
C e prince lui demandoit un jour à quoi lui fervoiï
de lire : « S i re , lui répondit le duc, qui avoit de
l'embonpoint & de belles couleurs, la lecture fait à
mon efprit ce que vos perdrix font à mes joues ».
S ’i l fe trouve-encore aujourdhui des détracteurs des
fciences, & des cenfeurs de l ’amour pour Y Etude ,
c’eft qu’i l eft facile d’ être plaifant fans avoir raifon,
& q u i ! ■ eft beaucoup plus aifé de. blâmer ce qui
eft louable que de l ’imiter j cependant , grâces:
a u 'C ie l , nous ne fommes plus dans ces temps barbares
ou l ’on laiffoit Y Etude à la R o b e , par mépris
pour la R obe & pour YÉtude.
I l ne faut pas toutefois., qu’en chériflant Y É tu d e ,
nous nous abandonnions aveuglément â l ’impétuofité
d’apprendre & de connoître : YÉtude a fes règles ,
aufli Bien que les autres exercices, & elle ne fauroit
iéùflir, fi I o n ne s’y conduit avec méthode. Mais il
n’eft pas poffible de donner ic i des inftruétions particulières
a cet égard : le nombre des traités qu’on a
publiés fur la direction des Etu des dans chaque
îcience, va prefqu’ à l ’ infini $ & s’i l y a bien plus de
doÇteurs que de doCtes, i l fe trouve aufli beaucoup
plus de maîtres qui nous enfeignent la méthode d’étudier
utilement, qu’ i l ne le rencontre de gens qui
ayent eux - mêmes pratiqué les préceptes qu’ils
donnent aux autres. En général, un beau naturel &
l ’application aflidue furmontent les plus grandes
difficultés.
I l y a fans doute dans YEtude des éléments de
toutes les fciences , des peines & des embarras à
vaincre ; mais on en vient a bout avec un peu de
temps f de foins, & de patience, & pour lors on
cu eille les rofes fans épines. L ’on dit qu’on voyoit
autrefois dans un temple de l ’île de S c io , une Diane
de marbre dont le. vifage paroifloit trifte â ceux
qui entroient dans le temple , & gai à ceux qui en
fortoient. U Etude fait naturellement ce miracle
vrai ou prétendu de l ’art. Quelque auftère qu’elle
nous paroiffedans les commencements, elle a de
tels charmes enfuite, que nous ne nous féparons
jamais d’e lle fans un fontiment de joie & de fatisfac-
tion q u e lle laifle dans notre ame.
I l eft vrai que cette joie fecrète dont une ame
fiu d ie u fe eft touchée, peut fe goûter diverfement,
félon le caraClère différent des hommes, & félon
l ’objet qui les attache ; car i l importe beaucoup que
YÉtude roule fur des fujets capables d’attacher. I l y a
des hommes qui pafFent leur vie à. YÉtude de chofes
de fi mince valeur, qu’i l n’ eft pas furprenant s’ils n’en
recueillent ni gloire ni contentement. Céfar demanda
a des étrangers , qu’i l voyoit paflionnés pour des
finges, fi les femmes de leurs pays n’avoient point,
d’enfants. L ’on peut demander pareillement â ceux
q u inétudient que des bagatelles, s’ils n’ont nulle
connoiflance de chofes qui méritent mieux .leur
application. I l faut porter la vue de l ’efprit fur des
Etu des qui le récréent, l ’étendent, & ie fortifient,
parce qu e lles récompenfént tôt ou tard du temps
que l ’on y a employé.
Une autre chofé très-importante, c’eft de commencer
de bonne heure d’entrer dafts cetté noble
carrière. Je fais qu’ i l n’y a point de temps dans
la vie auquel i l ne foit louable d’acquérir de la
fcience, comme difoit Sénèque ; je fais que Caton
l ’ancien étoit fort âgé lorfqu’i l fe mit à Y E tu d e du
grec : mais malgré de tels exemples , i l me paroîc
que d’entreprendre à la fin de fes jours d’acquérir
l ’habitude & le goût de YÉtude, c’ eft fe mettre dans
un petit chariot pour apprendre à marcher, lorf-
qu’on a perdu l ’ufage de fes jambes.
O n ne peut guère s’ arrêter dans YÉtude des fciences
fans déçheolr : les Mufés ne fon t. cas que de ceux
qui les aiment avec paflion. Archimède craignit plus
de voir effacer les doétes figures qu’i l traçoit fur le
fable ; que de perdre la vie à la prife de Syracufe ;
mais- cette ardeur fi louable & fi néceffaire n’empêche
pas la néceflité des diftractions & du délâfle-
ment : aufli peu t-on fe délafler dans la variété de
YÉtude \ elle fe joue, avec les chofes facile s,de la
peine que d’autres plus férieufes lui ont caufée. Le s
objets différents ont le pouvoir de réparer les forces
de l ’ame, Sc de remettre en vigueur un efprit fatigué.
Ce changement n’empêche pas que l ’on n’ait toujours
un principal objet (YÉtude auquel on rapporte
principalement fes veilles.
Je confeillerois donc de ne pas fe jeter dans
l ’excès dangereux des Étu des étrangères , qui p ou r-
roient confumer les heures que l ’on doit à YEtude
de fa p rofeflion. Songez p rincipalement, vous dirai-
je , à'orner la Sparte dont vous avez fait choix j i l
eft bon de voir les belles villes du monde, mais
i l ne faut être citoyen que d’une feule.
N e prenez .point de dégoût de votre É tu d e , parce
que d’autres vous y furpaffent. JA moins que d’avoir 1 ambition aufli déréglée que Céfar, on peut fe contenter
de n’être pas des derniers : d’ailleurs les
échelons inférieurs font des degrés pour parvenir
à de plus hauts. .
Souvenez-vous furtout de ne pas regarder YÉtude
comme une occupation. ftérile } mais rapportez au
contraire les fciences qui font l ’objet de votre attachement
, à la perfection des facultés de votre ame
Sc au bien de votre patrie. L e gain de notre Étu de
doitconfifterà devenir meilleurs, j>lus heureux, 8c
plus fages. Les égyptiens appeloient les bibliothèques
le tréfor des remèdes de Vame : l ’effet
naturel que; YÉtude doit produire, eft la guérifon
de fes maladies.
Enfin vous aurez fur les autres hommes de grands
avantages , & vous leur ferez toujours fupérieur,
fi, en cultivant votre efprit dès la plus tendre enfance
par YÉtude #es fciences qui peuvent le perfectionner,
vous imitez Helvidius-Prifcus, dont Tacite nous a
fait un fi beau portrait. "Ce grand homme, d it- il,
très-jeune encore, &déja connu par fes talents, fe
jeta dans des Étu des profondes ; non, comme tant
d’autres, pour mafquer d’un titre pompeux une vie
inutile & défoeuvrée, mais à deflein de porter dans
les emplois une fermeté fupérieure aux évènements.
E lle s lui apprirent à regarder ce qui eft honnête,
Côpime l ’unique bien j ce qui eft honteux, comme
l’unique mal ; Sc tout ce qui eft étranger à l ’ame ,
comme indifférent. ( L e chevalier de J au cou et. )
Études , ( Littérature. ) O n défigne par ce mot
les exercices littéraires ufités dans l ’inftruClion de la
Jeuneffe ; Études grammaticales, Études de Droit,
Études de Médecine , &c. fairejde bonnes Études.
L ’objet des Études a été fort différent‘chez les
..différents peuples & dans les différents fiècles. I l n’eft
pas de mon fujet de faire ici l ’hiftoire-de ces variétés, :
on peut voir fur ce la le TraitédesÉtudesàe M.Fleury.
Le s É tu d e s ordinaires embraffent aujourdhui la
Grammaire Sc fes dépendances' , la Poéfie ,■ la Rhétorique,
toutes les parties de la Ehilofophie, &c.
A u refte, je me borne â expofer ici mes réflexions
fur le choix Sc fur la méthode dés Études qui conviennent
lé mieux à nos ufages Sc à nos befoins j
Sc. comme le latin fait le principal & prefque
l ’unique objet de l ’inftitution vulgaire , je m’attacherai
plus particulièrement à difcuter la conduite
des Études,. latines.
Plufieurs lavants , grammairiens Sc philofophes’,
ont travaillé dans ces derniers temps à perfectionner
l e fyftême des Études j L ocke entr autres parmi
les anglois j parmi nous M. le Fébvre, M. F le ü r y ,
M. R o llin , M. du Mariais, M. Pluche, Sc plufieurs
autres encore, fe font exercés en ce genre. Prefque
tous ont marqué dans le détail ce qui fe peut faire
en cela de plus utile j & ils paroinent convenir , à
l ’égard du la t in , qu’i l vaut mieux s’attacher aujoiir-
d h u i, fe borner même à l ’intelligence de çette
lan g u e , que d’afp irer à des compofitions peu nécef-
faire s , & dont la plupart des étudiants ne font pas
capables. Cette thèfe, dont j’entreprens la défenfe,
eft déjà bien établie par les auteurs que j’ai cités ,
& par plufieurs autres également favants.
U n ancien maître de îUniverfîté de Paris , qui en
1 666 publia une traduétion des Ca p tifs de Plau te,
s’énonce bien pofitivement -fur ce fujet dans la
préface qu’i l a mifeà ce petit ouvrage. « Pourquoi,
d it- il, faire perdre aux ecoliers un temps qui eft fi
précieux, & qu’ils pourroient employer fi utilement
dans la le dur e des plus riches ouvrages de l ’antiquité
? . . . . N e vaudront - i l pas mieux occuper les
enfants dans le c o llè g e s , à apprendre l ’Hiftoire, la
Chronologie, la G éographie, un peu de Géométrie
Sc d’Arithmétique , & furtout la pureté du latin &
du françois, que de l’es amufér de tant de règles &
inftruétions de Grammaire ? ... I l faut commencer
à leur apprendre le latin par l ’ufâge même du latin,
comme ils apprennent le françois ; Sc cet ufage
confîfte à leur faire lire , traduire , & apprendre les
plus beaux endroits des auteurs latins ; afin qu e ,
s’accoutumant à les entendre pa rler, ils apprennent
eux-mêmes à parler leur langage ». C ’ eft ainfi que
tant de femmes , fans 'E tu d e de Grammaire , apprennent
à bien parier leur lan g u e , par le moyen
fimple Sc facile de la conveifacïon & de la leéture ;
& c eft de même encore que la plupart des voyageurs
apprennent les langues • étrangères.*
U n autre maître de l ’Univerfîté, qui avoit profeffé
aux Graffitis, publia une lettre fur la même matière
en 1707 : j’en rapporterai un article qui vient a
mon fujet. « Pour lavoir l ’allemand , l ’italien ,
l ’e fp agn o l, le bas-breton, l ’on va demeurer un ou
deux ans dans les pays où ces langues font en u fage ,
Sc on les apprend par le feul commerce avec ceux
qui les parlent. Qu i empêche d’apprendre aufli le
latin de la même manière ? & fi ce ft’eft par l ’ufage
du difeours Sc: de la p a ro le , ce fera du moins par
l ’ufage de la leéture , qui fera certainement beaucoup
plus fûr & plus exaét que celui du difeours.
C ’eft ainfi qu’en ufoient nos pères i l y a quatre ou
cinq cents ans ».
M. R o llin , Traité des É tu d e s , p . i z 8 , préfère
aulfi pour les commençants l ’explication des auteurs
à la pratique de la compofition j Sc cela parce que
les thèmes, comme i l le d i t , « ne font propres
qu’à tourmenter les écoliers par un travail pénible
& peu u tile , & à leur infpirer du dégoût pour une
Etu de qui ne leur attire ordinairement de la part des
maîtres que des réprimandes Sc des châtiments ; ca r ,
pourfuit-il, les fautes qu’ils, font dans leurs thèmes
étant très-fréquentes & prefque inévitables , les cor-
reétions le deviennent aufli : au lieu que l ’explication
des auteurs & la traduétion, où iis ne produifenC
rien d’eux-mêmes & ne • font que fe prêter au maître ,
leur épargnent beaucoup de temps, de peines , Sc de
punitions ».
M. le Febvre eft encore plus décidé là-deffiis t
voici comme i l s’explique dans fà Méthode, p a g . zo .
« Je me garderai bien , d it- îl, de fuivre la manière
que -l’on fuit ordinairement, qui eft de commencer
par la compofition. Je me fuis toujours étonné de
voir pratiquer une te lle méthode pour inftruire les
enfants dans la connoiflance- de la langue latine ;
car cette lan gu e, après tou t , eft. comme les autres
langues : cependant qui a jamais ouï dire qu’on
commence l ’hébreu, l ’arabe, l’efpagnol, &c. par
la compofition ? U n homme qui délibère là-deflus ,
n’a pas grand commerce avec la faine raifon ».
En effet, comment pouvoir compofèr avant que
d’avoir fait provifion des matériaux que l ’on doit
employer? O n commence par le plus difficile $ on
préfente pour amorce à des enfants de fept à huit ans,
les difficultés les plus- compliquées du la tin , & l ’on
exige qu’ils faflent des compofitions en cette langue,
tandis qu’ils ne font pas capables de faire la moindre
lettre en françois fur les fujets les plus ordinaires &
les plus connus.
Qu oi qu’i l en fo it , M. lé Febvre fuivit uniquement
la méthode fimple d’expliquer les auteurs,
dans l ’inftruétion qu’i l donna lui-même à fou fils ;
i l le mit à l ’explication vers l ’âge de dix ans, Sc
i l le fit continuer de la même manière jufqu’à fa
quatorzième année, temps auquel mourut cet enfant
célèbre , qui entendoit alors couramment les auteurs
grecs Sc latins lés plus difficiles :• le tout fans avoir
donné un feul inftant à laftruéhire des thèmes, qui
du refte ' n’entroient point dans l e plan de M. ie