
très-petit nombre d’hommes qui favoient écrire pôu-
voient en impofer.
11 y a des nations qui ont fubjugué une partie 3e la terre fans avoir l ’ufage des caractères. Nous
lavons que Gengis - Kan conquit une partie de I A ne au commencement du treizième fiècle ; mais
ce n eft ni par lui ni par les tàrtares que nous
l e lavons. Leur H ifloir e , écrite par les chinois ,
& traduite par le P. Gaubil , dit que ces tartares
n’avoient point Part d’écrire.
I l ne dut pas être moins inconnu au fèythe Ogus-
K a n , nommé M ad ies par les perfans & par les
grecs , qui conquit une partie de l ’Europe & de
l ’A f ie , h lon g temps avant le règne de Cyrus. -
I l eft p revu e sûr qu’àlors fur cent nations i l
y en avoit à peine deux qui ufaffent de caractères.
I l refte des monuments d’une autre efpèce qui
fer-, rem à conftater feulement l ’antiquité reculée
de certains peuples qui précèdent toutes les époques
connues & tous les livres; ce font les prodiges
d’Architecture, comme les pyramides & les
palais d’É g yp te , qui ont rélifté au temps. Hérodote
qui vivoit i l y a deux-mille deux-cents ans,
& qui les avoit vus, n’avoit pu apprendre des
prêtres égyptiens dans quel temps on les avoit
elevés.
I l eft difficile de donner à la plus ancienne des
pyramides riioins de quatre-mille ans d’antiquité^
mais i l faut confidérer que ces efforts de l ’o{tentation
des rois n ont pu être commencés que long
temps après l ’établifièment des villes. Mais pour
bâtir des ville s dans un pays inondé tous les ans ,
i l avoit fallu d abord relever le terrein , fonder les
v ille s fur des pilotis dans ce terrein-de v a fe , & les
rendre inaceeffibies à l ’inondation : i l avoit f a l lu ,
avant de prendre ce parti néceffaire & avant d’ être
en état de tenter ces grands- travaux , que les
peuples fe fuffent pratiqué des retraites, pendant
la crue du N i l , au milieu des rochers qui forment
deux chaînes à droite & a gauche de ce fleuve.
II avoit fallu que ces peuples rafle m blés euffent
les inftruments du Labourage, ceux.de l ’ArchiteCture,
une grande connoiflance de l ’Arpentage , avec des
lo is & une police î- tout cela demande néceflai-
rement un- efpace de temps prodigieux. Nous
voyons , par les longs détails qui retardent tous lés"
'jours nos entreprifes les plus néceflaires & les
plus pe.ites , combien i l eft difficile de faire de
grandes chofes, & qu’ i l faut, non feulement une opiniâtreté
infatigable, mais plufieurs générations animées
de cette opiniâtreté.
Cependant que ce foit Menés, ou T h o t , ou
Ch eops , ou Ràmefses, qui ayent élevé une ou
deux de ces prodigieufes maffes , nous n’en ferons
pas plus inftruits de Y Hifloire de l ’ancienne É g yp te :
la langue de ce peuple eft perdue. Nous ne lavons
donc autre ch o fe , finon qu avant les plus anciens
hijloriens, i l y avoi^de quoi faire une Hifloire ancienne,
C e lle que nous nommons a n c i e n n e & qui eft
en effet récente, ne remonte guères qu’à trois-
mille ans : nous n’avons avant ce temps que quelques
probabilités ; deux feuls livres profanes ont
conferve ces probabilités ; la Chronique chinoife , & I H ifloir e d’Hérodote. Les anciennes Chroniques
chinoifes ne regardent que cet. Empire féparé dû
refte du monde. Hérodote, plus incéreflant pour
nous , parle de la terre alors connue ; i l enchanta
les%recs en leur récitant les neuf livres de fön
Hifloire , par la nouveauté de cette entreprife &
par le charme de fa diftion, & furtout par les
fables. Prefque tout ce qu’i l raconte fur la foi des
étrangers, eft fabuleux ; mais tout ce qu’i l a vu
eft vrai. O n apprend de l u i , par exemple , quelle
extreme opulence & quelle fpiendeur régnoit dans
l ’Afie mineure, aujourdhui pauvre & dépeuplée.
II a vu à Delphes les préfents d’or prodigieux
que les rois de Lydie avoient envoyés à Delphes ;
& i l parle à des auditeurs qui connoiffoient Delphes,
comme lui. O r quel efpace de temps a dû s’écouler
avant que des rois de Lydie euffent pu amafler
aflez de tréfors fuperflus pour faire des préfents fï
confîdérables à un temple étranger !
Mais quand Hérodote rapporte les contes qu’i l
a entendus, fön livre n’eft -plus qu’un roman qui
reffemble aux fables miléfïennes. C ’eftun Candaule
qui montre fa femme toute nue à fon ami G ig è sÿ
c eft cette femme q u i , par modeftie, ne laine à
G ig è s que le ch oix. de tuer fon mari, d’époufer
la veuve , ou de périr. C ’eft un oracle de D e lp h e s ,
qui devine que dans le même temps qu’i l parle ,
Créfus à cent lieues de là fait ' cuire une tortue
dans un plat d’ étain. R oMm , qui repète tous le s
contes de cette efpèce, admire la fcience de l ’ora-
clè & la véracité d’A p o llo n , ainfî que la pudeur
de la feinme du Roi Candaule ; & a ce fujet, i l
propofe à la Police d’empécher les jeunes gens
de lë baigner dans la rivière.*Le temps eft fi cher
& Y H iflo ire fi immenfe , qu’ i l faut épargner aux
lecteurs de telles fables & de telles moralités».
Hifloire de Cyrus eft toute défigurée par des
traditions fabuleufes. I l y ag ran d e apparence que
ce Kiro qu’on nomme C y ru s , à la tête des peuples
guerriers d’Éiam , conquit ën effet Babylone ,
amollie par les délices. Mais on ne fait pas feulement
quel roi régnoit alors à Babylone; le s
uns difent Balthazar, lès autres Anabot. Hérodote
fait tuer Cyrus dans une expédition contre les mafla-
gett.es ; X énophon, dans fen roman moral & p o litique
, le fait mourir dans,fon lit.
O n né fait autre chofe' dans ces ténèbres de
Y H if lo ir e , firion qu’i l y avoit depuis très-long
temps de vaftes Empires, des tyrans dont la
puiffance étoit fondée fur la misère publique ; que
la tyrannie étoit parvenue jufqu’à dépouiller les
hommes de leur virilité , pour s’en fervir à d’in -
fames plaifirs au fortir de l ’enfance , & pour les
employer dans leur vieillefle à. la garde des femmes
; que la fuperftition gouvernoit les hommes j
qu’un fonge étoit regardé comme un avis du C i e l ,
& qu’i l décidôit de la paix & de la guerre, &c.
A mefure qu’Hérodote, dans fon Hifloire fe
rapproche de fon temps, i l eft mieux inftruit &
plus vrai,. I l faut avouer que Y Hifloire ne commence
pour nous qu’aux entreprifes des perfes
contre les grecs ; oli ne~ trouve , avant, ces grands
évènements, que quelques récits vagues’, envelopés
de Montes puérils. Hérodote devient le modèle des
hijloriens , quand i l décrit ces prodigieux préparatifs
de Xerxès pour aller fubjuguer la Grèce
& enfuite l ’Europe. Il le mène, fuivi de pies de
deux millions de foldats , depuis Suze. jufqu’à
Athènes. I l nous, apprend comment étoient armés
tant de peuples différents que.ee monarque trainoit
après lu i: aucun n’eft o u b lié , du fond de l ’Arabie
& de l ’É g y p te , jufqu’au delà de la Baélriane &
de l ’ e x t r ém it é f e p t e n t r io n a le de la mer Cafpienne,
pays alors habité par des peuples puiflants, &
aujourdhui par des tartares vagabonds. Toutes les
nations , depuis le Bofphore de Thrace -jufqu’ au
G an g e , font fous fes étendards. On voit avec
étonnement que ce prince poffédoit autant de terrein.
qu’en eut l ’Empire romain : i l avoit tout ce
qui appartient aujourdhui au grand M o gol en. deçà
du Gange , toute la Perfe, tout le pays dés afbecs ,.
tout l ’Empire des turcs, fi vous en exceptez la
R om an iej mais en réçompenfe i l poffédoit l ’Arabie.
O n voit par l ’ étendue de fes États quel eft
le tort des déclamateurs en vers & en p ro fe, de
traiter de fou Alexandre , vengeur de la G rè c e ,
pour avoir fubjugué l ’Empire de l ’ennemi des grecs.
I l n’alla en Égypte*, à T y r , & dans l ’Inde , que
parce qu’i l le de vo it, & que T y r , l ’Égypte, & l ’Inde
apparténoient â la domination qui avoit dévafté la
Grèce.
Hérodote eut le même mérite qu’Homç re; il
fut- le premier hiflorien , comme Homère fut le
premier poète épique ; & tous deux faifîrent les
beautés propres d’un art inconnu avant eux. C ’eft
un fpèétacle admirable dans Hérodote, que cet
empereur de l ’Afîe & de l ’A frique , qui fait pafler
fon armée immenfe fur un pont de bateau d’Afie
en Europe ; qui prend la Thra c e, la Macédoine ,
la Theflalie , l ’Acètaïe fupérieure; & qui entre
dans Athènes, abandonnée & déferte. On ne s’attend
point que les athéniens, fans v i l l e , fans territoire,
réfugiés fur leurs vaifleaux avec quelques autres
grecs y. mettront en fuite la nombreufe flotte du
grand ro i, qu’ils rentreront chez eux en vainqueurs,
qu’ils forceront X erxès à ramener îgnominieufement
les débris d.e fon armée , & qu’enfui te ils lui défendront
, .par un traité , de naviger fur leurs mers.
Cette fupériorité d’un petit p eu p le , généreux &
lib r e , fur toute l ’Afîe efclave, eft peut-être ce
qu’i l y a de plus glorieux chez les hommes On
apprend aufli par cep évènement , que les peuples
de l ’Occident ont toujours été meilleurs marins
que les peuples afiatiques. Quand on lit Y Hifloire
moderne, la victoire de Lépante fait fouvenir de
ce lle de Saîamine, & on compare don Juan d’Autriche
& Colone., à Thémiftocle & à Euribiades.
V o ilà peut-être le feul frui. qu’on peut tirer de la
connoiflance de ces temps reculés.
Thucydide, fuccefleur d’Hérodote, fe borne à
nous à é i z i l l e x Y H i f l o i r e de la guerre duPéioponnèie,
pays qui n’eft pas. plus grand qu’une province d&
France ou. d’A llem a g n e , mais qui a produit des
hommes eu tou t-g en re dignes d’une réputation,
immortelle : & comme fi la guerre civile , le plus
horrible des fléaux, : ajoutoit un nouveau feu &
de nouveaux refforts à l ’efpric humain, c’eft dans
ce temps que tous lés arts fl'orifloient en Grèce.
C ’eft ainfi qu’ ils commencent à fe perfeélionner
enfuite à R om e , dans d’autres guerres civiles du
temps de Céfar?, & qu’ils renaiflenc encore dans notre
quinzième & feizième fiècle de l ’ère vulgaire ,
parmi les troubles de l ’ Italie.
Apres cette guerre du Péloponnèfe , décrite par
Thucydide , vient le temps célèbre d’Alexandre ,
prince digne d’être élevé par A r ifto te , qui fonde
beaucoup plus de villes que les autres n’en ont
détruit, & qui change le commerce de l ’univers»
De fon temps & de celui de fes fucceffeurs, flo-
riffoit Carthage , & la république romaine com-
mençoit à fixer fur elle les regards des nations»
Tout le refte eft enfeveli dans la barbarie : les celtes,
les germains, tous les peuples du Nord font inconnus.
U H i f l o i r e de l ’Empire romain e ft'ce qui mérite
le plus notre attention , parce que les romains ont
été nos maîtres & nos légiflateurs : leurs lois font
encore en vigueur dans la plupart de nos provinces
: leur langue fe parle encore; & lon g temps
après leur chute, e lle a été la feule langue dans
laquelle on rédigeât les aétes.'publics en I ta lie , en
A llem agn e , en E fpagne, en France, en A ngleterre ,
en Pologne.
A ü démembrement de l ’Empire romain en O c c ident,
commence un nouvel ordre de chofes, &
c’eft ce qu’on appelle Y H i f l o i r e du m o y e n âge ;
H i f l o i r e barbare de peuples barbares , qui , devenus
chrétiens, n’en deviennent pas meilleurs.
Pendant que l ’Europe eft ainfî bouleverfée, on
voit paroître au feptième fiècle les arabes, jufi-
ques là renfermés dans leurs déferts. Ils étendent
leur puiffance & leur domination dans la haute
A f ie , dans l ’Afrique,' & envahiffent l ’Efpagne ;
les turcs leur fuccèdent, & établiffent le fiège de
leur empire à Conftandnople, au milieu du quinzième
fiècle.
C ’eft fur la fin de ce fiècle qu’un nouveau monde
eft découvert ; & bientôt après , la politique de
l ’Europe & les arts prennent une forme nouvelle*
L ’art de l ’Imprimerie & la reftauration des Sciences
font qu’enfîn on a des H i f l o i r e s aflez fidèles, au
lieu des. Chroniques ridicules renfermées dans le s
cloîtres depuis Grégoire de Tours. Chaque nation
dans l ’Europe a bientôt fes h i j l o r i e n s . L ’ancienne,