
eft Couvent o blig é de facrifîer -l’harmonie a l ’énergie
«lu Cens, ou l ’énergie du Cens a l'harmonie : rien
11’e f tp lu s difficile que de conferver au Cens & à
l ’harmonie leurs droits refpeétifs , lorfqu’on écrit
en François j tant on trouve d’oppofilion entre leurs
intérêts, en compofant dans cette Langue.
Les grecs abondent dans leur Langue en termi-
naifons & en inflexions : la nôtre Ce borne à tout
abréger par Ces articles & Ces verbes auxiliaires.
Q u i ne voit que les grecs avoient plus de génie &
de fécondité que nous ?
O n a prouvé que la Langue fran çoife étoit moins
propre au ftyle lapidaire que les Langue s grèque &
latine. J’ajoute q u e lle n’a point en partage l ’harmonie
imitative , & les exemples en font rares dans les
meilleurs auteurs : ce n’eft pas qu’e lle n’ait différents
tons pour les divers fentiments j mais Couvent
e lle ne peint que par des raports éloignés , &
preCque toujours la force d’imitation lui manque.
Q u e fi, en confèrvant Ca clarté , Ion élégance , &
la pureté , on parvenoit à lu i donner la vérité de
l ’imitation ; elle réuniroit fans contredit de très-
grandes beautés.
Dans les Langues des grecs & des romains,
chaque mot avoit une harmonie réglée , & i l
pou voit s’y rencontrer une grande imitation des
Ions avec les objets qu’i l fa llo it exprimer : auffi
dans les bons ouvrages de l ’A ntiquité, l ’on trouver
des deferiptions pathétiques , pleines d’images ;
tandis que la Langue fra n ç o ife , n’ayant pour toute
cadence que la rime , c’eft à dire, la répétition des
finales , n’a que peu de force de poéfîe de de vérité
«limitation. Puis donc qu’elle eft dénuée de mots
im ita tifs , i l n’ eft pas vrai qu’on puifle exprimer
prefque tout dans cette Langue avec autant de
juftefle & de vivacité qu’on le conçoit.
L e François manque encore de mots compofés ,
& par conféquent de rénergie qu’ils procurent ; car
une Langue tire beaucoup de force de la compo-
fition des mots. On exprime en g r e c , en latin ,
en anglois , par un feul terme , ce qu’on ne fàuroit
rendre en F ran çois que par une périphrafe.
I l y a , pareillement, auffi peu de diminutifs dans
notre Langue , que de compofés : & m êm e la
p lu p a r t de ceux que nous e m p lo y o n s aujourdhui,
comme' cajfette , tablette , n’ont plus la lignification
d’un diminutif de caiffe & de table ; car iis
ne lignifient point une pe tite caijfe ou une petite
fab le. Les feuls diminutifs qui nous relient, peuvent
être appelés des d im in u t i f s de chofes, non
de terminaifons : bleuâtre , ja u n â t r e , rougeâtre ,
font de ce c a r a f t è r e , & marquent une qualité plus
foible dans la choie dont on parle.
Ajoutons qu’i l y a un très - grand nombre de
chofes effencielles, que la Langue fra n ç o ife n’ofe
çxprimer par une fauffe délicateffe. ’Tandis qu’elle
nomme , fans s’avilir , une chèvre , un mouton ,
ÿne brebis, e lle ne fauroit , fans Ce diffamer dans
pn fiy lè un peij cgble ? np miner u» veau , une
truie, un Cochon. 2v/3«ms & Bvwào# , (ont des
termes grecs élégants , qui répondent à gardeur de
cochons & à gardeur de boeufs , deux mots que
nous employons feulement dans le langage familier.
I l me relie à parler des richelfes que la Langue
fra n ç o ife a acquifes, fous le règne de Louis X IV .
Elles font femblables à celles que reçut la Langue
latine fous le fiècle d’Augulle.
Avant que les romains s'appliquaient aux arts
& aux fciences fpéculatives, la Langue des vainqueurs
de toutes les nations manquait encore d’un
prodigieux nombre de termes , qu elle fe procura
par les progrès de l ’elprit. O n voit que V irg ile
entend l ’Agriculture , l ’Aftronomie , la Mufique,
& plufieurs autres ScienCes : ce n’eft pas qu’i l en
préfente des détails hors de propos j tout au contraire
, c’ eft avec un choix brillant , délicat , &
inftruélif.
Les lumières que les fiècles ont amenées, fê
font toujours répandues fur la Langue des beaux
génies. En donnant de nouvelles id ées , ils ont
employé les expreffions les. plus propres à les
inculquer , & .ont limité les lignifications équivoques.
De nouvelles connoiflances , un nouveau
fentiment, ont été décorés de nouveaux ternies,
de nouvelles allufîons : ces acquifitions font très-
fenfibles dans la Langue fran çoife . Corne ille ,
Defeartes , Pafcal , Racine , Defpréaux , &c ,
fourninent autant d’époques de nouvelles perfections.
En un m o t , le dix-feptième & le dix - huitième
fiècles ont produit dans notre Langue tant d’ouvrages
admirables en tout g en re, qu’elle eft devenue
néceffairement la Langue des nations & des Cours
de l ’Europe. Mais fa riehelfe feroit beaucoup plus
grande, n les çopnoifiances fpéculatives oa d’expérience
s’étendoient à ces pèrfonnes qui peuvent
donner le ton par leur rang & leur naiff^nce. Si
dç tels hommes, étoient plus éclairés, notre Langue
s’enrichiroit de mille expreffions propres ou figurées
, qui lui manquent & donç fes Savants qui
écrivent Tentent feuls le befoin,
I l eft honteux qu’on n’êfe aujourdhui confondre
le François proprement dit avec les termes des
arts des feiepees , & qu’un homme de la Cour fe
défende de connoître ce qui lui feroit utile & honorable.
Mais à quel caractère , dira t-on , pouvoir
distinguer les expreffions qui ne feront plus hafar-
dées ? Ce fera fans doute en réfléchiffant fur leur
néceffité & fur le génie de la Langue. O n ne
peut exprimer une decouverte dans un art , dans
une fcience 1 que par un nouveau mot bien trouvé j
on pe peut être ému que par une a-étion : ainfl,
tout terme qui porteroif aveq.foi une image , feroit
toujours digne d’être applaudi : de. là quelles rh-
chefles ne tireroit-on pas des arts , s’ils étpient
plus familiers ?
Àvbuons' la vérité , la Langue des françoîs
polis n’çft qu’un ramage foible & gentil : diions
tout £
tout-, notre Langue n’a point une étendue fort
confidérable $ e lle n’a point une noble hardiefle
d’images , ni de pompeufes cadences , ni de ces
grands mouvements qui pourroient rendre le merveilleux
j elle n’ eft: point épique ; fes verbes auxiliaires
, fes articles , fa marche uniforme , fon
manque d’invèrfions nuifent à l ’enthoufiafme de la
Poéfîe : une certaine douceur , beaucoup d’ordre,
d’élégance , de délicateffe , & de termes naïfs ;
voilà ce qui la rend propre aux feenes drama'
S i du moins , en confèrvant. à la Langue fr a n ço
ife ion. g én ie , on l ’enrichiffoit dé la vérité de
l ’imitation j ce moyen la rendroit propre a faire
naître les émotions dont nous fommes fufceptibles ,
& à produire, dans la fphère de nos organes , le
degré de vivacité que peut admettre un langage
fait pour des hommes, plus agréables que fublimes,
plus fenfuels que paffionnés, plus fupeïficiels que
profonds.
Nous fuppofons , en Unifiant cet article , qu’on
a déjà lu au mot F r a n ç o i s , les remarques de
M . de Voltaire fur cette Langue.
O n ■ conno-ît le Dictionnaire de l ’Académie ,
dont la nouvelle édition fera plus digne de ce
Corps.
Le s obfervations & les étymologies dé M. Ménage
renferment plufieurs chofes curieufes. Mais
ce Savant n’a pas toujours confulté l ’ufage dans fes
obfèrvatiops ; & dans fes étymo lo g ies, i l ne s’ eft
pas toujours attaché aux lettres radicales , qui font
fi propres à dévoiler l ’origine des mots & leurs degrés
d’affinité.
Vaugelas tient un des premiers rangs entre nos
auteurs de g o û t , quoiqu’i l fe foit fouvent trompé
dans fes remarques & dans fes décifîons : e’eft
pour cela qu’i l faut lui joindre les obfervations de
Corne ille & du P. Bouhours, à qui notre Langue
a beaucoup d’obligatipns.
L e s deux difeours de M. l ’abbé de Dangeau, l ’un
fur les v o y e lle s , & l ’autre fur les confonnes, font
précieux. L e traité d’Ortographe de l ’abbé Reignier
& celui de Port - R o y a l , de l ’édition de M. D u-
c lo s , me femblent tout ce qu’i l y a de meilleur en
ce genre.
Le s Synonymes de l ’abbé Girard font inftruétifs j
la Grammaire de M. Reftaut a de bons principes
fu r les accents , la p o n c tu a t io n , & la prononciation :
mais les écrits de M. du Marfais, grammairien de
g én ie, ont un tout autre mérite j voyez-en plufieurs
morceaux dans cet ouvrage. ( L e chevalier de Ja u -
C O U R X . )
(N .) R é f l e x io n s f u r i e caractère & les progrès
de l a Langue françoife.
L a politeffe , la c la r té , la fimplicité , la pré-
cifion diftinguent notre La n g u e j & c.es qualités
tiennent aux progrès de la fociabilité parmi
#ous. ;
,,Gr a m m . e t . Littu r a t * Tome I L
Dans une nation ou règne une communication
continuelle des deux fexes , des perfonnes de tous
les états, des efprits de tous les genres j où l e
premier objet eft l ’amufement, le premier mérite-
celui de plaire ; où les intérêts , les prétentions ,
les opinions les plus contraires font continuellement
en préfence les uns des autres : i l faut contenir
fans cefle les mouvements de l ’e fp rit, comme ceux
du corps 5 obferver les regards de ceux devant qui
on p a r le , pour affoiblir, dans l ’expreffion de fou
fentiment ou de fa penfée , ce qui pourroit choquer
leurs préjugés ou embatraüer leur amour-
propre. L a politeffe des manières eft une bienféance 5
ce lle de le fp r it eft devenue un talent. L e défir de
fe diftinguer , autant que le défir de plaire , a apris
l ’art de voiler d’une gaze légère la liberté des
images & des idées j à modérer, par des formes
modeftes , l ’ empire même de la raifon & de la-
vérité j à afiaifonner la flatterie par une teinte
douce de plaifanterie , & la raillerie par une
louange fine & indireéfe.
D e là s’eft formé ce ton du monde qui coa -
fifte à parler des çhofès familières avec noblefle ,
& des chofes grandes avec fimplicité j à faifir les
nuances les plus fines dans les convenances ; a
mettre dans fon difeours, comme dans fes manières,
une gradation délicate d’égards relative au fe x e ,
au ran g , à l ’âge , aux dignités , à la confidéra-
tion perfonnelle de ceux à qui on parle.
Les gens de Lettres & les Savants ,. en inftruifant
le monde par leurs ouvrages , ont perfectionné
leurs talents dans le monde j ils y ont porté leurs
connoiflances & leurs lumières. Les difeuffions les
plus fubtiles-, fur; les matières de goût & fur les
découvertes des fciences , font devenues des fujets
de converfations 5 & pour rendre ces objets fen-
fibles à des efprits frivoles & peu appliqués , i l
a fallu leur compofer , pour ainfi dire , un langage
nouveau , où la grâce fut unie à la plus
grande clarté.
D e ce concours d’efforts réunis, on fent qu’i l
a dû réfiilter une La n gue fimple dans fes formes
& précife dans fes expreffions j plus variée dans
fes tours que dans les mouvements ; exprimant
avec clarté ce que les vues de l ’ efprit ont de
plus abftrait , ce que le fentiment a de plus délica
t , & ce que les convenances de la fociété
ont de plus fugitif. Cette L a n g u e , par un rapprochement
qui peut étonner au premier coup
d’oe il , eft tout a la fois la Langue de la G alanterie
& ce lle de la Philofophie , la Langue
dé plufieurs Cours de l ’Europe & ce lle de leurs
traités , & ce n’eft qu’à fon propre mérite qu’e l le
doit cet empire prelque univerfel que les romains
tentèrent en vain de donner à la leur , quoiqu’ils
en preferiviffent l’ ufage aux peuples qu’ ils avoient
fournis.
N Tout s’affoiblit en fe poliflant *, les L a n gue s
furtout. E lle s perdsntplusdg mots anciens quelle^