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4°. L e quatrième ufage de la lettre n eft d’ètfe
avec le t un figne muet de la troHïème perfonne
du pluriel a la tuite d'un e muet ; comme ils a i ment
, ils a im è r e n t , ils a im e ro ien t, ils a im o ie n t -,
&c.
N capital fuivi d'un point eft Couvent l'abrégé
du mot nom ou nomen-, 8c le figne d’un nom
•propre qu’on ignore , ou d'un nom'propre quelconque
qu’i l faut y fubfti tuer .dans la le dure.
En termes de Marine, N fignifie n o r d ; N E ,
veut dire n o rd - eft ; N O , nord - oueft ,■ N N E ,
n o rd-n ord-eft ; N N O , n ord-nord- oueft ; Ë N E ,
e ft-n o ni-eft ; O N O , o u e fl-n o rd -o u e ft.
N , fur nos monhoies, défigne celles qui ont été
frapées à Montpellier.
N , chez les anciens , étoit une ‘ lettre numérale
qui fignifioit p o o , fuivant ce vers de Baro-
nius ;
N quoquc nongintos numéro dejîgnat habendos : -
tous les lexicographes que j’ai confultés s'accordent
en c e c i, & ils ajoutent tous que N avec
une barre horizontale au déffus marque 9000 ;
ce qui en marque la multiplication par io feulement,
quoique cette barre indique la multiplication
par iooo à l'égard de toutes les autres lettres
: & l ’auteur de la M é th o d e la t in e de Port-
R o y a l dit expreffé ment dans fon R e c u e i l d ’obfer-
v a t io n s p a r t ic u liè r e s ( ch a p . i l , n °. iv ) , qu'il
y en a qui tiennent que , lorfqu'il y a une barre
fur les chiffres , cela les fait valoir m ille , comme V ,
X , c in q -m i l l e , d ix -m ille . Quelqu’un a fait d'abord
une faute dans l'expofition, ou de la valeur numé.-
rique de N feu le , ou de la valeur de N barré :
puis tout le monde a répété d’après l u i , fans
remonter à la fource. Je conje&ure , mais fans
l'a ffurer, que N ==900000, félon la règle générale.
[ M . B e a u z é e . )
( N . } N A Ï F , V E . adj. Caractère naïf; genr e
naïf ; f t y l e naïf.
L e N a ï f eft une nuance du N a tu re l, un Naturel
plus firople , plus négligé : c’eft le N aturel de l'enfance.
L e N aturel exclut la recherche & l ’affedation;
le N a ï f exclut toute efpèce de déguifement.
O n parle naturellement lorfqu’en exprimant fa
penfée ou fon fentiment, on ne s'occupe point du
choix de fes mots & de la tournure de fes phrafes.
On parle naïvement lorfqu'on énonce fa penfée
te lle qu’e lle naît dans l'e fp r it , & fans s’embar-
raffer h la manière dont on l'exprime ne bleffe
pas le gou.t, le s convenances, on fon propre in térêt.
L a N a ïv e t é confifte même principalement à dire
ce qu’on auroit quelque raifon de taire; elle fup-
pcfe en général ou l ’ignorance , ou l ’oubli momentané
de quelques, convenances. & de l ’ufage du
monde.
L'ingénuité fe rapproche beaucoup de la N a ïv e t é ;
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mais la première ferrible s’unir à une forte de no-
bleffe de grâce ; la N a ï v e t é eft quelquefois
ridicule. L e rôle de Z a ïre eft ingénu ; celui d’Agnès
eft n a ï f .
L e ftyle n a ï f , dans les ouvrages, peut fe prendre
en deux fèms. Un auteur eft n a ï f , lorfque, comme
J o in v ille , par exemple , iL racontera des faits
avec des circonftances minutieufes , quelquefois
même puériles, mais qui donnera â fon récit un
air de vérité qu’on aime & qui infpire la confiance*
L e N a ï f de La Fontaine eft toute autre chofe ; ce
n’eft que l ’imitation du N a ï f , mais une imitation
plus piquante que la vérité même ; ce n’eft pas
fans y longer , niais par l ’effet d’un art profond,
comme d’un fentiment exquis, qu’ i l fait parler
avec tantde N a ï v e t é Jeannot L a p in , Margot la Pie ,
8c Robin Mouton.
Quand on parle de la N a ï v e t é d'Amyot & de
Monta igne, c e ft peut-être un abus de mots ; ces
deux écrivains n’étoient pas n a ï f s pour leurs contemporains
: la vétufté de leur langage en fait la
N a ï v e t é ; 8c peut-être qu’un jour le ftyle de F é -
nélon fera n a ï f p o m nos defcendants, comme celui
d’Amyot l ’eft devenu pour nous.
M. de Fontenelle difoit un jour devant une
femme d’efprit : J e m é f o u v i e n s d ’ a v o i r é c r i t q u e l q
u e p a r t , & j e n e m ’ e n r e p e n s p a s , q u e le.
N a ïf n ’ e f t q u ’ u n e n u a n c e d u B a s . — V o u s ê t e s
b ie n e n d r o i t , lui répondit cette femme , d e n e
p a s c r o ir e a u f e u l g e n r e d ’ e f p r i t q u i v o u s - m a n q
u e .
M . de Treflan a rapporté cette - anecdote dans
fes E x t r a i t s d e r om a n s d e c h e v a le r ie . M. G a illard
, en rendant compte de. cet ouvrage dans le
J o u r n a l d e s S a v a n t s ( A v r i l 17.81 ) , a fait fur
le genre n a ï f quelques réflexions qui nous paroifo
fent pleines de goût & de raifon. Après avoir très?
bien obfervé que , lorsqu'un homme d’un efprit fu -
périeur paroît dire.une abfurdité , i l ne faut pas
fe le tenir pour dit ni le prendre au m o t , comme
fi c’étoit un homme vulgaire qui dît une fottife 5
i l avoue qu’i l trouve un fens très-raifonnable à l a
propofition de Fontenelle, quoique le fens n’en foit
pas dèvelopé ; & i l ajoute :
« Ceci tient â quelques idées qu’il faut reprendre
de plus haut. Les rbéteuES diftinguent-, avec: raifon ,
le fublime & lé ftyle fublime; le fublime eft ce
qu’il y a de ■ plus noble & de plus parfait dans
l ’éloquence de l’âme ; c’eft le qu’iZ m o u r û t , &
d’autres traits femblables qui étonnent & tranjportent ;
le ftyle fublime , au contraire , peut quelquefois
ennuyer par la pompe- même & par la monotonie*
11 faut distinguer de même 11 N a ï f 8c le ftyle n a ï f ;
rien de plus aimable qu’un beau trait de N a ï v e t é ,
qu’un fentiment n a ï f qui s’échape d’un coeur trop
plein , & qui prévient toutes les-réflexions ou1 quî
contrarie tous les projets; fans parler ici de tant
d e N a ï v e t é s d’Agnès dans Y E c o l e d e s f e m m e s ,
qui font toutes pu piquantes ou touchantes 5 faiv?
N A ï
parler de toutes les N a ï v e t é s qui appartiennent à
fa Comédie , à la F ab le , au Con te, & aux autres
genres plaifants ; le N a ï f fait quelquefois de grands
effets dans la T ragédie même ; 8c cette réponfe admirable
d’Hermione ,
Ah ! falloit-il en croire une amante infcnfée?
n’eft peut-être qu’une N a ï v e t é fublime. C ’en eft une
au moins bien aimable & bien placée que cette réponfe
de Zaïre à Orofmane ;
Me trahit-on J parler. — Eh! peut-on vous trahir?
»U n hibernois, nourri de fyllo g ifmes, & fans
aucune idée du langage des pallions & du 'fentiment,
pourroit trouver que Zaïre ne raifonne pas
félon les lois ftrictes de la Logiqu e ; qu’elle conclut
du particulier au général ; 8c que , de ce qu’elle
ne fe lent aucune difpofition à trahir Orofmane ,
il ne s’enfuit pas que d’autres ne puiffent le trahir :
mais un homme de g o û t , & qui connoît le coeur
humain, fent que Z a ïre , remplie de fon amour;
ne peut pas feulement concevoir l ’ idée que d’autres
puiffent haïr fon amant, & qu’en un mot le cri
de fon coeur doit être : E h ! p e u t - o n v o u s t r a h i r ?
Lorfque Joas dit à Athalie ;
Quel père
je quitterois ! & pour ■ . .
A t h a l i e .
Eh bien?
J o a s .
Pour quelle mère 1
c’ eft l ’indignation, fufpendueun moment, qui éclate
tout à coup par un trait n a ï f - dont l ’effet eft terrible.
Lorfque Mérope vent perfuader à Polifonte
qu’Égifte eft lui -même le meurtrier d’Égifte , &
lorfqu’au premier emportement du tyran contre ce
jeune homme qui le bra&e, elle.s’écrie;
Eh ! feigneur, exeufez fa jeuneffe imprudente ;
Élevé loin des Cours & nourri dans les bois , Il ne fait pas encor cé qu’on doit à des rois :
cet oubli a fon ftratagême : ce befoin d’exculer
fon fils , cet élan de la tendreffe maternelle qui
oublie tout & fe précipite dans le danger qu’ elle
veut fuir , eft un chef-d’oeuvre de fituatipn dramatique
; & un magnifique exemple des effets d’un
mouvement n a ï f dans la Tragédie.
L e conte de L a m a u v a i f e m è r e , de M. Mar-
montel, peut paffer pour une petite tragédie morale.
Jacquot ( c’eft le fils maltraité ) entre dans
la chambre de fa mère malade ; c e lle - c i, toujours
oceupée du fils préféré qui la néglige , même dans
Sfa maladie , fe flatte de l ’elpérance que c’eft lui ue la tendreffe & le devoir ramènent auprès d’elle.
f t - ç e vous mon F i l s ? dit-elle d’une voix foibie.
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L a répohfe, N o n , M a m a n , c ’ e f t J a c q u o t , eft un
trait aufli profond que n a ï f , qui perce le coeur de
cette mère iivjcrfte.
Encore un coup , croit-on que M. de Fontenelle
ne fentît pas ou n’eût pas fenti le mérite de pareils
traits ? Croit-on qu’i l y trouvât quelque nuance du
Bas ?
D e quoi a-t-il donc parlé ? Du ftyle n a ï f i de
ce ftyle qui étoit celui de tous les anciens livres
indiftinéfcement , lors même qu’ils traitoient des
objets les plus contraires à la N a ï v e t é ; ftyle qui y
par le contrafte du ton & des choies , devenoit (ou-
vènt niais & bas. Voyons le paffage entier de M. de
Fontéhelle.
« Nous avons des idées nobles de Dieu & de
» la R e lig io n , ou du moins nous favons que nous
» ne devons pas nous arrêter aux idées foibies 8a
» peu élevées que notre efprit s’en fait fouvent
» malgré nous ; 8c nous remettons ces' objets dans
» une. incompréhenfibilité majeftueufe, plus digne
» d’eux que toutes nos idées. Mais les fiècles de
» nos pères, plongés dans une épaiffe ignorance ,
» inftruits feulement par des moines mendiants ,
» n’avoient garde de prendre fur la Religion des
» idées nobles & convenables. Jetez l ’oe il fur les
» images & les peintures de leurs églifes ; tout
» cela a quelque chofe de bas & de mefquin , q ui
» repréfènte le caractère de leur imagination : leur
» manière de penfer étoit la même que leur ma-
» nière de peindre. Les livres de ces temps-là, je
» parle des meilleurs, ont allez de bon fens, beau-
» coup de N a ï v e t é ,p a r c e q u e le Naïf«?/? u n e n u a n c e
» d u B a s , prefque jamais d’élévation. Peintures, l i -
» vres, bâtiments, tout fe reffemble ».
Quand cette propofition eft ainfi dans fon cadre y
non feulement e lle ne révolte pas, mais elle nous
paroît énoncer une vérité manifefte. Avant que
l ’Académie françoife eût été inftituée pour v eiller
fur le dépôt de la langue; avant que tant de grands
écrivains du fiècle de Louis X I V , au concours
defquels cet établiffement n’a pas peu contribué ,
euflent donné à la langue l ’empreinte de leurs
divers génies ; cette langue n’avoit qu’un feul caractère
, la N a ï v e t é : cette N a ï v e t é s'ap p liq u ât à
tou t; elle embellifloit les fujets affortis à fon ton y
e lle dégradoit les fujets nobles.
Lorfqu’un vieux poète , traduifant les pfeaumes 8c
fefant parler le Seigneur qui entroit en colère contre
les juifs , lui faifoit dire ;
Contre ce peuple furieux
Je jetterai mes fouliers vieux :
affûrément la nuance du Bas étoit un peu forte.
L ife z la Satyre Ménippée , ouvrage utile dans
fon temps 8c qui a fait révolution dans les idées
politiques ; vous trouverez, dans les-meilleurs morceaux,
de l ’e fp r it , du fàrcafme, une gaieté pi quant Ç 4
& une N a ïv e t é b z t t ç » *