
dérivés ; & racines élémentaires , les mots Amples à
l ’égard de leurs compofés.
Êclairciffons ces définirions par des exemples tirés
de notre langue. V o ic i deux ordres différents de
mots dérivés d’une même racine génératrice , d’un
même mot primitif deftiné en général à exprimer
ce fentiment de lam e qui lie les hommes par la
bienveillance. Les dérives du premier ordre fon t ,
amant, amour, amoureux , amoureufement, qui
ajoutent, à l ’idée primitive du fentiment de bienveillance
, l ’idée acceffoire de l ’inclination d’un fexe
pour l ’autre : & cette inclination étant purement
an imale, rend ce fentiment aveugle , impétueux ,
immodéré, &c. Les dérivés du fécond ordre fon t,
ami, amitié > amical, amicalement, qui ajoutent,
à l ’idée primitive du fontiment de bienveillance ,
l ’idée acceffoire d’un jufte fondement, fans diffraction
de fexe ; & ce fondement , étant raifonnable ,
rend ce fontiment éclairé > fage , modéré, & c. A in fi,
ce font deux pallions toutes différentes qui font
l ’objet fondamental de la lignification commune des
mots de chacun de ces deux ordres : mais ces deux
pallions portent l ’une & l ’autre fur un fentiment
de bienveillance , comme for une tige commune.
S i nous les mettons maintenant en p a ra llè le , nous
verrons de nouvelles idées acceffoires & analogues
modifier l ’une ou l ’autre de ces deux idées fondamentales
: les mots amant & ami expriment les
fujets en qui fo trouve l ’une ou l’autre de ces deux
pallions; amour & amitié expriment ces pallions
même d’une manière abftraite, & comme des êtres
réels; les mots amoureux & amical, fervent à qualifier
le fojet qui eft affe&é par l ’une ou par l ’autre
de ces pallions; les mots amoureufement, amicalement
, fervent à modifier la lignification d’un autre
m o t , par l ’idée de cette qualification. Amant
& ami font des noms concrets ; amour & amitié,
des noms abftraits ; amoureux & amical font des
adjectifs; amoureufement & amicalement font des
adverbes.
L a fyllabe génératrice commune à tous ces mots,
eft la lyllabe am, qui fo retrouve la même dans
les mots latins amator, amor, amatorius, ama-
toriè ; &c. . . . . amicus , amicè , amicitia, & c ,
& qui vient probablement du mot grec 07*«, unà ,
fim ul ,* racine qui exprime affez bien l ’affinité de
deux coeurs réunis par une bienveillance mutuelle.
Les mots ennemi, inimitié, font des mots compofés,
qui ont pour racines élémentaires les mots fimi & amitié, affez peu altérés pour y être recon-
noiffables, & le petit mot in ou en, qui, dans la
compofition, marque fouvent oppolition. V o y e r
P a r t i c u l e . Ainfi, ennemi lignifie l ’oppofé S ami ; inimitié exprime le fontiment oppofé à X amitié.
lien eft de même, & dans tonte autre langue, dé1
tout mot radical, qui , par fes diverfes inflexions
.ou par fon union à d’autres radicaux, fort à exprimer
les diverfes çombinaifons de l ’idée fondamentale
dont i l eft le lign e, avec les différentes idées accefo
foires qui peuvent la modifier ou lui être affociées.
I l y a dans ce procédé commun à toutes les langues
un art fïngulie r, qui eft peut - être la preuve la
plus eomplette qu’elles defcendent* toutes d’une
même langue', qui eft la fouche originelle ; cette
fouche a produit de premières branches , d’où d’autres
font foities & fo font étendues enfoite .par
de nombreufes ramifications. C e qu’i l y a de"différent
d’une langue à l ’autre , vient de leur divifion
même , de leur diftinéfron, de leur diverfîté : mais
ce qu’on trouve de commun dans leurs procédés
généraux, prouve l’unité de leur première origine.
J’en dis autant des racines, foit génératrices foie
élémentaires , que l ’on retrouve le s mêmes dans
quantité de langues, qui femblent d’ailleurs avoir
entre elles peu d’analogie. Tout le monde fait à
cet égard ce que les langues grèque, la t in e , teu-
tone , & ce ltiqu e, ont fourni aux langues modernes
de l ’Europe , & ce que celles -ci ont mutuellement
emprunté les unes des autres ; & i l eft confiant que
l ’on trouve dans la langue des tartares , dans celle des
perlés & des turcs, & dans l ’allemand moderne, plu-
fîeurs radicaux communs.
Quoi qu’i l en fo i t , i l réfolte de ce qui vient
d’être d i t , qu’i l y a deux elpècés générales de Formation
qui embraffent tout le fyftême de la génération
des mots ; ce font la compofition & la dérivation.
L a Compofition eft la manière de faire prendre
à un m o t , au moyen de fçn union avec quelque autre,
les formes établies par l ’ufage pour exprimer les
idées particulières qui peuvent s’affocier a ce lle dont
i l eft le type.
L a Dérivation eft la manière de faire prendre à
un mot , au moyen de fes diverfes inflexions , les
formes établies par l ’ufage pour exprimer les idées
acceffoires qui peuvent modifier c elle dont i l eft le
type-
O r deux fortes d’idées acceffoires peuvent modifier
une idée primitive : les unes, prifes dans
la chofe même, influent tellement fur c e lle qui
leur fort en quelque forte de bafe , qu’elles en font
une toute autre idée ; & c’ eft à l ’égard de cette
nouvelle elpèce d’idée que la première prend le
nom dé P r im itiv e : telle eft l ’idée , exprimée par
canere, à l ’égard de celles exprimées par cantare
cantitare, canturire. Canere préfonte l ’aélion de
chanter, dépouillée de toute autre idée acceffoire;
cantare l ’offre avec idée d’augmentation ; cantitare
, avec une idée de répétition ; & canturire ,
préfente cette aéfron comme l ’objet d’un défir vif.
Les autres idées acceffoires qui peuvent modifier
l ’ idée primitive, viennent, non de la chofe même ,
mais des différents points de vue qu’envifage l ’ordre
de l ’énonciation; en forte que la première idée
demeure au fond toujours la même : elle prend
a lo r s , à l ’égard de ces idées acceffoires, le nom
ÿïdée principale : telle eft l ’idée exprimée par
canere,
canere, qui demeure la même dans la lignification
des mots ca n o , canis-, c a n it , canimus, can itis ,
canitnt,: tous cés mots ne diffèrent entre eux que
par les idées acceffoires des perfonnes & des nombres.
Voye-{ P ersonne & Nombre. Dans tous ,
l ’idée principale eft celle de l ’aélion de chanter
préfentement. T e lle eft encore l ’idée de l’aCtion de
chanfer attribuée à la première, perfonne, à la
perfonne qui parle; laquelle idée eft toujours la
même dans la lignification des mots cano , canam ,
canebam , cane rem', cé c in i, cecineram, cecinero ,
cecinijfem ; tous ces mots ne diffèrent entre eux
que par les idées acceffoires des temps. V'oye^
T emps.
T e l le eft enfin l ’idée de chanteur de p rofeffion ,
qui fo retrouve la même dans les mots cantator ,
' cantatoris , ca n tà to r i, cantatorèm, cantatore ,
cantatores, cantatorum , cantAtoribus ; lefquels
ne diffèrent entre eux que par les idées acceffoires
des cas & des nombres. Voye\ C as & Nombre.
D e cette, différence d’idées acceffoires naiffent
deux fortes de dérivation : „Tune , que l ’on peut
appeler philofophique, parce qu’elle fort à l ’ex-
preflion des idées acceffoires propres à la nature
, de l ’idee primitive, & que la nature des idées eft
du reffort de la Philofophie ; l ’autre, que l ’on peut
nommer grammaticale , parce qu’elle fort à l ’ex-
preflîon des points de vue exigés par l ’ordre de l ’énonciation
, & que ces points de vue font du reffort de la
Grammaire.
L a dérivation philofophique eft donc, la manière
de faire prendre a un mot , au moyen de fes diverfes
inflexions, les formes établies par l ’ufage
pour exprimer les idées acceffoires qui peuvent
modifier en elle-même l ’idée primitive, fans rapport
à l ’ordre de l ’énonciation : ainfi , canta re ,.
cantitare, canturire, font dérivés philofophique-
ment de canere ; parce que l ’idée primitive exprimée
par canere y eft modifiée en elle-même &
fans aucun rapport a l ’ordre de l ’énonciation. F e li-
cior & feUciJfimus font auffi dérivés philofophi-
quement de f é l it e , pour les mêmes raifons.
L a dérivation grammaticale eft la manière de
faire prendre à un m o t, au moyen, de fes diverfes
inflexions, les formes établies par l ’ufage pour exf
rimer les idées acceffoires qui peuvent préfenter
idée principale fous différents points de vue relatifs
a l ’ordre de l ’énonciation : ainfi , canis , canit ,
canimu s, canitis , ca n un t, canebam, canebas ,
& c , font dérivés grammaticalement de -cano ; parce
que l ’idée principale exprimée par cano y eft modifiée
par différents rapports à l ’ordre de l ’énoncia-
■ tion , rapports de nombres , rapports de temps ,
rapports de perfonnes. Cantatoris , çantatori ,
cantatorèm,cantatores, cantatorum \ & c , font auffi
dérivés grammaticalement de cantator ,^0x11 des rai-
fons toutes pareilles.
Pour la facilité du commerce des idées & des
fsitvices mutuels entre les hommes , i l feroic à
, Gr a m m . e t L i t t é r a t . Tome IL
défirer qu’ils parlaffent tous une même langue , &
que dans cette langue la compofition & la dérivation
, foit philofophique foit grammaticale, fuflent
affujetties a des règles invariables & univerfelles :
l ’ étude de cette langue fo réduiroit alors a ce lle
d’un petit nombre de radicaux, des lo is de la F or-
mation , & des règles de la Syntaxe. Mais les diverfes
langues des habitants de la terre font bien
éloignées de cette utile régularité : i l y en a cependant
qui en approchent plus que les autres. oye%
Samskret.
Les langues grèque & latine , par exemple, ont
un fyftême de Formation plus méthodique & plus
fécond que la langue françoife, qui forme Tes dérivés
d’une manière plus coupée, plus embarraffee,
plus irrégulière, & qui tire de fon propre fonds
moins de mots compofés que de celui des langues
grèque & latine. Quoi qu’i l en foit , ceux qui
défirent faire quelque progrès dans l ’étude des langues,
doivent donner une attention fînguiière aux
Formations des mots : c’ eft le foui moyen- cPeri
cohnoître la jufte v a leu r , de découvrir l ’analogie
philofophique des- termes / de pénétrer jufqu’i la
raécàphyfîque des . langues , & d’en démêler le caractère
& le génie ; connoiffances bien plus folides
& bien plus précieufes que le fférile ^avantage d’en
pofféder le pur matériel, même d’une manière
imperturbable. Pour faire fentir la vérité de ce
qu on avance i c i , nous nous contenterons de jeter un
fimple coup d’oeil for l ’analogie des Formations
latines ; & nous fommes surs que c’eft plus qu’i l
n’en fau t , non feulement pour convaincre les bons
efprits de l’utilité de ce genre d’étude, mais encore
pour leur en indiquer en quelque forte le p la n ,
les parties , les fources même , les moyens , &
la fin.
I l faut donc obferver i ° . que la compofition & la
dérivation' ont également pour but d’exprimer des
idées acceffoires ; mais que ces deux efpèces de Formations
emploient 'des mqÿens différents & en un
fens oppofés.
Dans la compofition, les idées acceffoires s’expriment
, pour la plupart, par des noms ou des
prépofitions qui fo placent à la tête dir mot primitif
; au lieu que dans la dérivation elles s’expriment
par des inflexions qui terminent le mot primitif.
F id i-c en , tibi - cinium , vati - cinari , vati-
çinatio ij-.u-dex, ju-dicium , ju -d ica r e , ju -d ica tio ,*
parti-ceps,parti-cipium, parti-cipare, parti-cipatio ;
ac-rcinere, con-cinere,in-cinere, intercinere; ad-dicere,
con-dicere , in-dicere, inter-dicere ; ac-cipere, con-
cip e r e , in -c ip e r e , inter - cipere : voilà autant de
mots qui appartiennent à la compofition. Canere ,
c a n a x , cantio , cantus , can tor, cantrix , cantare
, cantatio , cantator , ca n ta tr ix , cantitare ,
canturire , cantillare ; dicere, dieux , d icacitas,
diclio , diclum , diclor, diclare , diclatio , dicta-
tor , d ic la tr ix , d ié ïatu ra, diclitare , diclurire ;
capere -, capax , capacitas , capeffere, ca p tio ,
captus , captura , capture , ca p ta tio , ca pta to r ,