
nombre de raifons effencielles pour l ’ôter de la
main de la multitude & de la main de l ’étranger.
U n elpric inquiet & furpris pourra nous dire : Se
peu t-il taire que Dieu , ayant donné une lo i à Ton
peuple , & lui en ayant fi fève rement recommandé
lobfervation , ait pu permettre que l ’écriture en
fut oblcure & la le Cuire difficile ? comment ce
peuple pou voit-il la méditer Sc la pratiquer ? Nous
pourrions répondre qu’ i l a dépendu de ceux qui
ont été les organes de la fciencè & les canaux
publics de l ’inftmCHon , de prévenir les égarements
des peuplés en remplifTant eux-mêmes leurs devoirs
félon la raifon & félon la vérité : • mais i l en
eft fans doute une caufe plus haute qu’i l ne nous
appartient pas de pénétrer. C e n’eft pas à nous ,
aveugles mortels , a queftionner la Providence : que
ne lui demandons-nous auffi pourquoi elle leur a
donné des yeux afin qu’ils ne viflent point , & des
oreilles afin qu’ils n entendirent p o in t , Sc pourquoi
de toutes les nations de l ’antiquité elle a choifi
particulièrement ce lle dont la tête étoit la plus
dure & la plus groffière ? C’ eft ici qu’i l faut le taire,
©rgueilleufe raifon : celui qui a permis l ’égarement
de fa nation favorite , eft le même qui a puni l ’égarement
du premier homme ; & perfonne n’y peut
çonnoître que fa fageffe éternelle.
- S i les crimes & les erreurs des hébreu x, fem-
blables aux crimes & aux erreurs des autres nations y
nous indiquent qu’ils ont pendant plufieurs âcres né-
g ü g e les livres de M o ïfe , & abufe de l ’ancienne
écriture pour fe repaître de chimères & fe livrer'
aux mêmes folies qu’encenfoit le refte de l a terre ;
la confervation de ces livres précieux , qui n’ont
p u parvenir jufqu’à nous qu’à travers une multitude
de hafards, eft cependant une preuve fenfible
que la Providence n’a jamais ceffé de veiller fur
eux, comme fur un dépôt moins fait pour les anciens
hébreux que pour leur poftérité & pour les nations
futures.
C e ne fut que dans les fiècles qui fùivirent le
retour de la captivité dç Babÿlone , que les juifs fe
livrèrent a l ’étude -& à la pratique de leur l o i ,
fans aucun retour vers l ’ idolâtrie. Outre le fouvenir
des grands châtiments que leurs pères avoient effuyés,
& qui étoit bien capable de les retenir d’abord ,
ils conçurent fans doute auffi quelque émulation
pour 1 étude, par leur commerce avec les grandes
nations de 1 A fie , & furtout par la fréquentation
des grec s, qui portèrent bientôt dans cette partie
du monde leur politeffe , leur goût, & leur empire.
C e fut alors que la Judée fit valoir les livres de
Moife & des prophètes : elle les étudia profondément
j e lle eut une foule de commentateurs, d’in-
terpretes, & de lavants ■ il fe forma même différentes
fe&es de fages ou de philofophes 3 & ce goût général
pour les Lettrés & la fcience fut une caufe
fécondé, mais purifiante, qui retint les juifs pour
jamais dans l ’exercice confiant de leur religion :
tant i l eft vrai qu’un peuple idiot Sc ftupide ne peut
être un peuple religieux , Sc que l ’empire de l ’ignorance
ne peut être celui de 1a vérité.
Les premiers fiècles après ce retour furent le bel
âge de la nation juive ; alors la lo i triompha comme
fi Moïfe ne l ’eut donnée que dans ces inftancs. Pleins
de vénération pour fon nom & pour fa mémoire ,
les juifs travaillèrent avec autant d’ardeur à la recherche
de fes livrés , qu’à la reconftru&ion de
leur temple. On ignore par quelle voie , en quel
temps , & en quel lieu ces livres fi long temps négligés
fe retrouvèrent. Les juifs à cet égard exaltent
peut-être trop les fervices qu’ils ont reçus
cTEfdras dans ces premiers temps ; i l leur tint prêt-
que lieu d’un fécond Moïfe (r) , & c’eft à l u i ,
àinfi qu’à la grande fvnagogue , qu’ils attribuent la
colle Ction & l a révifion des livres facrés, & même
la ponctuation que nous y voyons aujoûrdhui. Ils
prétendent qu’i l fut avec fes collègues fécondé des
lumières fùrnaturelles pour en retrouver l’intelligence
qui s’étoit perdue ; quelques-uns ont même pouffé
le merveilleux au point d’affurer qu’i l les avoit
écrits de mémoire fous la diCtée du Saint-Elprit.
Mais le Pencateuque entre les mains des famari-
tains , ennemis des juifs, dément une fable auffi ab-
fiirde : nous devons donc être certains que la ref-
taurâtion des livres de Moïfe & le renouvellement
de la lo i n’ont été faits que fur de très-antiques
exemplaires & fur des textes ponClués , fans lefquels
i l eut été de toute impoffibilité à-un peuple, qui avoit
n égligé fes liv re s , fon écriture , & fa langue | d’en
recouvrer le fens & d’en accomplir les préceptes*
Depuis cette époque, le zè le des juifs pour leurs
livres facrés ne s’eft jamais ralenti. Détruits par les
romains, & dilperfés par le monde', ils en ont toujours
eu un foin relig ieu x, les ont étudiés fans ce ffe,
Sc n’ont jamais fouffert qu’on fît le plus léger
changement, non feulement dans le Fond ou la
forme de leurs livres , mais encore dans les- caractères
& la ponftuation : y toucher, feroic commettre
un facrilège 3 & ils on: , à l ’égard du plus petit accent
,. ce refpect idolâtre & fiiperftkieux qu on leur
connoîc pour tout ce qui appartient à leurs anti-
(i) II eft vraifemMable que le nom d'E fdras a donné
lieu à toutes les traditions qui le concernent. Ce nom-, tel
qu’ il eft écrit dans le texte , fe devroit dire E\ra -, 8c
dérivé d'a\ar, il a fecouru, on i'interprète fecours , parce
qu’Efdras a été d’ un grand fecours aux juifs au retour de
leur captivité. Mais il y en a eu d’autres qui l’ont aulfi
cherché dans \ear, H a infiitué, il a en feigne , & q u i,
fous ce point de vue , ont regardé Efdras comme l’infti-
tuteur de la pluparc de leurs ufages Sc comme leur plus
grand doâeur. Le changement de dialecte d'E\ra en
Efdra, parce que le $ tourne en fd comme en d f l’a
fait encore chercher dans fadar, i l a arrangé, i l a mis en
ordre'; d’où ils ont au fil tiré cette conféquence , qu’Efdras
avoit été l’ordonnateur, le révifeur , & l’éditeur des livres
facrés. Tel eft le grand ait des juifs dans la compofition
de leurs hiftoires traditionnelles : c’eft donc avec bien de
la raifon que les chrétiens ont rejeté ce qu’ils débitent fur
Efdras, Sc tant d’autres anecdotes qui n’ont pas de meilleurs
fondements.
xjuités. I l ny: a point pour eux de lettres qui ne
{oient faintés , qui ne renferment quelque myftère
particulier ; chacune d’elles a même fa légende &
fon hiftoire. Mais i l eft fuperflu d’entrer dans cet
éconnant détail : tout réel qu’i l eft, i l parokroit incroyable
, auffi bien que les peines infinies - qu’ils
fe font données pour faire le dénombrement de tous
les caratières de la Bible , pour favoir le nombre
général de tous enfemble,, le nombre particulier
de chacun, & leur poficion relpeCtive à l ’égard les
uns des autres & à l ’égard de chaque partie du livré ;
vaftes & minutieufes entréprifes, que des juifs feuls
ëtoient capables de concevoir & d’execüter. Bien
éloignés de cette fervitude judaïque, nos favants
èommencencjà prendre le goût des bibles fans ponctuation
, & peut-être en cela tombent-ils d’un exces
dans un autre. Si nous n’étions point dans un fieclè
é c la iré , ou i l n’eft plus au pouvoir des hommes
de ramener l ’âge de la Fable , nous penferions , à
l ’afped des nouvelles ‘éditions des bibles non ponctuées
, que la Mythologie voudrait renaître. ' ’
I l n’eft pas néceffaire fans . doute , • en terminant
ce qui concerne l ’écriture hébraïque, de dire
qu’elle fe figure de droite à gauche ; ç’eft une Angularité
que. peu de gens ignorent. Nous n’oferions
déterminer fi cette 'méthode à été auffi naturelle
dans fon temps que la nôtre, l ’eft aüjourdhui pour
hoüs. Les nations fe font fait fur cela différents ufages.
D iod ore , liv. I I I , parle d’un peuple des Indes
bui écrivoit de haut en bas : l ’ancienne écriture-de
F ohi nous^eft repréfentée de même par.lès Voyageurs.
Le s égyptiens , . félon Hérodote, écrivoient,
ainfi que l e s .p h é n ic ie n s d e droite à gauche 5 &
les grecs ont eu quelques monuments fort anciens ,
dont iis appeloient 1 écriture ^(rvo-rfo^etfov , parce
qu’à l ’imitation du labour dès filion s, elle alloit
fucceffivement de gauche à droite, & de droite à
gauche. Peut-être que le caprice , le myftère', ou
quelque ufage antérieur aux premières écritures, ont
produit ces. variétés j peut-être n’y a-t-il d’autre caufe
que la commodité de chaque peuple relativement
aux inftiuments & autres moyens dont oh s’eft
d’abord férvi pour graver ,.deffiner, ou écrire : mais
de fimples conjectures ne méritent pas d’alonger
notre article.
I I I . L ’hiftoire de la Langue hébraïque n’eft chez
le.s rabbins qu’un tiffu de fables , & qu’un fimple
fujet de queftions ridicules & puériles. E lle eft ,
félon eux , la langue dont le Créateur s’ eft fervi
pour commander à la nature aù commencement du
monde j c’ eft de la bouche de Dieu même que les
anges & le premier homme l ’ont apprife. C e font
les enfants de celui-ci qui l ’ont tranfmife dé race en
race & d’âge en âge,au travers des révolutions du’mo’nde
phyfique & m o ra l, & qui l ’ont fait paffér fans interruption
& fans altération de la famille des juftes.
aii peuple d’Ifrael qui en eft foïrti. C ’eft une langue
enfin dont l ’origine eft toute célelle , & qui,■ retournant
un jour à fa foiirce, fera la langue dès bienheureux
dans le ciel , comme elle a été fur là
ferre la langue des faints Sc des prophètes. Mais
laiffons là ces pieufes rêveries , dont la religion
ni la raifon de notre âge ne peuvent plus s’accommoder
y Sc fuyons cet excès qui a toujours été fi
fatal aux ju ifs , qui ont idolâtré leur langue Sc les
mots de leur langue en négligeant les choies. Si
le refpeCfc que_ nous avons pour les paroles de la
D iv in ité , nous a portés adonner le titre de fa in tê
à la Langue hébraïque, nous favons que ce n’eft
qu’un attribut relatif que nous devons également
donner aux langues chaldéenne, fyriaque, $c greque,
toutes les fois que le Saint-Efprit s’en eft fervi t
nous favons d’ailleurs que la Divinité n’a point de
langage , Sc qu’on ne doit donner ce nom qu aux
bonnes infpirati.ons qu’elle met au fond de nos
coeurs., pour nous porter au b ien , à la vérité, a
la p a ix , Sc pour nous les faire aimer. V o i l i la
langue divine ; elle eft de tous les âges Sc de tous
les lieux , Sc fon efficacité l ’emporte fur les langues
de la terre les plus éloquentes Sc les p lus
énergiques.
L a Langue hébraïque eft une | langue humaine ,
ainfi que toutes celles qui fe font parlées & qui
fe parlent- ici bas : comme toutes les autres , e lle
a eu fon commencement, fon règn e, Sc fa fin ; Sc
comme elles encore, elle a eu fon génie particulie
r , fes beautés, & - fes défauts. Sortie de la nuit
des temps , nous ignorons fon origine hiftorique 9
Sc nous n’oferions avancer , avec la confiance des
juifs , q u e lle eft antérieure aux anciens défaftres
du monde. S’i l étoit permis cependant de hafarder
quelques conjectures raifonnables, fondées fur l ’antiquité
meme de cette langue Sc fur fa pauvreté ,
nous dirions qu’elle n’a commencé qu’après les premiers
âges du monde renouvelé 9 qu’i l a pu fe faire
que ceux mêmes <^ui ont échapé aux deftiuCrions y
ayent eu pour un temps une langue plus riche Sc
plus formée-, qui auroit été fans doute une de
celles de l ’ancien monde ; mais que la poftérité de
ces débris du genre humain n’ ayant produit d abord
que de petites foci-étés v qui ont dû néceïiaiiement
être lon g temps miférables & toutes occupées de
leurs beloins & de leux fubfiftance, i l a du arriver:
que leur langage primitif fe fera appauvri, aura
dégénéré de ' race en race , & n’aura plus forme
qu’un idiome de famille , qu’une langue pauvre ,
conc ile, Sc làuvage pendant plufieurs fiècles , qui
fera enfuite devenue l a mère des langues qui ont
été propres & particulières aux premiers peuples
Sc à leurs colonies.; I l en eft des langues comme des
nations: elles font riches, fécondes , é tondues en
proportion, dé la , grandeur & de la puiflance des
fociétés qui le s parlent 3 elles font arides Sc pauvres
chez les fauvages , & elles fe font agrandies Sc embellies
partout où la population, le comnierçe
iesfciences, & les pallions ont agrandi l ’elprit humain.
Elles ont aulfi été fujettés à toutes les révolutions,
morales1 & politiques où .ont été expofees
lés Puifiànces de l a terre 3 elles fe font formées,
elles ont régné, elles, ont dégénéré ., & fe- font