ports de liaifon entre les hommes font affaiblis
par l ’éloignement des temps, des lieu x , des générations,
des intérêts quelconques, moins i l y a de
vivacité dans les lentiments relpe&ifs de la bienveillance
naturelle , qui fubfiftc pourtant toujours ,
même dans le plus -grand éloignement. Mais loin
d être contraire a cette propagation proportionnelle
de bienveillance, la multiplication des Langues
eft en quelque manière dans la même proportion,
& adaptée, pour ainfi dire , aux vties de la charité
universelle. Si Ton en met les degrés en parallèle
avec les différences du langage , plus i l y aura
d e raôitud e dans la comparaifon, plus on le convaincra
que l ’on eft la jufte mefure de l ’autre ;
c e qui va devenir plus fenfible dans, l ’article
fuivant.
Article I I I . Analyfe & comparaifon des
Langues. Toutes les Langues ont un même but,
qui eft dénonciation des penlees. Pour y parvenir,
toutes emploient le même inftrument, qui eft la
voix : c eft comme l ’elprit & le corps du langao-e.
O r i l en e f t , jufqu’i un certain point, des Langues
ainli conüderëes , comme des hommes mêmes qui
le s parlent.
Toutes les âmes humaines , fi l ’on en croit
l ’Ecole cartéfienne , font abfolument de même
e lp è c e , de même nature ; elles ont les mêmes facultés
au même degré , le germe des mêmes talents,
du même e lp r it , du même génie ; & elles n’ont
entre elles que des différences numériques & individuelles
: les différences qu’on y aperçoit dans la
fuite tiennent à des caufès extérieures, à l ’organi-
fàtion intime des corps qu’elles animent, aux divers
tempéraments que les conjonctures y établi fient ;
aux occafioas plus ou moins fréquentes , plus ou
moins favorables, pour exciter en elles des idées,
pour les rapprocher, les combiner, les dèveioper ;
aux préjugés plus ou moins heureux , qu’elles reçoivent
par l ’éducation, les moeurs, la re lig io n ,
l e gouvernement politique , les liaifons domefti-
<jues , c iv ile s , & nationales, &e.
I l en eft encore à peu près de même des corps
humains. Formés de la même matière, fi on en
confidére la figure dans fes traits principaux, elle
p a ro ît, pourainfi dire , jetée dans le même moule:
cependant i l n’eft peut-être pas encore arrivé qu’un
feul homme ait eu avec un autre une reflemblance
de corps bien exacte. Quelque connexion phyfîque
qu i l y ait entre homme & homme , dès qu’i l y a 1
diverfite d’individus, il' y a des différences plus
ou moins fenfibles de figure , outre ce lles qui font
dans 1 intérieur de la machine : ces différences font
plus marquées, a proportion de la diminution des
caufès convergentes vers les mêmes effets. Ainfi ,
tous les fùjets d'une même nation ont entre eux
des différences individuelles avec les traits de la
reflemblance nationale : la reflemblance nationale
S un peuple n eft pas la même que la reflemblance
nationale' d’un autre peuple vo ifin , quoiqu’i l y ait encore entre les deux des caractères ffapproximation
; ces caractères s’affoibliffent, & les traits*
diftérenciels augmentent à melure que les termes
de comparaifon s’é loignent, julqu’i ce que la très-
grande diverfîté des climats, & des autres caufes qui
en dépendent plus ou moins, ne laiflc plus fub-
fifter que les traits de la reflemblance .Spécifique
fous les différences tranchantes des blancs. & des
negres, des lapons & des européens méridionaux.
Distinguons pareillement dans les Langues
1 elprit & le corps ; l ’objet commun qu’elles fe
propofent, & l ’inftrument univerfel dont elles fe
lervent pour l ’exprimer ; en un m o t , les penfées
& les fons articulés de la voix : nous y démêlerons
ce qu elles ont néceflairement de commun ,
& ce qu elles ont de propre fous chacun de ces
deux points de v ile , & nous nous mettrons en état
d’établir des principes raifontiables fur la génération
des L a n g u e s , fur leur mélange, leur affinité,
& leur mérite refpeétif.
§. I. L ’efprit humain, je l ’ai déjà dit ailleurs
( V o y e^ G r ammaire & Inversion ) , vient à
bout de distinguer des parties dans fa pen fée,
tout indivisible qu’e lle eft , en féparant ,> par l e
Secours de l ’abstraction, les différentes idées qui
en constituent l ’ob jet, & les diverfes relations
qu’elles ont encre elles à caufe du rapport qu’elles
ont toutes à la penfée indivisible dans laquelle on
les envifage. Cette analyfe , dont ^les principes
tiennent à la nature de l ’efprit humain, qui eft la
même partout, doit montrer partout les mêmes
réfultats , ou du moins des réfultats femblables ,
faire enviSager les idées de la même manière *
& établir dans les mots la même classification.
A in fi, i l y a dans toutes les Langues formées,
des mots deftinés à exprimer les êtres, foit réels ;
foit abftraits, dont les idées peuvent être les objets
de nos penfées, & des mots pour désigner les relations
générales des êtres dont on parle. L e s
mots du premier genre font déclinables , c’ éft à
d ire , fuSceptibles de diverfes inflexions relatives
aux vues de l ’an a ly fe , qui peut enviSager les
mêmes êtres fous divers afpeérs dans diverfes- circonstances
: les mots du Second genre font indéclinables
, parce qu’ils préfentent toujours la même
idée fous le même aSpeét.
Les mots déclinables ont partout une Signification
définie, ou une Signification indéfinie. Ceux
de .la première claffe préfentent à l ’eSprit des êtres
déterminés, & i l y en a deux eSpèces : le s noms,
qui déterminent les êtres par l’idée de la naturej
les pronoms, qui les déterminent par l ’idée d’une
relation perfo'nnelle. Ceux de la fécondé claffe
préfentent à l ’efprit des êtres indéterminés, & i l
y en a aulfi deux eSpèces : les acljeétifs, qui les
désignent par l ’idée précife d’une qualité ou d’une
relation particulière , communicable â plufieurs
natures, dont elle eft une partie foit eSiencielle
foit accidentelle ; 8c les verbes, qui les désignent
par l ’idée précife de l ’exiftence intellectuelle fou§.
«in attribut é g a lem en t communicable 1 p lufieu rs
natures. . , . .
Les mots indéclinables fe divifent universellement
en trois eSpèces, qui font les prépofitio n s>
les adverbes, & les conjonctions : les prép ofitions,
pour désigner les rapports généraux avec abstraction
des termes ; les adverbes, pour désigner le.s
rapports particuliers à un terme détermine ; & le»
Conjonctions, pour désigner la liaifon des diverfes
pai iies du dilcours. V oy e \ Mot & toutes les
efpèces.
Je ne parle point ici des interjections , parce
que celte efpèce de mot Sert, non pas a I énonciation
des penfées de l ’e fp rit, mais a i indication
dés fentiments de l ’âme ; que les interjections ne
font point, des initmmenls arbitraires de la r t de
parler , mais des fignes naturels de Sènfibilité,
antérieurs d tout ce qui eft arbitraire , & fi peu
dépendants de l ’art de parler & des L a n g u e s ,
u ils ne manquent'pas même aux muets de naif-
anee. . : . .
Pour ce qui eft des relations qui naiilent entre
les idées partielles , du rapport général q u e lles
ont toutes a une même penfée indivisible ; ces
relations , dis-je, fuppofent un ordre fixe entre
leur terme : 1 a priorité eft propre au terme antécédent;
la postériorité eft eSiencielle au terme
conféquent. D ’où i l fuit qu’entre les idées partielles
d’une même penfée , i l y a une fucceSfion
fondée fur leurs relations' réfultantes du rapport
qu’elles ont toutes, à cette penfée. V o y e i In v e r sion.
Je donne à cette fucceSfion le nom d'Ordre
analytique , parce q u e lle eft tout à la fois le
réfultat de l ’analyfe de la penfée, & le fondement
de l’analyfe du difeours, en quelque Langue qu’i l
foit énoncé. \ -
L a parole , en effe t, doit être l ’image fenfible
de la penfée ; tout le monde en convient : mais
toute image fenfible fuppofe, dans fon o r ig in a l, des
p a rtie s , un ordre, & une proportion entre ces
parties ; ainfi, i l n’y a que l ’analyfe de la pen fée,
qui puiffe être l ’objet naturel & immédiat de l ’image
fenfible que la parole doit produire dans toutes
le s Langues ; 8c U n’y a que l ’ordre analytique ,
qui puiffe régler l ’ ordre & l a proportion de cette
image fùcceffive & fugitive. Ce tte règle eft sûre,
parce qu’elLe eft immuable , comme la nature
même de l ’efprit humain , qui*en eft la fource &
le principe. Son influence fur toutes les Langues
eft aulfi néceflaire qu’univerfelle : fans ce prototype
original & invariable , i l ne pourroit y avoir
aucune communication entre les hommes des différents
Ages du monde , entre les peuples des diverfes
régions de la terre, pas même entre deux individus
quelconques; parce qu’ils ri’auroient pas un terme
immuable de comparaifon, pour y rapporter leurs
procédés refpeftits.
, Mais au moyen de ce terme commun de comparaifon
, la communication eft établie généra -
lcment pa rtout, avgc les feules difficultés qui
halffcnt des .différentes manières de peindre le
même objet. Les hommes qaî parlent une meme
Langue s’entendent entre eux ; pa rc e qu ils peignent
l e même or ig in a l, fous le même alpeéfc, avec le s
mêmes couleurs. Deux peuples yoifins, comme
les François & les italiens , q u i , a v e c des mott
différents, fuivent d peu près une même conftruc-
t io n , parviennent airement à entendre la Langue
les uns des autres ; parce que les uns & les aatr îs
peignent encore le | même original & à peu prés
dans la même attitude, quoiqu avec des couleurs
différentes. Deux peuples plus éloigné s, dont les
mots & la conftruétion diffèrent entièrement, comme
les françois, par ex em p le , & les la lin s , peuvent
encore s’entendre réciproquement ^ quoique peut-
être avec un peu plus de difficulté : c eft toapDCî
la même raifon ; les uns ô.c les autres peignent le
même objet or ig in a l, mais deffiné & colorie
fement. .
L ’ordre analytique eft donc le lien univerfel de
la communicabilité de toutes les La n gue s , & du
commerce de penfées , qui eft 1 âme de la fociete :
c’eft donc le terme où i l faut réduire toutes le s
phrafes d’une Langue étrangère dans l ’intelligence
de laque lle on veut faire quelques progrès sûrs,
raifonnés, & approfondis; parce que tout le refte
'n’e f t , pour ainfi dire, qu’une affaire de mémoire,
'»ù i l n’eft plus queftion que de s affùret des dédiions
arbitraires du bon ufage. Cette confequence,
que les réflexions fùivantes ne feront que confirmer
& dèveioper davantage, eft le vrai rondement de
la méthode pratique que je propofe ailleurs
( article Mé th o d e ) pour la Langue la t in e , qui
eft le premier objet des études publiques & ordinaires
de l ’Europe ,* & cette méthode, a caufe de
l ’univerfalité du principe, peut être appliquée avec
un pareil fuccès d toutes les Langue s étrangères,
mortes ou vivantes, que l ’on le propofe d etudier
ou d’enfeigner. ,
V o ila donc ce qui fe trouve unf'erfellement
dans l ’efprit de tontes les Langue s : la fiicceffion
analytique dès idées partielles qui comu-uen:. une
même p en fé e ,& les mêmes efpèces de mots pour
repréfenter les idées partielles envifagées fous les
mêmes afpetts. Mais elies admettent toutes, for
ces deux objets généraux, des différences qui tiennent
au génie des peuples qui les p irlen u , & qui
font elles-mêmes tout d la fois les principaux ca
raôères du génie de ces L a n g u e s , & les principales
fources des difficultés qu’i l y a d traduire
exactement de Tune en l ’autre.
i ° . Par rapport à l ’ordre analytique , i l y a
deux moyens p a r . lefquels i l peut fore renau Im-
fible dans renonciation vocale de la j^eniee- L e
premier, c’ eft de ranger les mots dans 1 é locution,
reion le même ordre qui relui te de la tucceffioa
analytique des idées partielles : le ieconu, c eft de
donner , aux mots déclinables, des inflexions ou ces
terminaifons relatives d l ’ordre analytique . & a en
régler en&ite l ’arrangement dans ! élocution par
° F 1 1 a