La quatrième qui commence à Henri de Valois, forme
une clafl'e à part , parce que la couronne y a
paflè d’une maifon à une autre , fans fe fixer dans
aucune.
La fucceflion dans les quatre claffes montre des
fingularités , dont quelques - unes méritent d’être
connues.
L’an 750 les Polonois n’avoient pas encore examiné
fi une femme pouvoit commander à des hommes
; il y avoit long-tems que l’Orient avoit décide
que la femme eft née pour obéir. Venda régna pourtant
6c glorieufement ; la loi ou l’ufage falique de la
France fut enfuite adopté par la Pologne ; car les
deux reines qu’on y a vues depuis Venda, favoir ,
Hedwige en 1381 &: Anne Jagellon en 1575 , ne
montèrent fur le trône , qu’en acceptant les époux
qu’on leur défigna pour les foutenir dans un pofte
fi élevé. Anne Jagellon avoit foixante ans , lorf-
qu’elle fut élûe. Etienne Battori, qui -l’époufa pour
régner, penfa qu’une reine étoit toujours jeune.
Des fiecles antérieurs avoient ouvert d’autreS' chemins
à la fouveraineté. En 804, les Polonois furent
embarrafies pour le choix d’un maître ; ils propofe-
rent leur couronne à la courfc : pratique autrefois
connue dans la G rece, 6c qui ne leur parut pas plus
finguliere, que de la donner à la naiffance. Un jeune
homme nourri dans l’obfcurité la gagna, 6c il prit le
nom de Lesko IL Les chroniques du tems nous apprennent
qu’il conferva fous la pourpre, la modeftie
6c la douceur de fa première fortune ; fier feulement
6c plein d’audace lorfqu’il avoit les armes à la main.
Prefque tous les polonois foutiennent que leur
royaume fut toujours éleélif : cette queftion les in-
térefîè peu, puifqu’ils jouiffent. Si on vouloit la décider
par une fuite de faits pendant fix ou fept fiecles,
on la décideroit contre eux, en montrant que la couronne
dans les deux premières clafles, a pafle con-
ftamment des peres aux enfans ; excepté dans les cas
d’une entière extinftion de la maifon régnante. Si les
Polonois alors avoient pu choifir leurs princes, ils
auroientpris parmi leurs palatins des fages tout décidés.
Les .'eut-on vu aller chercher un moine dans le fond
d’un cloître, pour le porter fur le trône, uniquement
parce qu’il étoit du fang de Piaft ? Ce fi.it Cafimir I.
fils d’unpere détefté, Mieciflaw II. 6c d’une mere encore
plus exécrable. Veuve & régente, elle_avoit fui
avec fon fils ; on le chercha cinq ans après pour le couronner
: la France l’avoit reçu. Les ambafladeurs polonois
le trouvèrent fous le froc dans l’abbaye de Clu-
g n y , oii il étoit profès 6c diacre. Cette vue les tint
d’abord en fufpens : ils craignirent que fon ame ne
fût flétrie fous la cendre 6c le cilice ; mais faifant réflexion
qu’il étoit du fang royal, 6c qu’un roi quelconque
etoit préférable à l’interregne qui les défo-
lo it , ils remplirent leur ambaflade. Un obftacle arrêtait
; Cafimir étoit lié par des voeux 6c par les ordres
facrés; le pape Clément II. trancha le noeud, 6c
le cénobite fut roi. Ce n’eft qu’à la fin de la fécondé
■ claffe, que le droit héréditaire périt pour faire place
à l’ëleâion.
Le gouvernement a euaufll fes révolutions : il fut
d’abord abfolu entre les mains de Leck, peut-être
trop : la nation fentit fes forces, & fecoua le joug
d’un feiffl ; elle partagea l’autorité entre des vaivodes
ou généraux d’armee, dans le deffein de l’affoiblir.
Ces vaivodes aflis fur les débris du trône ,-les raflèm-
blerent pour en former douze, qui venant à fe heurter
les uns les autres, ébranlèrent l’état jufque dans
fes fondemens. Ce ne fut plus que révoltes, raûions,
opprefîion, violence. L’état dans ces terribles fe-
couffes , regretta le gouvernement d’im feul, fans
trop penfer à ce qu’il en avoit fouffert : mais les plus
fejifés cherchèrent un homme qui fût regner fur un
peuple libre, en écartant la licence. Cet homme fe
trouva dans la perfonne de Cracus , qui donna fon
nôm à la ville de Cracôvie, en la fondant au commencement
du feptieme fiecle.
L’extiqftion de fa poftérité dès la première génération
, remit le fceptre entre les mains de- la nation,
qui ne fachant à qui le confier, recourut aux vaivo-
aes qu’elle avoit profcrits. Ceux-ci comblèrent les
defordres des premiers ; &c cette ariftocratie mal çon-
ftituée ne montra que du trouble &.de la foibleflè.
Au. milieu de cette confufion, un homme fans
nom 6c fans crédit, penfoit à fauver fa patrie : il attira
les Hongrois dans un défilé où ils périrent prefque
tous. Przémiflas ( c’eft ainfi qu’on le nommoit)
devint en un jour l’idole du peuple ; 6c ce peuple fau-
vage qui ne connoifîbit encore d’autres titres à la couronne
que les vertus, la plaça fur la tête de fon libérateur,
qui la foutint avec autant de bonheur que de
gloire, fous le nom de Lesko I. dans le huitième
fiecle.
Ce rétabliffement du pouvoir abfolu ne dura pas
long-tems, fans éprouver une nouvelle fecouffe. Po-
piel 11. le quatrième duc depuis Przémiflas, mérita
par fes crimes d’être le dernier de fa race ; l’anarchie
fiiccéda, 6c les concurrens au trône s’affemblerent
à Krufwic , bourgade dans la Cujavie. Un habitant
du lieu les reçut dans une maifon ruftiqùe, leur fer-
■ vit un repas frugal, leur montra un jugement fa-in-,
un coeur droit 6c compatiffant, des lumières au-def-
fus de fa condition, une ame ferme, un amour de
la patrie, que ces furieux ne connoiffoient pas. Des
ambitieux qui defefperent de commander, aiment
mieux fe foumettre a un tiers qui n’a rien difputé,
que d’obéir à un rival. Ils fe déterminèrent pour la
vertu; & par-là ils réparèrent en quelque forte tous
les maux qu’ils avoient faits pour parvenir au trône ;
Piaft régna donc,au neuvième fiecle.
Les princes de fa maifon, en fe fuccédant les uns
aux autres, affermilfoient leur autorité ; elle parut
même devenir plus abfolue entre les mains de Boleflas
I. dans le dixième fiecle. Jufqu’à lui les fouve-
rains de Pologne, n’avoient eu que le titre de duc :
deux puiflanees fe difputoient alors le pouvoir de
faire des rois, l’empereur, & le pape. A examiner
l’indépendance des nations les unes des autres, ce
n’eft qu’à elles-mêmes à titrer leurs chefs. Le pape
échoua dans fa prétention : ce fut l’empereur Othon
III. qui touché des vertus de Boleflas, le revêtit de
la royauté , en traverfant la Pologne.
On n’auroit jamais cru qu’avec cet infiniment du
pouvoir arbitraire (un diplôme de royauté, donné
par un étranger), le premier roi de Pologne eût jetté
les premières femences du gouvernement républicain.
Cependant ce héros , après avoir eu l’honneur
de fe fignaler par des conquêtes, 6c la gloire bien
plus grande d’en gémir, femblable à Servius Tullius,
eut le courage de borner lui-même fon pouvoir, en
établiftknt un confeil de douze fénateurs, qui pût
l’empêcher d’être injufte.
La nation qui avoit toujours obéi en regardant du
côté de la liberté, en apperçut avec plaifir la première
image : ce confeif pouvoit devenir un fenat.
Nous avons vu que dès les commencemens elle avoit
quitté le gouvernement d’un feul pour fe confier à
douze vaivodes. Cette idée paflTagere de république
ne l’avoit jamais abandonnée; & quoique fes princes
, après fon retour à fa première conftitution, fe
fuccédaflènt les uns aux autres par le droit du fang,
elle reftoit toujours perfuadée qu’il étoit des cas où ,
elle pouvoit reprendre fa couronne. , Elle eflaya fon
pouvoir fur Mieciflaw III. prince cruel, fourbe,
avare, inventeur de nouveaux impôts : elle le dé-
pofa. Ces dépofitions fe renouvellerent plus d’une
fois ; Uladiftas Laskonogi, Uladiflas Loketek, fe viïèiit
forcés à defceridre du trône, & Cafimir IV.
auroit eu le même fort, s’il n’eût fléchi fous les remontrances
de fes fujets. Pouffés à bout par la tyrannie
de Boleflas 11. dans le treizième fiecle , ils s’en
délivrèrent en le ehaflant.
^ Une nation qui eft parvenue à dépofer fes rois *
n’a plus qu’à choifir les pierres pour elever l’édifice
de fa liberté, 6c le tems amene tout. Cafimir lé grand,
au quatorzième fiecle, preffé de finir une longue
guerre, fit un traité de paix, dont fes ennemis exigèrent
la ratification par tous les ordres du royaume;
Les ordres convoqués refiiferent de ratifier; 6c ils
fentirent dès ce moment qu’il n’étoit pas impofïible
d’établir une république en confier vaut un roi.
Les fondemens en furent jettes avant la mort même
de Cafimir; il n’avoit point de fils pour lui fuc-
céder ; il propofa fon neveu Louis, roi de Hongrie.
Les Polonois y confentirent ; mais à des conditions
qui mettaient des entraves au pouvoir abfolu : ils
avoient tenté plus d’une fois de le diminuer par des
révoltes ; ici c’eft avec des traités. Le nouveau maître
les déchargeoit prefque de toute contribution ;
il y avoit un ufàge, établi, de défrayer la cour dans
fes voyages ; il y renonçoit. Il s’engageoit pareillement
à rembourfer à-fes fujets les depenfes qu’il fe-
roit contraint de faire , 6c les dommages même qu’ils
auroient à fouftrir dans les guerres qu’il entrepren-
droit contre les puiflanees voifines : rien ne coûte
pour arriver au trône.
Louis y parvint, 6c les fujets obtinrent encore
que les charges & les emplois publics feroient déformais
donnes à vie aux citoyens, à l’exclufion de
tout etranger, 6c que la garde des forts 6c des châteaux
ne feroit plus confiée à des feigneurs fupé-
,rieurs au refte de la nobleflè, par une naiffance qui
leur donnoit trop de crédit. Louis poflèffeur de deux
royaumes, préféroit le fejour de la Hongrie, où il
commandoit en maître, à celui de la Pologne , où
l ’ontravailloit à faire des-lois. Il envoya le duc d’Op-
pellen pour y gouverner en fon nom : la nation en
fut extrêmement, choquée, & le roi fut obligé de lui
fubftituer trois feigneurs polonois agréables au peuple
: Lquis mourut fans êtré regretté.
Ce h etoit pas afl'ez à l’efpnt républicain, d’avoir
mitigé la royauté ; il frappa un autre grand coup,
en aboliflant la fucceflion ; 6c la couronne fut déférée
à la fille cadette de Louis, à condition qu’elle
11 accepterait un epoux que de la main de l’état. Parmi
les concurrens qui fie préfenterent, Jagellon fit
briller la couronne de Lithuanie, qu’il promit d’incorporer
à celle de Pologne. C’était beaucoup : mais
ce n’etoit rien, s’il n’avoit fouferit à la forme républicaine.
C’eft à» ce prix qu’il époufa Hedwige, 6c
qu’il fut roi.
Il y eut donc une république compofée de trois
ordres : le roi, lefénat, l’ordre équeftre, qui comprend
tout le refte de la nobleflè, 6c qui donna bientôt
des tribuns fous la dénomination de nonces. Ces
nonces repréfentent tout l’ordre équeftre dans les
aflèmblees generales de la nation qu’on nomme die-
tes, 6c dont ils arrêtent l’aéhvité,, quand ils veulent,
par le droit de veto. La république romaine n’avoit
point de roi r mais dans fes trois ordres, elle comptoir
les plebeïens ; qui partageoient la fouveraineté
avec le fenat & l’ordre equeftre; & jamais peuple ne
fut ni plus vertueux, ni plus grand. La Pologne différente
dans fes principes, n’a compté fon peuple qu’avec
le bétail de fes terres. Le fénat qui tient la balance
entre le roi 6c la liberté, voit fans émotion la
fervitude de cinq millions d’hommes, autrefois plus
heureux lorfqu’ils étaient Sarmates.
La république polonoife étant encore dans fon
enfance, Jagellon parut oublier à quel prix il re-
gnoit : un afte émané du trône fe trouva contraire à
ce qu’il avoit juré ; lés nouveaux républicains fous
les yeux même, mirent l’aûe en piece avec leurs
fabres.
Les rois, qui avant la révolution décidoient delà
guerre ou de la paix, faifoiént les lois, changeoient
les coutumes, abrogeoient les conftitutions , établit
foient des.impôts, difpofoient du tréfor public* vi*
rent pafler tous ces reflorts de puiflance dans les
mains de la nobleflè; 6c ils s’accoutumèrent à être
contredits. Mais ce fut fous Sigifinond Augufte au
feizieme, fieele * que la fierté républicaine fe monta
lur le plus haut ton;
Ce prince étant mort fans enfans en 1573 , oii
penfa encore à élever de nouveaux remparts à la liberté
; on examina les lois anciennes/ Les unes fu-
lenr reftraintes, les autres plus étendues , quelques*
unes abolies ; 6c après bien des difeuflions , on fit un
decret qui portait que les rois nommés par la na-
tion, ne tenteroient aucune voie pour fe donner un
lucceflèur ; & que conféquemment ils ne prendroient
jamais la qualité d’héritiers du royaume ; qu’il y au*
roit toujours auprès de leur perfonne feize fénateurs
pour leur fervir de confeil ; 6c que fans leur aveu
ils ne pourroient ni recevoir dés miniftres étrangers!
ni en envoyer chez d’autres princes ; qu’ils ne leve-
roient point de nouvelles troupes ,6c qu’ils n’ordon-
neroient point à la nobleflè de monter à cheval fans
1 aveu de tous les ordres de la république ; qu’ils n’ad-
mettroient aucun étranger au confeil de la nation ;
6c qu’ils ne leur conféreroient ni charges, ni digni!
tes, ni ftarofties ; 6c qu’enfin ils ne pourroient point
fe marier, s’ils.n’en avoient auparavant obtenu la
permiflion du fénat, & de l’ordre équeftre.
Tout 1 interrègne fe pafla à fe prémunir contre ce
qu’on appelloit les attentats dit trône. Henri de Valois
fut révolté à fon arrivée de ce langage républi*
cain qui dominoit dans toutes les affemblées de l’état.
Lareligion prôteftanté étoit entrée dans le royaume
fous Sigifinond I. 6c fes progrès augmentaient à
proportion des violences qu’on exerçoit contre elle.
Lorfque Henri arriva à Cracôvie, on y favoit que
Charles IX . fon frere venoit d’aflafliner une partie
de fes fujets pour en convertir une autre. On crai*
gnoit qu’un prince élevé dans une cour fanatique &
violente, n’en apportât l’efprit : on voulut l’obliger
à jurer une capitulation qu’il avoit déjà jurée en
France enpréfence des ambafladeurs de la républi-
que, & fur-tout l ’article de la tolérance, qu’il n’avoit
juré que d’une façon vague 6c équivoque. Sans 1 éloquent Pibrac, on ne fait s’il eût été couronné ;
mais quelque mois après, le caftellan de Sendomir
Oflolenski, fiit chargé lui fixieme, de déclarer à
Henri fa prochaine dépofition, s’il ne remplifloit
plus exaâement les devoirs du trône. Sa fuite précipitée
termina les plaintes de la nation, 6c fon régné.-
■ C ’eft par tous ces coups de force , frappés en dif-‘
ferens tems, que la Pologne s’eft confervé des rois
fans les craindre.- Un roi de Pologne à fon (acre même
, 6c en jurant les pacla conventa , difpenfe les fu*
jets du ferment d’obéiflance, en cas qu’il viole les
lois de la république.
La puiflance légifiative réfide éflèntiellement dans
la diete qui fe tient dans l’ancien château de Varfo-
v ie , 6c que le roi doit convoquer tous les deux ans.’
S’il y manquoit, la republique a le pouvoir de s’af-
fembler d’élle-même : les diétines de chaque palati-
nat, précèdent toujours la diete. On y prépare les
matières qui doivent fe traiter dans l’aflèmblée générale
, 6c on y choifit les repréfentans de l’ordre
équeftre : c’eft ce qui forme la chambre des nonces.
Ces nonces ou ces tribuns font fi facrés* qiiefous le
régné d’Augufte 11. un colonel faxon en ayant bleffé
un legerement pour venger une infulte qu’il en avoit
reçue, fut condamné à mort 6c exécuté, malgré
niul