
Cicéron, nos gens de Cour pourroient eux-mêmes
en trouver des exemples dont ils feroienc jaloux.
Mais i l n’y en a pas un , dans le plus infirmant
des orateurs, qui approche de celui que
nous en a donné Racine, dans la (cène de Narcifle
avec Néron , au quatrième acte de Britannicus.
I M . M A R M O N T E L . )
<n .) i n s i n u e r , P e r s u a d e r , s u g g é r e r .
Synoivyme's.
On infirme finement & avec adreffe. O n perfuade
fortement & avec éloquence. O n fuggère par crédit &
avec artifice.
Pour infinuer, i l faut ménager le temps, l ’oc-
cafion , l ’air, & la manière de dire les chofes. Pour
perfuade ry i l faut faire fentir les raifons & l ’avantage
de ce qu’on propofe. Pour fûggérer , i l faut
avoir aquis de, l ’ afcendant fur l ’eforit des p.cr-
fonnes.
Infinuer dit quelque chofe de plus délicat. P e r -
fua de r dit quelque chofe do plus pathétique. Su ggérer
emporte quelquefois dans fa valeur quelque
chofe de frauduleux.
On couvre habilement ce qu’on veut infinuer.
O n propofe nettement ce qu on veut perfuader.
O n fait valoir ce qu’on veut fuggérer.
O n croit fouvent avoir penfé de foi - même ce
qui a été infinué par d’autres. I l eft arrivé plus
d’une fois qu’un mauvais rationnement a perfuadé
des gens qui ne s’étoient pas rendus à dés preuves
Convaincantes & démonftratives. L a fociété des per-
fonnes qui -a e _penlei.it & n’imaginent qu’autant
qu’elles font fuggérées par leurs aomeftiques , ne
peut pas être d’un goût bien délicat. ( L ’abbé GIRARD.
)
(N . ' I N S U F F I S A N C E , IN C A P A C IT É ,
ÎN A P T I T U D E . Synorvymès.
O n dêfigne par ces mots le manque des difpo-
ïfirions nëceffaires pour réuflir dans ce qu’on fe propofe
, mais avec des différences. -
U In fu ffifa n ce vient du défaut de proportion
entre les moyens & la fin ; l ’Incapacité , de la
privation des- moyens ; & Y In ap titu de , de l ’im-
pofTîbiiicé d’aquérir aucun- moyen.
On peut fouvent fuppléer à Y Infuffifance ; on
peut quelque fois réparer Y Incapacité : mais Y Inaptitude
eft fans remède.
C ’eft une faute , que d’engager les jeunes gens
dans les fonéUons du miniftère eccléfiaftique , quand
on connoît leur Infujfifance ; c’eft un crime, que
de les y porter , quand, on connoît leur Incapacitéy
c’eft un mépris? fkcrilège de la Re ligion , que de
les y forcer par la raifon même de leur Inaptitude
: rien de plus commun néanmoins que ces
vocations feanaaieufes à un état qui exige les difpo-
fitions les plus grandes , les plus décidées, & les plus
faintes. ( M . B E A U Z É E .)
IN T É R E S S A N T , E , ad). Beaux-Arts» D^ns un
fens général, Ylntéreffant eft l’oppofé de l ’indifférent
; & tour ce qui réveille notre attention, pique
notre curiofité, peut être nommé intérejfant. Mais
ce nom convient principalement d ce qui nous
affeéte , non comme un objet de méditation ou
comme le fbuvenir d’une jouïffance paffée , mais
comme nous fourni fiant ' une occafion actuelle de
jo u ir , & excitant en nous un défir qui dure autant
que Y Intérêt. C ’eft ainft que, dans un poème épi-’
que ou dramatique, nous appelons intéreffante une
fituation , non feulement parce qu’elle nous plaît
ou même parce qu’elle nous, caufe quelque fenti-
ment agréable ou défagréable , mais en tant qu’e lle
tient notre efprit dans un état de fufpenfion & d’attente
qui nous fait fouhaiier d’arriver à une iffue , à un<
dénoûment.*' ‘
I l y a des objets que nous confidérons avec quelque
plaifir , fans y prendre un véritable Intérêt•
No-us les voyons comme des tableaux agréables y,
nous n’ôbfervons ce qu’ils nous offrent qu’en fim-
ples fpedateurs, pour lefquels i l eft égal qu’i l
arrive ceci ou c e la , pourvu qu’i l ne réfuite, aucun
inconvénient à leur égard. C’eft ainfi qu’un homme
o iü f , appuyé fur fa fenêtre, voit les paffants qui
vont & viennent & n’a d’autre envie que de
s’amufer en les regardant. Nous fommes auffi quelque
fois dans cette difpofirion d’e fp rit, en liiant des;
defcrip.ions de pays , des relations de voyages
des récits hiftoriques, dans la le dure defquels nous*-
ne cherchons qu’a paffer notre temps. On ne-
dit jamais de pareilles chofes; qu’elles forent inté-
reffantes , puifqu’on les envifage comme des chofes'
qui n’ont aucun raporc à notre perfonne ni- à notre-
état. '
I l peut même arriver que; de fembiables objets;
faffenr des impreflions affez forces fur nous , fans-
devenir pour cela intéreffants dans le fens rigoureux.
L a plupart des chofes qui nous font éprouver
quelque pafïion, en tant qu’elle s nous paroiffent .
bo’nnes ou mauvaifes , ne deviennent pas intéref-
fa h i t s pour cela. O n peut nous rendre trilles ,
gais , tendres , voluptueux, & nous entretenir urt
certain temps dans ces fit nations fans nous in té -
rejfer vivement. Nous nous piétons en quelque
forte à ces différentes modifica ions, parce qu’elles-
nous occupent & nous tirent de Tcnnui ou de l ’indolence
; mais elles ne nous mettent pourtant pas
dans une véritable , a divisé : ce feroit la même
chofe pour nous que d’autres modifications tinffenc
la p la c e de celles qui exiftent •, ou qu’elles fe fu o
cédàffent "d’une manière différente.
Mais, dès qu’ i l fe préfente des objets, qui excitent
notre a d iv ité , qui nous font apercevoir qu’i l
nous manque quelque ch'ofe ; en forte que nous
{entons desdéfirs, nous formons des projets , nous
avons des craintes & des efpérances : i l ne nous, eft
plus égal alors que les chofes tournent d’une manière
ou d’une autre ; nous -nous occupons des
moyens d’arriver à une telle iffue, de détourner tell©
autre * & tant que cela nous tient à coeur , l ’objet eft
dit intérejfant. K f f i f è . . . ,
VIntér ejfant eft la propriété ellencielie de tous
les objets efthétiques ; parce que l ’artifte , en ^le
produifant, remplit d’un feul coup toutes les vues
de fon art. D ’abord i l eft affûré par là de plaire ;
car bien qu’i l femble d’abord que la fituation la
plus défirable , foie de jouir de fenfations agréables
.dans le fein d’une parfaite tranquilite; on découvre,
en y regardant de plus près , que le deve-
lopement de cette activité intérieure, par lequel
nous, exerçons librement- nos propres forces, elt
ce qui convient le mieux à notre nature, & que
nous préférons par conféquent cette fituation a toute
autre. Cette activité veut toujours etre mife en
jeu j c’eft le premier & le vrai feffort de toutes
no s 1 a étions ; & elle ne différé point, de ce que
les philofophes ont nommé Amour-propre ou In térêt
, & dont ils ont fait le grand mobile de
notre conduite. A in f i, l ’artifte n’a point de moyen
plus efficace de nous flatter, de s’infinuer , & de
nous devenir agréable , qu’en excitant notre aéti-
vité par la représentation d’objets intéreffants. Tout
-homme eft obligé d’avouer que les jours les plus
heureux de fa’ v ie , ont été ceux o.u ion ame a été
mife en état de déployer le plus grand degré d’activité.
. Les objets intérejfant s deviennent d’autant plus
importants , qu’ils font plus propres , non feulement
à exciter , mais furtout à augmenter cette
aéfivité intérieure de l ’ame , qui fait le véritable
prix de l ’homme. Ce ne font pas ces âmes douces, ,
paifibles , occupées de jouïffances calmes , de voluptés
où l ’enchoufiafme domine , . fût - i l pouffé
jufqu’à l ’extafe; ce ne font pa s, dis-je, ces âmes
qui répondent au but de la nature & à leur véritable
deftination : ce font celles qu’un feu fecret
dévore , qui font ardentes, brûlantes, & dont rien
ne peut etancher là fo if de connoître & de jouir.
L ’excellence de l ’homme confifte à pofféder une
pareille am e , dont les, facultés foient comme
un arc toujours bandé. O r comme les forces du
corps le plus robufte s’engourdiffent dans le repos
& dans l ’oifiveté , au lieu qu’un homme médiocrement
vigoureux fe fortifie yar le travail ; les
nerfs .de l ’ame , fi je peux m exprimer ainfi, fe
relâchent dans l ’ inaétion & même dans l ’ état de
fimple jouïffance. Mais , les beaux-arts pourroient
prévenir ce relâchement, s’ils favoient nous préfenter
toujours des objets intéreffants : & par ce feul endroit
, ils font déjà propres à nous rendre un fervice
très-important. .
L ’artifte cependant n’accomplit, de la manière
la plus parfaite , les devoirs de fa vocation, que
lorfqu’après avoir excité les forces de l ’ame, i l
leur donne une direftion avantageufe , c’eft à dire,
lorfqu’i l la porte conftamment à la juftice & à
la vertu. A u contraire i l agit en traître à l ’égard des
hommes, quand , foit par caprice, ou par mauvaife
v o lon té , ou meme par une fimple ignorance, i l
fait prendre aux forces de l ’ame des déterminations
nuifiblcs. On eft fondé à faire ce reproche à Molière
& à d’autres comiques , qui n’intéreffént que trop
fouvent le fpedateur en faveur de la fraude & du
vice.
Quiconque veut toucher les autres , doit être
touché lui-même j d’où i l s’enfuit qu’on p eu t, avec
le même fondement, exiger de ceux qui afpirerîE
à faire un ouvrage intérejfant, que leur propre
ame foit ad iv e & capable de s intérejfer. En vain
prétendroit-on d’un homme froid, ou livré uniquement
à la- méditation , ou qui ne penfe qu’à fa-
voùrer des objets de jouïffance , qu’i l produisît
quelque chofe d’ intérejfant : étant lui-même fans
chaleur , comment parviendroit-ii à échauffer notre
coeur ? Des artiftes qui ne connoiffent point d’objets
plus intéreffants qu’un beau payfage ou un doux
zéph yr, & qui les préfèrent aux grandes entreprifes
qu toutes les forcés de l ’ame entrent en jeu , ne
. feront jamais naître un grand Intérêt. I l faut pour
cet effet une ame qui aime à agir elle-même, ou
à prendre part, aux adions des autres; qui s’occupe
férieufemenc du deffein de faire régner l ’ordre
& de bannir le défordre ; q u i , dès que la moindre
occafion s’en préfente , prenne aifément feu en
faveur du bien ou contre le mal ; une ame enfin
pour qui rien de ce qui touche l ’humanité ne foit
etranger, & fuivant la belle expreflion de M. H a lle r ,
qui f e retrouve en tout -autre. En un m o t , i ’ar—
tifte qui veut être inté rejfant, doit sintérejfer à
toutes les affaires tant générales que particulières
dont i l fait fon objet , & fe mettre à la place des
personnes qu’ i l fait parler & agir. Alors tout s’anime
& fe vivifie à fes propres regards, & i l entre dans
une fituation qu’i l peut, communiquer à d’autres.
C e la prouve encore que tout grand artifte doit être
phiiofophe & honnête homme. ( M . DE SULZER.J
IN T É R Ê T , f. m. Littérature. L ’In té r ê t, dans
un ouvrage de Littérature, naît du f ty le , des incidents
j des caraétères, de la vraifemblance, & de l ’enchaînement.
Imaginez les fituations les plus pathétiques 5
fi elles font mal amenées, vous n intérejfere^ pas.
Condùifez votre poème avec tout l ’ art imaginable
; fi les fituations en font froides, vous nintérejfe-
re\ pas.
Sachez trouver des fituations & les enchaîner ; fi
vous manquez du ftyle qui convient à chaque chofe,
vous n intereffére^ pas.
Sachez trouver des fituations, les Ije r, les colorie
r; fi la vraifemblance n’eft pas dans le T o u t , vous
nintéreffere^ p a s .
O r , vous ne ferez vraifemblant qu’en vous conformant
à l ’ordre général des chofes , lorfqu’ i l fe
plaît à combiner des incidents extraordinaires.
Si vous vous en tenez à la peinture de la nature
commune , gardez partout la même proportion qui
y règ ne* v