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celui qui y naît parce que Ton pere & fa mère y
ont leur féjour, en eft n a t i f . Jelùs-Chrift eft n a t i f
de Nazareth , 8c n e à Béthléem. ( A n o n ym e . )
N A T U R E ( la b e l l e )'. B e a u x A r t s . L a b e l le
N a t u r e eft la N a t u r e embe llie, perfectionnée par
les Be au x-Arts pour l ’ufage & pour l ’agrément.
Dèvelopons cette vérité avec le fecours de l ’auteur
des Principes de Littérature.
Les hommes , ennuyés d’une jouïflance trop uni-
fo rme des objets que leur offroit la N a t u r e toute
lïm p ie , & fe trouvant d’ailleurs dans une fîtuation
propre à recevoir le pla ifir , ils eurent recours à
leur génie pour fe procurer un nouvel ordre d’idées
8c de fentime-nts, qui réveillât leur elprit & ranimât
leur goût. Mais que pouvoit faire ce génie ,
borné dans fa fécondité & dans fes vues, qu’il-n e
pouvoit porter plus loin que la N a t u r e , 8c ayant
d’un autre côté à travailler pour des hommes dont
les facultés étoient reflerrées dans les mêmes bornes ?
Tou s fes efforts durent néce flaire ment fe réduire â
faire un choix des plus belles parties de la N a t u r e ,
pour en former un Tout exquis , qui fût plus parfait
que la N a t u r e elle-même , fans cependant cefler
d’être naturel. V o ila le principe fur leque l a dû
néceflairement fe drefler le plan des A r t s , & que
les grands artiftes ont fuivi dans tous les fiècles.
Choififlant les objets & les traits, ils nous les ont
préfentés avec toute la perfection dont ils font fuf-
ceptibles. Ils n’ont point imité la . N a t u r e telle
q u e lle eft en elle-même, mais te lle qu’elle peut
être & qu’on peut la concevoir par l ’efprit. A in f i,
puifque l ’objet de l ’imitation des Arts eft la b e l le
N a t u r e repréfentée avec toutes fes perfections ,
voyons donc comment fe fait cette imitation.
O n peut divifer la N a t u r e , par raport aux
Beaux-Arts, en deux parties : l ’une dont on jouît
pa r les ie u x , & l ’autre par la voie des oreilles ;
car les autres fens font abfblument ftériJes pour
le s Beaux-Arts. L a première partie eft l ’objet de la
Peinture , qui repréfente fur un plan tout ce q u i
eft vifible ; elle eft celui de la Sculpture, qui
le repréfente en re lie f; & enfin celui de l ’art du
C e lle , qui eft une branche des deux antres Arts que je
viens de nommer , & qui n’en diffère , dans ce qu’il
embrafle, que parce que le fujet auquel on attache
le s geftes dans la Danfe eft naturel & vivant, au
lieu que la toile du peintre & le marbre du fculp-
teur ne le font point.
L a fécondé partie eft l ’objet de la Mufique, confédérée
feûle & comme un chant ; en fécond lieu ,
d e là Poéfie, qui emploie la pa role, mais la parole
tnefurée & calculée dans tous fes tons.
A in f i, la Peinture imite la b e l l e Nature par les
couleurs ; la Sculpture , par les reliefs; la Danfe,
par les mouvements & par les attitudes du corps.
L a Mufique l ’imite par les fons inarticulés; & la
Poéfie enfin, par la parole mefurée. V o ilà les ca-
raâères diftinâifs des Arts principaux : & s’ i l arrive
'guelquefois que c e s Arts 'fe mêlent & fe confon-
N A T
d en t, comme par exemple , dans la Poéfie ; fi la
Danfe fournit des geftes aux a&êurs fur le théâtre*
fi la Mufique donne le ton de la voix dans la déclamation
; fi le pinceau décore le lieu de la fcène •
ce font des fervices qu’ils fe rendent mutuellement |
en vertu de leur fin commune & de leur alliance
réciproque ; mais c’ eft fans préjudice à leurs droits
particuliers & naturels. Une tragédie fans geftes,
fans mufique ,.fans décoration, eft toujours un Poème*
c’eft une imitation exprimée par le difeours me-
furé. Une Mufique fans paroles eft toujours Mufique;
elle exprime la plainte & la jo ie , indépendamment
des mots qui l ’aident, à la vérité , mais qui ne
lu i apportent ni ne lui ôtent rien de f a ‘ nature ni
de fon eflence : fon expreflion effencielle eft le fon,
de même que ce lle de la Peinture eft la couleur,
& ce lle de la Danfe le mouvement du corps.
Mais i l faut remarquer ici que, comme les Arts doivent
choifîr les deflins de la N a t u r e 8c les perfectionner
, ils doivent choifîr auffi & perfectionner
les expreflions qu’ils empruntent de la N a t u r e .
Ils ne doivent point employer toutes fortes de couleurs
, ni toutes fortes de fons ; i l faut en faire un
jufte choix, & un mélange exquis ; i l faut les allier
, les proportionner, les nuancer, les mettre
en harmonie. Les couleurs 8c les fons ont entre eux
des fympathies&des répugnances : la N a t u r e a droit
de les unir, fuivant fes volontés,* mais l ’Art doit
le faire félon les règles. I l faut, non feulement qu’il
ne bleffe point le g o û t , mais qu’i l le flatte autant
qu i l peut être flatté. D e cette manière on peut
définir la Peinture , la Sculpture, la D anfe, une
imitation de la b e l l e N a t u r e exprimée par les
couleurs, par le r e lie f , par les attitudes; & la
Mufique & la P o éfie, l ’imitation de la b e l l e N a tu
r e exprimée par les fons , ou par le difeours me-
furé.
Les Arts dont nous venons de parler ont eu
leurs commencements , leurs progrès, & leurs révolutions
dans le monde. I l y eut un temps où les
hommes, occupés du feul foin de foutenir ou de défendre
leur vie , n’ étoient que laboureurs ou foldats :
fans lo is , fans paix , fans moeurs , leurs fociétés
n’étoient que des conjurations. C e ne fut point dans
ces temps de trouble 8c de ténèbres qu’on vit éclore
les Beaux-Arts ; on fent b ien , par leur cara&ère ,
qu’ils font les enfants de l’abondance & de la paix.
Quand on fut las de s’entrenuire , & qu’ayant
appris par une funefte expérience qu’i l n y avoit
que la vertu & la juftice qui puflent rendre heureux
le genre humain, on eût commencé a jouir
de la proteClion des lo is ; le premier mouvement
du coeur fut pour la joie. On fe livra aux plaifirs
qui vont à la fuite de l ’innocence. L e Chant & la
Danfe furent les premières expreffions du fentiment ;
& enfuite le lo ifir , le befoin, l ’occafion , le hafard,
donnèrent l ’idée des autres A r t s , & en ouvrirent
le chemin.
Loifque les hommes furent un peu dégroflispar
l a foejeté, 8c qu’ils eurent commencé à fentir qu il?
valojçot
lui
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valoient mieux par l ’efprit que pat le corps, i l fe
trouva fans d o t e quelque homme merveilleux , q u i,
infpiré par un génie extraordinaire , jeta les yeux
fur la N a t u r e .
Après l ’avoir bien contemplée, i l fe confidéra
mi-même. I l reconnut qu’i l avoit un goût né pour
les râports qu’i l avoit obfervés , qu’i l en étoit
touché agréablement. I l comprit que l ’ordre , la variété
, la proportion tracée avec tant d’éclat dans les
ouvrages de la N a t u r e , ne dévoient pas feulement
nous elever à la connoiflance d’une intelligence
fuprême, mais qu’elles pouvoient encore être regardées
comme des leçons de conduite, 8c tournées
au profit de la fociété humaine.
Ce fut alors , à proprement p a rler, que les Arts
fortirent de la N a t u r e . Jufques là tous leurs éléments
y avoient été confondus 8c difperfés, comme
dans une forte "de chaos. O n ne les avoit guère
connus que par foupçon, ou même par une forte
d’inftinft. O n commença alors à en déméler quelques
principes; on fit quelques tentatives, qui aboutirent
à des ébauches. C ’étoit beaucoup : i l n’étoit pas aifé
de trouver ce dont on n’avoit pas une idée certaine,
même en le cherchant. Qui auroit. cru que l ’ombre
d’un corps environné d’un fîmple tra it, pût devénir
un tableau d’A p p e lle ? que quelques, accents inarticulés
puflent donner naiflance à la Mufique , te lle
que nous la cônnoiflons aujourdhui? L e trajet eft
immerife. Combien nos pères ne firent-ils point de
courfes inutiles, ou même oppofées à leur terme !
Combien d’efforts malheureux, de recherches vaines,
d’épreuves fans fuccès ! Nous jouïffons de leurs
travaux; & pour toute reconnoiflance, ils ont nos
mépris.
Les A r ts , en naiflant , étoient comme font les -
hommes : ils avoient befoin d’être formés de nouveau
par une forte d’éducation; ils fortoient de la
barbarie. C ’étoit une imitation, i l eft vrai; mais
une imitation groflière , & de la N a t u r e groflière
elle-même. T ou t l ’Art confiftoità peindre ce cjü’on
voyôit & ce qu’on fentoit ; on rie favoit pas choifir.
La eonfufion régnoit dans le deflin; la disproportion
& l ’uniformité , dans les parties ; l ’excès ,' la bifar-
xerie , la groflièreté, dans les ornements. C ’ étoit des
matériaux plus tôt qu’un édifice. Cependant on
irai toit.
Les grec s, doués d’un génie heureux, fai firent
enfin avec netteté les traits eflênciels & capitaux
de la b e l l e N a t u r e ; & comprirent clairement qu’i l
ne .fuffifp.it pas d’imiter les chofes, qu’i l falloit encore
les choifir. Jufqu’à eux les ouvrages de l ’Art
n’ avoient guère été remarquables, que par l ’énormité
de la mafle ou de l ’entr.eprife : c ’ éto.ient les
ouvrages' des Titans. Mais les grec s, plus éclairés,
fentirent qu’i l étoit plus beau de charmer l ’e fp rit,
que d’étonner ou d’éblouir les ieux. Ils jugèrent
que l ’unité , la variété , la proportion , dévoient
efi-fî le fondement de tous les Arts ; 8c fur ce fonds
fi beau , fi jufte, fi conforme aux lois du goût 8c
Gramm. et Littérat* Tome IA
N A T < ? 2 Î
du fentiment, on vit chez eux la toile prendre le
relie f 8c les couleurs de la N a t u r e , 1 ivoire 8c le
marbre s’animer fous le cifeau. L a Mufique , la
Poéfie, l’Éloquence, l ’Architeéture, enfantèrent suffi-
tôt des miracles : 8c comme l ’idée de la perfection ,
commune à tous les A r ts , fe fixa dans ce beau fiecle ;
on eut prefque à la fois, dans tous les genres, des
chef-d’oeuvres , qui depuis fervirent de modèles a
toutes les nations polies. Ce fut le premier triomphe
dés Arts. . V
Arrêtons-nous à cette epoque , puifqu i l faut
néceflairement puife.r dans les monuments antiques
de la Grèce le goût épuré & les modèles admirables
de la b e l l e N a t u r e , qu’on ne rencontre
point dans- les objets qui s’offrent à nos ieux.
L a prééminence dés grecs, en fait de beauté &
de perfection, n’ étant pas douteufe , on fent avec
quelle facilité leurs maîtres de l ’Art purent parvenir
à l ’expreflion vraie d e là b e l l e N a t u r e . C etoit chez
eux qu’elle fe prétoit fans ceffe a 1 examen curieux
de l ’artifte dans les jeux publics , dans les gymnafes ,
& même fur le théâtre. Tant d’occafiom fréquentes
d’obferver firent naître aux artiftes grecs l ’idée d’aller
plus loin. Ils commencèrent à fe former certaines
notions générales de la beaute , non feulement des
parties du corps, mais encore des proportions entre
les parties du corps-. Ces beautés dévoient s elever
au deflus de celles que produit la N a t u r e . Leurs
originaux fe trouvoient dans une N a t u r e ideale ,
c’ eft à dire , dans leur propre conception.
I l n’eft pas befoin de grands efforts pour comprendre
que les grecs durent naturellement s’élever,
de l ’expreflion du beau naturel, a 1 expreflion du
beau idéal , qui va au delà du premier, & dont les
traits, fuivant un ancien interprête de P la to n , font
rendus d’après les tableaux qui n exiftent que dans
l ’efprit. C ’eft ainfi que Raphaël à peint fa G a -
latée. Comme les beautés parfaites, dit-il dans
une létfre au comte Balthafiir C a ft ig lio n e , font fi
/rares parmi les femmes, j’exécute une certaine idee
conçue dans mon imagination.
Ces forces idéales , fupérieures aux matérielles,
fournirent aux grecs les principes félon lefquels ils
repréfentoient les dieux 8c les hommes. Quand ils
vouloient rendre la reflemblance des perfonnes ,
ils s’attachoient toujours à les embellir en même
temps ; ce qui fuppofe néceflairement en eux
l ’ intention de représenter une N a t u r e plus parfaite
qu’elle ne l ’eft ordinairement. T e l a été conftam-
ment le faire de Polygnote.
Lorfque les auteurs nous difent donc que quelques
anciens art iftes ont fuivi la.méthode de Praxitèle,
qui prit Cratine , fa maitreffe , pour modèle de
la Vénus de G n id e ;o u q u e Laïs a été, pour plus
d’un peintre, l ’original des Grâces : i l ne faut pas
croire que ces mêmes artiftes fe foient écartes pour
cela des principes généraux , qu’ils ^ refpecloient
comme leurs lois fuprêmes. La beaute qui frapoit
les fen s , préfentoit à Panifie la b e l l e N a t u r e ; mais
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