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c’étoit la beauté idéale qui lui fournifloit les traits
grands & nobles : i l prenoit dans la première la
partie humaine ; & dans la dernière , la partie divine
qui devoir entrer dans ton ouvrage.
Je n’ignore pas que les artiftes font partagés fur
la préférence cjue l’on doit donner à l ’ étude des
monuments de l’ Antiquité ou à ce lle de la N a t u r e .
L e chevalier Bernini a été du nombre de ceux
qui difputent aux grecs l ’avantage d’une plus b e l le
N a t u r e , aintî que celui de la beauté idéale de leuçs
figures. I l penfoit de p lus , que la N a t u r e favoit
donner à toutes fes parties la beauté convenable,
& que l ’Art ne confiftoit qu’à la faifir. I l s’eft même
vanté de s’ètre enfin affranchi du préjugé qu’i l avoit
d’abord fucé à l ’égard des beautés de la Vénus de
Médicis. Après une application longue & pénible $
i l a v o it , d ifo it - il, trouvé en différentes occafions
les mêmes beautés dans la fimple N a t u r e . Que la
chofe foit ou non, toujours s’enfuit-il, de Ton propre
aveu , que c’ eft cette même Vénus q u i-lu i aprit
à découvrir, dans la N a t u r e , des beautés que juf-
qu’alors i l n’avoit aperçues que dans cette fameufe
ftatue.
On peut croire auffi , avec quelque fondement,
que fans elle i l n’auroit peut-être jamais cherché
ces beautés dans la N a t u r e . Concluons de là que
la beauté des ftatues grèques eft plus facile à faifir
que ce lle de la N a t u r e même , en ce que la première
beauté eft moins commune & plus frapante
que la dernière.
Une fécondé'vérité découle de ce lle qu’on vient
d’ établir ; c’eft que , pour parvenir à la connoiffance
de la beauté parfaite, l ’ étude de la N a t u r e «eft au
moins une route plus longue & plus pénible que
l ’étude des antiques. L e Bernini, q u i, de,préférence,
recommandoit aux jeunes artiftes d’imiter toujours
ce que la N a t u r e avoit de plus beau , ne leur in-
;diquoit donc pas la voie la plus abrégée pour arriver
à. la perfeétion.
O u l ’imitation de la N a t u r e fe borne à un feul
o bjet, ou elle raflemble dans un feul ouvrage ce
que l ’artifte a obfervé en plufieurs individus. L a première
façon d’imiter produit des copies reflemblan-
tes, des portraits ; la dernière élève l ’efprit de l ’ar-
tifte jufqu’au beau général & aux notions idéales
de la beauté. C ’eft cette dernière route qu’ont choifie
les grecs, qui avoient fur nous l ’avantage de pouvoir
fe procurer ces notions, & par la contemplation des
plus beaux corps, & par les fréquentes occafions
d’obferver. les beautés de la N a t u r e . Ces beautés,
comme on l ’a dit ailleurs , fe montroient à eux
tous les jours, animées de l ’expreffion la plus vraie ;
tandis qu’elles s’offrent rarement à nous, & plus rarement
encore de la manière dont l ’artifte défireroit
qu’elles fe préfentaflent.
L a N a t u r e ne produira pas facilement parmi nous
un corps auffi parfait que celui d’Antinous. Jamais ,
de même, quand i l s’agira d’une belle divinité,
-l’efprit humain ne pourra concevoir rien au défias
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des proportions plus qu’humaines, de l ’Apollon du
Vatican. T ou t ce que la N a t u r e , l ’A r t , &. le génie
ont été capables de produire, s’y trouve réuni. ÎSi’eft-
i l pas naturel de croire que l ’ imitation de tels
morceaux doit abréger l ’étude de l ’Art? Dans l ’un,
on trouve le précis de ce qui eft difperfé dans toute
la N a t u r e ; dans l’autre , on voit jufqu’où une fagê
hatdiefle peut èleverla plus belle N a t u r e au deflus
d’elle-même. Lorfque ces morceaux offrent le plus
grand point de perfeélion auquel on puiffe atteindre,
en repréfentant des beautés divines & humaines ;
comment croire qu’un artifte qui imitera ces .morceaux
, n’aprendra point à penfer 8c a defliner avec
noblefle & fermeté, fans crainte de tomber dans
l ’erreur
U n artifte quilaiflera guider fon efprit & fa main
par_ la règle que les grecs ont adoptée pour la
beauté, fe trouvera fur le chemin qui le conduira
directement à l ’imitation de la N a t u r e . Les notions
de l’enfemble 8c de la perfection, raflemblées dans
la N a t u r e des anciens, épureront en lui 8c lui rendront
plus fenfibles les 'perfections éparfes de la
N a t u r e que nous voyons devant nous. En découvrant
les beautés de cette dernière, i l faura les combiner
avec le beau parfait ; & par le moyen des formes
fublimes , toujours préfentes à fon e fp r it, i l de-
. viendra pour lui-même aine règle fure.
Que les artiftes furtout fe rappellent fans ceffe
que l ’expreffion la , plus vraie de la b e l l e N a t u r e
n’eft pas la feule chofe que les connoifleurs & les
imitateurs des ouvrages des grecs admirent dans ces
.divins originaux; mais que ce qui en fait le ca-
r acte ré diftinétif, eft l ’exprelfion d’un mieiac- pof-
fible , d’un beau id é a l, en deçà duquel réfte toujours
la plus belle N a tu r e ,.
C e principe lumineux peut s’étendre à tous les
A r ts , furtout à la Poéfie, à la Mufique , à l ’Archi-
teéture, & c . Mais en même temps i l faut bien fe
mettre dans l ’efprit que le beau phyfique eft le
fondement , la bafe , & la fource du beau intellectuel
;& que ce n’eft que d’après la b e l l e N a t u r e
que nous voyons, que nous pouvons créer, comme
les grecs , une fécondé N a t u r e , plus belle "fans
doute , mais analogue à la première : en un mot ,
le beau idéal ne doit être que le . beau.réel perfectionné.
Rome devint difciple d’Athènes ; elle admira les
merveilles d e là Grèce , elle tâcha de les imiter:
bientôt e lle fe fit autant eftimer par fes ouvrages
d é g o û t , qu’elle , s’étoit fait craindre par fes armes.
Tous les peuples lui applaudirent; & cette approbation
prouva que les grecs , qui avoient été imités
par les romains, étoient en effet les plus excellents
modèles.
O n fait les révolutions qui fuivirent. L ’Europe
fut inondée de barbares; & par une conféquence
néceflaire , les Sciences & les Arts furent envelopés
dans le malheur des temps , jufqu’à ce qu’exilés
de Confiant!nople, ils vinrent encore fe réfugier en
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Italie* On y réveilla les mânes d’Hora ce, de V ir gile
& de Cicéron : 011 alla fouiller jufques dans les
tombeaux qui avoient fervi à la Sculpture & à la
Peinture. O n vit reparaître l ’antiquité avec- les
grâces de la jeuneffe. Les artiftes s’empreffèrent à
l ’imiter ; l’admiration publique multiplia les talents;
l ’émulation les anima, & les Beaux-Arts reparurent
avec fplendeur. Ils vont fe corrompre .& fe
perdre. On charge déjà la b e l l e N a t u r e , on L’ajufte,
on la farde , on la pare de colifichets qui la font
méconnoître. Ces raffinements, oppofés à la grofim-
reté , font plus difficiles à détruire que la groffié-
reté même ; c’eft par eux que le goût s’émoufle, .
& que.commence la décadence. ( Lé C h e v a l i e r D E
J A U COUR T . ) \
O b f e r v à t i o n s d e * M . d e S u id e r f u r l e m êm e
■ M e t
I l eft difficile de réunir les différentes, lignifications
-de ce mot N a t u r e fur une feule & même notion.
On donne ordinairement le nom de N a t u r e
à l’oeuvre entière de la création, ou fyftême uni-
verfel des chofes exiftantes , en tant que,l’on con-
fidère ces chofes comme des effets de la force qui
s’y eft déployée' dès leur origine , qui continue
d’ao-ir relativement à des fins particulières, que la
réflexion ne peut découvrir que dans certains cas :
mais cette dénomination devient équivoque, parce
que tantôt on entend , par N a t u r e , la force primitive,
& tantôt fes effets. On pppofe à l ’idée de N a tu
r e , celle de toutes les chofes.qui arrivent dans
le monde par des forces qui n’y exiftoient pas
originairement, tout ce dont l ’exiftence. & les propriétés
découlent, non du fyftême général^, mais
de quelque arrangement particulier , ou même de
quelque cas qui s’écarte de l ’ordre général ^ & qui
eft en contradiction avec le tou is régulier des
chofes. D e telles chofes font, ou des miracles, ou
des oeuvres de l ’art humain; leurs effets tiennent
à des caufes , auxquelles,on les a lies dune façon
extraordinaire & qui répugne à l ’ordre naturel.
Confédérée comme caufe aétive, la JVarz^re eft le
guide & le maître des'1 artiftes ; prife pour effet,
eeft le magafin toujours ouvert, d ou 1 artifte tire
les objets qu’i l veut rapporter à fes vûes. Plus l ’ar-
t ifte , dans fes procédés ou dans le choix de fa
matière , fe tient fcrupuleufement à la N a t u r e , 8c
plus fon ouvrage acquiert de perfection. Nous allons
entrer dans de plus grands details fur ces deux
points de v u e , fous lefquels la N a t u r e fe prefente.
, A u premier égard , la N a t u r e 11 eft autre chofe
que la fouveraine Sagefle , c’eft: à dire^, de 1 auteur
même de la N a t u r e , dont les deffeins & les opérations
tendent toujours à la plus grande perfeétion,
dont les procédés, fans exception, font de la plus
exaCte jufteffe 8c n e . laifl'ent rien à défirer. De là
.vient que dans fes oeuvres tout répond au b u t ,
tou e,ft bon , fimple , fans, gène; i l ne, s’y trouve
ni fuperfluïté ni défaut; V o ilà pourquoi on donne
aux ouvrages de l ’Art l ’épithète de n a t u r e l s , quand
tout y eft auffi exaCl, auffi parfait, auffi exeropt
de gêne 8c de contrainte , que s’ils fortoient des
mains de la N a t u r e même.
A in fi, les procédés de la N a t u r e font 1 unique
école de l ’artifte; fc c’eft là qu’i l doit aprendre
les règles de fon Art. I l trouve, dans chaque ouvrage
particulier de cette grande maitrefle, l ’ob-
fervation la plus exaCte de tout ce qui peut contribuer
à la perfeCtion & à la beauté ; 8c plus l ’ar - ■
tifte poflede une connoiffance étendue de la N a tu
r e , plus i l eft au fait des cas différents où i l peut
faifir les principes univerfels du parfait 8c du beau
, dans tous les différents genres. C ’eft pour cela que
la théorie de l ’Art ne fauroit être autre chofe que
le fyftême des règles que d’exaCtes obfervations dé-
duifent des oeuvres de la N a t u r e . Toute règ le de
l ’Art qui ne dérive pas dune femblable obferva-
tion de la' N a t u r e , eft quelque chofe' de purement
imaginaire, dèftitué de tout vrai fondement, & d’op.
i l ne fauroit réfulter rien de bon.
L a N a t u r e . n’agit jamais fans quelque vûe bien
déterminée , foit dans la produdion d’un ouvrage
entier , foit dans l’arrangement de chacune de fes
parties. Tant mièux pour l ’artifte, s’i l fe conforme
à ce modèle, & que chaque trait de fon Art exprime
quelque trait de la N a t u r e . Dans 1 arrangement
des parties,, la N a t u r e ne manque jamais
de préférer l ’effenciel à ce qui l’eft moins, d’y donner
plus d’attention , & de lui accorder plus de force ;
ce qui n’empêche pas que le moins effinciel ou
l ’acceffoire ne foit fi bien lié au principal, qu’on
cfoiroit q u e , fufqu’ à la moindre bagatelle , tout
eft effenciel. Der cette manière , tout ouvrage parfait
eft ce qu’i l devoit être. Par raport à la forme
extérieure , elle eft difpofée de façon que chaque
.objet s’offre àuxieux comme faifant un T ou t qui
exifte à part; la proportion la plus exaCte règne
entre le s parties , & celles qui font femblables occupent
des places fymétriques. A vec c e la , la N a tu
r e obferve, en tout, l ’accord le plus parfait.de l'extérieur
avec le caraClère intérieur des chofes :1 a
fio-ure , les couleurs , la furface rude ou p o lie , dure
ou molle , ont le raport lé plus exaét avec les
qualités intérieures des chofes. L e corps humain,
comme le plus parfait modèle de la beauté vifible ,
j a toujours été propofé à chaque artifte par les plus
habiles maîtres , comme l ’objet capital de fon a t tention
8c de fon imitation. C e n’eft pas qu’on ne
pût prendre tout autre objet de la N a tu r e ^ pour
règle ; mais i l eft naturel de donner la préférence
à celui qui tombe le plus fréquemment & le plus
diftinétement fous nos ieux.
C e n’eft pas ici le lieu de pouffer plus loin l e
dèvelopement des procédés de la N a t u r e : mais
ce que nous en avons dit fuffit pour convaincre
un artifte accoutumé à réfléchir, qu’i l ne doit jamais
Cuivre d’autres leçons que celles de la N a t u r e .
C ’eft d’elle auffi qu’i l peut aprendre fa defti-
nation & le but général auquel i l doit raporter
fon travail. L a N a t u r e a des vues fort variées U
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