des ; veiller fur les grandes 6c petites chofes , tout
•reformer & tout faire ; c’eft ce qu’on trouva dans
Henri. Il joignit l’adminiftration de Charles le Sage
;i la valeur & à la franchife de François I. 6c à la bonté
-de Louis XII.
Pour fubvenir à tant de befoins, Henri IV. convoqua
dansRouenune affemblée des notables du royau*
m e , & leur tint ce difcourS digne de l’immortalité
, 6c dans lequel brille l’éloquence du coeur d’un
liéros :
» Déjà, par la faveur du ciel, par les confeils de
» mes bons ferviteurs , 6c par l’épee de ma brave no-
>» blefl'e dont je ne cliftingue point mes princes, la qua-
» lité de gentilhomme étant notre plus beau titre ,
>> j’ai tiré cet état de la fervitude 6c de la ruine. Je
» veux lui rendre fa fortune 6c fa fplendeur ; partici-
» pezà cette fécondé gloire, comme vous avez eu part
» à la première. Je n’ai vous ai point appellés, comme
» faifoient mes prédéceffeurs, pour vous obliger d’ap-
» prouver aveuglément mes volontés, mais pour re-
» cevoir vos confeils , pour les croire, pour les fui-
>» vre , pour me mettre en tutelle entre vos mains.
» C’eft une envié qui ne prend guere aux rois , aux
» viftorieux 6c aux barbes grifes ; mais l’amour que
» je porte à tous mes fiijets, me rend tout poflible 6c
» tout honorable».
Au milieu de ces travaux 6c de ces dangers continuels
, les Efpagnols furprirent Amiens. Henri, dans
ce nouveau main eur, manquoit d’argent 6c étoit malade.
Cependant il aflemble quelques troupes, il
marche fur la frontière dé Picardie, il revoie à Paris,
écrit de fa main aux parlemens, aux communautés,
pour obtenir de quoi nourrir ceux qui défendoitnt L'état :
ce font fes paroles. Il va lui-même au parlement de
Paris : « Si on me donne mie armée , dit-il, je don-
» nerai gaiement ma vie pour vous fauver 6c pour
» relever l’état ».
Enfin, par des emprunts , par les foins infatigables
6c par l’économie du duc de Sully, fi digne de le fer*
v i r , il vint à bout d’affembler une floriffante armée.
Il reprit Amiens à la vue de l’archiduc Albert, 6c delà
il courut pacifier le refte du royaume, à quoi il
ne trouva plus d’obftacle. Le pape qui lui avdit re-
fufé l’abfoluticn , quand il n’étoit pas affermi, la lui
donna quand il fut victorieux. Il conclut à Vervins
la paix avec l’Efpagne , 6c ce fut le premier traité
avantageux que la France fit depuis Philippe-Au-
gufte.
Alors il mit tous fes foins à faire fleurir fôn royaume,
& paya peu-à-peu toutes les dettes de la consonne,
fans fouler les peuples. La juftice fut réformée
; les troupes inutiles furent licenciées ; l’ordre
dans les finances fuccéda au plus odieux brigandage ;
le commerce 6c les arts revinrent en honneur. Henri
IV. ^établit des manufactures de tapifferies , 6c de
petites glaces dans le goût de Venife. Il fit creufer le
canal de Briare, par lequel on a joint la Seine & la
Loire. Il aggrandit 6c embellit Paris. Il forma -la place
royale : il fit conftruire ce beau pont-, où les peuples
regardent aujourd’hui fa ftatue avec tendreffe. Il
augmenta S. Germain , Fontainebleau, 6c fur-tout
le Louvre oh il logea fous cette longue galerie qui
eft fon ouvrage, des artiftes en tout genre. II eft encore
le vrai fondateur de la bibliothèque royale 6c
en donna la garde àCafaubon, en lui difant : « Vous
» me direz ce qu’il y a de meilleur dans tous ces
» -beaux livres ; car il faut que j’en apprenne quelque
» chofe par votre fecours ».
Quand dom Pedre de Toiede fut envoyé par Philippe
III. en ambaffade auprès de Henri , il ne reconnut
plus cette ville qu’il avoit vue autrefois fimal-
heureufe 6c fi languifl’ante : « C’eft qu’alors le pere
» de famille n’y étoit pas , lui dit Henri, 6c aujour-
» d’hui qu’il a loin de lés enfans, ils prolperent ». Les
jeux , lés fêtes, les bals , les ballets introduits à la
cour par Catherine de Médicis dans les tems même
de troubles, ornèrent fous Henri IV. les tems de la
paix 6c de la félicité.
En faifant ainfi fleurir fon royaume, il fiit le pacificateur
de l’Italie. Le Béarnois, que les papes avoient
excommunie, leur fit lever l’excommunication fur
Venife. Il protégea la république naiffante de la Hollande
\ l’aida de fes épargnes, 6c contribuai la faire
reconnoître libre 6c indépendante par l’Efpagne. Déjà
, par fon rang , par fes alliances, par fes armes, il
alloit changer le fyftème de l’Europe , s?en rendre
l’arbitre 6c mettre le comble à fâ gloire, quand il fiit
affaflïné au milieu de fon peuple par un fanatique
effréné , à qui il n’avoit jamais fait le moindre mal.
Il eft vrai que Ravaillac, qui trancha les jours de ce
bon ro i, ne fut que l’inftrument aveugle de l’efprit
du tems qui n’étoit pas moins aveugle. Barrière, Châ-
t e l, le Châtreux nommé Ouin, un vicaire de $. Ni-
colas-des-Champs pendu en 15 95 , un tapiflier en
1596 ? un malheureux qui etoit ou qui contrefaifoit
l’infenfé , d’autres dont le nom m’échappe, méditèrent
le même affaflïnat : prefque tous jeunes gens &C
tous de la lie du peuple , tant la religion devient fureur
dans la populace 6c dans la jeuneffe ! De tous
les affaffms que ce fiecle affreux produifit, il n’y eut
que Poltrot de Méré qui fut gentilhomme.
Quelques auteurs le font appliqués à exténuer les
grandes a fiions de Henri IV. 6c à mettre en vue fes
défauts. Ce bon prince n’ignoroit pas les médifances
que l’on répandoit contre lu i, niais il en parloit lui-
même avec cette ingénuité 6c cette modération qui
confondent la calomnie 6c diminuent les torts. Voici
fes propres paroles tirées d’une de fes lettres à Sully.
» Les uns me blâment d’aimer trop les bâfimens 6c
» les riches ouvrages ; les autres la chaffe, les chiens
» 6c les oifeaux ; les autres les cartes, les dez & au-
» très fortes de jeux ; les autres les dames , les déli-
» ces & l’amour ; les autres les feftins, banquets, fo-
» piquets 6c friandifes ; les autres les affemblées , co-
» medies , bals , danfes , & courfes de bague , oii
» difent-ils pour me blâmer, l’on me voit encore
» comparoître avec ma barbe grife , aufïi réjoui, 6c
» prenant autant de vanité d’avoir fait un belle çour-
» f e , donné deux ou trois dedans ,6 c cela difent-ils
» en riant , 6c gagné une bague de quelque belle
» dame , que je pouvois faire en ma jeuneflè ; n’y
» que faifoit le plus vain homme de ma cour. En tous
» lefquels difeours je ne nierai pas qu’il n’y puiffe
» avoir quelque chofe de vrai ; mais auflï dirai-je que
» ne pafîant pas mefure, il me devroit plutôt être dit
» en louange qu’en blâme, 6c en tout cas me de-
» vroit-on exeufer la licence en tels divertiffemens
» qui n’apportent nul dommage 6c incommodité à
» mes peuples par forme de compenfation de tant
» d’amertumes que j’ai goûtées, 6c de tant d’ennuis,
» déplailirs, fatigues, périls 6c dangers, par lefquels
» j’ai paffé depuis mon enfance jufqu’à 50 ans.
» L’Ecriture n’ordonne pas abfolument de n’avoir
» point de péchés ni défauts , d’autant que tels infîr-
» mités font attachées à l’impétuofité 6c promptitude
» de la nature humaine ; mais bien de n’en être pas
» dominés, ni les laiffer regner fiir nos volontés, qui
» eft ce à quoi je me fuis étudié ne pouvant faire
» mieux. Et vous favez par beaucoup de chofes qui
» fe font paflees touchant mes maîtreflés [qui ont été
» les pallions que tout le monde a cru les plus puif-
» fantes fur moi] , fi je n’ai pas fouvent maintenu
» vos opinions contre leurs fantaifies jufques à leur
» avoir dit , lorfqu’elles faifoient les acariâtres, que
» j’aimerois mieux avoir perdu dix maîtreffes comme
» elles , qu’un ferviteur comme vous , qui m’étiez
» nécéflaire pour les chofes honorables 6c utiles ».
Ceux dont qui reprochent encore amèrement à
Henri IV. fes amours, ne font pas réflexion que fontes
fes foibleffes furent celles du meilleur des hommes
, 6c qu’aücune ne l’empêcha de bien gouverner.
On fait d’ailleurs que, dans plufieurs occafions, il
eut la force de fe démêler des piégés qu’on lui ten-
doit par de belles filles , dans le deffein de le fur-
prendre. Catherine de Médicis lui demandant à la
conférence de S. Brix ce qu’il vouloit. Il lui répondit
en regardant les filles qu’elle avoit amenées : IL
n y a rien là que je veuille , madame ; lui faifant. voir
par ce difeours qu’il ne fe laifferoit plus piper à de
femblables. appas.
Les deux femmes qu’il époufa fucceflîvement lui
cauferent bien des chagrins domeftiques. Sa fécondé
femme , Marie de Médicis , fut l’une des princeffes
contre lefquelles il avoit formé des obj eft ions , en
examinant avec Rofni quelle femme lui convien-
drôit. J’ai à citer là-deffus un fort long paffage ; néanmoins
je fuis affuré qu’il paroîtra court aux lefteurs
curieux , parce qu’il eft écrit d’une maniéré amu-
fante, 6c qu’il eft rempli d’idées fort folides de ce
prince fur le choix d’une femme. Voici donc ce qu’il
dit à ce fa vor i, Mé/n. de Sully, t. II. p. 112.
» De forte qu’il femble qu’il ne refte plus pour
» l’accompliffement de ce deffein, finon de voir.s’il
» y aura moyen de me trouver une autre femme fi
» bien conditionnée , que je ne me jette pas dans le
» plus grand des malheurs de cette v ie , qui eft, félon
» mon opinion, d’avoir une femme laide, mauvaife,
» 6c defpite , au lieu de l’aife, repos 6c contentement
» que je me ferois propofé de trouver en cette con-
» dition : que fi l’on obtenoit les femmes par fouhait,
» afin de ne me repentir point d’un fi hafardeux mar-
» ché , j’en aurois une , laquelle auroit entr’autres
» bonnes parties, fept conditions principales ; à fa-
» voir , beauté en la perfonne , pudicité en la vie ,
» complaifance en l’humeur, habileté en l’efprit, fé-
» condité en génération , éminence en extraftion ,
» 6c grands états en poffeflion. Mais je crois, mon
» ami, que cette femme eft morte, voire peut-être
» n’eft pas encore née , ni prête à naître ; 6c partant
» voyons un peu enfemble , quelles filles ou femmes
» dont nous ayons ouï parler feroient à defirer pour
» moi, foit dehors, foit dedans le royaume.
» Et pour ce que j’y ai déjà, félon mon avis , plus
» penfé que vous , je vous dirai pour le dehors que
» î’infante d’Efpagne, quelque vieille 6c laide qu’elle
» puiffe être, je m’y accommoderois, pourvu qu’a-
» vec elle j’époufaffe les Pays-Bas, quand ce devroit
» être à la charge de vous redonner le comté de Bé-
» thune.
» Je ne refuferois pas non plus la princeffe Arabel-
» la d’Angleterre , fi , comme l’on publie que l’état
» lui appartient, elle en avoit été feulement décla-
» rée préfomptive héritière ; mais il ne me faut pas
» attendre à l’une ni à l’autre , car le roi d’Efpagne
» 6c la reine d’Angleterre font bien éloignés de ce
» deffein-là. ;
» L’on m’a auffi quelquefois parlé de certaines
» princeffes d’Allemagne ,■ defquelles je n’ai pas re-
» tenu le nom ; mais lçs femmes de cette région ne
» me reviennent nullement, 6c penferois, fi j’en avois
» epoufé une , devoir avoir toujours un lot de vin
» couché auprès de moi, outre que j’ai ouï dire qu’il
» y eut un jour une reine de France de cette nation
» qui la penfa ruiner ; tellement que tout cela m’en
» dégoûte.
» L ’on m’a parlé de quelqu’une des foeurs du
» prince Maurice ; mais outre qu’elles font toutes
» huguenotes, 6c que cette alliance me pourroit met-
» tre en foupçon à Rome 6c parmi les zélés catholi-
» ques , elles font filles d’une nonain ; & quclqu’au-
» tre choie , que je vous dirai une autrefois, m’en
» aliéné la volonté.
» Le duc de Florence a une niece qu’on dit être
» affez belle ; mais étant d’une des moindres maifons
» de la chrétienneté qui porte titre dé prince , n’y
» ayant pas plus de 80 ans , que fes devanciers,n’é-
» toient .qu’au rang des plus illuftres bourgeois do,
»leur ville j & d e la même race de lareine-mere
» Catherine qui a tant fait de maux à la France &
»encore plus à moi en particulier , j’appréhende
» cette .alliance , de crainte d’y rencontrer auflî mal
» pour m o i, les miens 6c l’état.
» Voilà toutes les étrangères dont j’eftime avoir
» été parlé. Quant à celles de dedans le royaume,
» vous avez ma niece de Guife , qui feroit une de
» celles qui me plairoit le plus, nonobftant ce pe-
» tit bruit que quelques malins efprits font courir,
» qu’elle aime bien autant les poulets en papier qu’ en
» fricaffée : car, pour mon humeur, outre que je crois
» cela très-faux, j’àimerois mieux une femme qui fit
» un peu l’amour qu’une qui eût mauvaife tête , de
» quoi elle n’ eft pas foupçonnée ; mais au contraire
» d’humeur fort douce, d’agréable & complaifante
» converfation , 6c pour le furplus de bonne maifon,
» belle, dé grande taille, 6c d’apparence d’avoir bien-
» tôt de beaux enfans, n’y appréhendant rien que la
» trop grande paflion qu’elle témoigne pour fa mai-
» fon , 6c fur-tout fes freres qui lui pourroient faire
» naître des defirs de les élever à mon p r é ju d ic e 6c-
» plus encore de mes enfans, fi jamais la régence de
» l’état lui tomboit entre les mains.
» Il y a auflï deux filles en la maifon du Maine »
» dont l’aînée, quelque noire qu’elle foit, ne me dc-
» plairoit pas, étant lages 6c bien nourries, mais elles
» font trop jeunettes. D eux en celle d’Aumale, & trois
» en celle de Longueville , qui ne font pas à mépri-
» fer pour leurs perfonnes , mais d’autres railons
» m’empêchent d’y penfer. Voilà ce qu’il y a pour de
» prince$r.
» Vous avez après une fille en la maifon de Lu-
» xembourg, une en la maifon de Guimené, ma cou-
» fine Catherine de Rohan , mais celle-là eft hugue-
» note, 6c les autres ne me plaifent pas ; 6c pins la
» fille de ma coufine la princeffe deConty, de la mai-
» fon deLucé, qui eft une très-belle fille 6c bien nour-
» r ie, feroit celle qui me plairoit le plus, fi elle étoit
» plus âgée ; mais quand elles m’agréeroient toutes,
» pour fi peu que j’y reconnois , qui eft-ce qui m’af-
» furera que j’y rencontrerai conjointement les trois
» principales conditions que j’y defire , 6c fans^ef-
» quelles je ne voudrois point de femme ? A favoir,
» qu’elles me feront des fils, qu’ elles feront d’humeur
» douce 6c complaifante , 6c d’efprit habile pour me
» foulager aux affaires fédentaires 6c pour bien régir
» mon état 6c mes enfans , s’il venoit faute de moi
» avant qu’ils euffent âge , fens 6c jugement, pour
» effayer de m’imiter : comme apparemment cela
» eft pour m’arriver, me mariant fi avant en l’âge. .
» Mais quoi donc, Sire, lui répondit R ofni, que
» vous plaît-il entendre par tant d’affirmativês 6c de
» négatives defquelles je ne faurois conclure autre
» chofe finon que vous defirez bien être marié , mais
» que vous ne trouvez point de femmes en terre qui
» vous foient propres ? Tellement qu’à ce compte il
» faudroit implorer l’aide du c iel, afin qu’il fitrajeu-
» nir la reine d’Angleterre , 6c reffufeiter Marguerite
» de Flandres, mademoifelle de Bourgogne, Jeanne
» la L oca, Anne de Bretagne 6c Marie Stuart, toutes
» riches héritières, afin de vous en mettre au choix;
» car, félon l’humeur que vous avez témoignée> par-
» lant de Clara Eugénie , vous feriez homme pour
» agréer quelques-unes de celles-là qui poffedoient
» de grands états. Mais laiffant toutes ces impoflibi-
» lités 6c imaginations vaines à part, voyons un peu
» ce qu’il faut faire, &c ».