fuperftitions, Si par les fubtilités épxneufes de l’ école.
Enfin, il n’eft plus qüeftion dans l’hiftoire des
peres de l'Eglife, li Pon en excepte le feul fondateur
de Clervaux, à qui l’on a donné le nom de dernier
des SS. peres.
S. Bernard, dont M. le Maître a fait la vie dans
notre langue, naquit au village de Fontaine en Bourgogne
en 1091. Il vint au monde fort à-propos dans
un fiecle de brigandage , d’ignorance Si de fuperftitions,
Si fonda cent foixante monafteres en différais
lieux de l’Europe. Je n’ofe dire avec le cardinal Ba-
ronius, qu’il n’a point été inférieur aux grands apôtres
; je craindrois de répéter une impiété ; mais il
a été puifl'ant en oeuvres Si en paroles, par les prodiges
qui ont fuivi fa prédication Si fes difcours.
Ce fut avec raifon, dit un hiftorien philofophe,
que le pape Eugene III. n’agueres difciple de faint
Bernard , choifit fon premier maître pour être l’organe
de la fécondé croifade. Il avoit fu concilier le
tumulte des armes avec l’aufterité de fon état ; il
étoit parvenu à cette confidération perfonnelle qui
eft au-deffus de l’autorité même.
A Vézelai, en Bourgogne, fut dreffé un échafaud
dans la place publique en 1 146 , où S. Bernard parut
à côté de Louis le Jeune , roi de France. Il parla d’abord
, Si le roi parla enfuite. Tout ce qui étoit pré-
fent prit la croix, Louis la prit le premier des mains
de S. Bernard. Il s’étoit acquis un credit fi fingulier,
qu’on le choifit lui-même pour chef de la croifade ;
il avoit trop d’efprit pour l’accepter. Il refiifa l’emploi
de général, fe contenta de celui de prophète.
Il' fe rendit en Allemagne , donna la croix rouge
à l’empereur Conrard III. prêchoit en françois aux
Allemands , Si promit de la part de D ieu , des victoires
fignalées contre les infidèles. Il fe trompa ;
mais il écrivit beaucoup, & fut mis au rang des peres
de tEglife. Il mourut le 20 Août 1153. àfoixante-
trois ans.
La meilleure édition de fes oeuvres a été mife au
jour par le pere Mabillon, à Paris en 1690, Si elle
forme 2. vol. in-fol. fon1 ftyle au jugement des critiques
eft fort mélangé, tantôt v i f , tantôt concis & ferré ;'
fa fcience eft très-médiocre. Il entaffe pêle-mêle l’Ecriture
- fainte, les canons Si les conciles , fembla-
cle au cardinal qui avbit placé dans fon cabinet, le
portrait dç J. C. entre celui d’Alexandre VI. Si de
la dame Vahotia fa màîtreffe. 11 déploie par-tout une
imagination peu folide, Si très - féconde en allégories.
Enfin, des fiecles luminenx ont appris la vraie maniéré
d’expliquer l’Ecriture', Si de traiter folidement
la morale ; ils ont éclairé le monde fur les erreurs
où les peres de l’Eglîfe font tombés. Mais quand nous
confidererons que les apôtres eux-mêmes ont eu
pendant long-tems leurs préjugés Si leurs foibleffes ;
nous ne ferons pas étonnes que les miniftres qui leur
ont fuccedé, Si qui n’étoient favorifés d’aucun fe-
cours extraordinaire du c ie l, n’ayent pas eu dans
tous les points des lumières fuffifantes pour les pré-
ierver des erreurs infépàrables de l’humanité.
D ’abord, il paroît clairement que l’idée du regne
de mille ans fur la terre dont les Saints jöuiröient
avec J. C. a été l’opinion des peres des deux premiers
fiecles. Papius ( apud Eufeb. Hiß. ëccléf. 3 . j c>. )
ayant affuré qu’il tenoit dès apôtres cette doétiine
flatteufe , elle fiit adoptée par les grands përfonna-
ges de fon. tems , par S. Juftin, S. Irenée , Népos ,
Viétorin , :La£tance!, Sulpîè'e Séveré Térfullien
Quintiis Julius, Hilarion, Commodianus,. Si autres
qui crôyoient en le foutenant, défendre ühë vérité
apoftoliqUe. Voyez les Antiquités de Bingham Si les
Mémoires pour P Hiß. Eccléf. de M. de Tillemont.
Les mêmes peres ont été dans une fécondé erreur
au fujet du commerce des mauvais anges avec'les
femmes. Ils vivoient dans un tems où l’on «royoit
affez communément, que les anges bons Si mauvais
étoient corporels, Si par conféquent fujets aux mêmes
pallions que nous; ce fentiment leur paroiffoit
établi dans les livres facrés. C’ eft particulièrement
dans le livre d’Enoch qu’ils avoient puifé cette idée
touchant le mariage des anges, Si des filles des hommes.
Cependant dans la fuite les peres reconnoiffant
que les anges dévoient être tout fpirituels ; ils ont
déclaré que les efprits n’étoient capables d’aucune
paffion pour les femmes, Si que par les enfans Si les
anges de Dieu dont il eft parlé dans l’Ecriture, on
doit entendre les filles des hommes, celles de la race
de Caïn.
Mais une erreur qui a jette dans leur efprit les plus
profondes racines, c’eft l’idée qu’ils fe font prefque
tous formé de la fainteté du célibat. De-là vient qu’on
trouve dans leurs ouvrages , Si fur-tout dans ceux
des peres grecs , des expreflions fort dures au fujet
des fécondés noces ; enforte qu’il eft difficile de les
excufer fur ce point. Si ces expreflions ont échapé
à leur ze le , elles prouvent combien on doit être en
garde contre les excès du zele ; car dès qu’en matière
de morale, on n’apporte pas une raifon tranquille
à l’examen du vrai , il eft impofîible .que la
raifon foit alors bien éclairée.
Le nombre des peres de l'Eglife qui condamnent
les fécondés nôces eft trop grand, leurs expreflions
ont trop de rapport enfemble pour admettre un fens
favorable, Si pour ne pas donner lieu de croire que
ceux qui fe font exprimés moins durement que les
autres , n’en étoient pas moins au fond dans les mêmes
idées, qui fe font introduites de fort bonne heure.
S. Irenée , par exemple , traite la Samaritaine de
fornicatrice pour s’être mariée plufieurs fois ; cette
penfée fe trouve aufli dans S. Bafile Si dans S. Jérô^-
me. Origène pofe en fa it , que les fécondés noces
excluent du royaume de D ieu , voyelles Origeniana
de M. Huet, liv. II. quefi. xiv. § .3 . S. Bafile parlant
de ceux qui ont époufé plus de deux femmes, dit
que cela ne s’appelle pas un mariage, mais une polygamie
, ou plutôt une fornication mitigée. C ’eft en
conféquence de ces principes , qu’on flétrit dans la
fuite autant qù’on pût les fécondés noces , & que
ceux qui les célébroient, étoient privés de là couronne
qu’on mettoit fur la tête des mariés. On leur
impofoit encore une pénitence, qui confiftoit à être
fufpendus de la communion. •
Les premiers peres qui fe déclarèrent fi fortement
contre les fécondés noces, embrafferent peut-être
ce fentiment par la confidération, qu’il faut être plus
parfait fous la loi de l’Évangile , que fous la loi Mo-
làïque, Si que les laïques Chrétiens dévoient obfer-
ver la plus grande régularité qui fut en ufage parmi
les epçléfiaftiques de la fynagogue. S’il fut donc trouvé
à-propOs d’interdire le mariage d’une veuve au
fouverain facrificateur des Juifs , afin que cette dé-
fenfe le fit fouvenir de l’attachement qu’il devoit à
la pureté ; on a pû croire qu’il fàlloit mettre tous les
Chrétiens fous le même joug. Peut-être aufli que la
première origine de cette morale févere, fut le defir
d’ôter l’abus de cette efpece de polygamie, que lé
divorce rendoit fréquente.
Quoi qu’il en foit de cette' idée outrée qu’ont eu
les peres fur la fainteté du célibat, il leur eft arrivé
par une conféquence naturelle , d’avoir' approuvé
l’aélion de ceux Si de celles qui fe tuent, demeur de
perdre lèur chafteté. S. Jérôme , S. AmbroifeSi S.
Chryfoftome ont été dans ce principe. La fuperfii-
tion honora comme martyres, quelques faintes femmes
qui s’etoient noyées pour éviter le violemënt
de leur pudicité ; mais ces fortes de ,réfo liftions côu-
rageufes en ellès-mêmesne laiflèntpas d’être én bonne
morale une vraie foiMeffe, pouf laquelle feule-«
ment l’état & les circonftànces des perfonites qui y
fuccombent, donnent lieù d’efpéref la miféricorde
d’un Dieu qui në veut point la mort du pécheur.
S. Ambroife décide, que les vierges qui ne peuvent
autrement mettre leur honneur à couvert de la v iolence,
font bien de fe donner la mort ; il cite pour
exemple, fainte Pélagie, Si lui fait dire que la foi ôte
le crime. S. Chryfoftome donne les plus grands éloges
à quelques vierges qui avoient été dans ce cas ;
il regarde ce genre de mort, comme un baptême extraordinaire
, qu’il compare aux fouffrances de N. S.
J. G. Enfin, les uns Si les autres femblent avoir en-
vifagé cette aétion, comme l’effet d’une infpiration
particulière de l’eforit de Dieu ; mais l’efprit de Dieu
n’infpire rien de femblable. La grande raifon pourquoi
l’Etre fuprème défend l’homicide de foi-même,
c’eft qu’en qualité d’arbitre fouverain de la v ie , que
nous tenons de fa libéralité, il n’a voulu nous donner
fur elle d’autres droits, que celui de travailler à fa .
confervation. Ainfi nous devons feulement regarder
comme dignes de la pitié de Dieu , dès femmes qui
ont employé le trifte expédient de fe tuer pour exercer
leur vertu.
Je vais plus loin ; je penfe que les peres ont eu de
fauflës idées fur le martyre en général, en y invitant,
en y exhortant avec beaucoup de force, Si en louant
ceux qui s’y étoient offert témérairement ; mais ce
defir du martyre eft également contraire , Si à la nature
, & au génie de l’Evangile qui ne détruit point
la nature. J. C. n’a point abrogé cette loi naturelle
une des plus évidentes Si des plus indifpenfables, qui
veut que chacun travaille en tantqu’en'liii eft, à fa
propre confervation. L’avantage de la fociété humaine
, Si celui de la fociété chrétienne demandent également
que les gens de bien Si les vrais chrétiens ne
foient enlevés du monde, que le plus tard qu’il eft
poffible, Si par conféquent qu’ils ne s’ëxpofent pas
eux-mêmes à périr fans nécefiité. Ces railons font fi
claires Si fi fortes, qu’elles rendent très-fufpeft, ou
d’ignorance, ou de vanité, ou de témérité, un zele
qui les foule aux piés pour fe faire une gloire du
martyre en lui-même, & le rechercher fur ce pié-là.
Le coeur des hommes , quelque bonne que foit leur
intention, eft fujet à bien des erreurs & des foibleffes
; elles fe gliffent dans les meilleures aérions, dans
les plus héroïques & les plus éclatantes.
Une humeur mélancholique peut aufli produire
ou féconder de. pareilles illufions. Rien après tout
ne feroit plus propre à détruire le Chriftianifme, que
fi ces idées du martyre défirable par lui-même, de-
venoient communes dans les focietés des Chrétiens ;
il en poürrôit réfulter quelque chofe de femblable ,
à ce que l’on raconte de l’effet que produifirent fur
l’efprit des auditeurs, les difcours véhçmens d’un ancien
philofophe , Hégéfius, fur les miferes de cette
vie. Enfin, Dieu peut én confidération d’une bonne
intention, pardonner ce que le zele a de mal réglé ;
mais, la témérité demeuré ’toujours témérité , & fi
l’on peut l’éxcufer, elle ne »oit faire ni l’objet de
notre imitation, ni la matière ab nos louanges.
. Il eft certain que les peres qiettent fans ceffe une
trop grande différence entre l’homme & le chrétien,
& a force d?outrer.çette diftin£rion, ils prefcrivent
des réglés impraticables. Laplûpart des devoirs dont 1 Evangile exige l’obfervation, font au fondées mêmes
, que ceux qui peuvent être connus de chacun
par les feules lumières de la raifon. La religion chrétienne
ne fait que fuppléer au peu d’attention des
hommes,& fournir des motifs beaucoup pluspuiflans
à la pratique de ces devoirs, que la raifon abandonnée
a elle n’eft capable d’en découvrir. Les lumières
furnaturelles, toutes divin es qu’elles font, ne nous
montrent rien par rapport à la conduite ordinaire de
la YÎe} que les lumières naturelles n’adoptent pas les
réflexions exa&es delà pure philofophié. Les maximes
de l’Evangile ajoutées à celles des philofôphcs >
font'moins de nouvelles maximes, que celles c(iti
étoient gravées au fond çlel’ame raifonnable. ' ’
En vain la plûpart des peres ont regardé le prêt à
ufure comme contraire à la loi naturelle, ainfi qu’aux
lois divines & humaines. Il eft certain que quand ce
prêt n’eft accompagné ni d’extorfions., ni de violations
des lois de la charité, ni d’aucun autre abus",
il eft aufli innocent que tout autre contrat.
Je ne dois pas fupprimer un défaut commun à.tôus
les peres, & qu’on a raifon de condamner, c’eft leur
goût paflionné pour les allégories, dont l’abus eft
d’une dangereufe conféquence en matière de morale.
Lifez fur ce fujet un livre de Dan. Witb y , intitulé
dijfertatio de fcripturarum interprétatione fecundum lpa-
trum commentarios. Lond. 1714//2-40. Si J. C. Sc ies
apôtres ont propofé des images & des allégories, ce
n’a été que rarement, avec beaucoup de fobriéfé'
& d’une maniéré à faire ièntir qu’ils ne les donnoient
que comme des chofes propres à illuftrer, & à rendre
en quelque façon fenfibles au vulgaire groflier,
les vérités qu’ils avoient fondées fur des principes
également Amples, folides, Si fuffifans par eux-mêmes.
Il ne fiiffit pas de voir quelque conformité entré
ce que l’on prend pour figure, Si ce que l’on croit
être figure : il faut encore être affuré que cette ref-
femblance a* été dans l’efprit Si dans l’intention de
Dieu , fans quoi l’on court grand rifque de donner
fes propres fantaifies pour les vues de la fagefle divine.
Rien n’eft plus différent que le tour d’efprit des
hommes ; Si il y a une infinité de faces, par lefquel-
les on peut envifager le même objet, foit en lui—
meme, ou en le comparant avec d’autres. Ainfi l’un
trouvera une conformité, l’autre une autre, aufli
fpécieufe quoique différente , Si même contraire.
Celle qui nous paroiffoit la mieux fondée fera effacée
par une nouvelle,qui nous a frappés depuis ; de forte
qu’ainft l’Ecriture-fainte fera en bute à tous les jeux
de l’imagination humaine. Mais l’expérience a affez
fait voii; dans quels égaremens on fe jette ic i , faute
de réglé Si de bouffole. Les peres de VEglife fuffiroient
de relie , quand ils n’auroient jamais eu d’imitateurs,
pour montrer le péril de cette maniéré d’expliquer le
livre le plus refpeclable.
Après tout, il eft certain que les Apôtres ne nous
ont pas donné la-clé des figures ou des allégories qu’il
pouvoit y avoir dans l ’Ecriture-fainte, outre celles
qu’ils ont eux-mêmes développées; Si cela fuffit
pour réprimer une curiofité que nous n’avons pas le
moyen de fatisfaire. Enfin les allégories font inutiles
pour expliquer la morale évangélique, qui eft
toute fondée fur les lumières les plus Amples de la
raifon.
Il femble encore que les peres fe font plus attachés
aux dogmes de pure lpéculation qu’à l’étude férieufe
de la morale ; Si qu’en même tems ils ont trop négligé
l’ordre S i la méthode. Il feroit à fouhaiter qu’en
abandonnant les argumens oratoires , ils fe fiiflent
piqués de démontrer par des raifons folides les vertus
qu’ils recommandoient. Mais la plûpart ont
ignoré l’art critique qui eft d’un très-grand fecours
pour interpréter l’Ecriture-fainte, Si en découvrir,
le fens Uttéral.Parmi les peres grecs .il y en avoit peu
qui entendiflent la langue hébraïque , Si parmi les
peres latins , quelques-uns même n’étoient . pas affez
verfés dans la langue grecque.
Enfin leur éloquence eft communément fort en-
fleë , ■ fouvent déplacée, Si pleine de figures Si
d’hyperboles. La raifon en eft , que le goût pour
l’élp.quence. étoit déjà dépravé dans le tems que
les peres ont vécu.. Les études d’Athènes mêmq
étoient déchues", dit M. de Fénelon , dans le