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Oratores non rarus ,femper tamen adflriclior. Il eft de
la décence de recourir aux périphrafes, pour faire
entendre les chofes qu’il ne convient pas de nommer.
Ces tours d’expreflion font fouvent néceffai-
res aux Orateurs. La pèriphrafc en étendant le discours
le releve; mais ilia faut employer avec choix
6c avec mefure, pour qu’elle foit orationis dilucidior
circuitio, 6c pour y produire une belle harmonie.
Platon dans une oraifon funebre parle ainfi : « En-
» fin mefîieitrs , nous leur avons rendu les derniers
» devoirs, & maintenant ils achèvent ce fatal voya-
» ge ». Il appelle la mort ce fatal voyage ; enfuite il
parle des derniers devoirs comme d’une pompe publique
que leur pays leur avoit préparée exprès,pour
les conduire hors de cette vie. De même Xénophon
ne dit point, vous travaillez beaucoup ; mais , « vous
» regardez le travail comme le feul guide qui peut
» vous conduire à une vie heureufe ».
La périphrafe fui vante d’Hérodote, eft encore plus
délicate. La déeffe Vénus pour châtier l’infolence
des Scythes, qui avoient oie piller fon temple, leur
envoya une maladie quiles-rendoit femmes. Il y a dans
le grec SmpÉ-' ; c’eft vraiffemblablement le vice
de ceux dont S. Grégoire de Naziance dit qu’ils font.
K 7unia.ç àhcyfxa. , Kcù ypnÇ/oi irabuv,
A v S'ctç yweuÇi na.1 yvvcti/.eç a.vS'puriv.
Un paffage du Scholiafte de Thucydide eft décifif.
Il parle de Philoftete qu’on fait avoir été puni par
Venus de la même maniéré qu’Hérodote dit qu’elle
punit les Scythes.
Cicéron dans fon plaidoyer pour Milon, ufe d’une
périphrafe encore plus belle que celle de l’hiftorien
grec. Au lieu de dire que les efclaves de Milon tuèrent
Clodius, il dit : fecerunt Jérvi Milonh, neque im-
peranie , neque f dente, neque prcefente domino, idquod
fuos quif que fervos in tali re facerevoluijfet. Cet exemple
, aufli-bien que celui d’HérOdote, entre dans le
trope que l’on nomme euphémifme, par lequel on dé-
guife des idées defagréables, odieufes, ou trilles,
fous des noms qui ne font point les noms propres de
ces idées : ils leur fervent comme de voiles ; 6c ils
en expriment en apparence de plus agréables, de
moins choquantes, ou de plus honnêtes, félon le
befoin. ■ ■
L’ufage de lapériphrafe peut s’étendre fort loin, 6c
la Poélie en tire fpuvent beaucoup d’éclat; mais il
faut alors qu’elle faffe une belle image. On a eu rai-
fon de blâmer cette périphrafe de Racine, dans le récit
de Théramene.
Cependant fur le dos de la plaine liquide
S'élève à gros bouillons une montagne humide.
Une montagne humide qui s’élève à gros bouillons
fur la plaine liquide, eft proprement de l’enflure.
Le dos de laplaine liquide, eft une métaphore qui
ne peut fe tranfporter du latin enfrançois ; enfin, la
périphrafe n’eff pas exatte, 6c fort du langage de la
tragédie.
Mais les deux vers fuivans ,
Indomptable taureau -, dragon impétueux ,
Sa croupe fe recourbe en replis tortueux.
Ces deux vers, dis-je , font bien bien éloignés d’ê- |
tre^ une périphrafe gigantefque ; c’eft de la grande
poéfie , oîi fe trouve la precifion du deffein, & le
hardieffe du coloris. Oublions feulement que c’eft
Théramene qui parle. ( D. J. y
PÉRIPLE , f. m. ( Geog. anc. ) ce mot veut dire
journal de navigation autour d’une mer , ou de quelque
côte ; nous connoiflons en ce genre le périple de
Scyllax, le périple d’Hannon, le périple dePythéas,
& le périple d’Arrien, qui décrivit toutes les côtes
delà mer Noire, après les avoir reconnues en qualité
de général de l’empereur Adrien , à qui il en
dédia la defcription fous le nom du périple dit Pont-
Euxin. :1 •
Scylax, célébré géographe, né dans la Carie, flo-
riffoit quelque tems après Hannon, c’eft-à-dire environ
3 30 ans avant J. C. Nous avons fous fon nom
un périple intéreflant, qui eft peut-être un court abrégé
de fon ouvrage. 11 y eft parlé de quelques villes
phéniciennes bâties fur la côte d’Afrique , entre autres
de la ville de Thymiaterium, que bâtit Hannon.
Le périple d’Hannon paroît donc le plus ancien, 6c
le feul morceau de ce genre que nous ayons en original.
,11 eft antérieur au commencement du régné
d’Alexandre, c’eft-à-dire, à l’an 3 36 avant J. C.. puif-
qu’il y parle de T y r , comme d’une ville floriflante
qui a un roi particulier, 6c qui eft lituée dans une île
léparée' du continent par un détroit de trois ftadés.
On voit par-là, que le voyage d’Hannon eft plus ancien
que l’an 300 avant J. C. Pline dit qu’il fut fait
dans le tems de la puiffance des Carthaginois Car-
thaginis potentiâ Jlorente ; mais, cette puifiànce a commencé
de fi bonne heure, qu’on ne peut en fixer la
date précife.
Strabon, /. I. p. 4p. traite de fabuleufe la relation
du célébré amiral de Carthage. Dodv/el regarde auflî
le'voyage d’Hannon comme un roman de quelques
grecs déguilés lous un nom punique ; niais malgré
toute l’érudition qu’il prodigtie à l’appui de.les rai-
fonnëmens, il n’a pas convaincu l’auteur de l’eforit
des Lois. .M.' de Montefquieu met le périple d’Hannon
au nombre des plus précieux monumens de l’antiquité
; 6c M . de Bougainville adoptant le même fen-
tin.ent, a donné dans lé recueil de l’académie des
Infciiptions;, tome X X V I . un mémoire curieux fur
ce voyage,, outre la traduction du périple même
d’Hannon, accompagnée deséclairciffemensnécél-
faires. En voici le précis.
Hannon partit du port de Carthage à la tête de foi-
xante vaiffeaux, qui portoient une grande multitude
de paffagers hommes 6c femmes, deftinés à peupler
les colonies qu’il alloit établir. Cetté flotte nombreu-
fe étoit chargée de vivres 6c de munitions de toute
efpece, foit pour le voyage , foit pour les nouveaux
établiffemens. Les anciennes colonies carthaginoi-
fes étoient femees depuis Carthage jufqu’au détroit:'
ainfi les opérations ne dévoient commencer qu’au-.,
delà de ce terme,
Hannon ayant paffé le détroit, ne s’arrêta qu’a- ■
près deux journées de navigation, près du promontoire
Hermeum, aujourd’hui le cap Cautin ; 6c ce
fut au midi de ce cap , qu’il établit la première peuplade.
La flotte continua fa route jufqu’à un cap ombragé
d’arbres, qu’Hannon nomme Solaé, 6c que le
périple de Scylax, met à trois journées plus loin que
le précédent ; c’eft vraiffemblablement le cap Boja-
dor, ainfi nommé par les Portugais, à caufe du courant
très-dangereux que forment à cet endroit les vagues
qui s’y brifent avec impétuofité. .
Les Carthaginois doublèrent le cap ; une demi-
journée les conduifit à la vue d’un grand lac voifin
de la mer , rempli de rofeaux, 6c dont les bords
étoient peuplés d’éléphans 6c d’animaux fauvages.
T rois journées 6c demie de navigation féparent ce
lac d’une riviere nommée Lixus, par l’amiral carthaginois.
Il jetta l’ancre à l’embouchure de cette riviere
, 6c fejourna quelque tems pour lier commerce
avec les Nomades Lixites, répandus le long des
bords du Liccus. Ce fleuve ne peut être que le Rio-
do-Ouro, efpece de bras de m er, ou d’étang d’eau
falée, qu’Hannon aura pris pour une grande riviere
à fon embouchure.
Enfuite la flotte mouilla près d’une île qu’Hannon
appelle Cerné ; 6c il laiffa dans cette île des habi-
tans pour y former une colonie, Cerné n’eft autre
que notre île d’Arquin, nommée Ghir par les Maures
: elle eft à cinquante milles du cap Blanc > dans
une grande baie formée par ce cap, 6c par un banc
de fable de plus de cinquante •milles d’étendue du
nord au fud, 6c un peu moins d’une liçue de large
de l’eft à l’oueft. Sa diftance du continent de l’Afrique
, n’eft guere que d’une lieue.
Hannon s’étant remis en m er, s’avança jüfqu’au
bord d’un grand fleuve qu’il nomme Chris, à l’extrémité
duquel il vit de hautes montagnes habitées par
des fauvages vêtus de peaux de bêtes féroces. Ces
fauvages s’oppoferentàla defcente des Carthaginois,
6c les repoufferent à coups de pierres : félon toute
apparence, ce fleuve Chrès, eft la riviere de S. Jean,
qui coule au fud d’Arquin, à l’extrémité méridionale
du grand banc. Elle reçoit les eaux de plufieUrs lacs
confidérables, 6c forme quelques îles dans fon canal
, outre celles qu’on voit au nord de fon embouchure.
Ses environs en font habités par les Nomades
de la même efpece que ceux du Lixus ; 6c ce lont-là
probablement les fauvages que vit Hannon.
Ayant continué fa navigation le long de la côte
vers le midi , elle le conduifit. à un autre fleuve très-
large 6c très-profond, rempli de crocodiles & d ’hyp-
popotam.es. La grandeur de ce fleuve, & les animaux
féroces qu’il nourrit, défignent certainement
le Sénégal. Il borna fa navigation particulière à ce
grand fleuve, 6c rebrouffant chemin, il alla chercher
le refte de fa flotte dans la rade de Cerné.
Après douze jours de navigation le long d’une
côte unie, les Carthaginois découvrirent un pays
élevé, & des montagnes ombragées de forêts; ces
montagnes boifées d’Hannon, doivent être celles de
Serra-Liona, qui commencent au-delà de Rio-Gran-
de, 6c continuent jufqu’au cap Sainte-Anne.
Hannon mit vingt-fix jours , nettement exprimés
dans fon périple, à venir de l’île de Cerné, jufqu’au
golfe, qu’il nomme la corne du midi ; c’eft le golfe de
la côte de Guinée, qui s’étend jufqu’aux côtes de
Bénin , 6c qui commençant vers l’oueft du cap des
trois pointes, finit à l’eft par le cap Formofo.
Hannon découvrit damp ce golfe une île particulière
, remplie de fauvages , parmi lefquels il cnit
voir beaucoup plus de femmes que d’hommes. Elles
avoient le corps tout v elu , 6c les interprètes d’Hannon
les nommoient Gorilles. Les Carthaginois poursuivirent
ces fauvages , qui leur échappèrent par la
légèreté de leur courfe. Ils faifirent trois des femmes
; mais on ne put les garder en v ie , tant elles
étoient féroces ; il fallut les tuer, 6c leurs peaux furent
portées à Carthage, oii jufqu’au tems de la ruine
de cette ville -, on les conlerva dans le temple de
Junon. L’île des Gorilles , eft quelqu’une de celles
qu’on trouve en aflez grand nombre dans ce lac. Les
pays voifins font remplis d’animaux pareils à ceux
qu’Hannon prit pour des hommes fauvages. C’é-
toient, fuivant la conjecture de Ramufio, commentateur
d’Hannon, des finges de la grande efpece, dont
les forêts de l’Afrique intérieure font peuplées.
Le cap des Trois-pointes fut le terme des découvertes
d’Hannon ; la difette des vivres l’obligea de
ramener fa flotte à Carthage , il y rentra plein de
gloire , après avoir pénétre jufqu’au cinquième degré
de latitude , prit poffeflion d’une côte de près de
lix cens lieues , par l’établilfement de plufieurs colonies,
depuis le détroit jufqu’à Cerné, 6c fondé dans
cette î le , un entrepôt sûr 6c commode pour le commerce
de fes compatriotes, qui s’accrut confidéra-
blement depuis cette expédition.
On n’a pas de preuves que les Carthaginois aient
dans la fuite conlervé toutes les connoiftances qu’ils
dévoient au voyage d’Hannon. 11 eft même à préfumer
que leurs, marchands n’allerent ,pas d’abord audelà
du Sénégal, & que peu-à-peu ils refterent beaucoup
en-deçà de ce fleuve.
. Au tems de Scylax, l’île de Cerne étoit devenue
le terme de la navigation pour les gros bâtimens.
La colonie d’Hannon s’y maintint ; 6c Cerné fut tour
joùrs l’entrepôt du commerce des Carthaginois au
Sud de l’Afrique. Leurs gros navires reftoient à la
rade de l’île ; la côte ultérieure n’étant pas aifément
navigable, à caufe des écueils 6c des bas fonds couverts
d’herbes qu’on y rencontre fréquemment. Ils
s’embarquèrent à Cerné fur des bâtimens légers , à
bord defquels ils alloient faire la traite le long des
côtes, 6c même dans les rivières, qu’ils remontoienc
aflez avant.
Scylax fait mention d’une ville d’Ethiopiens oit
de negres, oii ils alloient commercer, 6c nous donne
un détail des marçhandifes qui faifoient de part 6c
d’autre la matière de ce commerce. Les Carthaginois
y portoient des vafes de terre , des tuiles * des
parfums d’Egypte , 6c quelques bijoux de peu de
conséquence pour les femmes. En échange, ils en rc-
cevoient des peaux de cerfs, de lions, 6c de panthères
, des cuirs , 6c des dents d’éléphans. Ces cuirs
étoient d’un grand ufage pour les cuirafles 6ç les
boucliers.
Scylax garde le filençe fur la poudre d’or qu’ils
tiroient aulfi de ces contrées ; c’ eft un feçret de leur
commerce , qu’il ignoroit fans doute, n’ayant con-
fulté que les routiers des pilotes, oii l’on n’avoit garde
de faire mention de cet article important. Mais
Hérodote, i'nftruit par l’indifçrétion de quelque Carthaginois
, nous l’a révélé dans fon hiftoire, liv. IV*
ch. cxçvh
On voit encore dans l’île d’Arquin, un monument
du long féjour des Carthaginois ; ce font deux citernes
couvertes, creufé,esdans le roc avec un travail
immenfe, pour raffembler les eaux de diverfes four-
ces, 6c les défendre contre la chaleur immodérée du
climat. Ces citernes marquées dans quelques plans
du fort appartenant dans cette île à la compagnie des
Indes ffançoifes , contiennent aflez d’eau pour en
fournir plufieurs gros bâtimens. Ce n’eft point un
ouvrage des Maures ; ces peuples maîtres de l’intérieur
du pays & des côtes , n’avoient nul befoin de
l’entreprendre; d’ailleurs, ils ne font pas navigateurs,
ainfi nous fommes obligés de l’attribuer aux Carthaginois
, anciens poflefleurs de l’île 9 depuis la découverte
d’Hannon.
. Ce grand homme de retour à Carthage, dépofa
dans le temple une efpece de journal ou de fommai-
re de la navigation ; c’eft le périple qui porte fon nom,
6c dont l’original, perdu depuis long-tems, a eu le
fort de tous les écrits compofés par fes compatriotes.
Le peu de familiarité des anciens avec la langue
& le s carafteres puniques, l’indifférence des Grecs,
6c la haine des Romains, ont fait périr les ouvrages
des Carthaginois, fans qu’un feul ait pu fe fouftraire
à la profcription générale ; perte réelle pour la pof-
térité, que les monumens de littérature & d’hiftoire
Carthagmoife auroient inftruite de l’état de l’Afrique
intérieure, de celui de l’ancienne Efpagne, 6c d’une
infinité de faits inconnus aux Grées, concentrés en
eux-mêmes; 6c qui trop fuperficiels pour rien approfondir
, étoient trop énorgueillis de la fupériorité
qu’ils avoient dans les arts, 6ç de celle qu’ils préten-
doieht dans les feiences, pour ne pas nier tout ce
qu’ils ignoroient.
Le périple d’Hannon avoit été traduit en grec,
vraiffemblablement par quelque Sicilien, devenu fu-
jet de Carthage, depuis qu’elle eût fournis une partie
de la Sicile à là domination. Le tradu&eur a défiguré
quelques termes de l’original, 6c peut-être meme ne
nous en a-t-il confervé qu’un extrait. Du-moins ,
c’eft ce qu’on prélume au premier coup d’osii > e$