
pas leur faire honneur > elles méritent mieux : )
L'entendement eji de mife avec les politiques & les
courtifans. x #
I l me femble que l ’ entendement eft néceffaire
pa rtout, & qu’ i l eft bien extraordinaire de voir un
entendement de mife.
L e génie e jl propre avec les g ens à p rojets & à
dépenje.
O u je me trompe, ou le génie de Corneille étoit
fait pour tous les fpeda teurs, le génie de Boffuet
pour tous les auditeurs, encore plus que propre avec
les gens à dépenfe.
. L e mot qui répond à fp ir itu s , E fp r i t , vent ,
fouffle , donnant néceffairement a toutes les nations
l ’idée de l ’air, elles fupposèrent toutes que notre
faculté de penfer, d’agir , ce qui nous anime, eft
■ de l ’air; & de là notre ame fut ae l ’air■•fubtn.
D e là les mânes, les E fp r its , les revenants, les
ombres, furent eompofés d’air.
D e là nous difions i l n’y a pas long temps : Un
Efprit lu i eft apparu ; i l a un Efprit fam ilie r ; i l
revient des Efprits dans ce château ; & la populace
le dit encore.
I l n’y a guères que les traductions des livrés
hébreux en mauvais latin , qui ayent employé le mot
de fp ir itu s en ce-fens.
Mânes , timbra , Jimulacra , font les expreftions
de Cicéron & de V irg ile . Les allemands difent
-g e e fl, les anglois g h ojl , les efpagiiols duende,
trafgo ; les italiens femblent n’avoir point de
terme qui fignifie revenant. Les françois feuls fe
font fervis du mot Efp r it. L e mot propre pour toutes
le s nations doit être fa n tôm e , imagination, rêverie,
f o t t i f e , friponnerie.
\ Quand une nation commence à fortir de la barbarie
, elle cherche à montrer ce que nous appelons
de V Efprit.
A in f i, aux premières tentatives qu’on fit'fous
François I , vous voyez dans Marot des pointes , des
jeux ae mots, qui feroientaujourdhui intolérables.
Romorentin fà perte remémore ,
Cognac s’en cogne en fa po’ trine blême ,
Anjou fait joug , Angoulême eft de même.
Ges belles idées ne fe préfentent pas d’abord
pour marquer la douleur des peuples. I l en a coûté
a l ’imagination, pour parvenir a cet excès de ridicule.
O n pourroit apporter plufièurs exemples d’un
goût fi dépravé ; mais tenons-nous-en à celui-ci qui
eft le p lus fort de tous.
Dans la fécondé époque de Y E fp r it humain en
France, au temps de B a lz a c , de M aire t, de R o -
trou, de C o rn e ille , on applaudiffoit à toute penfée
qui furprenoit par des images nouvelles qu’on ap-
peloit E fp r it. O n reçut- très-bien ces vers de la
tragédie cle Pyrame :
A h 1 voici le poignard qui du fang de fon maître
Eft encor tout fanglant; il en rougit, le traître t
O n trouvoit un grand art à donner du fentimenC
à ce poignard, à le faire rougir de honte- d etre
teint au fang de Pyrame autant que du fang dont i l
étoit coloré.
. Perfonne ne fe récria contre Corneille quand,
dans fa tragédie d'Andromède, Phinée dit au
fole il :
Tu luis, Soleil , & ta lumière
Sçmble fe plaire à m’affliger.
Ah ! mon amour te va bien obliger
A quitter' foudain ta carrière.
Viens, So leil, viens voir la Beauté
Dont le divin éclat me dompte ,
Et tu fuiras de honte
D ’avoir moins de clarté.
L e fole il qui fuit parce qu’i l eft moins clair que
le vifàge d’Andromède , vaut bien le poignard qui
rougit.
Si de tels efforts d’ineptie trouvoient grâce devant
un Public dont le goût s’eft formé fi difficilement
, i l ne faut' pas être furpris que des traits
d'E fp r it quiavoient quelque lueur de beauté ayent
lon g temps féduit.
Non feulement on admiroit cette traduction de
l ’efpagnol ;
Ce fang qui tout verfé fume encor de courroux
De fe voir répandu pour d’autres que p,our yousj
non feulement on trouvoit une fineffe très - fpïri-
tuelle dans ce vers d’Hipfipile à Médée dans la
Toifon d'or :
Je n’ai que des attraits , & vous avez des charmes :
mais on ne s’appercevoit pas, & peu de.connoiffeiirs,
s’apperçoivent encore, que , dans le rôle impofant
de Cornélie, l ’auteur met prefque toujours de Y Efp r it
où i l falloir feulement de la douleur. Cette femme
dont on vient d’affaffiner le mari , commence fon
difcours étudié à C é fa r , par un car t
Céfar, car le deftin , que dans tes fers je brave, »
M’a faitta prifonnière & non pas ton efclave; :•
Et tu ne prétends pas qu’ il m’abaiffe le coeur
Jufqu’à te rendre hommage & te nommer feigneur.
E lle s’interrompt ainfi dès le premier mot, pour
dire une chofe recherchée & fauffe. Jamais une citoyenne
romaine ne fut efclave d un citoyen romain;
jamais un romain ne fut appelé fe ign eu r; & ce
mot feigneur ri’eft parmi nous qu’un terme d’honneur
& de rempliffage ufité au théâtre.
Fille de Scipion ^ & pour dire encor plus ;
Romaine, mon courage eft encor audeflus.
Outre le défaut fi commun à tops le s héros de
C o rn e ille , de s’annoncer ainfi eux-mêmes, de dire ;
E S P
Je fuis grand , j’ai du courage , admirez-moi; i l y
a ici une affectation bien condannable de parler
de fa naiffance quand la tête de Pompée vient-
d’être préfentée à Céfar. Ce n’eft point ainfi qu’une
affliction véritable s’exprime. L a douleur ne cherche
point à dire encor p lu s . Et ce qu’i l y a de p is ,
c ’eft qu’en voulant dire encor p lus, elle dit beaucoup
moins. Etre romaine eft fans doute moins que
d’être fille de Scipion & femme de Pompée. L ’infâme
Sep cime , affaffin de Pompée, étoit romain
comme elle. M ille romains étoient des hommes
très-médiocres; mais être femme'& fille des plus
. grands des romains, c’étoit là une vraie fupériorité. I l
y a donc dans ce difcours de Y E fp r it faux & déplacé
, ainfi qu’une grandeur fauffe & déplacée.
Enfuite elle dit après Lucain, qu’elle doit rougir
d’être ep vie. :
Je dois rougir pourtant, après un tel malheur ,
D e n’avoir pu mourir d’un excès de douleur.
Lucain , après le beau fiècle d’A u gufte, chèrchoir
de Y E fp r i t , parce que la décadence commençoit;
& dans le fiècle de Louis X IV on commença par
vouloir étaler de Y E fp r i t , parce que le bon goût
n’étoit pas encore entièrement formé comme i l ïe fut
depuis.
Cefar, de ta victoire écoute moins le bruit,
Elle n’eft que l’effet du malheur qui me fuit.
- 5Q u el mauvais artifice, quelle idée fauffe autant
| | imprudente ! Céfar ne doit point , félon elle ,
ecouter le bruit de fa viétoire. I l n’a vaincu à
Pharfale que parce que Pompée a époufé Cornélie!
Que de peine pour dire ce qui n eft ni v r a i, ni
vrâifemblable , ni convenable , ni touchant !
Deux fois du monde entier j’ai caufé la dilgrâce.
C eft le bis nqcui mundo de Lucain. C e vers
prefente une tres-grande idée. E lle doit furprendre,
i l n’y manque que la vérité. Mais i l faut bien remarquer
que fi ce vers avçit feulement foible
lueur de vraifemblance , & s’i l étoit échapé aux
emportements de la douleur, i l feroit admirable; i l
auroit alors toute la vérité , toute la beauté de la
convenance théâtrale.
Heureufe en. mes malheurs,, fi ce trifte hyménée f f
Pour le bonheur du monde à Rome m’eût donnée,
Et fi j’euffe avec moi porté dans ta maifon
D un aftre envenimé l’invincible poifon;
Car enfin ’attends pas que j’abaiffe ma haîne;
Je te 1 ai déjà d i t , Céfar, je fuis romaine;
E t quoique ta captive, un coeur tel que le mien ,
De peur de s’oublier, ne te demande rien.
^ eft encore de Luca in; elle fouhaite dans la Phar-
laie d avoir époufé C é fa r , & de n’avoir eu à fe louer
a aucun de fes maris :
sitque utinam in thalamis invifi Ccefaris ejfem
Xnfelix conjux & nulli lata marito.
E S P 3
C e fentimtenf n’eft point dans la nature ; i l eft
a la^ fois gîgantefque & puéril : mais du moins
ce n eft pas à Céfar que Cornélie parle ainfi dans
Lucain. Corneille au contraire fait parler Cornélie
a Cefar meme; i l lui fait dire qu’elle fouhaite d’ être
fa femme , pour porter dans fa maifon le p o ifon
invincible d un ajtre envenimé; c a r , ajoute-t-elle,
ma haine ne peut s abaiffer, & je t’ai déjà dit que
je fuis romaine , & je ne te demande rien. V o ilà
un fingulier rarfonnement ; je voudrois t’avoir époufé
pour te faire mourir, car je ne te demandé rien.
„Ajoutons encore que celte veuve accable Céfar
d injures, dans le moment où Céfar vient de pleurer
la mort de Pompée &* qu’i l a promis de la
venger.
I l eft certain que fi l ’auteur n’avoit pas voulu
donner de YEfprit à Co rn é lie , i l ae feroit pas
tombé dans ces défauts qui fe font fentir aujourdhui
après avoir été applaudis fi lo n g temps.
Les aftrices ne peuvent plus guères les’ palliée
que par une fierté étudiée & des éclats de voix fé -
auéteurs;
Pour mieux connoitre combien Y E fp r it feul eft
au deffous des fentiments naturels , comparez Cor-
nélie avec e lle-même, quand e lle dit des cjrofes
toutes contraires dans la même tirade :
Encore ai-je fujet de rendre grâce aux dieux
De ce qu’ en arrivant je ce trouve en ces lieux ,
Que Céfar y commande & non pas Pcolomée.
Helas ! & fous quel aftre, ô Ciel ! m’as-tu forméeî
Si je leur dois des voeux de ce qu’ils ont permis
Que je rencontre/ ici mes plus grands ennemis,
Et tombe entre leurs mains plus tôt qu’aux mains d'un
prince ,
Qui doit à mon époux fon trône 8cfa province.
Paffons fur la petite faute de f ty le , & confidérons
combien ce difcours eft décent & douloureux ; i l va
au coeur : tout le refte éblouit Y E fp r it un moment 8c
enfuite le révolte.
Ces vers naturels .. charment tous les fpeéla-
teurs :
O vous ! à ma douleur objet terrible & cendre,’’
Éternel entretien ..de haîne 8c de pitié,
Reftes du grand Pompée , écoutez fa moitié , &c.
C eft par ces compafaifons qu’on fe forme le gou f,
& qu’on s’ accoutume à ne rien aimer que le vrai mis
afa p lace. ( JPoye\ G o û t . )
Cieopatre dans la même tragédie s’exprime ainfi à
fa confidente Charmion :
Apprends qu’une princeffe aimant fa renommée ,
Quand elle dit qu’elle aime, eft sûre d’être aimée j
Et que les plus beaux feux dont fon coeur foit épris
Ne fauroient l’expofer aux hontes d’un mépris.
i Charmion pouvoif lui répondre : Madame , je
n’entends pas ce que c’ eft que les beaux feux d’une'
A i