
mets en sûreté par le filence ; car i l fte faut pas
feulement s'abstenir des paroles obfcènes, mais
encore de la penfée de ce que ces mots figftifient :
E g o- romani pudoris more contentas, verecun-
diam Jilentio vindicabo. Quintil. Inft. y 1 1 1.
ü j , j . Obfcenitas vero non à verbis tantum
abejfe d ebet, f e d à Jignificatione. Ib. V I , iij .
de rifu , <,.
Tous les anciens n’étoient pas d’une Morale auffi
févère que ce lle de Quintilien ; ils fe permettoient
au moins 1*Euphémifme , & d’exciter modeftement
dans l ’ efprit l ’idée obfcène.
« N e devrois-tu pas mourir de honte , dit Chrêmes
à fon fils , d’avoir eu Tinfolence d’amener à
mes yeux , dans ma propre maifon, u n e ..............
je n’ofe prononcer un mot déshonnête en pré-
fence de ta mère, & tu as bien ofé commettre une
adtion infâme dans notre propre maifon ».
■ Non mihi,per fa lla c ia s , àdducere ante oculos?...
P u d e t dicere hçic proefente verbum turpe , at te
id nullo modo p u d u it facere. Tér.H eau t. V,
vj. 18.
« Pour m o i , fobferve & fobferverai toujours
dans mes difcours la modeftie de P la ton , dit Cicéron
».
E g o fe rvo & feryabo P la to n is verecundiam.
Itaqu e teclis verbis ea ad te fc r ip f i , quæ aper-
tijjim is a iunt fto ic i. I l l i , etiam crepitus aïunt
eequè liberos ac ruêlus ejfe opportere. Cic, IX .
tp ift. a a.
Æ q u è eâdem modeftiâ p o tih s cum muliere
fu ijf e , quam concubuijje dicebant. V a r ro , de ling,
la tin . I. v . f u b fin e .
Mo s fu i t res turpes & fcédas prolatâ honefiiorum
çonvertier dignitate. Arnob./. V.
C ’étoit par la même figure qu’au lieu de dire ,
j e vous abandonne, j e vous q u itte , les anciens
difoient fouvent , v ivez, porte\-vou$ bien a vive\
fo r ê ts .
Ojnnia vel medium fiant mare , vivite Sylvet.
Virg. ecl. V I I I . j 8.
E t dans T é ren c e , A n d r . i v . i j . 13. Pamp
hile dit : « J’ai fouhaité d?être aimé de G ly -
cérie , mes fouhaits ont été accomplis 5 que
tous ceux qui veulent nous feparer soient en
bonne santé». P a le an t qui inter nos diftîdium
volunt. I l eft évident que valeant n’eft pas au
fens propre ; i l n’eft dit que par Euphémifme.
Madame Dacier traduit valeant par s 'en aillent
bien lo in ; je ne crois pas qu’e lle ait bien rencontré.
Les anciens difoient auffi, avoir vécu , avoir é té ,
s’en être a l l é , avoir paffé par la v ie , vitâ fu n c lu s .
p u n g i y or y fignifié pay er p a r , dans un fens
métaphorique , être délivré de , s'être aquitté
de y au lieu de dire être mort. L e terme de mourir
|eur paroifloit, en certaines occasions, un mot fu*
Les anciens portoient la fuperftition jufqu’a
croire qu’il y avoit des mots dont la feule prononciation
pouvoit attirer quelque malheur, comme
fi les paroles, qui ne font qu’un air mis en mouvement
, pouvoient produire naturellement par
elles-mêmes quelque autre effet dans la nature,
que celui d’exciter dans l ’air un ébranlement q ui,
le communiquant à l ’organe de l’ouïe , fait naître
dans l’elprit des hommes les idées dont ils font
convenus par l’éducation qu’ils ont reçue.
Cette fuperftition paroifloit encore plus dans
les cérémonies de la religion $ on craignoit de
donner aux dieux quelque nom qui leur fût défo-
réable : c’eft ce qui fe voit dans plufieurs auteurs,
e me contenterai de ce feul paflage du Poème
féculaire d’Horace : « O Ilythie , dit le choeur
des jeunes filles â Diane , ou fi vous aimez mieux
être invoquée fous le nom de Lucinç ou fous celui
de Génitale » .
Lents Ilythia, tuere matres,
Sive tu Lucina probas vocari,
Seu Genitalis..
Horac. carm. foecul.
On étoit a v e r t i, au commencement du focrifice
ou de la cérémonie., de prendre garde de prononcer
aucun mot qui pût attirer quelque malheur, de ne
dire que de bonnes p a ro le s , bona verba fa r i ;
enfin d’être favorable de la langue , fa y e te linf
'uis y ou linguâ , ou ore: 8c de garder plus tôt
e filence que de prononcer quelque mot funefte
qui pût déplaire aux dieux 3 & c’eft de là que
fa v e te Unguis fignifié par extenfion , fa i t e s
filence.
Favete Unguis.
Horat. i l . od. j .
Ore favete omnes.
Virg. Æneid. V. 71.
Dicamus bona verba , venit natalis , ad aras
Quifquis ades, l in g u â v i r mulierque , fave.
Tibull. I I . el. ij.* *.
Profpera lux oritur , linguifque animifque favete,
N une die en da , bono , funt bona verba , die.
Ovid. F aß . ! . . 71.
Par le même efprit de fuperftition ou par le
même fanatifme , lorfqu’un oifeau avoit été de bon
augure, & que ce qu’on devoir attendre de cet
heureux préfage étoit détruit par un augure contraire
, ce fécond augure n’étoit pas appelé mauvais
augure y on le nommoit l 'autre augure ,
par Euphémifme , ou l'autre oifeau ; c’eft pourquoi
ce moi alter y dit Feftus, veut dire quelquefois contraire
, mauvais.
A lter & pro bono p o n itu r , u t in auguriis ,
altera cùm appellatur avis , quæ utique profpera
non eft. S ic alter nonnumquam pro adverfo d i-
c itu r& malo. Feft. voce alter.
I l
I l y avoit des mots confacrés pour les focrifîces,
dont le fens propre & littéral étoit bien different
de ce qu’ils fignifioient dans ces cérémonies fu-
perftideufes : par ex emple, maclare, qui veut
dire, rhagis auclare , augmenter davantage , fe
difolt des vi élimés qu’on focrifioit. O n n’ayoit
garde de fe fervir alors d’un mot qui pût exciter
dans l ’efprit l ’idée funefte de la mort; on ' fe
fervoit par Euphémifme de maclare , augmenter,
foit que les viétimes augmentaflent alors en honneur,
foit .que leur volume fût *grofli par . les
ornements dont on les pa ro it, foit enfin que le
facrifice augmentât l ’honneur qu’on rendoit aux
dieux. '
D e même au lieu de dire , on brûle fu r les
a u te ls , ils difoient, les autels croiflent par* de's
f e u x , , adolefciint ignibus aræ ( Virg.» Georg.
IV - 379 car aaotere & adolefcere lignifient
proprement croître ; & ce n’eft que par Eu phé-
niifme qu’on leur donne le'fens de brûler.
Nous avons fur ces deux mots un beau paflage
de Varron : Maclare verbum eft facrorum , x a f
ivf yifA.ia-fA.o'1 dicïitm, quafi magis augere ac ado*
lere, unde' & magmentum -, quafi majus aug-
mentum ; nam 4 hoftiæ tanguntur mold fa is a ,
& tum immolâtes dicuntur : quum'vero iclæ fun t,
& aliquid & illis in aram datum eft, maclatæ
dicuntur.per laudationem , icemque boni ominis
fignificationem. Yarr. de vitâ pop. rom. I. i l , dans
les fragmehs. ■
Dans l ’Écriture fainte , le mot de bénir eft
employé quelquefois au lieu de maudire, qui eft
précifément le contraire.^Comme, i l n’ y a rien de
plus affreux à concevoir que d’imaginer quelqu’un
qui s emporte jufqu’â des imprécations lacrilèges
contre Dieu m ême, on fe fert de bénir par Euphé-
mifme , & les circonftances font donner à ce mot le
fens contraire.
Naboth’ n’ayant pas voulu vendrè au roi Achab
une vigne qui étoit l ’héritage de fes pères , la
reine Jezabel , femme d’Achab , fufeita deux faux
témoins qui déposèrent que Naboth avoit blaf-1
pheme contre Dieu & contre le roi. O r l ’Écriture ,
pour exprimer ce blafphême', fait dire aux témoins
que Naboth a béni Dieu & le roi : P i r i diabolici
dixerunt contra eum teftimonium coram multi-
\ tudine ; .benedixit Naboth Deum & regent.
{ Reg . i n j osxj , 10 & 13. ) L e mot de
berur eft employé dans le même fens au livre de
J o b , ,t\ j . v. .
. C e ft ainfî que , dans ces paroles d e 'V ir g ile ,
au rifacra fam e s , fa c ra fe prend par Euphémifme
pour execrabilis. Tout h.omme condanné au
luppiice pour fes mauvaifes aélions , étoit appelé
Jace r, evoue • de la , par extenfion autant que
par Euphemijme , f acer {[gnific fouvent
eft quem po-
X ? ltyrex *fuo quïvis homo malus
V u T I L f T r aPPd la r i °arce rfue Gr a m m , e t L i t t é r a t . Tome II. 1
tout méchant mérite d’être dévoué, facrifié à la
juftice.
... Gicéro.n n’a garde de dire au Sénat que les do-
meftiques de Milon tuèrent Clodius. Ils firent,
d it- il, ce que tout maître?eut voulu que fes ef-
■ claves euffent fait en pareille occafîon. C ic . pro
Milo.ne. x . ap.
L a mer noire , fujette à de ftéquents naufrages,
& dont les bords étoient habités par des hommes
extrêmement féroces, étoit appelée P o n t E u x i n ,
c’eft à dire, mer hofpitalière, mer favorable à
f e s h ô te s , ty%trios, hofpitalis. C ’eft ce qui fait
dire à Ovide que le nom de cette mer eft un nom
menteur :
Quem tenet Euxini mendax cognomine littus.
. Ovid.. Trijl. y. el. x. 13.
Malgré les mauvaifes qualités des objets , le s
anciens, qui perfonnifioient tout , leur donnoient
quelquefois des noms flatteurs, comme pour fe
les rendre favorables, ou pour fe faire un bon
préfage ; ainfî , c’ étoit par Euphémifme 8c par
fuperftition , que ceux qui alloient à la mer que
nous appelons aujourdhui mer noire , la nom-
moient mer hofpitalière , c’eft à dire, nier qui ne
nous fora point funefte , où nous forons, reçus favorablement,
quoiqu’elle foit communément pour les
autres une mer funefte.
Les trois furies , A-leéto , Ty fip h on e , & Még
è re , ont été appelées Euménides , Evptms, c’eft
a dire, douces, bienfaifantes , benevolæ. On leur
a donné ce nom par Euphémifme, pour fe les
rendre favorables. Je fois bien qu’i l y a des auteurs
qui prétendent que ce nom leur fut donné
quand elles eurent cefle de tourmenter O re fte ;
mais cette aventure d’Orefte eft remplie de tant
de circonftances fabuleufes, que j’aime mieux croire
que les furies étoient appelées Euménides avant
qu’Orefte fût venu au monde : c’èft ainfî qu’on
traite tous- les jours de bonnes les perfbnnes les-
plus aigres & . les plus difficiles, dont on veut
apaifer l ’emportement ou obtenir quelque bienfait.
I l y a bien des occafîons où nous nous forvons
auffi de cette figure pour écarter des idées défo—
gréables, comme quand nous difons , le maître
des hautes oeuvres, ou que nous donnons le nom
de velours maurienne à une forte de gros drap
qu’on fait en Maurienne , Contrée de Savoie , 8c.
dont les pauvres fovoyards font habillés. I l y a auffi
une grofle étoffe de fil qu’on honore du nom de damas
de Cau x.
Nous difons auffi, D ie u vous a fp f i e , D ie u
vous bénijfe, plus tôt-que de dire, j e n a i rien à vous
donner. 9»
Souvent, pour congédier quelqu’u n , on lui dit:
voilà qui eft bien, j e vous remercie , "au lieu de
dire , alle\-vous-en. Souvent ces façons de pa rler.