
Febvre, comme i l eft aifé de voir par une réflexion
qu’i l ajoîke à la fin de fa Méthode : « Oiipouvoient
a lle r , dit-il, de fi beaux & de fi heureux commencements!
Que n’eût-on point fa it , fi cet enfant fût
parvenu jufqu’à la vingtième année de fon âge ?
combien aurions-nous lu d’hiftoires grèques & latin
e s , combien de beaux auteurs de M o ra le , combien
de tragédies, combien d’orateurs-i car enfin le
plus fort de la befogne étoit fait
I l ne dit pas, comme on v o it , un feu! mot des
thèmes ; i l ne parle pas non plus de former fon fils
à la compofi.ion latine , à .-la Poéfie, a la Rhétorique.
Peu curieux des produirions de fon élève , 51 ne lui demande, i l ne lui fouhaite que du progrès
dans la leilure des anciens • i l fe tient parfaitement
alluré du relie : bien différent de la plupart des parents
& des martres , qui veulent voir des fruits dans les
enfants, lorfqu’on n’y doit pas encore trouver des
fieurs. Mais en cela moins éclairés que M. le Febvre,
ils s’inquiètent hors de faifon, parce qu’ils ne voient
p a s , comme lu i , -que la compofition n’eft propre-
jn.en: 9.u’un j eu Pour ceux qui font confommés dans
l ’intelligence des auteurs , & qui fe font comme
transformés en eux par la iedhire affidue de leurs
ouvrages. C ’eft ce qui parut bien dans mademoifelle
l e Febvre, fi connue dans la fuite fous le nom de
madame D a c ie r : on fait qu’e lle fut infimité,
comme fon frère , fans avoir fait aucun thème ^ c ependant
quelle gloire ne s’e ft- e lle pas acquife dans
la Littérature grèque & latine ? A u re fte , approfondirons
encore plus cette matière importante
& comparons les deux méthodes , pour en juger par
leurs produits.
L ’exercice littéraire des meilleurs co llèg es , depuis
fept à huit ans jufqu’à feize & davantage , confiée
principalement à fe former à la compofition du
latin ; je veux dire, à-lier bien ou mal en profe &
en vers quelques centaines de phrafes latines : habitude
du re lie , qui n’eii prefque d’aucun ufage dans
l e cours de la vie. Outre que te lle eft la sèchereffe
& la difficulté de ces opérations ftériles , qu’avec
une application confiante de huit ou dix ans de la
part des, écoliers & des maîtres, à peine e f t - il un
tiers des difciples qui parviennent à s’y rendre habiles
; je dis même parmi ceux q u i achèvent leur
carrière : car je ne parle point ic i d’une infinité
d’autres qui fe rebutent au milieu de la cou rfe, &
pour qui la dépenlè déjà faite fe trouve abfolument
perdue.
En un mot, rien de plus ordinaire que de voir de
bons, efprits cultivés avec fo in , q u i , après s’ être
fatigués dans la compofition latine depuis fix à fept
ans jufqu’à quinze ou fe iz e , ne fauroient enfuite
produire aucun fruit réel d’un travail fi lon g & fi
pénible ; au lieu qu’on peut défier tous les adversaires
de la méthode propofée, de trouver un feul
difciple conduit par des maîtres capables , -qui ait
mis en vain le même temps à 1 explication des
auteurs & aux autres exercices que nous marquerons
plus bas. Aufti plusieurs maîtres des penfions & des
collèges reconnoiffent - ils de bonne foi le vide
& la vanité de leur méthode, & ils gémiffent en
fecret de fe voir affervis malgré eux à des pratiques
déraifonnables qu’ils ne font pas toujours libres
de changer. '
Tout ce qu’i l y a de* plus éblouïflant & de plus
fort en faveur de la méthode ufitée pour le latin,
c’eft que ceux qui ont le bonheur d’y réuflir & d’y
briller,-doivent faire pour cela de grands efforts d’application
& de génie j & qu’ainfi l ’on efpère, avec
quelque fondement , qu’ils acquerront par là plus
de capacité pour l ’Éloquence & la Poefie latine :
mais nous l ’avons déjà d i t , & rien de plus v r a i,
ceux qui fe diftinguent dans la méthode régnante,
ne font pas le tiers du total. Quand i l feroit donc
bien confiant qu’ils duffent faire quelque chofe de
plus par cette voie , conviendroit-il de négliger
une méthode qui eft à la portée^de tous les efprits,
pour s’entêter cfiune autre toute femée d’ épines ,
& qui n’eft faite que pour le petit nombre, dans
l ’efpérance que ceux qui vaincront -la difficulté
deviendront un jour de bons latiniftes? En un mot.
eft-il jufte de facrifier la meilleure partie ùts É tu diants
, & de leur faire perdre le temps & les frais
de leur éducation , "pour procurer à quelques fujets
l,a perfection d’un talent qui eft le plus foüyenc
in u tile , & qui n’eft prefque jamais néçeffqire ?
Mais que diront nos antagoniftés, fi nous foutenons
avec M. le Feb vre, que le moyen le plus efficace
pour arriver à la perfeirion de l ’Éloquence la t in e ,
eft précifément la méthode que nous confeillons j
je veux dire, la lecture confiante, l’explication & la
traduélion perpétuelle des auteurs de la bonne la tinité
? O n ignore abfolument, dit ce grammairien
cé lèb re, la' véritable route qui mène a la g loire
littéraire ; route qui n’eft autre que Y Étu de exaCle
des anciens auteurs. C’e f t , dit - i l encore, cette
pratique fi féconde qui a, produit les Budés, les
Scaligers, les Turnèbes, les Pafferats, & tant d’autres
grands hommes : V iam illam pla n é ignorant quâ
majores nojlros ad oeternoe fam oe claritudinem
pervenijfe vidémus. Quoenam ilia f i t f o r ta f ie
r o g a s , vir clarifiitne ! N u lla certê a lla quam
veterum feriptorum accurata leclio. E a Bu doeos
& Scaligéros y ea Turnebôs, P a fie ra to s , & tôt
ingentia nomirta edidit. E p ifi. x l i j . ad D . Sarrau.
Schorus , auteur allemand , qui écrivoit i l y a
deux fiècles fur la manière d’apprendre le la t in ,
étoit bien dans les mêmes fentiments. « Rien; dit-il-,
de plus contraire à la perfection des Étu des latines,
que l ’ufage où l ’on eft de négliger l ’imitation des
auteurs, & de conduire les enfants au latin plus tôt par
des compofitions de collège , que par la leClure affidue
des anciens » : Neque vero quicquam pem icio -
f in s accidere SmàmMnguoe latinoe pote f i , quam
quody negleciâ omni imitatione, pueri à f u i s ma-
g ifir is magis quam à romanis ipfis latinitatem
difeere cogantur. Antonii Schori, lïBto de ratione
docendoe & difeendoe linguoe latinoe, pa g e 3 4.
Auffi la méthode qu’indiquent ces favants, étoit.
proprement la feule ufitée pour apprendre le latin ,
lorfque - cette langue étoit fi répandue en Europe,
qu’elle y étoit prefque vulgaire ; au temps, par
exemple, de Charlemagne & de S. Louis. Que
faifoit-on pour lors autre ch ofe, que lire ou expliquer
les auteurs? N ’ eft-ce pas de là qu’eft venu
le mot de lecteur y pour dire p ro f éfieurï & n’eft-ce
pas enfin ce qu’i l faut entendre par le proeleclio des
anciens latiniftes ? terme qu’ ils emploient perpétuellement
pour ■ défigner le principal exercice de
leurs écoles T & qui ne peut fignifier autre chofe
que l ’explication des. livres claffiques. V oy e \ tes
colloques <f’Erafme.
D ’ailleurs, i l n’y avoit anciennement que cette
voie pour devenir latinifte : lés Dictionnaires fran-
çois-latins n’ont paru que depuis environ deux-cents
ans 3 avant ce temps-là i l n’étoit pas poffible de
faire ce qu’on appelle un thème, & i l n’y avoir
pas d’autre exercice de latinité que la leClure ou
l ’explication.des auteurs. C e fut pourtant, comme
dit M. le Febvre’, ce fut cette méthode fi fimple qui
produifit les Budés , les Turnèbes, les Scaligers.
Ajoutons que ce fut cette méthode qui produifit
madame D aci er.
Quoi qu’i l en fo i t , i l eft vifible qu’on doit plus
attendre d’une inftrudion grammaticale fuivie &c
rai formée, où les difficultés fie dèvelopent à mefure
qu’on les trouve dans les liv re s , que d’un fatras de
règles ifoleés , l e plus fiouvent fauffes & mal conçues 5
& q u i, bien que décorées du beau nom de prin cip e s ,
ne font au vrai que les exceptions des règles générales
, ou, fi l ’on v eu t , les caprices d’une fyntaxe
mal dèvelopée.
A u re fte , l ’exerci.ce de l ’application eft tout à
fait indépendant des difficultés compliquées dont on
régale des enfants qui commencent. En effet , ces
difficultés fe trouvent rarement dans les auteurs 3
elles ne font, pour ainfi dire , que dans l ’imagination
& dans les recueils de ces prétendus méthodiftes,
q u i , loin de chercher le la t in , comme autrefois ,
dans les ouvrages des anciens , fie font frayé une
route à cette langue , par de nouveaux détours où
ils brufquent toutes les difficultés du françois 3 route
feabreufe & comme impratiquable , en ce que les
tours, les expreffions, & les figures des deux lano-ues
ne s’accordant prefque jamais en to u t , i l a f a l lu ,
pour aller du françois au latin , imaginer une efpèce
de méchanique fondée; fur des milliers de règles 3
mais règles embrouillées , & plus fiouvent impénétrables
à des enfants, jufqu’à ce que le bénéfice des
années & le fentiment que donne un long u fage,
produifent à la fin dans quelques-uns une melure
d intelligence & d’habileté que l ’on attribue fauffe-
meni: à l a pratique dé ces règles'*
< Cependant i l eft des obfervations raifionnables que
Io n doit faire îur le fyftême grammatical, & q u i,
réduites pour les commençants à une douzaine au
p lu s , g forment des règles confiantes pour fixer les,
rapports les plus communs-'de concordance & de
régime 3 & ces règles fondamentales clairement
expliquées,. font à la portée des enfants de fept à
huit ans. Celles qui font plus obfcures , & dont
l ’ ufage eft plus rare, ne dpivent être préfèntées aux
E tu d ia n ts que lorfqu’ils font au courant des auteurs
latins. D ’ailleu r s , l a plupart de ces règles n’ont
ete occafionnées que par l ’ignorance où l ’on eft ,
tant des vrais principes 'du la t in , que de certaines
expreffions abrégées qui font particulières à cette
langue 3 & qui une fois bien approfondies, comme
è i le s le font dans Sandlius , Porc-Royal, & ailleurs ,
ne préfentent plus de vraie difficu lté, & rendent
même inutiles tant de règles qu’on a faites fur ces
irrégularités apparentes. L a brièveté qu’exige un
article de Dictionnaire , ne permet pas de m’étendre
ici là-deffus 3 mais je compte y revenir dans quelque
autre occafion.
j ’ajoute que Pun des grands avantages de cette nou--
ve lie inftitution, c’ eft qu elle épârgneroit bien des châtiments
aux enfants 3 article délicat dont on ne parle
guère , mais qui mérite autant ou plus qu’un autre
d être bien difeuté. Je trouve donc qu’i l y a fur
cela de i ’injuftice du côté des parents & du côté des
maîtres 3 je veux d ire, trop de molieffe de la parc
des uns, & trop de dureté de la part des autres. .
En. e ffe t, les maîtres, de la méthode vu lg a ire ,
bornes pour la plupart ' à quelque connoiffance du
la t in , & entêtés follement de la compofition des
thèmes , ne ceffent de tourmenter leurs é lèv es, pour
les pouffer de force , à ce travail accablant 3 travail
qui ne paroît inventé que pour contrifter la Jeuneffe,
& dont i l ne réfulte prefque aucun fruit. Premier
excès qu’i l faut éviter avec foin.
Le s parents , d un autre cô té, bien qu’inquiets,
impatients même fur les "progrès de leurs enfants
n approuvent pas pour, l ’ordinaire qu’on les mène
par la voie des punitions. En vain le fage nousaffure
S.ue linftruétion appuyée de la punition fait naître la
lageffe , & que l enfant livré à fes caprices devient
J.a honte de fa mere, ( P r o v . x x ix » 16. j 3 que celui
qui ne châtie pas fon fils, le hait véritablement ( ibid.
x i i j . 24.) 3 que celui qui l ’aime, eft attentif à le
corriger, pour en avoir un jour de la fatisfaélion.
( E c c lé fia jliq . x x x . 1 .)
En vain i l nous avertit, q u e , fi on fe familiarife
avec un enfant, qu’on ait pour lu i de la foibleffe
& des complaisances, i l deviendra comme un cheval
fougueux & fera trembler fes parents 3 qu’ i l faut
par conféquent le tenir fournis dans le premier
châtier à propos tant qu’i l eft jeune, de peur
quiL ne fe.roidiffe julqu’à l ’indépendance & qu’i l
qe caufie un jour de grands chagrins. (Ibid, x x x .
i l* xi* ) En vain S. Paul recommande
aux pères d’élever leurs1 enfants dans la difeipline &
dans la crainte du feigneur. (E p h e f v j. 4).
Çgs .oracles divins ne font plus écoutés : les
parents , aujourdhui plus éclairés que la fageffe
même, rejettent- bien loin ces maximes 5 & prefque
tous aveugiq^ & mondains , ils voient avec beaucoup
plus de plaifir les agréments & l ’ embonpoint de leurs