
lib e r té élè v e T im e des grands hommes , anime ,
e x c ite puiffamment en eux l ’ ém u la tio n , & entré-
t ien t cette n ob le ardeur qui le s encourage à s’é le v e r
au delîus des antres. J o ig n e z -y les motifs intére f-
fants dont le s républiques p iqu ent leurs Orateurs :par eux , leu r efp rit achèv e de Te p o l i r , & le prête
a leu r fa ire cu ltiv e r av ec une me rv e iileu fe fa c ilité
le s talents qu’i ls ont reçus de la nature , fans le s
é carter uri moment de ce g o û t de la lib e r té q u i fe
fa it fentir dans leurs difeours & jufques dans leurs
moindres actions.
z°. A cet amour défîntéreffé de la liberté dans
les républicains fuccéda , fous une domination étrang
ère ,. un d^fir pa/Conné de richeffes : on oublia
tout featiràerit de gloire & d’honneur, pour mendier
fèrvilemënt lés faveurs des nouveaux maîtres
& ramper à leurs pieds. O r , dit L o n g in , comme
i l eft inipolfible qu’un juge corrompu juge fans
paillon & fainement de tout ce qui eft jufte &
honnête, parce qu’un efprit qui s’eft laiffé gagner
aux préfènts nè connoît de jufte & d’honnête
que ce qui lui eft utile ; comment pourrions-nous
trouver de grandes a&ioris dignes de la Poftérité
dans ce malheureux flèc le , ou nous ne nous occupons
qu’a tromper celui - c i . pour nous approprier
fa fucceffion, qii’à tendre des pièges a cet
àiitre pour noûs faire écrire dans fon teftameut, &
qu’à faire un trafic infâme de tout ce qui peut nous
aporter du gain ?
3°. L a corruption des moeurs engloutit, pour
ainfi dire, tous les talents. Les efprits , comme
abâtardis par le lu x e , fe jetèrent dans un défordre
affreux. Si on donnoit quelque temps à l ’ étude ,
ce n’étoit que par pur amufement ou pour faire
une vaine parade de fa fcience, & non par une
noble émulation ni pour en tirer quelque profit louable
& folide. Les g rec s , fous l ’empire des étrangers
, furent comme une nouvelle nation vendue à
la molleffe & à la volupté. V ils inftruments dés
paflions de leurs maîtres , ils trafiquèrent honteu-
leraent leurs vrais intérêts & leur réputation, pour
goûter les fades douceurs d’un lâche repos : nulle !
émulation , nul défir de la vraie gloire ; tout étoit
fàçrifié au plaifîr. O r dès qu’un homme oublie lé
foin de la vertu , i l n’eft plus capable que d’admirer
les çhofes frivoles ; i l ne fauroit plus lever
le s ieüx pour regarder au deffus de fo i , ou rien
dire qui pafTe le commun ; tout ce qu’i l adé noble
Çc de grand fe fané , fe sèche, & n’attire plus que le
mépris.
4°. L a mauvaife éducation fuivit de près la fer-
vitude & le luxe. Le s études furent négligées Ce
altérées , parce qu’elles ne conduifoient plus aux
premiers poftes de l ’État. On vouloit qu un précepteur
coûtât moins qti’uti éfolave ; on fait à cé
fujet le beau mot d’un philofophe : comme i l de*
mandoit mille drachmes pour inftruire un jeune
homme ; »C ’eft tro p , répondit lé père, i l n’en coûte
o pas plus pourachétêt mj éfolave. —. f f c bien. à ç£
» prix voui en aurez deux, reprit le philofophe, vo*
» tre fils & celui que vous achèterez. «
Les rhéteurs, avec un manteau de pourpre des
mieux travaillés , avec des chaufTures attiques
comme les dames les portoient, avec des fandales
de Sicyone arretées par une courroie blanche,
aprenoient aux enfants une centaine de mots .attiques
, & leur expliquoient les plus ridicules
pertinences , qu’ils envelopoient fous des termes
méiés de barbarifmes & de folécifmes, qu’ils auto-
rifoient du nom d’un poète SC d’un écrivain inconnu.
Ils n’avoient à la bouche & ne donnoient
pour fujet de compofition , que le mont Athos
percé par Xercès , l ’Hellefpônt couvert de vaifo
féaux , l ’air obfcurcipar les flèches des perfes , les
lettres d’Othriades ; les batailles de Salamioe,
d’Artémife, & de Platée; la mort de Léonidas , &
la fuite de Xercès. Quelquefois ils déclamoient &
chantoient la guerre de T r o ie , les noces de D eu -
calion & de r y r rh a , & fe dèmenoient comme des
forcenés, pour fe faire croire remplis de l ’efprit
des dieux : c’étoit â quoi aboutiffoit toute leur Rné-
thorique. Certes je crois que ce lle de quelques-uns
de nos collèges en eft la copie.
5°. Les anciens Orateurs gre cs n’étoient point
de ces foéculatifs qui repaifloient leur curiofité de
connoiflauces ftériles 8c fingulières : ils tra vail-1
loient pour le P u b lic , & fe regardoient placés dans
le monde par la Providence pour l’ éclairer utilement
; en vrais Savants, ils appliquoient les préceptes
de la Philofophie au manîment des affaires#
Mais depuis la mort de Démofthène, les OrateurP.
8c les Savants n’écoutoient plus que leurs fantaiûe»
& leurs idées. Chacun fuivoit foa intérêt particulier
8c négiigeoit le bien commun. O n ne rai-
fonnoit plus dans les écoles que fur des chimères}
les matières abfurdes qu’on y traitoit jetoient né-
ceflairement la confufion dans les idées & dans la
langage.
6 °. L a néceffité du commerce avec les barbares,
fujetsdela Macédoine ou des romains, jntroduiflt le»
mauvaifes moeurs & le mauvais goût : jufques 11
les grecs, nourris au grand 8c à l ’honnête , s’etoient
défendus de la corruption qui regnoit dans les provinces
de l ’Afie mineure, dont ils »voient tant do
fois triomphé ; mais bientôt le mélange avec les
étrangers corrompit tout. Un je ne fais quel mauvais
air infe&a l ’Éloquence comme les moeurs. De»
qu’elle fortit du Pyrée , dit Cicéron, & qu’elle fis
répandit dans les îles 8c dans l ’A fie , e lle perdit
cet air de fanté & d’embonpoint qu’elle avoit coa*
fervé fi long temps dans fon terroir naturel, &
défaprit prefque â parler : de là ce ftyle pelant 8c
furchargé d’une abondance faftidieufe , qui fut en
ufage chez les phrygiens, les cariens, le s mifiens,
peuples groffiers & fans politeffe,
7 ° . Les difeuffions & les jaloufies éternelles de»
petites républiques , qui changèrent la face de»
affaires, altérèrent aufii étrangement ÉÉloquencç,
t e s grecs des petits États corrompus par l ’or
étranger, étoient autant d’efpions qui obfervoient
d’un oeil malin les citoyens des plus grandes villes. .
Une parole forte & libre , un terme noble & élevé
«chapé dans un difeours & dans le feu de la déclamation
, étoient un crime pour ceux qui n’en avoient
pas. O n n’ôfoit plus raifonner ni propofer un
avis falutaire, parce que tout étoit fulpedé. Dans
les lieux mêmes où les Savants, chaflés de leur
patrie par la cabale , ouvrirent des écoles de Belles-
Lettres pour fe ménager quelques reffouices contre
les rigueurs du fo r t , ce n’étoit que fureur & acharnement.
Souvent un prince détruifoit lés établif-
fements de fon devancier dans les pays poffédes par
les fucceffeurs d’Alexandre. » O r fi les délices d’une
» trop longue p a ix , dit Longin , font capables de
» corrompre les plus belles âmes, à plus forte raifon
» cette guerre fans fin , qui trouble depuis fi long
» temps toute la terre, eft-elle un puiffant obftacle à
» nos défir s. »
I l eft vrai que Rome ouvrit une retraite honorable^
à ces iliuftres bannis, r8c que le palais des
Céfars leur fut fouvent un asîle affûté ; mais ils
n’y parurent qu’en qualité de philofpphes & de
grammairiens. Leurs occupations confiftoient à expliquer
les écrits des anciens fuivant les règles
de la Granulaire & de la Rhétorique , mais non
à compofer des harangues grèques. Leur langue
naturelle leur devertoit inutile dans une. v ille où
la feule langue latine étoit en ufage dans les tribunaux
, & ils n’avoient aucune part aux affaires. Les
peuples d’ I ta lie , encore au temps des enfants de
Théodofe , méprifoient fouvérainement le grec x
en un m o t, c’étoient des gens d’efprit, des Savants,,
des philosophes ; mais c.e n’ étoient pas des Orateurs.
8°. Les diffentions civiles avoient paffé jufques
dans les écoles. Les maîtres entre eux formoient
des partis & des fe&es ; chaque opinion avoit fes
difciples & fes défenfeurs; on difputoit avec autant
de fureur fur une queftion de Rhétorique, que fur
une affaire d’État. Tout avoit été converti en problème
; l ’efprit de faârion avoit comme foi fi tous
les grecs, ils étoient divifés entre eux pour
l ’Éloquence & les Be lles -Le ttres, encore plus qu’ils
ne l ’étoient pour ie gouvernement du leurs républiques.
Les maîtres s’applaudiffoient puérilement
de paroître à la tête d’une nouvelle troupe , &
montroient avec une affeiftation ridicule leurs nouveaux
élèves ; ces difciples, comme .des gens initiés
à de nouveaux myftères, ne parloient qu avec indolence
du parti oppofé. Les plus .célèbres de ces maîtres
furent Appollodore de Pergame & Théodore de
Gadar ; le premier inftruifit Augufte , & le fécond
donna des leçons à Tibère. Peut-être que le génie
différent de ces deux empereurs fervit à étendre
leur fefte & ci lui donner dd-crédit j quoi qu’i l en
f o i t , on diftinguoit les .appollodoréens d’avec les
théodoréens, comme on diftinguoit les pliilofophes
du portique cf-avec ceux de l ’académie.
5>®. L ’attangement des mots dans un difeours eft
à l ’o r e i lle , ce que les couleurs font à l ’oe il dans
la peinture. Les écrivains des beaux fiècles, convaincus
de ce principe , s’appliquèrent furtout à
aquérir ce talent, qui donne tant de grâces à leurs
compofitions ; mais les derniers écrivains , contents
de raifonner, ont regardé le brillant de i ’éiocu-
tion comme peu néceffaire. Les fop hiflc s, moins
habiles & moins folides qu’e u x , ont au contraire
quitté l,e raifonnement pour fe répandre en paroles;
iis composèrent des mots , refondirent de vieilles
phrafes, imaginèrent de nouveaux tours. Incapables
d’inventer par eux-mêmes , ce fut allez- pour
eux de coudre des lambeaux de Démofthène , de
L y fîa s , d’Efchine ; de fabriquer de nouvelles périodes
, & d’emprunter des exprefïions & des couleurs
poétiques pour voiler plus artificieufement
leur indigence : on y remarquoit bien le fon 8c
la voix des anciens g rec s, mais on n’ y reconnoif-
foit plus leur efprit. » Athènes elle-même , dit Ci-
» céron , n’étoit plus refpeètée qu’à caufe de fes
» premiers Savants , dont la doctrine étoit entière-
» ment évanouie. » Les athéniens n’avoient pluscon-
fervé que la douceur de la prononciation qu’ils
tenoient de la bonté de leur climat ; c ’étoit la
feule chofe qui les diftinguoit des afîatiques : mais
ils avoient laiffé flétrir ces fleurs & ces grâces du véritable
atticifme, que leurs pères avoient cultivées avec
tant de foin.
io ° . Les célèbres Orateurs de la Grèce poffé-
doient au fouverain degré toutes les parties de
l ’Éloquence , la fubtilité de la D ia le ft iq u e , la
majefté de la Philofophie , le brillant de la P o éfie,
la mémoire des jùrifconfultes, la voix & les geftes
des plus fameux auteurs; ils en -fefoient une étude
particulière. Les rhéteurs des derniers temps, au
contraire , n’étoient que de purs dialecticiens , de
frivoles grammairiens, occupés à éplucher des fyllabes
& à forger des termes fonores.
11®. Ces maîtres, éloignés des grandes affaires
& exclus des grandes affemblées , le renfermoient
dans des matières auffi bornées que leurs é c o le s ,
& peu fufceptibles dé ces efforts qui font l ’É lo quence.
» Car on fo i t , dit Cicéron , que les grandes
» affemblées font comme un vafte théâtre , où i ’O m -
» teur déploie.toutes les forceS'de fon génie & toutes
» les règles de fon art ; & que , comme un habile
» muficien ne peut rien fans infiniment, VOrateur ne
-» fauroit être éloquent s’i l ne parle devant un grand
» peuple. » 1
n ° . Cette contrainte les refferroit dans une feule
efpèce de fcience : en forte que, quand ils vouloient
traiter de plus grands fujets, ils apportoient toujours
le même efprit & la même méthode ; ifs ne
fovoient pas fe diverfifier , félon les différentes.matières
qu’ils avoient à traiter.; ils parloient des
a&ions d’un empereur , d’un traité de paix , comme
d’une queftion fcholaftique ; ils s’obftinoient avec
opiniâtreté à une opinion , comme des foldats liés
par ferment ou des gens entêtés de certaines cé