
qu’on les y appelle mat res le& io n is , parce qu*elles
y fixent le Ton & la valeur des mots, comme dans
les livres des autres langues. Les juifs & les rabbins
font autfî de ces caractères le même ufage dans
leurs lettres & leurs autres écrits, parce q u ils évident
de cette façon la longueur 6c l ’embarras d’une
ponctuation pleine de minuties.
Pour répondre à l ’objedtion tirée du filence de
l ’antiquité, on a préfenté les ouvrages même des
Maflorètes qui ont fait des notes critiques & grammaticales
fur les livres facrés, & en particulier fur
les endroits dont ils ont cru la ponctuation altérée
ou changée. O n a- trouvé de pareilles autorités dans
quelques livres de doCteurs fameux & de cabaliftes.,
connus pour être encore plus anciens que la Maf-
fore ; c’ejft ce qui eft expofé & démontré avec le
plus grand détail dans le livre de C l . Buxtorf, de
an tiq . pun c l. cap. ç , part. I , & dans le P h i lo g .
heb. de Leufden. Quant au filence que la foule des
auteurs 6c. des écrivains du moyen âge a gardé â
cet égard , i l ne pourroit être étonnant qu’autant
que {admirable invention des points-voyelles feroit
une choie aufli récente qu’on voudroit le prétendre.
Mais fi fon origine fort de la nuit des temps les
plus reculés , comme i l eft très-vraifemblable, leur
filence alors ne doit pas nous lurprendre : ces auteurs
auront vu les points-voyelles ; ils s’en feront
fervis comme les Maflorètes, mais fans parler de
l ’invention ni de l ’inventeur, parce qu’on ne parle
pas ordinairement des choies d’u fà g e , & que c ’eft
même là la railon qui nous fait ignorer aujourdhui
une multitude d’autres détails qui ont été vulgaires
& très-communs dans l ’antiquité. O n a cependant
plufieurs indices que les anciennes vérfions de la
•Bible, qui portent les noms des Septante & de
S . Jérôme, ont été faites fur des textes pondues j
leurs variations entre elles & entre toutes les autres
vérfions qui ont été faites depuis , ne font fouvent
provenues que d’une ponctuation quelquefois différente
entre les textes dont ils fe font fervis :
d’ailleurs , comme ces variations ne {ont point corn-
fidérables, qu’elles n’influent que fur quelques mots,
& que les récits, les fa its , & l ’enfenjble total du
corps hiftorique eft toujours le même dans toutes
le s vérfions connues ; cette uniformité eft une des plus
fortes preuves qu’on puifle donner, que tous les tra^-
duCteurs & tous les âges ont eu un fecours commun
Sc un même guide pour déchiffrer les confonnes
Jidbraiqu.es. S i l fe pouvoft trouver des juifs qui
n’euflent point appris leur langue dans la B ib le ,
£c qui ne eonnuflent point la ponctuation, i l faudrait
, pour avoir une idée des difficultés que pré-r
fente l ’interprétation de celles qui ne le font p a s ,
exiger d’eux qu’ils.en donnaffent une nouvelle traduction
: on verroit alors quelle eft l ’impoflibilité
de la chofe , pu quelles fables ils nous feraient ,
s’ils étoient encore en état d’en faire.
A tous ces arguments fi l ’on vouloit en ajouter
on nouveau,, peut-être pourroit-on encore faire
Parler l’écriture des grecs en faveur de l’antiquité
de la ponduation hébraïque & de fes accents, comme
nous l ’avons fait ci-devant parler en faveur des caractères.
Quoique les grecs ayent eu l ’art d’ajouter
aux alphabets de Phénicie les voyelles fixes 6c déterminées
dans leur fo n , leurs voyelles font enco
re cependant tellement chargées d’accents, qu’i l
,1'embleroit qu’ils n’ont pas ofé fe défaire entièrement
de la ponctuation primitive. Ces accents font dans
leur écriture aufli eflenciels que les points le font
chez les hébreux ; & fans eux , i l y auroit un grand
nombre de mots dont le fens feroit variable & incertain.
Cette façon d’écrire, moyenne entre ce lle
des hébreux 6c la nôtre , nous indique fans doute
un des degrés de la,propagation de cet art; mais
quoi qu’i l en foie,, on ne peut s’empêcher d’y re-
connoître l ’antique ufage de ces points-voyelles, 6C
de cette multitude d’accents que nous trouvons chez
les hébreux. Si le feizième fïècle a donc vu naître
une opinion contraire, peut-être n’y en a-t-il pas
d’autre caufe que la publicité des textes originaux
rendus communs par l ’Imprimerie encore moderne ;
comme elle multiplia les bibles hébraïques, qui
ne pouvoient être que très-rares auparavant , plus
d’yeux en furent frapés, & plus de gens en rai-
fonnèrent : le monde vit alors le IpeCfacle nouveau
de l ’ancien art d’écrire, 6c le filence des fièçles fut
néceffairement rompu par des opinions 6c des fyfi-
têmes , dont la contrariété feule devoit fuffire pour
indiquer toute l ’antiquité de l ’objet où l ’imagination
a voulu , ainfi que les y e u x , apercevoir une
nouveauté.
L a difeuflion des points-voyelles feroit ici terminée
toute en leur faveur, fi ies adverfaires de fon
.antiquité n’avoient encore à nous oppofer deux p u i f
fantes autorités. L e Pentateuque famaritain n’a point
de ponctuation, 6c les bibles hébraïques que lifent
les rabbins dans leurs fynagogues pour, inftruire leur
p eu p le , n’en ont point non plus ; & c’eft une réglé
chez eux que les livres ponérués né doivent jamais
fervir à cet ufage. Nous répondrons à ces objecr
tions , i ° . que le Pentateuque famaritain n’a jamais
été a flez connu ni aflez multiplié, pour que l ’on puifle
favoir ou non fi les exemplaires qui en ont exifté
ont tous été généralement dénués de ponctuation.
Mais i l fuit de cè que ceux que nous avons en font
privés, que nous n’ y pouvons rien connoître que par
leur analogie avec Phébreu, & en s’ aidant aufli des
trois lettres matres leclionis. z ° . Que les rabbins
qui lifent des bibles non ponctuées n’ont nulle
peine à le faire , parce qu’ils ont tous appris à lire
& à parler leur langue dans des bibles qui ont tout
l ’appareil grammatical, & qui fervent à l ’intelligence
de celles qui ne l ’ont pas. D ’ailleurs, qui ne
lait que ces rabbins, toujours livrés à l’illufion , ne fè
fervent de bibles {ans voyelles pour inftruire leur trou-r
p e a u , que pour y trquver, a ce qu’ils difeut , les
iources du Saint-Efprit plus riches & plus abondantes
en inftruétion; parce qu’i l n’y a pas en effet
un mot dans les bibles de cette efpèce, qui ne puifle
avoir uu£ infinité de valeurs pour une imagination
échauffée , qui veut fe repaître de chimères , 6c qui
veut en entretenir les autres ?
' C ’eft par cette même raifon que les cabaliftes
font aufli fi peu de cas de la ponttuation ; elle les
gêneroit, & ils ne veulent point être génés dans
leurs extravagances : ils veulent en toute liberté
{uppofer les voyelles , analyfer les lettres , dé-
compofer les mots , 6c renverfer les fyllabes ;
comme fi les livres facrés n’étoient pour eux qu’un
répertoire d’anagrammes 6c de logogryphes. L a -
bus que ces prétendus fages ont fait de la Bible
dans tous les temps , & ies rêveries inconcevables
où les rabbins, le texte à la main, fe plongent dans
leurs fynagogues, femblent ici nous avertir tacitement
de. 1 origine des livres non pond ues, & nous
indiquer leur fource & leur principe dans les-de-
règlements de l ’imagination; les bibles muettes ne
pourroient-èlles point être les filles du myftère,
puifqu’elles ont été pour les juifs l ’occafion de tant
de fables myftérieufes? Ce foupçon qui mérite d’être
aprofondi , fi l ’on veut connoître les caufes qui ont
répandu dans le monde des livres pon&ués 8c non
pon&ués & les fuites q u e lles ont eues , nous conduit
au véritable point de vue fous leque l on doit
néceffairement confidérer l ’ufage & l ’origine même
des points-voyelles. C e que nous allons dire fera
la plus effencieile partie de leur hiftoire ; & comme
cette partie renferme une. des plus intéreffantes anecdotes
de l ’hiftoiie du monde , on prévient qu’i l ne
faut pas confondre les temps avec les temps, ni les auteurs,
facrés avec les fages d’Égypte ou de Chaldée.
Nous allons parler d’un âge qui a fans doute été de
beaucoup antérieur au premier écrivain des hébreux.
Plus on réfléchit fur les opérations de ceux qui
les premiers ont effayé de repréfenter les fons par .
des caractères, & moins l’on peut concevoir qu’ils
ayent précifément oublié de donner des fignes aux
voyelles qui font les mères de tous les fons pof-
fibles , & fans lefquelles on ne peut rien articuler.
L ’ écriture eft le tableau du langage ; c’eft là l ’objet
& l ’effence de cette ineftimable invention : or comme
i l n’y a point & qu’i l ne peut y avoir' de langage
fans v o y e lle s , ceux qui ont inventé l ’écriture pour
être utile au genre humain en peignant la p a ro le ,
n’ont donc pu l ’imaginer indépendamment de ce
qui en fait la partie effencieile, & de ce qui en eft naturellement
inaliénable. Leufden & quelques autres
adverfaires de l ’antiquité des points-voyelles ont
avancé , en difeutant cette même queftion , que les
confonnes étoient comme la matière des mots , &
que les voyelles en étoient comme la forme : ils
n’ont fait en cela qu’un raifonnement faux , &
d’ailleurs inutile ; ce font les voyelles qui doivent
être regardées comme'la matière aufli fimple
qu’effenciëlle de tous les fons, de tous les mots ,
6c de toutes les langues ; 8c ce font les confonnes
qui leur donnent la forme , en les modifiant en
m ille & mille manières, & en nous les faifant articuler
avec une variété & une fécondité infinie.
Mais de façon ou d’autre, i l faut néceffairement,
dans l ’écriture comme dans le langage , le concours
de cette matière 6c de cette forme , pour faire fur
nos organes l ’impre f ilo n diftinéte que ni la forme
ni la matière ne peuvent produire feparément. Nous
devons donc encore en conclure qu’i l eft de toute
impoflibilité que l ’ invendon des fignes des confonnes
ait pu être naturellement féparée dp l ’invention
des fignes des voyelles., ou des points-voyelles qui
font la même chofe.
Pourquoi donc nous eft-il parvenu des livres fans
aucune ponctuation ? C ’eft ici qu’i l faut en demander
la raifon primitive à ces fages de la haute
antiquité , qui ont eu pour principe que la fcience
n’étoit point faite pour le vulgaire , 8c que les
avenues en dévoient ' être fermées au p eu p le , aux
profanes, & aux étrangers. O n ne peut ignorer que
le goût du myftère a été celui des favants des premiers
âges ; c’ étoit lui qui avoit déjà en partie pré-
•fidé à l ’invention des hiéroglyphes facrés qui ont
devancé l ’écriture ; & c’eft lui qui a tenu les nations
pendant une multitude de fiècles dans des ténèbres
qu’on ne peut pénétrer, & dans une ignorance
profonde & univerfelle, dont deux-mille ans
d’un travail aflez continu n’ont point encore réparé
toutes les fuites funeftes. Nous ne chercherons point
ici quels ont été les principes d’un tel fyftême ; i l
fuffit de favoir qu’i l a exifté, & d’en voir les triftes
fuites pour y découvrir l ’efprit qui a du. préfider
à la primicive invention des caractères des fon s,
& qui en a fait deux claffes féparées, quoiqu’elles
n’ euffent jamais du l ’être. Cette précieufe & in e ftimable
découverte n’a point été dès fon origine
livrée & communiquée aux hommes dans fon entier :
les fignes des confonnes ont été montrés au vulgaire ;
mais les fignes des voyelles ont été mis en réferve
comme une c le f & un fècret qui ne pouvoir être
-confié qu’aux feuls gardiens de l ’arbre de la fcience.
Par une fuite de l ’ancienne politique , l ’invention
nouvelle ne fut pour le peuple qu’un nouveau
genre d’hiéroglyphe plus fimple 6c plus abrégé à
la vérité que les précédents , mais dont i l fallut
toujours qu’i l allât de même chercher le fens 6c
l ’intelligence dans la bouche des fa g e s , & chez les
adminiftrateurs de l ’inftruClion publique. Heureux
fans doute ont été les peuples auxquels cette inf-
truction a été donnée faine & entière ! heureufes ont
été les fociétés où les organes de la fcience n’ont
p o in t , par un abus trop conféquent de leur funefte
politique , regardé comme leur patrimoine & leur
domaine le dépôt qui ne leur étoit que commis 6c
confié 1 Mais quand elles auraient eu toutes ce rare
bonheur , en eft-il une feule qui ait été à l ’abri
des guerres deftruétives,• 6c des révolutions qui ren-
verfent tout 6c principalement les Arts ? Les nations
ont donc été détruites, les fages ont été difperfés ;
fouvent ils ont péri, & leurs myftères avec eux. Après'
ces évènements, i l n’eft plus refté que les monuments
énigmatiques de la fcience primitive , devenus
myftérieux & inintelligibles par la perte ou
la rareté de la clef, des voyelles. Peut-être le peuple