
ne peut s’apercevoir qu’ils ont é t é , que par le ton
des auteurs contemporains, ton ou modifié ou donné
par ces circonftances paflagères. Qu el e ft, par exemple
, le leéteur attentif q u i , rencontrant dans un
auteur ce qui fu i t , catitus autem & organapluri-
bus d ijlan tiis utuntitr , non tantum diapente ,
f e d fumpto initie à diapajyn jSeoncinunt per diapente
& diatejfaron j & unitonum , & Jemitoniurn ,
ita ut 6* quidam patent inejfe & diefin qUce fe tifu
p e r c ip ia tu r , ne le dife fur le champ à lui-même j
v o ilà les routes de notre chant, voilà l ’incertitude
o a nous -Tommes fur la poffibilité ou rimpoflîbiiité
de 1 intonation du quart de ton ? On ignoroit donc
alors fi les Anciens avoient eu ou non une gamme
enharmonique ? I l ne reftoit donc plus aucun auteur
de Mufique par leque l on pût réloudre cette difficulté
? O n agitoit d o n c a u temps de Denis d’Ha-
licarnafle y à peu près les* mêmes queftions que'nous
agitons fur la mélodie ? E t s’i l vient à .rencontrer
ailleurs que les auteurs étoient très-partagés fur
l ’énumération exaCte des fons de la Langue grèque j
que cette matière avoir excité' des difputes fort v ives,
J ed talium rerum confiderationem Grammatices
& P o e tic e s ejfe ; vel e tiam , ut quibufdam p la ce t ,
Philofophiæj n’en conclura-t-il pas qu’i l en avoit
ete parmi les romains ainfî que parmi nous ? c’eft
a dire qu apres avoir traité la fcience des fûmes ’
& des Ions avec allez de lég ère té', i l y eut"* un
temps où de bons efprits reconnurent qu’elle avoit,
avec la fcience des chofes , plus de liaifon qu’ils
n en avoient d abord foupçonné , & qu’on pouvoit
regarder cette fpéculation comme n-’étant point du
tout indigne de la Philofophie.- V o ilà précifément
où nous en fommes ; & c’eft en recueillant ainfî
des mots échappés par hafard, & étrangers à la
matière traitée ipecialement dans un auteur où ils
ne caraéférifentquè feslumières, fon exactitude, & fon
indécifîon , qu’on parviendroit à éclaircir l ’hiftoire
des progrès de l ’efprit humain dans les fiècles pâlies.
Le s auteurs ne s aperçoivent pas quelquefois eux-
memes de 1 impreflion des choies qui fe paflent
autour d’eux , mais cette imprelfion n-’en eft pas
moins réelle. Le s muficierfs , les peintres, les
architectes, les philofophes,- &e , ne peuvent avoir |
des cqnteftations, fans que l ’homme de Lettres
n en foit inftruit : & réciproquement, i l ne s’agitera
dans la Littérature aucune qüeftion, qu’i l n’en pa-
roifle des veftiges dans ceux qui écriront ou de la
Mufique, ou de la Peinture , ou de l ’Archite<aure ,
ou de la Philofophie. Ce font comme les reflets
d une lumière generale, qui- tombe fur les Artiftes &
les Lettrés & dont ' ils confervent une lueur. Je
fais que l ’abus qu’ils font quelquefois d’expref-
fions dont la forcé leur eft inconnue, décèle qu’ ils
n eteient pas au courant de la philofophie de leur
temps 5 mais le bon efprit qui recueille ces expref-
iions , qui faifit ici une métaphore , là un terme
nouveau , ailleurs un mot rela tif à un phénomène,
a une obfervation , à une expérience , à un fyftême,
entrevoir 1 état des opinions dominantes, le mouvemefit
général que les efprits commençoîént à eST
recevoir , & la teinte qu’elles portoient dans la
l a Langue commune. Et c’eft l à , pour le dire en
panant , ce qui rend les anciens auteurs fi difficiles
à juger en matière de goût. L a perfuafion générale
d’un fentiment, d’un fyftême un ufage reçu ,
l ’inftitution d’une lo i , l ’habitude d’un exercice , & c ,
leur fourniffoient des manières de dire , de penfer,
de rendre,- dès comparaifons , des expreffions , des
figures dont toute la beauté n’a pu durer qu’autant
que la chofe même qui leur fervoit de baie. L a
chofe a parlé , & l ’éclat du difeours avec elle. D ’où
i l s’enfuit qu’un écrivain qui veut affûter à fes ouvrages
un charme é tern e l, ne pourra emprunter,
avec trop de réferve, fa manière de dire des idées
du jo u r , des opinions courantes, des fyftêmes régnants,
des arts en vogue j tous ces modèles font
en viciffitude : i l s’attachera de préférence aux êtres
permanents, aux phénomènes des eaux, de la terre,
& de l ’air y au fpeetacle de l ’univers , & aux paf-
fions de l ’homme , qui font toujours les mêmes ; 8c
te lle .fera la v é r ité , la fo r c e , & l ’immutabilité de
fon co lo r is , que fes ouvrages feront l ’étonnement
des f iè c le s , malgré le défordre des matières , l ’ab-
furdité des notions , & tous les défauts qu’on, pour-
roi t leur reprocher. Ses idées particulières ,, fes comparaifons
Tes métaphores, fes expreffions , fes
imagés , ramenant fans ceffe à'la Nature , qu’on ne fe
laffe point d’admirer, feront jutant de vérités-
partielles par lefquelles i l fe foutiendra. OiTne le
lira pas pour aprendre à penfer y mais jour 8s.
nuit on-l’aura dans les mains pour en aprendre à bien
dire. T e l fera fon- fort , tandis que tant d’ouvrages
qui ne feront appuyés que fur un froid bon feus &
fur une pefante raifon , feront peut-être fort eftimés
mais peu lus , & tomberont enfin dans l ’oubli, lo r f -
. qu un homme doué d’un beau génie 8c d’une grande
éloquence les aura dépouillés , & qu’i l aura reproduit
aux yeux des hommes des vérités, auparavant
d’une auftérité lèche & rebutante , fous Un vêtement
plus ^noble , plus élég an t, plus riche , & plus fé-
duifant-
L ’art de tran (mettre les idées par la peinture
des objets, a dû naturellement fe préfenter le premier
: ce lu i de le s tranfmettre en fixant les voix
par des caraCtèf e s , eft trop délié j i l dut effrayer
l ’homme de génie qui l ’imaginai Ge ne fut qu’après
de longs e fiais qu’i l entrevit que les voix fenfible-
ment différentes n’étoient p is en auffi grand nombre
qu’elles paroiflbient , qu’i l ofa fe promettre de
les rendre toutes avec un petit nombre de fignes*
Cependant le premier moyen n’étoit pas fans quelque
avantage , ainfî que le fécond n’eft pas refté
fans quelque défaut. L a Peinture n’atteint point
aux opérations de l ’efprit : l ’on ne diftingueroit
point entre des objets fenfibles,: diftribués -fur une
toile- comme ils feroient énoncés dans un difeours,
les liaifons qui forment le jugement & le fy llo -
gifme j ce qui conftitue un de ces êtres, fujet d’une
proposition j ce qui conftitue une qualité de ces
lir e s , attribut; ce qui enchaîne la propofition à
tme autre pour en faire un raifonnement, & ce
rationnement à un autre pour en compofer un difeours.;
en un m o t , i l y. a une infinité de chofes
de cette nature que la Peinture ne peut figurer:
niais elle montre du moins toutes celles q u e lle
figure j & fi au contraire le difeours écrit les de-
fio-ne toutes, i l n’en montre aucune. Les peintures
des êtres font toujours très-incomplectes j mais elles
n’ont rien d’équivoque, parce que ce font les portraits
mêmes d’objets que nous avons fous les yeux.
Le s caractères de l ’écriture s’étendent a tout ; mais
ils font d’inftitution , ils ne fîgnifient rien par eux-
mêmes. L a c le f des tableaux eft dans la N atu re ,
’ & s’offre à tout le monde : ce lle des caractères
alphabétiques 8c de leur combinaifon, eft un paéte
dont i l faut que le myftère foit révélé & i l ne
peut jamais l ’être complètement, parce qu’i l y a ,
dans les expreffions, des nuances délicates qui reftent
néceffairemenr indéterminées. D ’un autre c ô t é , la
peinture étant permanente, elle n’eft que d’un état
inftantané. Se propofe-t-e lle d’exprimer le mouvement
le plus fimple ? e lle devient obfcure. Que
dans un trophée on voye une renommée, les ailes
déployées , tenant fa trompette d’une main, & de
l ’ autre une couronne élevée au défias de la tête
d’un héroT j on ne fait fi elle la donne ou fi elle
l ’enlève : c’ eft à l’Hiftoire à lever l ’équivoque.Quelle
que • foit au contraire la.variété d’une aéfcion, i l y a
toujours une certaine collection de termes qui la repréfente
j c e qu’on ne peut dire de quelque fuite
ou groupe de figures que ce foit,. Multipliez
tant qu’i l vous plaira ces figures , i l y aura de l ’interruption
: l ’aftion eft continue ; & les figures
n en donneront que des inftants féparés , laiflant à
la fagacité du fpeétateur à en remplir les vides.
I l y a la même incommènfurabilité entre tous les
mouvements phyfiques 8c toutes les repréfentations
t ie lle s , qu’entre certaines lignes & des fuites de
nombres. Q n a beau augmenter les termes entre
un terme donné & un autre ; ces termes reftant
toujours ifo lé s , ne fe touchant p o in t , laifl.ant entre
chacun d’eux un intervalle., ils ne peuvent jamais
correlpondre a certaines quantités continué®4 : comment
mefurer toute quantité continue par une quantité
diferète ? Pareillement , comment repréfenter
une aftion durable p'ar des images d’inftants féparés ?
Mais ces termes qui .demeurent dans une Langue
néceflairement inexpliqués , les radicaux, ne çorréT
pondent-ils pas affez exactement à ces inftants intermédiaires
que la Peinture ne peut repréfenter?
tf. n eft-cé pas à peu p rè s 'je même défaut de part
& d’ autre ? Nous voila donc arrêtes dans notre projet
de tranfméttre les connoifiançes ? par Timpofii-
bilité de rendre toute la Langue intelligible. Comment
recueillir les raejnes grammaticales ? quand on
l (esaura recueillies^ comment les expliquer ? Ëft-ce
la pcin-e d écrire pour les fiècles à venir , fi nous
ne fommes pas en état de nous gn faire entendre ?
^.éTolvpns pes difficultés*
V o ic i premièrement ce que je penfe fur la manière,
de difeerner les radicaux. Peut-être y a - t - il
quelque méthode , quelque fyftême philofophiaue ,
à i ’ aicle duquel on en trouveroit un grand nombre :
j mais ce fyftême me femble difficile à inventer j & quel
qu’i l ioit, l ’application'm’en paroît fujette à erreur,
par l ’habitude bien fondée que j’ai de fufpeéter toute
lo i générale en matière de Langue.
Comment fixer la notion de ces radicaux ? II
n’y a , ce me femble , qu’ un feul moyen, encore
n’e ft-il pas aufli parfait qu’on le défireroit j non
qu’i l Taille dé l ’cquivoque dans les cas où i l eft
applicable-, mais en ce qu’i l peut y avoir des cas
auxquels i l n’eft pas poflible de l ’appliquer, avec
quelque adrefle qu’on le manie. C e moyen eft’de-
ràporter la Langue .vivante à une Langue morte :
i l n’y à qu’une Langue morte qui puifle être une
mefure exàéte , invariable , & commune pour tous
les. hommes qui font & qui feront, entre les L a n gues
qu’ils parlent & qu’ils parieront. Comme
cet idiome n’ exifte que dans les auteurs , i l ne
change plus ; 8c l ’effet de ce ca ra â ère, ç eft que
l ’application en eft toujours la même, & toujours
également connue.
Si l ’ on me , demandoit, de la Langue grèque
ou latine quelle eft ce lle qu’i l faudroit préférer,
je répondrois ni l ’une ni l ’autre ; mon fentiment
feroit de les employer toutes deux : le grec , partout
où le latin ne donneroit r ie n , ou ne don-
neroit pas un équivalent , ou en donneroit un
moins rigoureux ; je, voudrois que le grec ne fût
jamais qu’un fupplément à la difette du la t in , 8c
, cela feulement, parce que la connoijTance du latin
eft la plus répandue ; car j’avoue q u e , s i l fa llo jt
■ fe déterminer par la riche fie & par l ’abondançe,
i l n’y auroit pas à balancer. L a Langue grèque
eft infiniment plus étendue & plus exprefiive que
■ la latine ; e lle a une multitude de termes qui ont
une. empreinte évidente de l ’Onomatopée ; une infinité
de notions qui ont des lignes en cette Langue
n’en ont point en latin , parce qu’i l ne paroît
pas que les latins fe fuflent élevés à aucun genre de
fpéculation.^Les grecs s’ étoient enfoncés dans toutes
les profondeurs de la métaphyfique des Sciences, des
Beaux-Arts, de la Logique, & de la G rammaire. O n
dit avec leur jdjome tout ce qu’on veut ; ils ont
tous' les termes abftraits , relatifs à l ’ opération de
l ’entendement : confultez là-deflus A rifto te, Platon ,
Sextus-Empiricus, Apollonius , & tous ceux qui ont
écrit de la Grammaire & de la Rhétorique. O n eft
fouvent e.mbarraffé en latin par le défaut d expreffions:
i l fa llo it encore des fiècles aux romains pourpofteder
la Langue des abfrradions, du moins à en juger par le
progrès qu’ils ont fait pendant qu’ils ont été fous la
difcipline des grecs j car d’ailleurs un feul homme de
génie peut mettre en fermentation tout un p e u p le ,
abréger les fiècles de l ’ ignorance , & porter les
connoifiançes à un point de perfection & avec une
rapidité qui furprendroient également. Mais cette I Qbfervation ne détruit point la vérité que j’avance ±
t I i i i.