
Ces deux premiers me ne font là que par énergie
& p a r fentiment : Elocûtio efi dolore tu rh a ù , die
Servius. ( M . d u M a r s Aï s . ) .
(N.) E X P L IC A T IF , IV E , adj. Qui fertà expliquer
, à dèveloper. I l y a deux fortes de propofi-
tions incidentes ; l ’une explicative, & l ’autre déterminative.
V oye\ D éterminatif.
Une proposition incidente effc explicative , quand
e lle fert à dèveloper la compréhenfïon de l’idée
partielle à laquelle elle eft lié e , pour en faire
lortir , pour ou contre la propoficion principale,
une preuve, fi elle eft fpécularive , ou un motif,,
fi e lle eft pratique.
Exemple : L e s fa v a n ts , qui fo n t p lu s inf-
truîts que le commun des hommes , devroient
auffi les furpajfer en fageffe. L a proportion incidente
, qui fo n t p lu s injlru its que le commun
des hommes , eft purement e x p lica tiv e , parce
qu’elle n’éft que le dèvelopement de l ’idée des Savants.
V oy e \ Incidente. ( M . B e a u z é e . )
( N . ) E X P O L I T IO N , f. f. Figure de penfée
par . dèvelopement, où la même penfée eft reprife
lous différents afpeéts, fous différents tours , fous
différentes expreftions, qui fervent à la dèveloper ,
à l ’éclaircir, à la rapprocher de toutes les fortes
d’ efprics , à la rendre intéreflante à tous les
cçeurs.
Cette figure eft de la plus grande reffource dans
tùus les genres d’Éloquence ; c?eft le véritable
principe de l'amplification oratoire ; & c’eft e l l e ,
félon le P. Buffier , qui conftitue la nature de
l ’Éloquence : e lle prend, au gré de celui qui
parle , toutes fortes de formes J toutes les autres
figures font à fa difpofition ; & pour déguifer
l ’ identité de la penfée , autant que pour fauver le
dégoût de la monotonie, e lle a droit d’employer
toutes les décorations que peut lu i fournir Part
de la parole. C e lu i de Y E xp o lition fe réduit à
choifir les couleurs & i ’apropos : les couleurs,
félon la nature de la penfée , félon le caractère
& les lumières de ceux à qui l ’on p a rle ; i ’apropos
, relativement a lu matière que l ’on traite ,
& à l ’importance de la penfée fur laquelle on infifte.
Sur tout cela , c’eft à un fens très - droit à décider ;
<8c au goût ', à diriger.
J’obferverai feulement que cette figure ne convient
pas à tous les ftyles; qu’elle feroit déplacée ,
par exemple , dans une fîmple le tt ré , dans un
Mémoire hiftorique, dans urie difeuflion feientifi-
que, dans une differtation théologique, en un
mot dans tout écrit qui n’eft fait que pour être lu
& pour inftruire. Cependant s’i l s’y trouvoit des
chofes difficiles à faifîr ou importantes à inculquer ,
l ’écrivain doit alors infifter revenir fur la même
idée , & la préfenter fous différentes formes.
O n fent bien que les poètes doivent en ufer
avec liberté & avec fuccès. Didon ( Æ n . )
pouvoij dire fimplement à Énçe , Tu es un bçprhare
; niais V irg ile lu i met dans la bouche cette
E x p o lit io n û vive & fi animée :
Rec tïbi diva parens , generis nec Dardanus auftor,
Perfide ; fed duris geniiit te caütibus horrens
CaucafuSj hyrcaniaque admôrunt ubera tigres.
« Ce n’eft point une déeffe qui eft ta mère, ce
» n’eft point Dardanus qui eft le chef de ta fa-
» m i l le ,' Perfide; c’eft l ’horrible Caucafè qui t’a
» engendré dans fes infenfibles rochers, & ce font
» des «greffes d’Hyrcanie qui t’ont allaité ».
Corneille , qui pouvoit faire dire fimplement à
Polyeu&e., B ien s humains , j e vous méprife à
caufe de votre f r a g i l i t é , dèvelope ce fentiment
par une magnifique E xp ô lition . ( i v . z. ) "
Source délicieüfe, en mifères féconde ,
Que voulez-vous de moi y flatteufes Voluptés ?
Honteux attachements de la chair fie du monde,
Que ne me quittez-vous quand je vous ai quittés ?
Allez , Honneurs, Plaifirs, qui me livrez la guerres
Toute .votre félicité,
Sujette à l’inhabilité,
En moins de rien tombe par terre j
Et comme elle a l’éclat du verre.
Elle en a la fragilité.
Le s orateurs ont fouvent befoin de l ’E x p o li-
tion : au Barreau, pour éclairer des juges , fou-
vent peu inftruits ; pour diffiper leur inattention ,
fille trop ordinaire de l ’indifférence : en Chaire ,
pour dèveloper 8c inculquer les grandes vérités j
pour impofer filence aux pallions ; pour anéantir les
préjugés & les vains prétextes.
A u lieu de dire fimplement, Tout pciffe , e x cepté
D ie u j qui ju ge ra tout ; voyez combien
Maffillon rend cette penfée grande & füblime par
l ’E xp o lition y dans fon fermon pour la bénédiction
dçs drapeaux de Catinat *: Une fa ta le révolution
y que rien n arrête, entraîne tout dans
les- abîmes de Véternité ; les fiècles , les généra--
tfons y le f Em pire s , tout va f e perdre dans ce.
gouffre; tout y entre, & rien n ’ên fo r t ; nos
ancêtres nous en ont f r a y é le chemin, & nous
allons le fra y e r dans un moment à ceux que
viennent après nous : a in fi, les âges f e renouvellent
; ainfi y la figur e du mande change fa n s
ce fie ; ainfi y les morts & les vivants f e fuccè-.
tlent & f e remplacent: continuellement : rien ne
demeure, tout ch an ge, tout s ’ufe , tout s ’ éteint.
D ie u f e ü l eft toujours le même , & f e s années
ne finiffent p o in t : le torrent des âges & des
fiècles coule devant f e s y e u x ; & i l v o it , avec
un air de vengeance & de fur eur , de f cibles
mortels , dans le temps même qu’i ls fo n t entraînés
p a t le cours f a t a l , l ’ infulter en p a ffa n t ,
profiter de ce f e u l moment pour déshonorer fo n
nom y & tomber au fo r tir de la entre les mains
éternelles de f a colère & de fa ju f ii c e . ]
U E xpolition
U Exp o lition feroit peut-être déplacée dans un
morceau de fimple raifonneinent ; e lle pourroit en
affoiblir la force par les apprêts de l ’arc qui s’y
décèle toujours. Cependant la divifion d’un d.ifcours,
quoique raifonnée y doit être lumineufè ; & 1 E x -
pc iition eft très-propre à y répandre la, lumière.
Jugez-en par celle du P. Bourdaloue, dans la
divifion de fon fermon fur l ’Amour de 'Dieu : Je
prétends que l ’amour de D ie u qui nous efi commandé
y doit avoir trois caractères ; l ’un par
rapport à D ie u \ Vautre p a r rapport à la loi
de D ie u y & le troifième p a r rapport au-chrif-
tianifme où nous fommes engagés p a r la vocation
de D ieu. P a r rapport à D i e u , l ’ amour de
D ie u doit être un amour de préférence-; p a r
rapport à la loi de D i e u , l ’ amour de D ie u doit
être un amour de plénitude ; & p a r rapport au
chriflianifme, Vamour de D ie u doit être un
amour de perfection. Am our de préférence ; en
voilà y pour ainfi dire y Le fo n d s : amour de plénitude;
en voilà l ’étendue : enfin amour de p erfection
; en voilà le degré.
L ’E xp o lition a de l ’analogie avec la Synonymie
( v oyez ce mot) ; mais l ’une n’eft pas l ’autre,
quoique l ’une puiffe entrer dans l ’autre. Ainfi
avons-nous vu dans l ’exemple de Maffillon, Rien
ne demeure , ^tout change , tout s ’ ufe , tout
s ’éteint : pure Synonymie, qui auroit pu en rigueur
fe réduire à l ’une des quatre phrafes dont elle eft
compofée; je dis en rigueur y parce qu’i l faut
pourtant avouer que les idées n'y font pas te lle ment
les mêmes , qu’on n’y apperçoive une légère
gradation ( V oy e \ G radation ). L ’E xp o lition >
en changeant les termes, change encore les points
de vûe : le fonds de la penfée demeure le même;
mais-les idées en détail font différentes ou fe montrent
fous des afpeéb différents.,.-comme i l eft aifé
de le voir dans cet exemple de Racine : ( P h è dre
y i v . z. y
Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes.
Quiconque a pu franchir les bornes légitimes ,
Peut violer- enfin les droits les plus facrés.
Ainfi que la vertu , le crime a fes degrés ; -
Et jamais on n’ a vu la timide Innocence
Paffer fubitement à l’extrême licence :
Un jour feul ne fait po int, d’un mortel vertueux,
Un perfide affalfin, un lâche inceCtueux. ( M. B e a u z Ée .)
L e premier foin qu’on doit avoir en écrivant
c eft d expofer le lujet que l ’on traite. A in f i, de
parues de quantité d’un Poème , l ’E xp o fid o n ei
la première. Ariftote l ’appelle Prologu e dans 1
Poeme dramatique ; & dans l ’Épopée , / e ft la mêm
choie que le début ou la propofition.
Comme le poète épique annonce lui-même Co
fujet j- cette E xpofition direfte ne demande pa
beaucoup dart ; elle doit être fimple, majeftueule
IrRAMM. ET L i t t é r a t . Tome II.
c la ire, & précife ; affez intéreflante. pour fixer l ’attention
, mais fans orgueil 8c fans aucune emphafe ,
en forte qu’au lieu de promettre de grandes chofes ,
e lle en faite efpérer. « Mufe , dis - moi la colère
d’A ch ille , cette colère fi fatale 'aux grecs, & qui
précipita dans le noir” Empire de Piuton les âmes de
tant de héros ». V o ilà le modèle du début ou de
l ’Exp o fition épique.-
Dans le Poème dramatique, Y Exp o fition eft
plus difficile , parce qu’elle doit être en aétion ,
& que les perfonnages eux-mêmes, occupés de
leurs intérêts & de l ’ état préfent des chofes, doivent
en inftruire les fpe&ateurs, fans autre inten.ion'
apparente que de fe dire l ’un à l ’autre ce qu’ils fe
diroient s’ils étoient fans témoins.
L ’art de Y E xp o fition dramatique confifte donc
à la rendre fi naturelle , qu’i l n y. ait pas même
le foupçon de l ’art : pour cela i l faut qu’e lle
réanifle les- trois convenances du lie u , du temps, 8c
des perfonnes.
Efchyle , inventeur de la Tragédie , eft peut-
être de tous les poètes grecs celui qui expofe CeR
fuje ts. de la manière la plus fimple & la plus
frapante. Qu oi de plus impofant en. effe t, que de /
voir dans les E um én id e s , à l ’ouverture de la
fcène , Greffe environné des furies endormies par
A p o llon ; 'de le v o ir , la tête ceinte du bandeau
des fuppliants, tenant une branche d’olivier d’une
main , & de l ’autre une épée encore teinte du
fang de fa mère 1 Q u o i de plus impofant, que
de voir dans les P e r fe s une afîemblée de v ieillard s,
attendre avec inquiétude 'des nouvelles de leur roi
& de cette armée innombrable qu’i l a menée dans
la G r è c e , & s’entretenir de l a grandeur & du
danger de cette entréprife ! Dans la tragédie des
fe p t C h e f s y le début eft encore plus en aélion.
É té o c le , au moment de voir fa v ille afliégée ,
paroît entouré de fon p eu p lé , d’hommes, de femmes
, & d’enfants ; i l leur annonce l ’arrivée d’une
armée nombreufe qui les menace , & i l exhorte
les uns à bien défendre la v ille , les autres à faire
des facrifîces & des prières aux dieux. Arrive un
de fes efpions, qui a reconnu l ’armée des argiens :
. « Témoin , d i t - i l , de ce que je viens vous ra-
» conter, j’ai vu leurs fept chefs immoler un taureau
» fur un bouclier , tremper leur main dans le fang ,
» & faire d’horribles ferments par le dieu Mars &
» par Bellone , ou qu’ ils détruiront de fond'en com-
» ble la v ille de Cadmus , ou qu’ils périront fous
» fes murs ; la pitié eft bannie de leur bouche &
» de leur coeur; leur courage s’enflamme comme celui
». des lions à l ’approche du combat ».'
L e Théâtre grec a plufîeurs exemples de l ’art
d’expofer en aélion : c’eft ainfi que, dans YOrefie
d’Euripide , on voit Éleélre aflife à côté du li t
de fon frère endormi, & pour un moment délivré
du tourment de fes remords ; on la v o i t , dis - je ,
verfer des larmes, & fe retracer, depuis Tantale
jufqu’à O re fte , tous les malheurs de fa famille ,
tous les crimes de fes parents.
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