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de FÊloquçnce 3, & c’écoi: là comme' je Fai dit
plus d'une fo i s , ce qui rendolt à Rome & dans
Athènes le talent de la parole fi redoutable d’un
çô té, & fi riéceffaire de l ’autre.
O n va voir quelle idée les orateurs anciens fe
fefoient eux-mêmes de l ’importance & des difficultés
rie leur art, dans le genre judiciaire : c’eft Cicéron,
qui fait parler Antoine , au fécond livré de l ’Orateur.
In caufarum contentionibus, magnum ejl
quoddam opus , arque haud Jciam an de hu~
tnanis operibus longé maximum : in quibus vis
oratorisplerumque ab imperitis, exitu & vicloriâ
judicatur : ubi adejl armatus adverfarius, qui
.fit & feriendus & repellcndus : ubi fiepe is qui
rei dominas futurus ejl, alienus atque iratusy
aut etiam amie us adverfario & inimicus tibi
ejl : quum aut docendus is ejl aut dedocendus, aut reprimendus, aut incitandus, aut omni ra~
none y ad tempus , ad caufam , oratione mode- randus.
Ainfi , dans toute caufe , l ’Éloquence de l ’orateur
eft employée à l ’attaque & à la défenfe : en même
temps qu’i l frape i l doit lavoir parer & , pour
c e la , fe tenir en garde contre les furprifes & les
rufes de l ’adverfaire. D e là cette étude profonde
que recommandoient les anciens de l ’intérieur d’une '
caufe & de les différentes faces ÿ de là leur attention
à choifir leurs moyens, à s’attacher aux forts -, à
paffer fur les foib le s, à rejeter tous les mauvais ;
de là l ’importance qu’ils atrachoient à ne jamais
làifler échaper un mot q ui donnât prife à l ’adver-
fiire , & non feulement à dire ce qu’i l falloir ,
mais, fur toute ch o ie , à ne jamais 'dire c,e qu’i l
ne f illo it pas j de là le foin qu’ils prenoieat de con-
noître le caractère, le génie , le tour d’efprit, & pou r
ainfi dire le jeu de Fadverfaire, & de cacher le le u r , en
variant leur marche & en déguifànt leur deffein. -
U fe préfente ici une queftion à réfoudre : leque l
des deux eft le plus favorable à l ’orateur, de l ’attaque
cm de la défenfe ?
L e mot de Henri IV , Ils ont raifon tous deux,
femble décider pour l ’égalité d’avantages. Mais à
1 egard du commun des hommes , i l eft vrai de
eire comme le proverbe, Le dernier qui parle a
raifon. L ’agrefleur. a pour lu i une première im-
preffion donnée. Mais dans les choies contentieufes ,
l ’auditeur fe défie des premières impreffions, le juge
s en défend^: & cet avantage , affoibli par la réflexion
qu3il fa u t entendre tout le monde, ne
laiffe guères à l’agreffeur que la difficulté de prévoir
la defenfe, ou le péril de s’y expofer le
bandeau fur les ieux ; tandis que le défendeur a
pour lu i tout le temps d’obferver les difpofitions &
les mouvements de l ’attaque, & de reconnoître le
fort & le fbible de l ’ennemi.
On voit un exemple ffapant du défavantagê de
Fagreifeur & de l ’avantage du défendeur, dans les
célèbres plaidoyers d’j^fehine & de Démofthène l ’un
contre l ’autre.
; Efchine , après s’ être informé avec le plus grand
r u u
foin des moyens de défenfe que lui oppôfera Démofthène
, femble les avoir tous prévenus & détruite
d avance. Démofthène prend la parole : i l fe trouve
qu Efchine n’a rien prévu \ fon édifice eft renverfé..
C e cju’i l a dit de plus preffant ,. Démofthène l ’élude,
& 1 auditeur l ’ou b lie , entrainé par, la véhémence
du, nouveau difeours qu’i l entend : ce qu’i l a dit
de hafarde,. de favorable à la réplique , Démofthène
ne manque pas de s’ en faifir ; & -c’eft par là
qu’ i l le confond. Efchine l ’accufe de s’être vendu
a Philippe j Sç cette imputation retombe fur lui-:
meme : i l lu i reproche la mort des braves citoyens
qui ont péri dans la bataille de Chéronée ; &
Démofthène évoquant les mânes de leurs ancêtres,,
qui ont combattu pour la même caufe à Platée & .
à Marathon , jure par ces grands hommes que leurs
neveux, en fe dévouant pour la liberté & pour le
falut de la G rèce , n’ont fait que leur devoir-
Efchine vante & regrette les temps où Athènes
avoit des héros auxquels e lle ne décernoit ni des
couronnes, d’or ni des honneurs perfonnels & dif-
tin&s de la gloire de la patrie ; mais l ’ufage ayant
prévalu d’accorder des encouragements à la vertu
& des récompenfes au mérite, fi Démofthène a
bien mérité ae l ’État, cet éloge du temps pafte.
ne conclut rien , c’eft de l ’Éloquence perdue. E fchine
fait une peinture très-oratoire du malheur
des thébains j mais fi Démofthène n’en eft pas la-
caufe , ce pathétique eft encore fuperflu. Efchine.
prefente , à fa manière , la chaîne.,des évènements %
leurs caufes, & leurs circonftances. Démofthène brife
tous les anneaux de cette chaîne artificielle , &
rejette fur l ’accufàteur tous les malheurs & tous-
les crimes dont lu i-m êm e i l eft accufé. Efchine
annonce que'Démofthène s’efforcera, en éludant l ’ac—
eufadon, de changer l ’état de la caufe, & de
jeter le trouble & 1 émotion dans les efprits. « C té -
» fiphon produira, d i t - il, fur la fcène cet impof-
» tèur , ce brigand , ce bourreau de la république
» franc bateleur, qui pleure avec plus de facilité
» que les autres ne rient, & celui des hommes qui
» craint le moins de fe jouer de la fainteté des
»ferments . . . . . Lorfqu’un terrent de larmes
» a jou te -t-il, coulera de fes ieux f lorfque vous
» entendrez • fes accents lamentables ; iorfqu’i l
» s’écriera : Oit me réfugier y Mejjîeurs ? me ban-
» nire-\r - vous d*Athènes , moi qui n a i p o in t
» d’afyle ? Répondez-lui : M a is Les 'athéniens ,
» où. f e réfugieront - i ls , Démofthène » ? Rien
de plus animé, de plus preffant en apparence.
Mais Démofthène p a r le , & ne dit rien de tout
cela. I l n’emploie ni larmes, ni accents lamentables
: une noble affùrance en parlant de lu i-
même , une franchife encore plus noble en parlant
des athéniens, une indignation véhémente & le
plus accablant mépris en parlant de fon adver-
faire, un expofé rapide & lumineux de fa conduite
dans tous les temps ; l ’éloquence des faits ; celle
de la raifon appuyée par des exemples , &'
entremêlée des mouvemçjits.les plus impétueux d»
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Finveéfive 8c de l ’imprécation j partout FaÆilrance
de la bonne caufe, modefte dans l ’exorde > mais
bientôt fière & haute lorfqu’ i l commence à prendre
Fafcendant & à s’emparer des efprits voilà ce que"
Démofthène réfervoit à Efchine ; & celui - c i , en
s'efforçant de parer des coups qu’i l ne prévoyoitpas,
n a fait que battre l ’air.
'Palis prima Dures caput altum in preelia tollit ;
OJïenditquèhùmeros latos, alternaquej aclat
Brachia protendens , & verberat iSibus auras, Æneid.
Par cet exemple, j’ai voulu montrer que , fi dans
Fattaque on prétend faire face à tous les points de
la défenfe, on fe déploie fur un trop grand front ,
& que l ’on s’affoiblit foi-même. I l faut, pour ainfi
dire, attaquer en colonne, ne préfenter que des
points principaux & en petit^ nombre , afin que
le juge n’ en perde aucun de v u e , & que l ’adverfaire
n’en puiffe éluder aucun j les appuyer , les
foutenir; ne mettre en avant que des maffes de
raifonnements & de preuves j & pour repouffer la défenfe
, garder en réî'erve des forces inconnues à l ’ennemi.
C e n’ eft que par l à , ce me femble, que l ’agref-
feur peut balancer l ’avantage du défendeur : & fi le
feu eft également bien ménagé de part & d au tre,
fi aucun des -deux ne s’épuile en efforts perdus ,
s’ils s’attendent, s’ils ne déploient & ne font, agir
qu’à propos leurs réferves & leurs reffources; je
perde qu’après le même nombre de répliques de
part & d’autre , le combat fe trouvant éga l , le
ieul avantage marqué fera celui de la bonne caufe.
jVlais je repète encore que l ’agreffeur doit fuc-
eomber, s’ i l fait la faute que fit Efchine, de trop
étendre fes moyens dans une harangue diffufe , de
préfenter un trop grand nombre de points d’attaque,
& de donner lieu à Fadverfaire d’éluder les plus
forts, d’attaquer les plus f o ib k s , & après avoir
enfoncé la ligne , de culbuter les forces difperfées
que l ’accufateur lui oppofoit.
I l eft à croire que chez les grecs l ’accufateur
n’étoit point admis a la réplique. Chez les romains
même, où plufieurs avocats fe fuccédoient dans la
même caufe , je préfùme que, des deux parts , la
preuve & la réfutation alloient de fuite & fans a lternative.
A infi , le défavantagê de l ’agreffeur n’avoit
point de compenfation.
G’eft donc -une inftitution fage , dans le Barreau
moderne, que d’avoir donné a l ’une & à l ’autre
caufe la reflource d’être plaidées à plufieurs reprifes ;
& la grande habileté de l ’avocat confifte à tirer
avantage de cette forme de plaidoyers. Nous en
avons vu dans ce fiècle un grand exemple : c’ étoit
Cocliin. Son attaque fe réduifoit à un fimple expofé
de l ’affaire , à fa demande , & à l ’énoncé le plus
précis de fes moyens. Perfonne, à ne pas le con-
rtoître, n’auroit cru devoir redouter un concurrent
fi dénué des armes de l ’Éloquence. Mais lorfque
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fon a^verfaire l ’avoit' échauffé en le réfutant &
eroyoit l ’avoir terraffé, tôut à coup i l fe relevoie
avec- une force effrayante. O n eroyoit voir l ’ ü ly f fe
d’Homère provoqué par Irus , dépouiller fon manteau
de pauvre , & déployer la ftature impofànte,
les membres nerveux d’un héros. A u fiî le combat
fe terminoit-il le plus Couvent comme celui de
l ’Odyffée , à moins que Fadverfaire de Cochin ne
frit un L e Normand. C’étoit alors que le Barreau
devenoit une arène intéreffante par le contrafte des
deux athlètes, l ’un plus vigoureux & plus ferme,
l ’autre plus Couple & plus adroit ; Cochin avec un
air auftère & impofant, qui lu i donnoit quelque
reffemblance avec Démofthène ; L e Normand avec
un air n o b le, intéreffant , qui rappeloit la dignité
de Cicéron. L e premier redoutable , mais fulpeft
à fes ju g e s , qui à force de le croire hab ile, le
regardoient comme dangereux ; le fécond précédé
au Barreau par cette réputation d’honnête homme,
qui eft la plus forte recommandation d’une caufe,
& peut-être la première Éloquence d’un orateur.
V o y e \ O r a t e u r .
D e tout ce que je viens de dire de Fart de ménager
fes forces, i l ne s’enfuit pas que l ’orateur
doive mettre en avant ce qu’ i l a de plus fo ib le ,
mais feulemept qu’i l doit réferver pour fa conclu-^
fion ce qu’i l a de plus éminent. C ’eft un grand
.•avantage pour une caufe que de paroître la meilleure
dès le premier afpèa: : mais la dernière im-
preffion eft encore plus décifive que la première j &
i ’oracle que je ne ceffe de.confulter, Cicéron, nous
fournit encore ce précepte :
In illo reprehendo eos q u i , quee minimè ferma
funty ea prima collocant : res enim hoc p o j lu la t ,
ut eorum expecîationi qui audiunt quam celer
rimé occurratur : cui J i initio fa tis fa c lum non
f i t y multo p lu s f i t in reliquà caüfâ elaboran-»
dum. M a lè enim f e res h a b e t, quoe n o n , fia t im
ut cocpta e j l , melior fie r i videtur. In oratione
firmijjimum J it quoique primum : dum illu d ta-
men teneatWy ut ea quoe excellant ferventur etiam
ad perorandum. S i quee erunt mediocria ( nam
vitiofis nufquam ejfe oportet locum ) in mediam
turbam atque in gregem conjiciantur. ( D e orat. ).
Si l ’on -fait attention au choix des mots dont
Cicéron fe ferc dans ce paffage , on trouvera que
c’eft d’abord une Lo g iqu e forte que 1 orateur doit
employer ; & que pour le moment décifif de Faction
, il' doit fe réferver les grands moyens de l ’É lo quence.
( M . M a r m o n t e l . )
(N . ) JU S T E , É Q U IT A B L E . Synonymes.
Ces termes défîgnent en général la nature de nos
devoirs envers lés autres. C e qui diftingue le fens de
ces mots, eft l ’idée du fondement fur lequel portent
cmes dmevo irs. ui eft ju fie y fe fait en vertu d’un droit parfait
& rigoureux j l ’exécution peut en être exigée
par la force , fi l’on n’ y fatisfait pas de bon gré.
Ç e qui eft équitable, ne fe fait qu’en vertu d’un*