viro
iixorem dimittere? eft—i l permis à un homme dq
r en v o y e r fi?n éponfe i C e q ue l ’auteur de la tradyc-*
tion vulgate a fucement imité d un tour qui lui
étoit connu , fans quoi i l auroit employé æh, dont
i l a fait ufage ailleurs. Ajoutez qu’i l n’y a ici
que le-tour interrogatif qui puiffe lie r cette propo--
fition au refte , puifqué nous avons vu que l ’explication
ordinaire introduisit un véritable galima -
thias. i ° . (Dicite igitur in finem quem ûnem) fu c c u ritis
urbi inc en fies ? C ’eft encore ici le befoin évident
de parler raifon, qui oblige« a regarder comme
interrogative une phrafe qui ne'peut tenir au refte
que par là : mais en la fuppofant interrogative ,
le fupplément eft donné tel ou a peu près tel
que je l ’indique ici. 30. (H o c negotium unum ut)
moriamur & (proinde ut) ruamus in arma media ,
(. decet nos ) : les fiibjondifs moriamur & ruamus
fuppofent ut , & ut fuppofe un antécédent {V(>ye\
I n c i d e n t e & S u b j o n c t i f ) , lequel n e
peut guèrés être que hoc negotium ou hoc negotium
unum i & cela même ,* combiné avec le- fens
général de ce qui précède , nous conduit au fupplément
decet nos.
L a fécondé remarque, c’eft qu’i l s’enfuit de cette
conftrudion qu’i l eft important de corriger la ponctuation
du texte de V irg ile en cette manière : *
Juvenes, fortiffima frufira
F éclora, f i vobis ,.dudentem_ extrema',, cupido ejl
Certa fequi l Quoe. fit rébus , fortuna videtis :
Excejfere omnes adytis arifque relictis
D i quibus Imperium hoc fteterat. Succurritis urbi
Incenfce ? Æoriamur & in-media arma ruamus.
L a troifîème remarque, eft la conclufîon même
que j’ai annoncée en amenant fur la fcène ce p a f fage
de V irg ile : c’eft que l ’analyfe exade eft un
moyen infaillible; de faire difparoître toutes lés
difficultés qui ne font que grammaticales, pourvu
que cette analyfe porte en effet fur des principes
folides & avoués par la raifon & par l ’ufage
connu de la langue latine. C ’eft donc le moyen
le plus fur pour faifir.exademenc le fens de l ’aute
u r , non feulement .d’une manière . générale &
Vague , mais dans le détail le plus' grand & avec
la jufteffe la plus précife.
L e petit échantillon que j’ai donné pour effai
de cette Méthode , doit prévenir apparemment
l ’objedion que l ’on pourroit me faire , que l ’examen
trop fcrupuleux de chaque mot , de fa correfpondance
, de fa pofîtion , peut conduire les
jeunes gens à traduire d’une manière contrainte &
fervile , en un m o t, à parler latin avec des-mots
françois. C ’eft en effet les défauts que l ’on remarque.
*l’une manière frapante dans un auteur
anonyme , qui nous donna en 1750 ( a P a r i s ,
che^ Mouchet, 1 vol. I n - n ) un ouvrage intitulé :
Recherches fu r la .langue latine , principalement
p a r raport au verbe , & de la manière de le
bien traduire. On y trouve de bonnes observations
fur les^ verbes & fur d’autres parties d’oraifon :
mais 1 auteur , prévenu qu’Horace fans doute s’eft
trompé quand i l a dit [A rt. poet. t 3 3 ) , Nec ver- bitm verbo curabis reddere , fidus interpres, rend
partout, avec un. fcrupule infoutenable , la valeur
numérique de chaque m o t , & le tour latin le
plus éloigné de la phrafe françoife ; ce qui paroît
avoir influé fur fa diction , lors même qu’i l énonce
fes propres penfées : on y fent le latinifme tout
pur ; & l ’habitude de fabriquer des termes relatifs
a fes- viles pour la traduction, le jette fouvent
dans le barbarifme. Je trouve , par exemple , à la
dernière lign e de la page 780 [ tome II ) , On ne
les expo f i à tomber en des défigurements du texte
original, ou même en des écars du vrai fin s ;
& vers là fin de. la page fuivante : E n effet , après avoir propofé pour exemple dans fin traité
des' études?, & qu’i l y a beaucoup exalté cette
traduction. . ■
O n pourroit penfer que ceci feroit échapé à
l ’auteur par inadvertence : mais il y a peu de pages,
dans plus de mille qui forment lès deux volumes -
bu l ’on ne puiffe, trouver plufieurs exemples de
pareils écarts , 8c c eft par ce fyftême qu’i l défigure
notre langage : i l en fait une profeflîon ex-
prèffe dès la page 7 de fon É pitre qui fir t de
préface, dans une note très - longue , qu’i l augmente
enqore dans, fon errata , page 8551 , de ce
mot de Furetière j Les délicats improuvent plufieurs
mots par caprice, qui font bien f r a n ç
o i s & néceffaires dans la langue ( au mot Im- prouver) ; & i l a pour ce .fy ftêm e , furtout dans
fes traductions, la fidélité la plus religieufe. C ’eft
qu’i l eft.fi attaché au fens le plus litté ra l, qu’i l
n’y a point de facrifices qu’i l ne faffe & qu’i l
ne foit prêt à faire pour en conferver toute l ’intégrité.
11 me femble auNcontraire que je n’ai montré
la traduction littérale qui refaite de l ’analyfe de
la phrafe , qfie comme un moyen de parvenir, &
à l ’intelligeHCe du fen s, & à la connoiffance du
génie propre du latin : car loin de regarder cette
interprétation littérale comme le dernier terme oià
aboutit la Méthode analytique, je ramène enfuite
le tout au génie de notre langue , par le fecours
des obfervations qui conviennent à notre idiome. ‘
O n peut m ’ o b je c t e r ençbfe la longueur de mes
procédés : ils exigent qu’on repaffe vingt fois fu r ie s
mêmes mots afin de n’omettre aucun des afpefts
fur lefquels oh peut les envifagerjde forte q u e ,
pendant que j’ explique une page à mes élèves ,
un autre en expliqueroit au moins une douzaine
à ceux qu’i l cpnduit avec moins d’appareil. Je conviensvolontiers
de cette différence , pourvu que
l ’on me permette d’en ajouter quelques autres,
i ° . Quand les élèves de la Méthode analytique
ont vu doiize pages de latin , ils les favent bien.
& très - bien , Juppofé qu’ils y ayent donné l ’attention
convenable ; au lieu que les élèves de la Méthode ordinaire , après avoir expliqué douze
pages , n’en favent pas profondément la valeur
d’une fe u le , par la raifon fimple qu’ils n’ont rien