>> qu’ on n’ a p a s i enfuite , fans avoit egard à la
» phrafe latine , on traduit, Faune change le
» Lucrecile pour 'le Lyce'e ; & comme cette es-
» prelfion lignifie en françois, que Faune pâlie du
» Lucrétile au Ly cée , & non du Lycée au Lu-
w crétile , ce qui eft pourtant ce quon lait bien
» qu’Horace a voulu dire , on eft obligé de re-
» courir à VHypallag e , pour lauver le conire-
» Cens que le françois feul préfence* Mais le ren-
» verfement de conftruction ne doit jamais renverfer
>5 le fens, comme je viens de le remarquer j, c eft;
» la phrafe même , 8c non la fuite du dilcours
» qui doit faire entendre la peni.ee j fl ce n eft
» dans toute fon érendue, c eft au moins dans ce
v>.qu elle préfente d’abord a 1 elprit de ceux qui lavent
» la langue.
» Jugeons donc du latin par le latin même , &
» nous ne trouverons ici ' ni contre-fens, ni H ÿ -
» ptillage ; nous ne verrons qu’une phrafe latine fort
'» ordinaire en profe & en vers. ‘ ■ ' __ . ‘ '
• » O n dit en latin donare munera eiïiciù , donner
p des préfents à quelqu’ un } 8c l’on dit aufli donare
» aliquem munère, gratifier queïqu un d un pre-
» -fient: on dit également circumdare urhem .moe-_
» n ib u s , & circumdare meenia urbi. D e même
:j) on feXert de mutare , foit pour. donner foit pour
» prendre une chofe au lieu d’une autre.
» Muto , difenc lés . ëcymologiftes Jj vient de
'» motu, mutare quali liiotarè. ( f/ îa tt. Le xic .ve rb.
» Muter ). L ’ancienne manière d’aquérir ce qu’on
» n’avojt pa s, le fefoit par dés échangés j de- la
» muto lignifie également acheter ou vendre ,
» 'prendre ou donner quelque chofe au lieu d’une
>, autre. Emo où vendo , dit Martinius ; & i l cire
» Columelle , qui a dit porcus lacîeus ocre, mu-
» tandus e f t , i l faut acheter un cochon de lait.
» Ainfi , mutât Lucre tilem , fignifie vient prendre,
» vient pojjeder , vient habiter le Lucrétile y i l
» achète , pour ainfi d ire, le Lucretile pour le
» Ly cé e .
» M. Dacier , fur ce palfage d’Horace , remarque
» qu* Horace parle fouvent de même; & j e fa i s
» b ien , ajoute-t-il, que quelques hifloriens l ont
» imité. '■
» Lorfqu’Ovide fait dire à Médée q u e lle vou-
» droit avoir acheté Jafon pour, toutes les rickelfes
» d e l ’univers, ( Méf. liy . VH ., v. 3P )., i l fe fert
» de mutare :
» Quemque ,ego cum rebus quas totuspojjîdet prbis
JEfonidem mutage, velim ;
» ou vous voyez que y comme Horace , Ovide em-
» ploie mutare, dans le fens d'aquérir ce qu'on
» n a p a s , de prendre, A’ acheter une chofe en
» donnant une autre. L e P. Sanadon remarque
» ( Tom. r , p a g . ï 7 ï ) , qu’Horace s’eft fouvent
» fervi de mutare en ce fens : mutavit lugubre
■ »fagum puniffQ ( V , od. i x ) pour punicum
» fagum lugubri ; mutet lucana calabris p afeu is
» ( V , od. i ) pour calabra pafeua lue unis; mutât
» uvatii f ir ig ili ( I I , fatyu. v u , n o ) pour f ir i-
» g ilim uvâ.
» L ’ufage de mutare aliquid aliquâ re dans
» le fens de prendre en échange y eft trop f ié -
» quenc pour être autre chofe qu’une phrafe la tin e,
» comme donare aliquem aliquâ re , gratifier quel-
» qu’un de quelque chofe , & circumdare moenia.
» u rb i, donner des murailles à une v iile tour
» autour, c’eft à dire, entourer une v ille de mu-
» railles ».
[ L a règle donnée par M. du Marfais, de juger
du latin par le latin même,. eft très - propre à
faire d^ a ro ître bien des Hypallages. C e l l e , par
.exemple, que Servi us a cru voir dans ce vers
S in nqftrum annuerit nobis. vïcteria hlartem.,
u eft rien moins , a mon gré , qu’une H y p a l la g e . ;
c’eft tout fimplement, S i n v i c î o r ia a n n u e r i t n o b i s
M a r t em elfe n o f i r u m , fî l a victoire nous indique
que Mars eft à nous, eft dans nos intérêts,, nous
eilfavorable. A n n u e r e p r o a g i r m a r e , dit Calepin
( v e r b o Annuo ) j & i l cite cette phrafe de Plaute
( Bacchid. ). ; E g o a u t em v em u r u m a n n u o . ,
O n peut aufli, aifément rendre râifon de la
phrafe de Cicéron : Gladium vagina vacuum in
urbe non vïdïmus , nous n’àvons point vu dans
la v ille votre' épée dégagée du fourreau. C ’eft
ainfi qu’ il faut traduire quantité de partages : V a-
cul curis ( Gic. V, dégagés de foins j . ab ifio
periculo vacuus ( id. ) , dégagé , tiré de ce péril.
L ’adjeétif latin vacuus exprimoit une • idée très-
générale , qui étoit -enfuite déterminée par les
différents compléments qu’on y ajoutoit, ou par
la nature même des objets auxquels on lap p li-
quoit : notre langue a adopté des mots ^ particuliers
pour plu fleurs de ces idées moins générales^
vacua vagina , fourreau vide j vacuus g lad iu sy
épée nue ; vacuus. animus , elprit libre • &ç.
C ’eft que , dans tous* ces. cas , nous exprimons par
le même mot , & l ’ idée générale de X’àdjedif var
cuus , & quelque chofe de l ’idée- pafticuliere qui
réfui te de ^application j & comme cette idée particulière
varie à chaque cas, nous avons , poiir
chaque cas , un mot particulier. Ce feroit fè tromper
que de croire que nous ayons en françois le
jufte équivalent' du vaeuus latin ; 8c traduire vacuus
par vide en toute oçcafion , c eft rendre, par
une idée particulière, une idee très-generale
pêcher contre la faine Logique. Cet adjeélif n eft
pas le feul mot qui puiffe oeçafionner cette efpèce
d’erreur : car , comme l ’a très - bien ' remarqué
M. d’Alcmbert , article D i c t i o n n a i r e , « i l ne
» faut pas s’imaginer que, quand on traduit des
» mots d’une langue dans l ’autre , i l foit toujours
» poflib le, quelque 'verfé quon foit dans les deux
- » langues , d’employer des équivalents exaéts -&
» rigoureux ; on n’a fouvent que des a - p eu-près. ° »Planeurs
* Plufîeurs mots d’une langue n’ont point de cor-
» refpondants dans une, autre, plufieurs n’en ont
» q u ’en apparence , & .diffèrent par des nuances
» plus ou moins ienfibles des équivalents qu’on croit
» leur donner ».
II me fembie que c’eft encore bien gratuitement
que les comrpentateurs de V irg ile ont Cru voir une
Hypallage dans ce vers :
E t quutn frigida mors animâ feduxerit artus.
C ’eft la partie la moins considérable qui eft Séparée
de là principale ,*■ & Didon envifage ic i fon
ame comme la principale , puifqu’elle compte
furvivre à cette féparatiôri, & : qu’elle fe promet,
de pourfuivre enfuite Énée en tous lieux ; omnibus
timbra loc is adero ( v. 38^ ). E lle a donc dû dire ,
Lorfque la mort aura fépare mon corps de mon
ame , c’ eft à dire, lorfque mon ame fe ra dégagée
des liens de mony corps. D ’ailleurs la
léparation des deux êtres qui étoient unis, eft ie f-
peélive : le premier eft féparé du fécond, & le
fécond du. premier ; & l ’on p eu t , fans aucun ren-
verfement extraordinaire , les préfenter indifféremment
fous l ’un ou l ’autre dè ces deux aSpeéts, s’il,
n’ y a , comme ici , un motif de préférence indiqué
par la raifon, ou fuggéré par le goût, qui n eft qu’une
rai'fon plus fine.
C ’eft fe méprendre pareillement, que de voir
une Hypallage dans Hora ce, quand i l dit : P o -
citlci lethæos ut f i ducèntia fomnos arente
fd u c e traxerim : i l eft aile de voir que le poète
compare l ’état aéluel oit i l fe trouve, avec celui
d’un homme qui a bu une coupe empoifonnée , un
breuvage qui caufe un fommeil éternel & fcmblable
au fommeil de ceux qui partent le fleuve Léthé.
O n peut encore expliquer ce partage plus Amplemen
t, 'en prenant le mot Lethoeus dans le fens
même de fon étymologie , , oblivio ; de là la
désignation latine du prétendu fleuve d’enfer dont
on fefoit boire à tous ceux qui mouroient, flumen
oblivionis ; & par extenfion, fomnus lethesus ,
fomnus omnium rerum oblivionem p a r ien s , un
fommeil qui caufe un oubli général. A u furplus ,
c’eft le fens qui convient le mieux à la penfée
d’H o ra ce , puifqu’i l prétend s’exeufer de n’avoir
pas fini certains vers qu’i l avoit promis à Mécène,
par l ’oubli univerfel où le jette fon amour pour
Phryné.
Ibant obfcuri folâ fub nocle per umbram.
C e vers de V irg ile eft aufli fans Hypallage. Ibant
obfcuri c’ feft a dire,, fa n s pouvoir être vus , ca-t
ch é s , J-nconnus. Cicéron a pris dans le même fens
a peu près le mot obfcurus/, lorfqu’i l a dit ( Ojfte. 11.) :
Q u i magna fibi p roponunt, obfcuris orti majorions
, des ancêtres inconnus. Dans cet autre vers
de V irg ile ( Æ n . i x , 2.44),
; Vidimus obfcuris primam fub vallibus urbcm_,
G k a m u . e t L l t t é r a t , Tome I L
le mot obfcuris eft l ’équivalent d’âbfcondilis ou
de latentibus , félon la remarque de Nonius Mar-
cellus ( cap. iv , de varia fignifie. fe rm . litt. O ) ;
& nous-mêmes nous dilbns en françois une fam ille
obfcure pour inconnue. Solâ fu b nocle , pendant
la nuit- feu le ; c’eft a d i r é , qui fembie anéantir
tous le s objets , 8c qui porte chacun à fe croire
feul : c’eft une métonymie de l ’effet pour la caufe ,
femblable à ce lle d’Horacc ( I. Od. i v , 13. ) , p a l- -
Lida .mors ; à ce lle de Perle ( P ro l. ) , pallidant
P y r e n e n , &c.'
Avec de l ’attention fur le vrai fens des mots >
fur le véritable tour de la conftruél'ion analytique »
& fur l ’ufage légitime des figures, Y Hy p a lla g e
va donc di(paraître des livres des anciens , ou s’ y
cantonner dans un très-petit nombre de partages *
où i l fera peut - être difficile de ne pas l ’avouer.
Alors même i l faut voir s’i l n’y a pas un jufte
fondement d’y foupçonner quelque faute de copifte,.
8c la corriger hardiment , plus tôt que de faifter
fubfifter une exprefilon totalement contraire aux
lois immuables, du Langage. Mais fi enfin l ’ on eft
forcé de reconnaître dans quelques phrafes l ’exif-
tence de Y Hypallage , i i faut la prendre pour
ce qu’elle e ft, avouer que l ’auteur s’eft mai
expliqué. ] .
a Les anciens étoient hommes, 8c par confié-.
» auent lujets à faire des fautes comme nous. 11 y
» de la petitefle & une forte de fanatifme à r e -
» courir aux figures, ■ pour exeufer des expreflions
» qu’ils condanneroient eux-mêmes, & que leurs
» contemporains ont fouvent condannées. U E y -
»pallag e ne [doit.] pas prêter fon nom. aux contre-
» fens 8c aux équivoques ; autrement , tout ferait
» Confondu 5 8c cette [ prétendue J figure deviendrait
» un afyle pour l ’erreur & pour l ’obfeurité ».
( ‘M . E e a u z è t . . ]
H Y P E R B A T E , f.’ m. Grammaire. C e mot eft
grec j v-jrifiÇ>ct\ôv, dérivé de , tranfgredi :
R. R. u-3-ep , crans, 8c (Ioaxù , eo. Quintilien a donc
eu raifon de traduire ce mot dans fa langue par
yerbi tranfgreffio; - 8c ce que l ’on nomme Hyper—
b â te , confifte en effet dans le déplacement des mots
qui compofent un difeours ,. dans le tranfport dé
ces mots du lieu où i l devraient être en un autre
lieu.
« L a quatrième forte de figure [de conftmclion ] ,
» c’eft Y Hyper bats , dit M. du Marfais , ç’eft à
» dire , confufion, mélange de mots} c’eft lorfque
» l ’on s’écarte dé l ’ordre lucceffif.de la conftruétion
» fimple [ o u analytique ] : S a x a vocant I ta li ,
» mediis quæ in fLuüibus, aras ( Æ n . 1, 113) ;
» la conftruélion eft I ta li vocant aras ( ilia ) S a x a
» quoe ( finit ) .in fluclibus mediis. Cette figure
» e to it , pour ainfi dire, naturelle au latin*, comme
>> il. n’y avoit que les terminaifons des mots qui ,
»dans l ’ufage ordinaire , fuftent les lignes des
» relations que les mots avoient entre eux j le s