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Profondément ému , fai moment pénétré,
Dans l’enceinte facrée à peine eft-il entré ,
Le Refpeâ: l’environne. On i’obfcrve en liience,
Et d’un juge en fes mains on croit voir la balance*
Loin de lui l ’Impofture & fon raafque odieux.
Loin de lui les détours d’un art inudieux.
Il ne va point du ftyle. emprunter la magie : Précis avec clarté, (impie avec énergie,
I l arme la Raifon de traits étincelants.
I l les rend à la fois lumineux & brûlants;
E t G , pour triompher, fa caufe enfin demande
Que fon âme au dehors s’ exhale & fe répande,
A ces grands mouvements on voit qu’il, a cédé
Pour obéir au dieu dont il eft pofledé :
3 a voix eft un oracle ; & ce grand caraâère
Change l’art oratoire en un faint miniftère.
II. Talents de Y Orateur. Les talents'font des dons
naturels , relatifs â certains objets. Selon l ’objet,
cette aptitude tient plus ou moins aux dilpofitions
d-u corps, de l ’e fp rit, ou de l ’âme. L ’élégance des
formes , l ’agilité , la force , la foupiefTe des mouvements
, S i la juftefîe de l ’oreille forment le talent
de la Danfe : la fenfîbilité l ’anime , la grâce
le perfectionne. L e talent du Chant fe compofe de
la beauté de la voix , de la juftefle de l ’o r e i lle ,
& de la fenfîbilité de l ’âme. Ce lu i de . la Poéfîc
eft le réfultat de tous les dons de l ’âme & du
génie ; & une oreille délicate & jufte eft la feule
des qualités phyfiques qu’i l exige effenciellement.
L e comédien eft l ’extérieur du poète : fon talent
eft de s’identifier avec lui , de £e pénétrer de fon
âm e , & de lui prêter tout le charme de la parole
& de l ’aÇtion. Ain fi, la beauté, la décence , la vérité
de l ’expreflion., loit dans la voix , foit dans
le g e f te , foit dans le langage muet des ieux & des
Jraits du vifage , une extreme facilité à s’affe&er
du caractère & des fentiments qu’i l exprime, une
mobilité d’âme & d'imagination qui fe prête rapidement
à toutes les métamorphofes de l ’imitation
théâtrale : voilà ce que l ’adeur met du fiçn dans fa
fociété de talents àveç le poète.
O r l 'Orateur eft fon aCteur lui-même : i l doit
donc réunir, en qufelque forte , le poète & le comédien
; penfer , fgntir, imaginer , inventer, dif- fo fe r, produire comme l ’u n , & repréfenter comme
autre. N o n en irn i n v e n t e r , a u t c o m p e f i t o r , a u t
ff-clo r } h oe c , c o m p l e x e s e f t o m n i a . ( Orat.) A in fî, du
côté de l finventeur & du çompofîteur, un efprit ja t t e ,
étendu , pénétrant, mobile à volonté, une conception
vive 8ç prompte, une imagination forte, une mémoire
.docile 8ç litre , une profonde fenfîbilité, une élocution
çorrede , pure, élégante, fa c ile , & noble j
du côté de fa d e u r , une figure au moins décente ,
un vifage docile à tout exprimer, un regard où
le peigne l ’âme , une adion mélée de grâce &
4e dignité , une voix jufte , flexible , 8c fonore
une articulation diftinde; enfin cet accord , cet
Cnfemble qui rend harmonieufe , eipreflive , é l o -
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q u e n te , tou te l ’habitude du corps : v o ilà ce qu i doit
concourir à forme r VOrateur, fi l ’ on v iu t qu ’i l
fo it a c com p li : 8c je n’ ai pas befoin de dire que
fî un t e l p ro d ig e eft rare , m êm e quand l ’exercice 8c 1 habitude ont pris l e p lu s grand foin de tout
perfec tion ner ; à plus fo r te railbn f e r o it - il au deflus
de tou te s le s forc es de la nature , fi ,1’ éd u c a tio n ,
l e t r a v a i l , & l ’ étude ne v e n d e n t p a s achever fon
o u v ra g e , & c o r r ig e r ou dé gu ife r ce qu’ e l l e a de
défectueux. , :
.Avouons cependant qu’ une p a rt ie de ces talents
défirables dans Y Orateur, lu i fon t p lu s ou moins
n5ceflaires , fé lo n le s lie u x , les temps , l e genre
d É lo q u e n c e , 8c l e ca rad è r e de l ’au dito irç . O n peu t
v o ir en effe t que p ou r un p e u p le aufli d é lica t que
le s g r e c s , aufli l é g e r , aufli f r iv o le , aufli dominé
par le s fe n s , aufli paflionnément épris du beau dans
tous le s genres , l e forids de l ’E lo q u e n c e n’ é to it que
l ’a c ce flo ire , 8c la forme é to it l ’e fle n c ie l. L e s athéniens
v o u lo ie n t bieji s’ o ccupe r du v r a i , da ju fte ,
de l ’honnête , des intérêts de le u r lib e r t é , de -leur
g l o i r e , & de le u r fa lu t : mais i l s v o u lo ie n t s’en
occupe r en s’am u fa a t; & l a tribune é to it comme
un théâtre , o ù , p ou r cap tive r l ’âm e , l ’e f p r i f , 8c la
raifon , i l f a l lo i t charmer le s o r e i lle s & ne pa s
offenfer le s ieu x :ruptum audire & eNleighailn sut pojjent nifi incor- . ( O r a t . )
L e s rom a in s , q u o iq u e bien p lu s ! gra v e s 8c bien
moins curieux des chofes d’a g r ém en t , p o r toien t c e pendant
au forum ûne grande le v é r ité de g o û t p o u r
la pureté du la n g a g e , & une o r e i lle très-fenfible
aux beautés de l ’é lo cu tio n . C ’ é to it moins l a g râ c e
que l a décence qu’i ls e x ig e o ien t dans Y Orateur»L e moindre o u b li des bienféances é to it funefte à
c e lu i qu i s’ en é c a r to it; & l a fa g e ffe de Y Orateur
ecoftn Efilfotoqiut eàn tinoee rien dire que de con v en ab le . Sed , Jicut reliquarum rerum, funda- mtioennteu,m n fiahpili eenftti a.d iTjfJitc eilniuims iqnu avmit â,q ufiied ind eocreaa.t- vviidtaere . Hujus ignoratione , non modo in , Jed ftepijfime 6* in poematis & in ora- tione peccatur. Eft autem, quid deceat , O r a -
teotirai mv iidne nvdeurbmis ., Nnoonn einnim f eonmtennitsi iJso rfotulnuam, Jed omnis honos , non cetas , non omnis aucloritas , non omnis omni s, , neeocd evmer oa ulot cvuesr,b aourut mt egmenpeurSe, aturat calaunddituost eft aut fententiarum . . . Quam indecorum eft , adem fptillijlfiicmidisii sv eqrubuism a&p uldo cuisn umut ij udciocmemm undiibcaass ;, de majeftatepopuli romanifummifsè & fubtiliteri ( O r a t . )
En g é n é r a l , moins l a matière de l ’É lo q u e n c e
eft g rav e & moins l ’auditoire en eft o c c u p é , p lu s
la forme en doit être ornée & l ’ exté rieu r agréable*
D e là v ien t q ue c e lle des fophiftes é to it fi cù -
rieufement t ra v a illé e : de là v ien t que de Amples
harangues e x ig en t un f ty le fleuri & une b e lle pron
onciation : de là v ien t que des oraifons funèbres
doivent r e l e v e r , a g ra n d ir , décorer leu r i u j e t , fou-*
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vent futile & v a in , de toute les pompes de l ’É lo quence.
Mais dans un difçours où la Religion annonce
des vérités terribles ; dans un confeil national, où
s’agitent les grands intérêts de l ’Éta t; dans un barreau
, o ù , devant des juges efetaves de la l o i , on
plaide pour l ’honneur , pour la fortune, ou pour
la vie d’un citoyen ; les aecefloires cèdent au fonds : .
la forme extérieure de l ’Éloquence , le ftyle ,
l ’élocution , l ’a&ion de Y Orateur ne font plus
de la même importance; & celui qui a le talent
d’inftruire , de prou ve r, d’émouvoir , n’a .plus befoin
des dons de plaire. Peut-être même un air
auftère , inculte , & négligé , eft-il ce qui convient
le mieux à un Orateur des Communes, comme à
un bon millionnaire ; & partout, même fous les
plus belles formes de la diétion & de l ’aétion ,
le premier attribut de l ’Éloquence & le plus eflen-
e i e l , c’eft l ’air de vérité. Rien n’eft peifuafif que
ce qui paroît naturel.
III. Études de l’Orateur. Chez les anciens ,1a qualité
la plus recommandable d’un homme d’État
étoit d’être éloquent; le premier foin d'un homme
éloquent étoit de fe rendre homme d’É ta t , de s'instruire
profondément de la conftitution, de l ’admi-
niftration , des intérêts de la République. Voye\D élibératif. l ie n eft de même aujourdhui dansle
feul pa ys de i ’Europ.e où l ’Éloquence républicaine
fafle encore entendre fa voix.
Partout ailleurs la Politique eft interdite. à
PÉloqaenee. Dans la chaiie, une morale religieufe,
& quelquefois le dogme ; dans le barreau, l e droit
civil , & auxiliaire ment le droit naturel , font ,
quant au fonds', l ’objet de l ’Éloquence & des études
de Y Orateur : & fi de.bonne heure i l ne s’eft pas
abreuvé à ces fources , s’i l n’en eft pas profondément
imbu , i l fera toute fa vie aride & haletant
apr.ès les connoiflances eflencielles à fon art.
L e premier travail de Y Orateur chrétien doit
être la ledfure bien méditée des livres faints : le
premier travail de l ’avocat doit être l ’étude des
lois ; & pour l ’un & l ’autre la meilleure méthode
eft de fe faire , par des extraits, une mémoire artificielle
, pour y recourir au befoin. : ce fera pour eux
le fil du labyrinthe : fans cela ils feront fans cefle
errants & fatigués de rechérches infrudlueufès ; &
fi les tables que l ’on a faites pour favorilèr la
parefle , leur facilitent ce tra v a il, au moins ne
rémédieront-elles pas à la ftérilité d’une tête vide
& toujours en défaut dans les cas imprévus & les
befoins prefîants.
Après ces études, qui font la bafe des connoif-
fances de YOrateur, vient ce lle des modèles de
l ’art & des écrivains analogues au genre d’É lo -
quence auquel on fe deftine. Voye\ R hé t orique
, C haire, Style , &c.
Mais une étude non moins eflenciclle , quoique
moins propre à YOrateur , eft ce lle de l ’homme
& des hommes. Car c’eft toujours de l ’homme
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q u i l s’a g i t , & c’eft toujours av ec des hommes 8c
devant des hommes qu ’on p a r le . L e s faits , le s
c h o fe s , tou t prend fon ca ractère , ou de fes r e la tions
a v e c l ’homme de tous le s lie u x & de tous
le s temps , ou de fes rela tion s a v e c l ’ homme de t e l
temps üc de t e l l e fo c ié té , dans t e l l e ou t e lle condition
de l a v ie , ou de fes re la tion s a v e c t e l
h om m e en p a rt icu lie r & dans t e l l e p o fition .
L a P h ilo fo p h ie m o ra le embrafle le s p lu s étendus
de ces ra p p o r t s , & C ic é ro n l ’a p p e l le la nourr
ic e de l ’É l oquence : Quafi nut rix O ra to n s . O n
diftingu era toujours l e d ifc ip le des p h ilo fô p h e s à
l&’a bqounadfain fcye lvdae fdeisc emndoiy ednusc. laO mabn iisl liesn iemjl .ubertas O n l e
diftinguera furtou t à la nette té , à l a précifion ,
à l ’ordre , à l ’ étendue , au d è v e lo p em en t de fes
gideéneus s : &N efcp evceireom f incuej upfhqiuloef orpehi orcuermn erdeïfciplinâ éam definiendo explicare , ne que pojfumus ; nec judicare ,q unoeec vtreirbauere in panes fint ; neque cernere confequentia , quoe falfa videre , repugnantia turâ r e, raummbigua diftin^uere. Quid dicam* de nar- ? ( & i l s a g i t des chofes m o ra le s ) de vitâ , de ofjiciis , de virtute , de moribus•
( O r a t . )
C ’ eft l ’ex ercice de l ’efp r it fur ces idées univ er-
fe lle s que C ic é ro n c om p a r e , dans l e jeune Orateur,
aux exercices de là p a ie ftre p ou r l e jeune com é dien
: Pojîtum fit igitur in primis fine Philofo- pnhoinâ unto ni np oejâfe teajfmicein q uoemmn iqau oefi rni mtus eloquentem ;juvet ùt palæftra hiftrionem. ( , fed ut fie ad- O r a t . ) E t c’eft là
v éritab lement ce qui donne à l ’É lo q u e n c e des mou veenmimen
tdse ligberneesr e& qdeu abmea udxe dpèavretleo pdeimfeeenpttsa.r eL alitciàets .
Mais i l ne faut pas fe tromp er à c e t a x iom e du
même Orateur: Ut quod in univerfo fit proba- tum , id in parte fit probari necejje. C a r i l a rrive
a f ie z fouv ent q ue le s g éné ralité s ne prou vent rien ,
& q u e le s circonftances qu i modifient la caufe t
la diftingu ent abfolument & la détachent de la
thèfe.
I l y a donc tous le s jours pour Y Orateur une
étude n o u v e lle à f a ir e , & c’eft la p lu s in d ifpen -
fab le. I l fem b le in u tile de dire q ue c’eft l ’étude
de la caufe ; & cependant on a eu befoin de la re commander
dans to u s le s temps. C ’ eft fur ce po int
q ue C icé ro n infifte. C ’eft de fa caufe , dit M a rc-
A n to in e , q ue YOrateur d o it fe rem p lir , fe p é nétrer
; c’eft la fource dx>ù c o u le ra l e fleuve de fon
É lo quence ; & en comp araifon de c e tte fou rce
p le in e & féconde , tous les lie u x communs des
rhéteurs ne fon t q ue de fo ib ie s ruifléaux.
M a is tou te caufe eft com p liq u é e de confidérat
io ns morales . A in f i , la grande étude & de l ’homme
& des hommes rev ien t fans c e fle & à tou s p ro p o s j
e l l e eft p e rp é tu e lle , e l l e eft inépuifab le ; & à
l 'é c o le de l ’humanité ,YOrateur l e plus confbmmé
a toujours des leçons à prendre. P~oye\ Rhétorique
8c Dé l ib é r a tiï.