Par une négligence encore plus impardonnable &
faute de chercher le mot propre , quelques écrivains
ont imprime , I l Venvoya fa ir e fa ir e la revue des
troupes. 11 école fi aifé de dire , I l l'envoya paffer
le s troupes en revue ; i l lu i ordonna d 'alle r fa ir e la
revue.
I l s’eft glifle dans la langue un autre vice , c’eft
d’employer des expreffions poétiques dans ce qui
doit être écrit du ftyle le plus fimple. Des auteurs
de j aurnaux & même de quelques gazettes, parlent
des fo r fa i t s d’un coupeur de bourfe condanné
a être fouetté dans ces lieu x . Des janni flaires ont
mordu la pouffîère. Les troupes n’ont pu réfifter
à 1 inclémence des airs. O n annonce une hiftoire
o une petite v ille de province , avec les preuves ,
& une table de matières, en fefant l ’éloge de la
magie du f ty le de l'auteur. U n apoticaire donne
avis au Public qu’i l débite une drogue nouvelle à
trois livres la bouteille ; i l dit qu’iZ a interrogé la
natur e , & q u 'il l 'a forcée d'obéir à f e s lois.
U n a voca t, a prôpos d’un mur mitoyen, dit que
le droit de fa partie eft éclairé du flambeau des préem
p t io n s .
U n hiftorien, en parlant de l ’auteur d’une {édition
, vous dit qu’/Z alluma le, flambeau de la dif-
corde. S’i l décrit un petit combat, i l dit que ces
va illa n ts chevaliers defeendoient dans le tombeau,
en y précipitant leurs ennemis victorieux.
Ces puérilités ampoulées ne dévoient pas repa-
roître après le plaidoyer de maître Petit - Jean
dans les Plaideurs. Mais enfin i l y aura toujours
un petit nombre d’efprits bien faits qui confervera
les bienféances du ftyle & le bon goût, ainfi que
l a pureté de la langue : le refte fera oublié. ( V o l t
a i r e . )
L a véritable origine de la langue fran çoife
me paroît avoir été difeutée amplement & avec
l i e n de la vraifèmblance par feu M. de Grandval,
confèiller au Confeil d’Artois & membre de l ’Académie
d’Arras. C ’eft dans une lavante diflertation,
qu’i l lut en une féance publique de cette Compagnie
, & qu’on trouve dans le Mercure de France,
a* volume de Juin, & volume de Juillet 1757 ,
fous le titre de D ifcou r s hiftorique fu r l'origine
de la langue fran çoife. Cet habile & refpe&able
magiftrat prouve, par les témoignages les plus
plaufibles , par les autorités les plus graves, & par
le s raifonnements les plus convaincants , que le
véritable berceau de notre François moderne eft
dans 1 idiome naturel & primitif du p a y s , dans l ’ancien
gaulois.
C e langage de nos anciens pères a toujours
fubfifté dans la n a io n , « mais fuje t, dit M . de Grand-
» v a l, aux variations que le cours des années, la
»chaîne des évènements, les caprices de l ’ufage
» lui ont fait fiibir. Divifé en diale êtes dès le temps
»de Jules -„Céfar, n égligé fous les romains, dé-
y> gradé , livré à l ’ignorance fous les deux premières
» races de nos r o is , cultivé depuis & perfectionné
» fous différents règnes, dix-huit fié clés révolus
» ont dû le rendre bien différent de ce qu’il
» fut autrefois : ce n’eft plus , fi l’on veut , la
»langue de Vercingétorix ni de Comius; trop de
» changements l ’ont rendu méconnoiflable. Mais...
» a-t-elle perdu jufqu’aux traces de fon origine , &
» ne lui refte-t-il aucun trait de reflemblance avec
» le langage de nos anciens gaulois ? . . . . Outre
» cette conftruétion grammaticale, cette fyntaxe ,
» qui ne fauroit provenir que d’eux puifqu’elle
» ne vient ni du latin ni du tudefque , tant de
» termes que le temps a abolis ou confervés .&
» qu’aucune autre langue ne peut réclamer, ne font-
» ils pas cenfés propres à la nôtre de toute ancien-
» n e té » i
Mais cette langue fran çoife , que nous parlons ,
dont nous recherchons l ’origine avec tant d’empref*
fement, mérite-t-elle la peine qu’elle nous donne ,
& peut-elle, pour l’abondance, entrer en compa-
raifon avec celle des grecs & des romains ? ne fe
reflent-elle pas encore de la pauvreté de fon origine
? J’ai répondu ailleurs à cette queftion. • V oy e \
A bondance.
La langue fran çoife n’eft pas feulement abondante
& riche ; elle eft fuxtout recommandable par
la clarté , cette qualité précreufe que Quintilien
regarde avec raifon comme la première & la plus importante
qualité du langage , cujus fumma virtus
eftperfpicuitas (Inftit. orat. I. v j, ) .
« On doit chérir la clarté, dit le chevalier de
Jaucourt ( E n c y c l. L angue F rançoise) , » puif-
» qu’on ne parle que pour être entendu, & que
»tout difcours eft deftiné, par fa nature, à com-
» muniquer les penfées & les fentiments des hom-
» mes 5 ainfi, la langue fran çoife mérite de grandes
» louanges en cette partie : mais quelque précieufo
» que foit la clarté, il n’eft pas. toujours -nécef-
» faire de la porter au dernier degré de la fervi-
» rade; & je crois que c’eft notre lot. Dans l ’ori-
» gine d’une langue, tout le mérite du difcours a
» dû fans doute fe borner là : la difficulté qu’on
» trouve à s’énoncer clairement , fait qu’on ne cher-
» che dans ces premiers commencements qu’à fe
» faire bien entendre, en fui/ant un ordre févère
» dans la confira étion de fes phrafes ; on s’en tient
» donc alors aux façons de parler les jdIus com-
» munes & les plus naïves, parce que 1’ indigence
» des expreffions ne laifle point de choix- à faire
» entre elles, & que la fimplicité du langage ne
» connoît point encore les tours, les délicatefles ,
» les variétés, & les ornements du difcours. Lorf-
» qu’une langue a fait des progrès confidérables ,
» qu’elle s’eft enrichie, qu’elle a acquis de la
» dignité, de la finefle , & de l ’abondance ; il faut
» favoir ajouter à la clarté du ftyle plufieurs au-
» très perfections qui entrent en concurrence avec
» elle , la pureté , la vivacité , la noblefle , l ’har-
» monie, la force, l ’élégance . . . . Dans notre
» profe néanmoins ce font les règles de la conf-
» tru&ion, & non pas les principes de l ’harmonie ,
» qui décident de l ’arrangement des mots . . , . .
»-Cependant, Comme le remarque M. l ’abbé du
» Bos ( 1. Part. fe c l. 35. p a g . 325» du tom. 1. ) ,
» les phrafes françoifes auroient encore p lu s de
» befoin de l'inverfion , pour devenir harmonieuse
f e s , que les phrafes latines n'en avoient be-
» fo in ».
Je ne faurois admirer affez la manie de la p lupart
des fran ça is pour calomnier leur langue :
la v o i là , fi l ’on en croit cet auteur, prefque encore
réduite à la rufticité de fon origine.; elle ne
connoît point encore les touis , les délicat efles ,
les variétés, & les ornements du difcours: elle n’a
pas encore fu ajouter, à la clarté du ftyle , la
pureté, la vivacité., la noblefle, l ’harmonie , la
force , l ’élégance. Eh ! meilleurs les cenfeurs ,
vous avez bien l ’air de préparer une apologie à
„ votre manière d’écrire, plus tôt que de vouloir
véritablement apprécier le mérite de la langue
fran çoife . Quoi! la langue de Fénelon , de F lé chi
er, de Maffiilon, eft fans douceur, fans harmonie,
fans noblefle ? la langue de Racine , fans pureté,
fans élégance ? la langue de Bourdaloue, de Bof-
fu e t , fans force ? I l faut ou m’avoir jamais lu ces
giands écrivains, ou ne favoir pasdes lire , ou avoir
fes raifons pour ne pas reconnoître dans,leurs ouvrages
toutes les perfections de la langue fr a n çoife.
Mais e lle n’a p a s , dit-on -, la liberté d’admettre
les inverfions, qui fefoient en grec & en latin un,
fi bel effet tant pour l ’harmonie que pour la dignité
même du difcours ; & elle auroit plus befoin de cette
reflource que ces langues anciennes. :
Jé réponds , i ° . q u e , fi le F ran çois opère fans
l’ inverfion les effets qu’elle produifoiradans le grec
& dans le la t in , i l n’en eft que plus digne d’admiration
& d’éloges ; & par le fa it , la leélure de
nos bons auteurs nous offre lés mêmes agréments
que ce lle des meilleurs écrivains de l ’antiquité :
ce ne font pas, fi l ’on veut , les mêmes fenfations;
mais ce font des fenfations auffi agréables & auffi
précieufes.
’ Je réponds, 20. que le F ra n ç o is , même dans
la p ro fe , fait b ien , s’i l eft nèceflaire, fe procurer
des inverfions, convenables aux befoins ou de l ’harmonie
ou de la dignité. Voye^ Inversion.
Je réponds, 30. que je ne vois pas que le Franço
is ait de l ’inverfion un auffi-grand befoin qu’on
veut le faire entendre ; puifque cette privation ,
en la fuppofant rée lle, ne nous a point privés de
chef-d’eelivres en tout genre , qui font l ’admiration
des étrangers mêmes : que je ne conçois pas mieux
la perféverance des voeux de certains hommes de
L e ttre s , pour voir eflayer dans la phrafe fra n ç o ife
des inverfions, auxquelles le génie de cette langue
ne fauroit fe prêter à caufe de l ’indéclinabilitc de
fes noms & de fes adjeélifs : que trouver pour cette
raifon la langue fran çoife imparfaite , c’eft à peu
près comme fi on fe plaignoit que l ’homme n’ ait
pas des yeux par derrière auflî bien que par devant
; que la nature ne lui ait pas donne le pouvoir
de s’élever dans les airs commë les oifeau x, ou
de vivre dans l ’eau comme les poiflons ; qu’i l n’aie
pas le regard perçant de l ’aigle , l ’odorat délicat du
ch ien , la viicfle prodigieufe du ce r f, &c.
Je réponds, 40. que montrer tant de zè le pour
la liberté des inverfions, c’eft , fi je ne me trompe,
fe déclarer contre la clarté même du difcours ,
puifqu’i l y a toujours quelque eliofe d’énigmatique
dans le tour de l ’inverfion. « Mais, dit Quintilien
» ( In ftit. orat. v in . ij. ) , plufieurs ont aujourdhui
» là perfuafîon qu’i l n’y a de l ’élégance & de la
» deiicatefle que dans les difcours- qui ont befoin
» d’être expliqués poun-être entendus : & quelques-
» uns de leurs auditeurs prennent plaifir a ces efi*
» pèces d’énigmes ; parce q u e , quand ils ont eu
» affez de pénétration pour les comprendre , ils
» s’applaudiflent, non de les avoir entendues, mais
» de les avoir trouvées. Quant à nous ( & ï t s fr a n -
» ço is doivent le dire fpécialement de leur lan -
» gue ), regardons comme la première qualité du
»difcours, la clarté , quiconfille dans la propriété
» dès termes , dans une' conftruétion directe, dans
» une marche qui ne tienne pas le fens trop long
» temps fufpendu, dans une plénitude où i l n’y
» ait ni vide ni rédondance : c’eft: le moyen que
» le difcours mérite l ’approbation des gens inftruits,
» & qu’i l foit à la portée de ceux qui ne le font
» pas ». A t perfuafit quidem jam multos ifta
perfuafeo , ut id jam demum eleganter atque
exquijîtè 'dictum putent quod interpretandum fit >
f e d auditoribus etiam nonnullis grata fu n t heee ;
quoe quum in te llex e r in t, acumine fu o deleclan-
tu r , & g a u d en t, non qitafi audiverint, fe d quafi
invenerint. N o bis prima f i t virtus perfpicuitas r
propria verba , reclus ordo, non in longum dila
ta conclufio, n ih il neque défit ne que f tp e r -
f lu a t : ita fermo & doctis probabilis & p la n u s im-
per itis erit.
On a défiré, dit-on dans le Supplément de l 'E n cyclopédie
, de trouver fous cet article un abrégé
de la Grammaire fran çoife , auffi exaél que concis.
J’avoue que je ne vois pas la raifon d’iin pareil
défir, vu que lés principes eflenciels de cette Grammaires
font dèvelopés & répandus dans, les différents
articles de cet ouvrage, & que l ’Encyclopédie
ne fe propofoit d'ailleurs que les princioes
généraux & philofophiques du langage. Mais fi
l ’on vouloit abfolumenr cet abrégé de Grammaire
fran çoife , ce n’ étoit pas celui de l ’abbé Vallart
qu’i l falloit prendre, quelque habile grammairien
qu on le fiippofe : fes principes font trop peu d’accord
avec ceux qu’on a établis dans le corps de
l ’ouvrage ; & i l eft ridicule de trouver ici des cas
pour les noms fra n ç o is , quand il a été. prouvé
qu’ils n’en ont point ; de voir donner aux pronoms
d’autres ,cas , que ceux qui leur ont été a (lignés à
leur article 3 de rencontrer , dans la conjugaifoa