
&c : fi au contraire on a trouvé quelque iiiconfé-
quence dans cet affortiment, en effet trop bizarre,
on a du trouver le même défaut dans le fyftême que
je viens d’expofer & de combattre. (M. B eauzée.)
Remarques de M . de Ma l RA N, fu r la qualification
«Tadjeâif ou de fubftantif pour les noms
de Nombre , à Voccafion d ’ un écrit qui lui
avoit été communiqué fu r ce fu je t.
M. de Mairan convient que les noms de Nombre
en général doivent être rangés dans la claffe des
fubftantifs.
Je conçois ces Nombres , dit - i l , ou les noms
qu’on leur a impofés & qui les expriment, fous
deux afpeéts différents : ou en eux-mêmes & indépendamment
de toute application déterminée aux
chofes dont ils expriment la quantité, en un mot ,
tels qu’ils font dans ce qu’on appelle la fuite naturelle
des Nombres 3 un , d e u x , tr o is , quatre ,
c in q , &c ; ou dépendamment, dans leur application
& dans leur affociation aux chofes nombrées.
L ’auteur ne les a confîdérés que fous cette fécondé
acception , & il les a qualifiés d’adjeârifs ,
à mon avis , par de bonnes raifons & félon les
règles de la Grammaire les plus inconteftables.
C e ft donc là ce que je lui accorde pleinement.
Mats il n’a point traité des Nombres confédérés en
eux-mêmes , ou comme fefant l ’objet de l ’Arithmétique
; & c’eft en ce fens que je dis que les
noms de Nombre font de vrais fubftantifs. Je me
fiat te même , moyennant ce filence , & vu la bonne
Logique que cet auteur fait paroître , qu’en tout
ceci je ne m’écarterai point de fon fentimentlorf-
qu’il voudra envifager la chofe par le même côté.
En parlant des Nombres confédérés en eux-mêmes,
i l faut bien prendre garde à ne les pas confondre
avec les caractères, les marques , pu les chiffres
dont on fe fert pour en réveiller l ’idée & la pré-
fenter aux jeux : car alors i l ne fhuroit. y avoir
deux avis fur leur nature grammaticale;. ce font
des fubftantifs. Le-Diétionnaire de l ’Académie s’en
explique très - positivement, & il en donne des
exemples, Un u n , deux u n s , un quatre,* & il
en fera de même , par exemple, du- quatre de l ’une
des fix faces d’un dé à jouer , &c. C’eft, dis-je , des
Nombres proprement dits, des Nombres nombrants
qu’il s’agit ici.
Si j’avois eu l’honneur d’aflifter à la cpmpofition
du Dictionnaire de l’Académie, j’aurpis propofé
d’ajouter , à la très-bonne définition qu’on y donne
de ces Nombres, qu’ils doivent toujours être pris
fubflantivement, & qu’ils font en effet, félon toutes
les règles de la Grammaire & de la Logique, de
vrais fubftantifs. J’aurois dit après chacun de ces
Nombres , qu’ils font indéclinables, qu’ils ne reçoivent
ni genre ni pluriel , & cela dans toutes
les langues du monde. J’aurois défini quatre, par
exemple, nom de Nombre, le deuxieme p a ir de
la fu ite n atur elle, q u o n p eu t imaginer avoir
été forme de la multiplication de d eux p a r d e u x ,
ou p a r Vaddition de deux & deux ; ou de un &
trois , deux f o i s deux , ou un & trois fo n t quatre
j quatre & cinq fo n t n e u f \ &c. Toutes dénominations
abflraites, qui répugnent abfolument à l ’idéé
d’adjeétifs.
I l n’y a rien , ce me femble , dans cette théorie ,
que de très-analogue aux règles de la Grammaire,
à l ’u fage, & à la raifon. Un & trois font quatre auffi
fubftantivement que la braffe & le pied font la toile.
Tout cela eft fubftantif.
L ’Académie a fait fubftantifs les mots vert ,
rouge , bleu , &c , lorfqu’ils fignifient abftraétive-
ment la couleur verte , rouge , bleue, & c , fans
préjudice à leur métamorphofe en adjeétifs lorfqu’ils
feront appliqués à la chofé colorée. Je changerai
de même en adjeétifs les-mots d e u x , quatre,
cinq , lorfqu’ils détermineront la quantité collective
des individus.
Quiconque a un peu réfléchi fur les abftraits , tels
que la mefure , la durée , la couleur , & le Nombre
, n’ignore pas qu’ils n’exiftent que dans leurs
concrets, c’eft à dire, que ces êtres ne font que
de pures manières de penfer ou d’imaginer, &
qui n’ont nulle réalité hors de nous ou dans la
nature. C e font cependant, & pour parler Grammaire
, tout autant de fubftantifs. Mais je remarque
eqeore que la fubdivifion de ces êtres , ou leurs
efpèces, non moins abftraites qu’eux lorfqu’on les
confidère hors de la chofe qu elles indiquent on
qu’elles modifient, font aufli rangées dans la même
claffe grammaticale des fubftantifs. Ainfi , la lieue ,
la t o i fe , une année, une heure , le ro u g e , le
b leu , & , félon la même ana logie, un , deux 5
tro is , quatre , c in q , & c , confiderés indépendamment
de l’étendue mefurée, du temps écoulé , de
la furface colorée , & enfin des individus nombrés,
me paroiffent devoir être mis également au rang des
fubftantifs.
Je ne m’écarterai pas à répondre à des objections
où je ne vois nul fondement. Dira - 1 - on ,
par exemple, que dans tous ces abftraits numériques
les fubftantifs, chofes ou individus quelconques,
y font toujours - foufentendus , & que les
Nombres nombrants demeurent par là adjectifs des
chofes foufentendues ? Mais outre que cette raifon
ne fuffiroit pas pour les rendre tels , de même
qu’aux mots de vierge & de martyr, qui demeurent
toujours fubftantifs, i l eft de la dernière évidence
qu’i l n’y a point ici d’ellipfe grammaticale,
& que quand je dis trois & deux fo n t c in q , je
ne réveille , dans mon efprit & dans l ’efprit de
ceux qui m’écoutent, qu’une fimple idée de raport
& d’égalité entre deux plus trois & cinq ; idée qui
ne défigne ni ne modifie aucune autre forte d’être
dans la nature.
N O M B R E , en Éloquence , en Poé fie y en
Mufiqite, fe dit d’une certaine mefure , proportion,
ou cadence, qui rend un vers, une période x ua
cîiànt a g ré ab le à l 'o r e i l l e . V o y e i V e r s , M e su r e ’,
C adencé.
I l y a q u e lq u e différence entre le Nombre de la
Poéfie-& c e lu i de la Profe.
Le Nombre de la Poéfie confifte dans une harmonie
plus marquée , qui dépend de l ’arrangement
& de la quantité des fyilabes dans certaines
langues, comme' la grèque & la latine, qui font
qu’un Poème affe&e l’oreille par une certaine rau-
fique , & paroît propre à être chanté ; en effet,
la plupart des Poèmes des anciens étoient accompagnés
du chant, de la danfe , & du fon des
inftruments. C’eft de ce Nombre qu’il s’a g i t , lorfque
Virgile, dans la quatrième églogue, fait dire à un
de fis bergers ;
Numéros memini, fi verba tenerem;
le dans la fixième ;
Tum vero i/xnumerum faunofque ferafque videres
Ludere.
Dans les langues vivantes, le Nombre poétique
dépend du Nombre déterminé des fyilabes félon
la longueur ou la brièveté des rimes , de la richeffe ,
du choix , & du mélange des rimes , & enfin de l’af-
fortiment des mots , au fon defquels le poète ne
fauroit être trop attentif.
Il eft un heureux choix de mots harmonieux. Boileau,
L e Nombre eft donc ce qui fait proprement le
cara&ère , & , pour ainfi dire , l’ air d’un vers. C’eft
par le Nombre qui y règne qu’il eft doux, coulant,
fonore ; & par la privation de ce même Nombre,
qu’il devient foible , rude, ou dur. Les vers fuivants,
par exemple, font très-coulants ;
Au pied du mont Adulle, entre mille rofeaux,
Le Rhin , tranquile & fier du progrès de Tes eaux,
Appuyé d’une main fur fon urne penchante,
Dormoit au bruit flatteur de fon onde naiflante. ~
Au contraire celui-ci eft dur; mais l ’harmonie
n’eft eft pas moins bonne relativement au but de
l ’auteur':
N ’attendoit pas qu’un boeuf, preffé de l’aiguillon,
Traçât à pas tardifs un pénible fillon.
L e Nombre de la profe eft une forte d’harmonie
fimple & fans affectation , moins marquée que
celle des vers, mais que l’oreille!pourtant aperçoit
& goûte avec plaifir. C’eft ce Nombre qui
rend le ftyle aifé , libre, coulant , & qui donne
au difeours une certaine rondeur. Noye-[ Sty le.
Par exemple , cette période de l ’oraifon de Cicéron
pour Marcelius eft très-nombreufe : N u lla
eft tanta vis tantaque copia , quee non ferro ac
viribus debilitari frang iq ue p o jjit. Veut-on en
faire dilparoître toute la beauté., & choquer l ’oreille
autant qu’elle étoit fatisfaite ? i l n y a qu’à
changer cette phrafe , N u lla eft vis tanta 6* copia
tanta quoe non pojjit debilitari fran g iq ue viribus
ac ferro,
Le Nombre eft un agrément abfolument nécef-
faire dans toutes fortes d’ouvrages d’e fp r it , mais
principalement dans les difeours deftinés à être
prononcés. De là vient qu’Ariftote , Quintilien ,
Cicéron, & tous les autres rhéteurs, nous ont donné
un.fi grand Nombre de règles pour entremêler convenablement
les d a d y le s , les fpondéés, & les autres
pieds de la profodie grèque & latine , afin de produire
une harmonie parfaite. O n peut réduire en
fubftance à ce qui fuit tous les principes qu’ils
ont tracés à cet égard.
i° . L e ftyle devient nombreux par la difpofition
alternative & le mélange des fyilabes longues
& brèves, afin que d’un côté la multitude des f y l-
-labes brèves ne rende point le difeours trop précipité
, & que de l ’autre les fyilabes longues trop
multipliées ne le rendent point languiffant. T e l le
eft cette phrafe de Cicéron : Dom u ifti gentes im~
manitate barbaras, mulùtudine inriumerabiles ,
loc is in fin itas , omni copiarum généré abun-
d an te s , où les fyilabes brèves & longues fe com-
penfent mutuellement,
Quelquéfois cependant on met à deffein p lu -
fienrs fyilabes brèves ou longues de fuite , afin
de peindre la promptitude ou la lenteur des chofes
qu’on veut exprimer ; mais c’eft plus tôt dans les
poètes que dans les orateurs qu’i l faut chercher
de ces cadences marquées qui font tableau. Tout
le monde connoît ces vers de V irg ile :
Quadrupedante putrem fonitu quatit unguia campum,
LaSantes ventes tempeftatefque fonoras.
Voye-[ C adence.
z ° . O n rend le ftyle nombreux en entremêlant
des mots d’une , de deux , ou de plufieurs fyilabes ,
comme dans cette période dé Cicéron contre C atilina
: N iv is , & v iv is , non ad deponendam ^fed
ad confirmandam audaciam. A u contraire , les
monofyllabes- trop fréquemment répétés rendent
le ftyle défagréable & dur, comme Hâ c in re nos
hic non fe re t.
30. C e qui contribue beaucoup à donner du
Nombre à une période, c’eft de la terminer par
des mots fbnores & qui rempliffent l ’oreille ,
comme ce lle-ci de Cicéron : Qu i locus quietis
ac tranquillitatis plenijjimus fo r e videbatur ,
in eo maximes molefliarum & turbulentijjimes
tempeftates extiterunt.
40. L e Nombre d’une période dépend, non feulement
de la noblefle des mots qui la terminent,
mais de tout T enfemble de la période , comme
dans cette belle période de l ’oraifon de Cicéron
pour Fontéius , frère d’une des veftales : Nolite
p a t i j iu d ic e s , aras deorum immortalium Veftee