
D ’ailleurs quelques-uns parlent Y Hébreu comme
nous eHayons de parler le grec & le. latin : c’eft
avec une grande diverfîté d’ans la prononciation ;
chaque nation de juifs a la fienne. Enfin i l y a un
grand nombre d’expre fiions dont ils Ont eux-mêmes
perdu le fens aufli bien que les autres peuples ;
tels font en particulier prefque tous les noms de
pie rres, 'd’ iarbres , de plantes-, d’animbux , d’inftru-
ments, & de meubles , dont l ’intelligence n a pu
être- tranfmife par la tradition, & dont les favàhts
d’après la captivité n’ont pu donner une interprétation
certaine : nouvelle preuve que cette langue
étoit dès lors hors d’ufage, & depuis plufieurs
liècles.
I V . Nous avons quitté dans l ’article précédent
la langue d’Abraham, pour en Cuivré les révolutions
chez les hébreux , fous le nom de Langue de
M o ïfe ; & nous avons promis de la reprendre dans
ce nouvel a r tic le , pour la fiiivre fous le nom des
chananéens ou phéniciens, qui l ’ont répandue en différentes
contrées de l ’Occident. C e n’eft pas que
la langue de ce patriarche ait été dans fon temps
l a langue de Phénicie ; mais nous avons dit que
fa fam ille, qui vécut dans cette contrée & qui; s’y
établit à la fin , incorpora tellement fa langue originaire
avec celle de ces peuples maritimes , que
c’eft effenciellement- de ce mélange que s’eft formée
l a langue de M o ïfe , que l ’Écriture pour cétte ràifon
ap pelle aufli quelquefois Langue deChanaan. Que
les phéniciens , auxquels les grecs' ont avoué devoir
leur écriture' & leurs premiers arts, ayent été
lés mêmes peuples que l ’Écriture appelle chanà-
néens y i l n’en faudro'ic point d’autre témoignage
que ce nom qu’e lle leur donne., puifqu i l fignifie ,
dans la langue de la Bible, des marchands , & que
nous favons par i ’Hiftoire que lés phéniciens ont
été les plus grands commerçants & les plus fameux
navigateurs de la haute antiquité ; l ’Écriture
nous les fait encore reconnoître, d’une manière aufli
certaine que par., leiir no m , en aflignant pour demeure
à ces chananéens toutes les côtes de la Pa-
leftine , & entre autres .les .villes de Sidon & de
T y r , centres du commerce des ' phéniciens. Nous
pourrions même ajouter que ces: deux noms de peuples
n’ont point été différents dans leur origine ,
.& qu’ils n’ont l ’un & l ’autre qu’uné feule & même
racine : mais nous- laiflerons de côté cette dif-
cuflion étymologique, pour fiiivre notre principal
objet^(i). *Il
(i) Les phéniciens fe difoient iffus de Cna 5 félon l’ ufage
de l’Antiquité, ils dévoient donc être appelés les enfans
de Cna , comme on difoic. les enfans d’Héber, pour défî-
gner les hébreux. En prononçant ce nom de peuple à la
façon de la Bible, nous dirions Benei-Ceni ou Benei-Cini.
Il y a apparence que le dernier a été d’ufage , Surtout
chez les étrangers , qui changeant encore le b en p h ,
comme il leur arrivoit fouvent , de contractant les léc-.
très à caufe de l’abfence des voyelles, ont fait d’ un feuf
j&Qt pheniçini , d’où pfycenix , pcenifs, pUnïcus de plié-
Quoique la vraie fplendeur des phéniciens remonte
au delà des temps hiftoriques de la Grèce
& de l ’ Italie , & qu*il ne foie relié d’eux ni monuments
ni annales ; on fait cependant qu’i l n’y a
point eu de peuples en Occident, qui ayent porté en
plus d’endroits leur commerce & leur induftrie«
Nous ne le Payons , i l eft v ra i, que par les obf-
cures traditions de la' G rè ce ; mais les modernes'les
ont éclairées par la langue de la- Bible , avec laquelle
on peut fuivre ces'anciens peuples comme
à la pille chez toutes les nations africaines-& européennes
, : 011 ils on t, avec leur commercé , porté
leurs fable», leurs divinités, & leur langage ; preuve
inconteftable fans doute, que la langue d’Abraham
s’étoit intimement fondue avec ce lle des phéniciens,
pour en former, comme nous avons d it , l e diale a: e
de Moïfe.
"C e s peu ples, qui furent en partie exterminés &
difperfés par Jofue yavoient dès .les premiers temps
commerce avec l ’Europe groflière & prefque fau-
v a g e , comme flous commerçons aujourdhui avec
l ’Amérique ; ils y avoient établi de même des comptoirs
& des colonies , qui en civilisèrent les habitants
par leur commerce , qui en adoucirent les
moeurs en s’alliant avec eux , & qui leur donnèrent
peu à peu le goût des Arts en les amufant de
leurs cérémonies & de leurs fables : premiers pas
par ou. les hommes prennent le goût de la foc iété,
de la Religion , & de la Science.
A vec les lettres phéniciennes, qui ne font autres,
comme nous avons v u , que ces mêmes lettres qu’adopta
aufli la poftérité d’Abraham , . ces peuples
portèrent le u r . langage, en : diverfes contrées, occidentales;
& du mélangé qui s’en fit avec les langues
nationales de; ces contrées , i l y a tout lieu
de penfer qu’i l s’en forma en Afrique le carthaginois
, & en Europe le g rec , le lati*i, le c e ltique:,
&e. L e carthaginois en pa rticulier, comme
étant la plus moderne de leurs Colonies , fembloit
au temps de S. Auguflin n être encore, qu’un dialecte
de la langue de Moïfe : aufli Bochart , fans
autre interprète que la B ib le ;, a - t- il traduit fort
heureufement un fragment carthaginois que Plaute
nous a confervé.
L a langue grèque nous offre aufli , mais non
dans la meme mefure , un grand nombre de racines
phéniciennes, qu’on retrouve dans la Bible , & qui:,
chez, les g re c s , paroiffent vifiblement avoir été
ajoutées d un fonds primitif de langue nationale.
I l en efl.de même du latin quoiqu’on n’ait
pas fait encore de recherche particulière a ce fujet;,
parce qu’on eft prévenu que cette langue doit beaucoup
aux g rec s ; elle contient néanmoins, & bien
plus que le grec lui-même, une abondance fingo*
lière de mots phéniciens qui fe font latinifés.
nicien. Quant au nom de Cna , il ri’eft autre que la racine
contra&ée de Chanaan, de fignifie marchand : aufli étoit-ïl
regardé comme un furnom de Mercure, dieu du commerce
»
Nous
Nous ne parlerons point de l ’étrufque & de quelques
anciennes langues qui ne nous font connues
que par quelques mots où l ’on aperçoit cependant
de femblables: veftiges : mais nous n’oublierons
point d’indiquer le celtique, comme une de ces langues
avec lefquelles le phénicien s’eft allié. On
n’ignore point que le breton en particulier, n’en
eft encore aujourdhui qu’un diaiede ; mais noiis
renvoyons au dictionnaire- de cettfe province, qui
depuis peu d’années a été donné au Public , & au
didionnaiie celtique dont on lui a déjà préfenté
un volume , & dont la fuite eft attendue avec impatience.
Nous pourrions aufli nommer à la fuite de ces
langues mortes plufieurs de nos langues vivantes ,
qui toutes du plus au moins contiennent, non feulement
des mots phéniciens grécifés & latinifés;
que nous tenons dé ces deux derniers peu ples.,
mais aufli un bien plus grand nombre d’autres qu’ils
n’ont point eus , & que nos pères n’ont pu aquérir
que par le canal direét des commerçants de Phénicie
, auxquels, le baflin de la Méditerranée &
le paflage de l ’Océan ont ouvert l ’entrée de toutes
les nations maritimes de l ’Europe. C ’eft ainfî que
l ’Amérique à fon tour offrira à fes peuples futurs
des langues nouvelles, qu’auront produites les divers
mélanges de leurs langues fauvages avec celles de
nos colonies européennes.
C e feroit un ouvragé'aufli curieux qu’u tile, que
les étymologies françoifes iniquement tirées de la
Bible. O n ofo dire que la récolté en feroit très-
abondante , & que ce pourroit être l ’ouvrage le
plus intéreflant qui auroit jamais été fait fur les
langues , par le foin que l ’on auroit de faire la
généalogie des mots quand ils auroient fuccefli-
veinent pafle dans l ’ufage de plufieurs peuples, &
de montrer leur dégiiifement quand ils ont été
féparément adoptés de diverfes nations. C e qu’on
propofe p o u r . le françois, fe peut également pro-
pofer pour plufieurs autres langues de l ’Europe ,
ou i l eft .peu de notions qui ne foient dans le ; cas
de pouvoir entreprendre un tel ouvrage avec fuc-
ces. Peut-être qu à la fin ces différentes recherches
mettroient à portée de faire le dictionnaire raifonné
des langues de l ’Europe ancienne & moderne. L e
phénicien feroit prefque la bafe de ce grand édific
e , 'parce qu’i l y a peu .de nos contrées Coù le
commerce ne l ’ait autrefois porté, &• que depuis
ces temps les nations européennes fe font fi fort
mélangées, ainfî que lèurs langues propres- ou
aquifes , que les différences qui fe trouvent entre
elles aujourdhui ne font qu’apparentes & non
réelles.
A u relie l ’entreprife dé ces recherches particulières
ou générales ne pourroit point fe conduire par les
mêmes principes dont nous nous fervons pour chercher
nos étymologies dans lé grec & le la t in , qui
en paflant dans nos langues fe font fi peu corrompues,
que l ’on peut prefque toujours les chercher
& les. trouver par des voies régulières. .11 n’en eft
G r a m m , e t L i t t ê r a t . T om e I L
pas de même du phénicien; toutes les nations dé
l ’Europe en ont étrangement abufé, parce que les
langues orientales leur ont toujours été fort étrangères
, & que l ’écriture en étoit fîngulière & diffic
ile à lire. O n peut fe rappeler ce que nous
avons dit du travail des cabaliftes & des anciens
my thologiftes , qui ont anagrammatifé le s lettres ,
altéré les fyllabes, poùr y chercher des fens myfté-
rieux ; les anciens européens ont fait la même
chofe, non dans le même deffein, mais par ignorance
, & parce que la nature d’une écriture abrégée
& renverfée porte naturellement à ces méprifes
ceux qui n’y font point familiarifés. Ils ont fou-
vent lu de droite à gauche ce qu’i l falloir lire de
gauche à droite, & p a rla ils ont renverfé les mots
& prefque toutes les fyllabes. C ’ eft ainfî que de
ca thenùth, vêtements, Tinverfe thounecath , a
donné tunied ,• que lu a g , avaler , a donné g u la ,
gueule ; hefner, v in , merurh.. Taraph , prendre',
s’eft changé en raphia, d’où raptus chéz' les latins
, & attraper chez les françois. De geb e r , le
maître , & de gebereth, la maîtrefîe , nos pères
ont fait, berger & bergerette. Noire ad jed if bLand
vient de- Laban & leban , qui fignifîent la même
chofe dans le phénicien : mais leban a donné b élan ;
& par Çontradion blan. D e laban les latins ont
fait albon , d’où albus & albanus ,■ & par le changement
du b en p \ fort commun chez les anciens ,
on à dit aufli alphan , d’où Yalphos des grecs-
Avec une multitude d’exprefllons femblables , toutes
analyfées & décompofées, un didionnaire raifonné
pourroit offrir encore le dénouement d’une infinité
de jeux de mots , & même d’ufages anciens & modernes^
fondés fur cette ancienne langue , & dont
nous ne. connoiflous plus le fel & la valeur , quoiqu’ils
fe foient tr an finis jafqu’à nous.
S i , a 1 exemple des anciens, notre cérémonial
exige une triple falutation ; fi ces anciens, plus
fuperftitieux que né us , jétoient trois cris fur la
tombe des morts > en leur difarit un triple adieu ;
s’ils appeloient crois fois Hécate- aux déclins cfè
la lune ; ■ s’ils fefoient des facrificés ’ expiatoires
fur trois àutéls à la fin dés grands périodes ; & s’ ils
avoient enfin une-‘multitude d’autres ufages de ce
genre : c’eft que l ’expreffion de la p a ix & du
fa lu t qu’on invoquait ou que l ’on fe fouhaicoit
dans ces circonftancés, étoit prefque le même mot
que celui qui défignoit le nombre trois dans les
langues phéniciennes & carthaginoifes ; le noeud
de Ces ufages énigmatiques fe trouvé dans ces deux
mots , j e halo tn & fch a lo s . Par une ailufîon du
même genre , nous difons aufli , Tout ce qui relu
it nfèjl p a s or : or fignifie reluire ; & ce proverbe
avpi.t beaucoup plus de fe l chez les orientaux,
qui fe plaifoient infiniment dans ces forces de jeux de
mots* - .
Si notre jeunefle nomme fa b ot le volubile buxum
de V ir g ile , on en voit la raifon dans la Bible ,
où fa b ov fignifie tourner. Si nos vanniers ap pellent
ofier lé bois flexible qu’ils èmploient, c’eft
G g